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Jules Verne

 

DEUX ANS DE VACANCES

 

(Chapitre XXV-XXVII)

 

 

91 dessins par Benett et une Carte en couleurs

Bibliothèque D’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XXV

La chaloupe du Severn. – Costar malade. – Le retour des hirondelles. 
– Découragement. – Les oiseaux de proie. – Le guanaque tué d’une balle. 
– Le culot de pipe. – Surveillance plus active. – Violent orage. 
– Une détonation au dehors. – Un cri de Kate.

 

e lendemain, après une nuit pendant laquelle Moko était resté de garde à French-den, les jeunes colons, fatigués de leurs émotions de la veille, ne se réveillèrent que fort tard. Aussitôt levés, Gordon, Doniphan, Briant et Baxter passèrent dans Store-room, où Kate vaquait à ses travaux habituels.

Là, ils s’entretinrent de la situation, qui ne laissait pas d’être très inquiétante.

En effet – ainsi que le fit observer Gordon – il y avait déjà plus de quinze jours que Walston et ses compagnons étaient sur l’île. Donc, si les réparations de la chaloupe n’étaient point encore faites, c’est qu’ils manquaient des outils indispensables à une besogne de ce genre.

«Cela doit être, dit Doniphan, car, en somme, cette embarcation n’était pas très endommagée. Si notre Sloughi n’eut pas été plus maltraité, après son échouage, nous serions venus à bout de le mettre en état de naviguer!»

Cependant, si Walston n’était point parti, il n’était pas probable que son intention fût de se fixer sur l’île Chairman, car il aurait déjà fait quelques excursions à l’intérieur, et French-den eût certainement reçu sa visite.

Et, à ce propos, Briant parla de ce qu’il avait observé, pendant son ascension, relativement aux terres qui devaient exister à une distance assez rapprochée dans l’est.

«Vous ne l’avez point oublié, dit-il, lors de notre expédition à l’embouchure de l’East-river, j’avais entrevu une tache blanchâtre, un peu au-dessus de l’horizon, et dont je ne savais comment expliquer la présence…

– Pourtant, Wilcox et moi, nous n’avons rien découvert de semblable, répondit Doniphan, bien que nous ayons cherché à retrouver cette tache…

– Moko l’avait aussi distinctement aperçue que moi, répondit Briant.

– Soit! Cela peut-être! répliqua Doniphan. Mais qui te donne à croire, Briant, que nous soyons à proximité d’un continent ou d’un groupe d’îles?

– Le voici, dit Briant. Hier, pendant que j’observais l’horizon dans cette direction, j’ai distingué une lueur, très visible en dehors des limites de la côte, et ne pouvant provenir que d’un volcan en éruption. J’en conclus donc qu’il existe une terre voisine dans ces parages! Or, les matelots du Severn ne doivent pas l’ignorer, et ils feront tout pour l’atteindre…

– Ce n’est pas douteux! répondit Baxter. Que gagneraient-ils à rester ici? Évidemment, puisque nous ne sommes point délivrés de leur présence, cela tient à ce qu’ils n’ont pas encore pu radouber leur chaloupe!»

Ce que Briant venait de faire connaître à ses camarades avait une importance extrême. Cela leur donnait la certitude que l’île Chairman n’était pas isolée – comme ils le croyaient – dans cette partie du Pacifique. Mais, ce qui aggravait les choses, c’est que, d’après le relèvement du feu de son campement, Walston se trouvait actuellement aux environs de l’embouchure de l’East-river. Après avoir abandonné la côte des Severn-shores, il s’était rapproché d’une douzaine de milles. Il lui suffirait, dès lors, de remonter l’East-river pour arriver en vue du lac, de le contourner par le sud pour découvrir French-den!

Briant eut donc à prendre les plus sévères mesures en vue de cette éventualité. Désormais, les excursions furent réduites au strict nécessaire, sans même s’étendre, sur la rive gauche du rio, jusqu’aux massifs de Bog-woods. En même temps, Baxter dissimula les palissades de l’enclos sous un rideau de broussailles et d’herbes, ainsi que les deux entrées du hall et de Store-room. Enfin, défense fut faite de se montrer dans la partie comprise entre le lac et Auckland-hill. Vraiment, s’assujettir à des précautions si minutieuses, c’était bien des ennuis ajoutés aux difficultés de la situation!

Il y eut encore, à cette époque, d’autres sujets d’inquiétude. Costar fut pris de fièvres, qui mirent sa vie en danger. Gordon dut recourir à la pharmacie du schooner, non sans craindre de commettre quelque erreur! Heureusement, Kate fit pour cet enfant ce que sa mère eût fait pour lui. Elle le soigna avec cette prudente affection, qui est comme un instinct chez les femmes, et ne cessa de le veiller nuit et jour. Grâce à son dévouement, la fièvre finit par être enrayée, et la convalescence, s’étant franchement manifestée, suivit régulièrement son cours. Costar s’était-il trouvé en danger de mort? il serait difficile de se prononcer à cet égard. Mais, faute de soins si intelligents, peut-être la fièvre eût-elle amené l’épuisement du petit malade?

Oui! si Kate n’eût été là, on ne sait ce qui serait advenu. On ne peut trop le redire, l’excellente créature avait reporté sur les plus jeunes enfants de la colonie tout ce que son cœur contenait de tendresses maternelles, et jamais elle ne leur marchandait ses caresses.

«Je suis comme cela, mes papooses! répétait-elle. C’est dans ma nature que je tricote, tripote et fricote!»

Et, en vérité, est-ce que toute la femme n’est pas là!

Ce dont Kate se préoccupait le plus, c’était d’entretenir de son mieux la lingerie de French-den. A son grand déplaisir, il était bien usé, ce linge qui servait depuis près de vingt mois déjà! Comment le remplacer, lorsqu’il serait hors de service? Et les chaussures, bien qu’on les ménageât le plus possible et que personne ne regardât à marcher pieds nus, lorsque le temps le permettait, elles étaient en fort mauvais état! Tout cela était pour inquiéter la prévoyante ménagère!

La première quinzaine de novembre fut marquée par des averses fréquentes. Puis, à dater du 17. le baromètre se remit au beau fixe, et la période des chaleurs s’établit régulièrement. Arbres, arbrisseaux, arbustes, toute la végétation ne fut bientôt plus que verdure et fleurs. Les hôtes habituels des South-moors étaient revenus en grand nombre. Quel crève-cœur pour Doniphan, d’être privé de ses chasses à travers les marais, et, pour Wilcox, de ne pouvoir tendre des fleurons, par crainte qu’ils fussent aperçus des rives inférieures du Family-lake!

Et non seulement, ces volatiles fourmillaient sur cette partie de l’île, mais d’autres se firent prendre dans les pièges, aux abords de French-den.

Un jour, parmi ces derniers, Wilcox trouva l’un des migrateurs que l’hiver avait dirigés vers les pays inconnus du nord. C’était une hirondelle, qui portait encore le petit sac attaché sous son aile. Le sac contenait-il un billet à l’adresse des jeunes naufragés du Sloughi? Non, hélas!… Le messager était revenu sans réponse!

Pendant ces longues journées inoccupées, que d’heures se passaient maintenant dans le hall! Baxter, chargé de tenir en état le journal quotidien, n’avait plus aucun incident à y relater. Et, avant quatre mois, allait commencer un troisième hiver pour les jeunes colons de l’île Chairman!

On pouvait observer, non sans une anxiété profonde, le découragement, qui s’emparait des plus énergiques – à l’exception de Gordon, toujours absorbé dans les détails de son administration. Briant, lui aussi, se sentait accablé parfois, bien qu’il employât toute sa force d’âme à n’en rien laisser paraître. Il essayait de réagir en excitant ses camarades à continuer leurs études, à faire des conférences, des lectures à haute voix. Il les ramenait sans cesse au souvenir de leur pays, de leurs familles, affirmant qu’ils les reverraient un jour! Enfin il s’ingéniait à relever leur moral, mais sans y trop parvenir, et sa grande appréhension était que le désespoir ne vînt l’abattre. Il n’en fut rien. D’ailleurs, des événements extrêmement graves les obligèrent bientôt à payer tous de leur personne.

Le 21 novembre, vers deux heures de l’après-midi, Doniphan était occupé à pêcher sur les bords du Family-lake, lorsque son attention fut vivement attirée par les cris discordants d’une vingtaine d’oiseaux qui planaient au-dessus de la rive gauche du rio. Si ces volatiles n’étaient point des corbeaux, – auxquels ils ressemblaient quelque peu, – ils eussent mérité d’appartenir à cette espèce vorace et croassant.

Doniphan ne se fût donc pas préoccupé de la troupe criarde, si son allure n’avait eu de quoi le surprendre. En effet, ces oiseaux décrivaient de larges orbes, dont le rayon diminuait à mesure qu’ils s’approchaient de terre; puis, réunis en un groupe compact, ils se précipitèrent vers le sol.

Là, leurs cris redoublèrent; mais Doniphan chercha vainement à les apercevoir au milieu des hautes herbes entre lesquelles ils avaient disparu.

La pensée lui vint alors qu’il devait y avoir en cet endroit quelque carcasse d’animal. Aussi, curieux de savoir à quoi s’en tenir, il rentra à French-den et pria Moko de le transporter avec la yole de l’autre côté du rio Zealand.

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Tous deux s’embarquèrent, et, dix minutes après, ils se glissaient entre les touffes d’herbes de la berge. Aussitôt, les volatiles de s’envoler, en protestant par leurs cris contre les importuns qui se permettaient de troubler leur repas.

A cette place, gisait le corps d’un jeune guanaque, mort depuis quelques heures seulement, car il n’avait pas perdu toute chaleur

Doniphan et Moko, peu désireux d’utiliser pour l’office les restes du dîner des carnivores, se disposaient à les leur abandonner, quand une question se présenta: comment et pourquoi le guanaque était-il venu tomber sur la lisière du marécage, loin des forêts de l’est que ses congénères ne quittaient guère d’habitude?

Doniphan examina l’animal. Il avait au flanc une blessure encore saignante – blessure qui ne provenait pas de la dent d’un jaguar ou autre carnassier.

«Ce guanaque a certainement reçu un coup de feu! fit observer Doniphan.

– En voici la preuve!» répondit le mousse, qui, après avoir fouillé la blessure avec son couteau, en avait fait sortir une balle.

Cette balle était plutôt du calibre des fusils de bord que de celui des fusils de chasse. Elle ne pouvait donc avoir été tirée que par Walston ou l’un de ses compagnons.

Doniphan et Moko, laissant le corps du guanaque aux volatiles, revinrent à French-den, où ils conférèrent avec leurs camarades.

Que le guanaque eût été frappé par un des matelots du Severn, c’était l’évidence même, puisque ni Doniphan ni personne n’avait tiré un seul coup de fusil depuis plus d’un mois. Mais, ce qu’il eût été important de savoir, c’était à quel moment et en quel endroit le guanaque avait reçu cette balle.

Toutes hypothèses examinées, il parut admissible que le fait ne remontait pas à plus de cinq ou six heures, – laps de temps nécessaire pour que l’animal, après avoir traversé les Downs-lands, eût pu arriver à quelques pas du rio. De là, cette conséquence, que, dans la matinée, un des hommes de Walston avait dû chasser en s’approchant de la pointe méridionale du Family-lake, et que la bande, après avoir franchi l’East-river, gagnait peu à peu du côté de French-den.

Ainsi la situation s’aggravait, bien que-le péril ne fût peut-être pas imminent. En effet, au sud de l’île s’étendait cette vaste plaine, coupée de ruisseaux, trouée d’étangs, mamelonnée de dunes, où le gibier n’aurait pu suffire à l’alimentation quotidienne de la bande. Il était donc probable que Walston ne s’était point aventuré à travers les Downs-lands. D’ailleurs, on n’avait entendu aucune détonation suspecte que le vent aurait pu porter jusqu’à Sport-terrace, et il y avait lieu d’espérer que la position de French-den n’avait pas été jusque-là découverte.

Néanmoins, il fallut s’imposer des mesures de prudence avec une nouvelle rigueur. Si une agression avait quelque chance d’être repoussée, ce serait à la condition que les jeunes colons ne fussent point surpris en dehors du hall.

Trois jours après, un fait plus significatif vint accroître les appréhensions, et il fallut bien reconnaître que la sécurité était plus que jamais compromise.

Le 24, vers neuf heures du matin, Briant et Gordon s’étaient portés au delà du rio Zealand, afin de voir s’il ne serait pas à propos d’établir une sorte d’épaulement en travers de l’étroit sentier qui circulait entre le lac et le marécage. A l’abri de cet épaulement, il eût été facile à Doniphan et aux meilleurs tireurs de s’embusquer rapidement pour le cas où l’on signalerait à temps l’arrivée de Walston.

Tous deux se trouvaient à trois cents pas au plus au delà du rio, lorsque Briant mit le pied sur un objet qu’il écrasa. Il n’y avait point fait attention, pensant que c’était un de ces milliers de coquillages, roulés par les grandes marées, lorsqu’elles envahissaient la plaine des South-moors. Mais Gordon, qui marchait derrière lui, s’arrêta et dit:

«Attends, Briant, attends donc!

– Qu’y a-t-il?»

Gordon se baissa et ramassa l’objet écrasé.

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«Regarde! dit-il.

– Ce n’est pas un coquillage, cela, répondit Briant, c’est…

– C’est une pipe!»

En effet, Gordon tenait à la main une pipe noirâtre, dont le tuyau venait d’être brisé au ras du culot.

«Puisque personne de nous ne fume, dit Gordon, c’est que cette pipe a été perdue par…

– Par l’un des hommes de la bande, répondit Briant, à moins qu’elle n’ait appartenu au naufragé français qui nous a précédés sur l’île Chairman…

Non! ce culot, dont les cassures étaient fraîches n’avait jamais pu être en la possession de François Baudoin, mort depuis plus de vingt ans déjà. Il avait dû tomber récemment en cet endroit, et le peu de tabac qui y adhérait le démontrait d’une façon indiscutable. Donc, quelques jours avant, quelques heures peut-être, un des compagnons de Walston ou Walston lui-même s’était avancé jusqu’à cette rive du Family-lake.

Gordon et Briant retournèrent aussitôt à French-den. Là, Kate, à qui Briant présenta ce culot de pipe, put affirmer qu’elle l’avait vu entre les mains de Walston.

Ainsi, nul doute que les malfaiteurs eussent contourné la pointe extrême du lac. Peut-être, pendant la nuit, s’étaient-ils même avancés jusqu’au bord du rio Zealand. Et si French-den avait été découvert, si Walston savait ce qu’était le personnel de la petite colonie, ne devait-il pas venir à sa pensée qu’il y avait là des outils, des instruments, des munitions, des provisions, tout ce dont il était privé ou à peu près, et que sept hommes vigoureux auraient facilement raison d’une quinzaine de jeunes garçons – surtout s’ils parvenaient à les surprendre?

En tout cas, ce dont il n’y avait plus lieu de douter, c’est que la bande se rapprochait de plus en plus.

En présence de ces éventualités menaçantes, Briant, d’accord avec ses camarades, s’ingénia pour organiser une surveillance plus active encore. Pendant le jour, un poste d’observation fut établi en permanence sur la crête d’Auckland-hill, afin que toute approche suspecte, soit du côté du marécage, soit du côté de Traps-woods, soit du côté du lac, pût être immédiatement signalée. Pendant la nuit, deux des grands durent rester de garde à l’entrée du hall et de Store-room pour épier les bruits du dehors. Les deux portes furent consolidées au moyen d’étais, et, en un instant, il eût été possible de les barricader avec de grosses pierres, qui furent entassées à l’intérieur de French-den. Quant aux étroites fenêtres, percées dans la paroi et qui servaient d’embrasures aux deux petits canons, l’une défendrait la façade du côté du rio Zealand, et l’autre, la façade du côté du Family-lake. En outre, les fusils, les revolvers, furent prêts à tirer dès la moindre alerte.

Kate approuvait toutes ces mesures, cela va sans dire. Cette femme énergique se gardait bien de rien laisser voir de ses inquiétudes, trop justifiées, hélas! lorsqu’elle songeait aux chances si incertaines d’une lutte avec les matelots du Severn. Elle les connaissait, eux et leur chef. S’ils étaient insuffisamment armés, ne pouvaient-ils agir par surprise en dépit de la plus sévère surveillance? Et, pour les combattre, quelques jeunes garçons, dont le plus âgé n’avait pas seize ans accomplis! Vraiment, la partie eût été par trop inégale! Ah! pourquoi le courageux Evans n’était-il pas avec eux? Pourquoi n’avait-il pas suivi Kate dans sa fuite? Peut-être aurait-il su mieux organiser la défense et mettre French-den en état de résister aux attaques de Walston!

Malheureusement, Evans devait être gardé à vue, si même ses compagnons ne s’étaient pas déjà défaits de lui, comme d’un témoin dangereux, et dont ils n’avaient plus besoin pour conduire la chaloupe aux terres voisines!

Telles étaient les réflexions de Kate. Ce n’était pas pour elle qu’elle craignait, c’était pour ces enfants, sur lesquels elle veillait sans cesse, bien secondée par Moko, dont le dévouement égalait le sien.

On était au 27 novembre. Depuis deux jours, la chaleur avait été étouffante. De gros nuages passaient lourdement sur l’île, et quelques roulements lointains annonçaient l’orage. Le storm-glass indiquait une prochaine lutte des éléments.

Ce soir-là, Briant et ses camarades étaient rentrés plus tôt que d’habitude dans le hall, non sans avoir pris la précaution, – ainsi que cela se faisait depuis quelque temps, – de traîner la yole à l’intérieur de Store-room. Puis, les portes bien closes, chacun n’eut plus qu’à attendre l’heure du repos, après avoir fait la prière en commun et donné un souvenir aux familles de là-bas.

Vers neuf heures et demie, l’orage était dans toute sa force. Le hall s’illuminait de l’intense réverbération des éclairs, qui pénétrait à travers les embrasures. Les détonations de la foudre se propageaient sans discontinuer; il semblait que le massif d’Auckland-hill tremblait en répercutant ces étourdissants fracas. C’était un de ces météores, sans pluie ni vent, qui n’en sont que plus terribles, car les nuages immobilisés se déchargent sur place de toute la matière électrique accumulée en eux, et souvent une nuit entière ne suffit pas à l’épuiser.

Costar, Dole, Iverson et Jenkins, blottis au fond de leurs couchettes, sursautaient à ces formidables craquements d’étoffes déchirées, qui indiquent la proximité des décharges. Et, cependant, il n’y avait rien à craindre dans cette inébranlable caverne. La foudre pouvait frapper vingt fois, cent fois, les crêtes de la falaise! Elle ne traverserait pas les épaisses parois de French-den, aussi imperméables au fluide électrique qu’inaccessibles aux bourrasques. De temps à autre, Briant, Doniphan ou Baxter se lovaient, entr’ouvraient la porte et rentraient aussitôt, à demi-aveugles par les éclairs, après un rapide regard jeté au dehors. L’espace était en feu, et le lac, réverbérant les fulgurations du ciel, semblait rouler une immense nappe de flammes.

De dix heures à onze heures, pas un soûl instant de répit des éclairs et du tonnerre. Ce fut seulement un peu avant minuit que l’accalmie tendit à se faire. Des intervalles de plus en plus longs séparèrent les coups de foudre, dont la violence diminuait avec l’éloignement. Le vont se leva alors, chassant les nuages qui s’étaient rapprochés du sol, et la pluie ne tarda pas à tomber à torrents.

Les petits commencèrent donc à se rassurer. Deux ou trois têtes, enfoncées sous les couvertures, se hasardèrent à reparaître, bien qu’il fût l’heure de dormir pour tout le monde. Aussi, Briant et les autres, ayant organisé les précautions accoutumées, allaient-ils se mettre au lit, lorsque Phann donna manifestement des marques d’une inexplicable agitation. Il se dressait sur ses pattes, il s’élançait vers la porte du hall, il poussait des grognements sourds et continus.

«Est-ce que Phann a senti quelque chose? dit Doniphan en essayant de calmer le chien.

– En bien des circonstances déjà, fit observer Baxter, nous lui avons vu cette singulière allure, et l’intelligente bête ne s’est jamais trompée!

– Avant de nous coucher, il faut savoir ce que cela signifie! ajouta Gordon.

– Soit, dit Briant, mais que personne ne sorte, et soyons prêts à nous défendre!»

Chacun prit son fusil et son revolver. Puis, Doniphan s’avança vers la porte du hall, et Moko vers la porte de Store-room. Tous deux, l’oreille collée contre le vantail, ne surprirent aucun bruit au dehors, bien que l’agitation de Phann continuât à se produire. Et même, le chien se mit bientôt à aboyer avec une telle violence, que Gordon ne parvint pas à le calmer. C’était une circonstance très fâcheuse. Dans les instants d’accalmie, s’il eut été possible d’entendre le bruit d’un pas sur la grève, à plus forte raison les aboiements de Phann auraient-ils été entendus de l’extérieur.

Soudain éclata une détonation qu’on ne pouvait confondre avec l’éclat de la foudre. C’était bien un coup de feu, qui venait d’être tiré à moins de deux cents pas de French-den.

Tous se tinrent sur la défensive. Doniphan, Baxter, Wilcox, Cross, armés de fusils et postés aux deux portes, étaient prêts à faire feu sur quiconque tenterait de les forcer. Les autres commençaient à les étayer avec les pierres préparées dans ce but, lorsqu’une voix cria du dehors:

«A moi!… A moi!»

Il y avait là un être humain, en danger de mort, sans doute, et qui réclamait assistance…

«A moi!» répéta la voix, et, cette fois, à quelques pas seulement.

Kate, près de la porte, écoutait…

«C’est lui! s’écria-t-elle.

– Lui?… dit Briant.

– Ouvrez!… Ouvrez!…» répétait Kate.

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La porte fut ouverte, et un homme, ruisselant d’eau, se précipita dans le hall.

C’était Evans, le master du Severn.

 

 

Chapitre XXVI

Kate et le master. – Le récit d’Evans. – Après l’échouage de la chaloupe. 
– Walston au port de Bear-rock. – Le cerf-volant. – French-den découvert. 
– Fuite d’Evans. – La traversée du rio. – Projets. – Proposition de Gordon. 
– Les terres dans l’est. – L’île Chairman-Hanovre.

 

out d’abord, Gordon, Briant, Doniphan étaient restés immobiles, à cette apparition si inattendue d’Evans. Puis, par un mouvement instinctif, ils s’élancèrent vers le master comme au-devant d’un sauveur.

C’était un homme de vingt-cinq à trente ans, épaules larges, torse vigoureux, œil vif, front découvert, physionomie intelligente et sympathique, démarche ferme et résolue, figure que cachait en partie les broussailles d’une barbe inculte, qui n’avait pu être taillée depuis le naufrage du Severn.

A peine entré, Evans se retourna et vint appuyer son oreille contre la porte qu’il avait refermée vivement. N’entendant rien au dehors, il s’avança au milieu du hall. Là, il regarda à la lueur du fanal suspendu à la voûte ce petit monde qui l’entourait, et murmura ces mots:

«Oui!… des enfants!… Rien que des enfants!…»

Tout à coup, son œil s’anima, sa figure rayonna de joie, ses bras s’ouvrirent…

Kate venait d’aller à lui.

«Kate!… s’écria-t-il. Kate vivante!»

Et il lui saisit les mains, comme pour bien s’assurer que ce n’étaient pas celles d’une morte.

«Oui! vivante comme vous, Evans! répondit Kate. Dieu m’a sauvée comme il vous a sauvé, et c’est lui qui vous envoie au secours de ces enfants!»

Le master comptait du regard les jeunes garçons, réunis autour de la table du hall.

«Quinze, dit-il, et à peine cinq ou six qui soient en état de se défendre!… N’importe!

– Sommes-nous en danger d’être attaqués, master Evans? demanda Briant.

– Non, mon garçon, non, – du moins pour l’instant!» répondit Evans.

Que tous eussent hâte de connaître l’histoire du master, et principalement ce qui avait eu lieu depuis que la chaloupe avait été jetée sur les Severn-shores, cela se comprend. Ni grands ni petits n’auraient pu s’abandonner au sommeil, sans avoir entendu ce récit qui était pour eux de si haute importance. Mais, auparavant, il convenait qu’Evans se débarrassât de ses vêtements mouillés et prît quelque nourriture. Si ses habits ruisselaient, c’est qu’il avait dû traverser le rio Zealand à la nage. S’il était épuisé de fatigue et de faim, c’est qu’il n’avait pas mangé depuis douze heures, c’est que, depuis le matin, il n’avait pu se reposer un instant.

Briant le fit immédiatement passer dans Store-room, où Gordon mit à sa disposition de bons vêtements de matelot. Après quoi, Moko lui servit de la venaison froide, du biscuit, quelques tasses de thé bouillant, un bon verre de brandy.

Un quart d’heure après, Evans, assis devant la table du hall, faisait le récit des événements survenus depuis que les matelots du Severn avaient été jetés sur l’île.

«Quelques instants avant que la chaloupe eût accosté la grève, dit-il, cinq des hommes, – moi compris, – nous avions été lancés sur les premières roches des récifs. Aucun de nous n’avait été grièvement meurtri dans l’échouage. Rien que des contusions, pas de blessures. Mais, ce qui ne laissa pas d’être difficile, ce fut de se dégager du ressac au milieu de l’obscurité et par une mer furieuse, qui descendait contre le vent du large.

«Cependant, après de longs efforts, nous arrivâmes sains et saufs, hors de la portée des lames, Walston, Brandt, Rock, Book, Cope et moi. Il en manquait deux, – Forbes et Pike. Avaient-ils été élingués par quelque coup de mer, ou bien s’étaient-ils sauvés, quand la chaloupe avait atteint la grève? nous ne savions. En ce qui concerne Kate, je croyais qu’elle avait été entraînée par les lames, et je ne pensais plus jamais la revoir.»

Et, en disant cela, Evans ne cherchait point à cacher son émotion, ni la joie qu’il éprouvait d’avoir retrouvé la courageuse femme, échappée avec lui aux massacres du Severn! Après avoir été tous deux à la merci de ces meurtriers, tous deux étaient maintenant hors de leur pouvoir, sinon hors de leurs atteintes dans l’avenir.

Evans reprit:

«Lorsque nous fûmes arrivés sur la grève, il fallut quelque temps pour chercher la chaloupe. Elle avait dû accoster vers sept heures du soir, et il était près de minuit, lorsque nous l’aperçûmes renversée sur le sable. C’est que nous avions d’abord redescendu le long de la côte de…

– Des Severn-shores, dit Briant. C’est le nom que lui ont donné quelques-uns de nos camarades, qui avaient découvert l’embarcation du Severn, avant même que Kate nous eût raconté son naufrage…

– Avant?… répondit Evans assez surpris.

– Oui, master Evans, dit Doniphan. Nous étions arrivés en cet endroit dans la soirée même du naufrage, comme vos deux compagnons étaient encore étendus sur le sable!… Mais, le jour venu, lorsque nous sommes allés pour leur rendre les derniers devoirs, ils avaient disparu.

– En effet, reprit Evans, et je vois comment tout cela s’enchaîne! Forbes et Pike, que nous croyions noyés – et plût au ciel qu’ils l’eussent été, cela aurait fait deux coquins de moins sur sept! – avaient été jetés à peu de distance de la chaloupe. C’est là qu’ils furent retrouvés par Walston et les autres, qui les ranimèrent avec quelques gorgées de gin.

«Heureusement pour eux, – si c’est un malheur pour nous, –les coffres de l’embarcation n’avaient été ni brisés pendant l’échouage. ni atteints par l’eau de mer. Les munitions, les armes, cinq fusils de bord, ce qui restait des provisions, embarquées précipitamment pendant l’incendie du Severn, tout cela fut retiré de la chaloupe, car il était à craindre qu’elle fût démolie à la marée prochaine. Cela fait, nous abandonnâmes le lieu du naufrage, en suivant la côte dans la direction de l’est.

«A ce moment, l’un de ces gueux, – Rock, je crois, – fit observer qu’on n’avait pas retrouvé Kate. A quoi Walston répondit: «Elle a été emportée par une lame!… Bon débarras!» Ce qui me donna à penser que si la bande se félicitait d’être débarrassée de Kate, maintenant qu’on n’avait plus besoin d’elle, il en serait ainsi de master Evans, quand on aurait plus besoin de lui. – Mais où étiez-vous donc, Kate?

– J’étais près de la chaloupe, du côté de la mer, répondit Kate, à l’endroit où j’avais été jetée après l’échouage… On ne pouvait me voir et j’ai entendu tout ce qui s’est dit entre Walston et les autres… Mais, après leur départ. Evans, je me suis relevée, et, pour ne pas retomber entre les mains de Walston, j’ai pris la fuite en me dirigeant du côté opposé. Trente-six heures plus tard, à demi-morte de faim, j’ai été recueillie par ces braves enfants et conduite à French-den.

– French-den?… répéta Evans.

– C’est le nom que porte notre demeure, répondit Gordon, en souvenir d’un naufragé français, qui l’avait habitée bien des années avant nous!

– French-den?… Severn-shores?… dit Evans. Je vois, mes garçons, que vous avez donné des noms aux diverses parties de cette île! C’est joli, cela!

– Oui, master Evans, de jolis noms, répliqua Service, et il y en a bien d’autres, Family-lake, Downs-lands, South-moors, rio Zealand, Traps-woods…

– Bon!… Bon!… Vous m’apprendrez tout cela… plus tard… demain!… En attendant je continue mon histoire. – On n’entend rien au dehors?…

– Rien, répondit Moko, qui se tenait de garde près de la porte du hall.

– A la bonne heure! dit Evans. Je reprends.

«Une heure après avoir abandonné l’embarcation, nous avions atteint un rideau d’arbres, où notre campement fut établi. Le lendemain et pendant quelques jours, nous revînmes à la place où s’était échouée la chaloupe, et nous essayâmes de la radouber; mais, n’ayant pour outils qu’une simple hache, il fut impossible de remplacer son bordage fracassé et de la remettre en état de tenir la mer, même pour une petite traversée. D’ailleurs, l’endroit était très incommode pour un travail de ce genre.

«On partit donc, afin de chercher un autre campement dans une région moins aride, où la chasse pourrait fournir à notre nourriture quotidienne, et, en même temps, près d’un rio où nous trouverions de l’eau douce, car notre provision était entièrement épuisée.

«Après avoir suivi la côte pendant une douzaine de milles, nous atteignîmes une petite rivière…

– L’East-river! dit Service.

– Va pour l’East-river! répondit Evans. Là, au fond d’une vaste baie…

– Deception-bay! répliqua Jenkins.

– Va pour Deception-bay? dit Evans en souriant. Il y avait au milieu des roches un port…

– Bear-rock! s’écria Costar à son tour.

– Va pour Bear-Rock, mon petit! répondit Evans, qui approuva d’un signe de tête. Rien n’était plus facile que de s’installer en cet endroit, et, si nous pouvions y conduire la chaloupe, que la première tempête eût achevée de démolir là-bas, peut-être arriverait-on à la radouber.

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«On retourna donc la chercher, et, quand on l’eut allégée autant que possible, elle fut remise à flot. Puis, bien qu’elle eût de l’eau jusqu’au plat-bord, nous parvînmes à la haler le long du rivage et à l’amener dans le port où elle est maintenant en sûreté.

– La chaloupe est à Bear-rock?… dit Briant.

– Oui, mon garçon, et je crois qu’il ne serait pas impossible de la réparer, si on avait les outils nécessaires…

– Mais, ces outils, nous les avons, master Evans! répondit vivement Doniphan.

– Eh! c’est bien ce que Walston a supposé, lorsque le hasard lui eut appris que l’île était habitée et par qui elle l’était!

– Comment a-t-il pu l’apprendre?… demanda Gordon.

– Le voici, répondit Evans. Il y a huit jours, Walston, ses compagnons et moi, – car on ne me laissait jamais seul, – nous étions allés en reconnaissance à travers la forêt. Après trois ou quatre heures de marche, en remontant le cours de l’East-river, nous arrivâmes sur les bords d’un vaste lac, d’où sortait ce cours d’eau. Et là, jugez de notre surprise, lorsque nous trouvâmes un singulier appareil, échoué sur la rive… C’était une sorte de carcasse en roseaux, tendue de toile…

– Notre cerf-volant! s’écria Doniphan.

– Notre cerf-volant, qui était tombé dans le lac, ajouta Briant, et que le vent avait poussé jusque-là!

– Ah! c’était un cerf-volant? répondit Evans. Ma foi, nous ne l’avions pas deviné, et cette machine nous intriguait fort! En tout cas, elle ne s’était pas faite toute seule!… Elle avait été fabriquée sur l’île!… Pas de doute à cela!… L’île était donc habitée!… Par qui?… C’est ce qu’il importait à Walston de savoir. Quant à moi, dès ce jour, je pris le parti de m’enfuir. Quels que fussent les habitants de cette île, – même si c’étaient des sauvages, – ils ne pouvaient être pires que les meurtriers du Severn! Depuis ce moment, d’ailleurs, je fus gardé à vue, nuit et jour!…

– Et comment French-den a-t-il été découvert? demanda Baxter.

– J’y arrive, répondit Evans. Mais, avant de poursuivre mon récit, dites-moi, mes garçons, à quoi vous a servi cet énorme cerf-volant? Était-ce un signal?»

Gordon raconta à Evans ce qui avait été fait, dans quel but on l’avait tenté, comment Briant avait risqué sa vie pour le salut de tous, et de quelle façon il avait pu constater que Walston était encore sur l’île.

«Vous êtes un hardi garçon!» répondit Evans, qui prit la main de Briant et la secoua de bonne amitié.

Puis, continuant:

«Vous comprenez, reprit-il, que Walston n’eut plus alors qu’une préoccupation: savoir quels étaient les habitants de cette île, qui nous était inconnue. Si c’étaient des indigènes, peut-être pourrait-il s’entendre avec eux? Si c’étaient des naufragés, peut-être possédaient-ils les outils qui lui manquaient? Dans ce cas, ils ne lui refuseraient pas leur concours pour mettre la chaloupe en état de reprendre la mer.

«Les recherches commencèrent donc, – très prudemment, je dois le dire. On ne s’avança que peu à peu en explorant les forêts de la rive droite du lac, pour s’approcher de sa pointe sud. Mais pas un être humain ne fut aperçu. Aucune détonation ne se faisait entendre en cette partie de l’île.

– Cela tenait, dit Briant, à ce que personne de nous ne s’éloignait plus de French-den, et que défense était faite de tirer un seul coup de feu!

– Cependant, vous avez été découverts! reprit Evans. Et comment en aurait-il pu être autrement? Ce fut dans la nuit du 23 au 24 novembre, que l’un des compagnons de Walston arriva en vue de French-den par la rive méridionale du lac. La mauvaise chance voulut qu’à un certain moment, il entrevît une lueur qui filtrait à travers les parois de la falaise, – sans doute la lueur de votre fanal que la porte, un instant entr’ouverte, avait laissée passer. Le lendemain, Walston lui-même se dirigea de ce côté, et, pendant une partie de la soirée, il resta caché entre les hautes herbes, à quelques pas du rio…

– Nous le savions, dit Briant.

– Vous le saviez?…

– Oui, car, en cet endroit, Gordon et moi, nous avions trouvé les fragments d’une pipe que Kate a reconnue pour être la pipe de Walston!

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– Juste! reprit Evans. Walston l’avait perdue pendant son excursion, – ce qui, au retour, parut le contrarier vivement. Mais alors l’existence de la petite colonie était connue de lui. En effet, pendant qu’il était blotti dans les herbes, il avait vu la plupart de vous aller et venir sur la rive droite du cours d’eau… Il n’y avait là que de jeunes garçons, dont sept hommes viendraient facilement à bout! Walston revint faire part à ses compagnons de ce qu’il avait vu. Une conversation, que je surpris entre Brandt et lui, m’apprit ce qui se préparait contre French-den…

– Les monstres! s’écria Kate. Ils n’auraient pas eu pitié de ces enfants…

– Non, Kate, répondit Evans, pas plus qu’ils n’ont eu pitié du capitaine et des passagers du Severn! Des monstres!.. Vous les avez bien nommés, et ils sont commandés par le plus cruel d’entre eux, ce Walston, qui, je l’espère, n’échappera pas au châtiment de ses crimes!

– Enfin, Evans, vous êtes parvenu à vous enfuir, Dieu merci! dit Kate.

– Oui, Kate. Il y a douze heures environ, j’ai pu profiter d’une absence de Walston et des autres, qui m’avaient laissé sous la surveillance de Forbes et de Rock. Le moment me parut bon pour prendre le large. Quant à dépister ces deux scélérats, ou tout au moins à les distancer, si je parvenais à prendre sur eux quelque avance, cela me regardait!

«Il était environ dix heures du matin, lorsque je me jetai à travers la foret… Presque aussitôt Forbes et Rock s’en aperçurent et se mirent à ma poursuite. Ils étaient armés de fusils… Moi, je n’avais que mon couteau de marin pour me défendre, et mes jambes pour filer comme un marsouin!

«La poursuite dura toute la journée. En coupant obliquement sous bois, j’étais arrivé à la rive gauche du lac. Il fallait encore en tourner la pointe, car, d’après la conversation que j’avais entendue, je savais que vous étiez établis sur les bords d’un rio qui coulait vers l’ouest.

«Vraiment, je n’ai jamais si bien détalé de ma vie, ni si longtemps! près de quinze milles, franchis dans cette journée! Mille diables? Les gueux couraient aussi vite que moi, et leurs balles volaient plus vite encore. A plusieurs reprises, elles sifflèrent à mes oreilles. Songez donc! Je savais leur secret! Si je leur échappais, je pourrais les dénoncer! Il fallait me reprendre à tout prix! Vrai! s’ils n’avaient pas eu d’armes à feu, je les aurais attendus de pied ferme, mon couteau à la main! Je les aurais tués ou ils m’auraient tué!… Oui, Kate! j’eusse préféré mourir que de revenir au campement avec ces bandits!

«Cependant j’espérais que cette damnée poursuite cesserait avec la nuit!… Il n’en fut rien. Déjà, j’avais dépassé la pointe du lac, je remontais de l’autre côté, mais je sentais toujours Forbes et Rock sur mes talons. L’orage, qui menaçait depuis quelques heures, éclata alors. Il rendit ma fuite plus difficile, car, à la lueur des éclairs, ces coquins pouvaient m’apercevoir entre les roseaux de la berge. Enfin, j’étais arrivé à une centaine de pas du rio… Si je parvenais à le mettre entre moi et ces gredins, je me regardais comme sauvé! Jamais ils ne se hasarderaient à le franchir, sachant bien qu’ils étaient dans le voisinage de French-den.

«Je courus donc, et j’allais atteindre la rive gauche du cours d’eau, lorsqu’un dernier éclair vint illuminer l’espace. Aussitôt une détonation retentit…

– Celle que nous avons entendue?… dit Doniphan.

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– Évidemment! reprit Evans. Une balle m’effleura l’épaule… Je bondis et me précipitai dans le rio… En quelques brasses, je fus sur l’autre bord, caché entre les herbes, tandis que Rock et Forbes, arrivés sur la rive opposée, disaient: «Crois-tu l’avoir touché? – J’en réponds! – Alors, il est par le fond? – Pour sûr, et, à cette heure, mort et bien mort! – Bon débarras!» Et ils déguerpirent.

«Oui! bon débarras… pour moi comme pour Kate! Ah! gueux! Vous verrez si je suis mort!… Quelques instants après, je me dégageai des herbes, et me dirigeai vers l’angle de la falaise… Des aboiements arrivèrent jusqu’à moi… J’appelai… La porte de French-den s’ouvrit… Et maintenant, ajouta Evans, en tendant la main dans la direction du lac, à nous, mes garçons, d’en finir avec ces misérables et d’en débarrasser votre île!»

Et il prononça ces paroles avec une telle énergie que tous s’étaient levés, prêts à le suivre.

Il fallut alors faire à Evans le récit de ce qui s’était passé depuis vingt mois, lui raconter dans quelles conditions le Sloughi avait quitté la Nouvelle-Zélande, sa longue traversée du Pacifique jusqu’à l’île, la découverte des restes du naufragé français, l’installation de la petite colonie à French-den, les excursions pendant la saison chaude, les travaux pendant l’hiver, comment enfin la vie avait été relativement assurée et exempte de périls, avant l’arrivée de Walston et de ses complices.

«Et, depuis vingt mois, pas un bâtiment ne s’est montré en vue de l’île? demanda Evans.

– Du moins nous n’en avons pas aperçu un seul au large répondit Briant.

– Aviez-vous établi des signaux?…

– Oui! un mât élevé sur le plus haut sommet de la falaise.

– Et il n’a pas été reconnu?…

– Non, master Evans, répondit Doniphan. Mais il faut dire crue, depuis six semaines, nous l’avons abattu, afin de ne point attirer l’attention de Walston.

– Et vous avez bien fait, mes garçons! Maintenant, il est vrai, ce coquin sait à quoi s’en tenir! Aussi, nuit et jour, nous serons sur nos gardes!

– Pourquoi, fit alors observer Gordon, pourquoi faut-il que nous ayons affaire à de pareils misérables au lieu d’honnêtes gens, auxquels nous aurions été si heureux de venir en aide! Notre petite colonie n’en eût été que plus forte! Désormais, c’est la lutte qui nous attend, c’est notre vie à défendre, c’est un combat, et savons-nous quelle en sera l’issue!

– Dieu qui vous a protégés jusqu’ici, mes enfants, répondit Kate, Dieu ne vous abandonnera pas! Il vous a envoyé ce brave Evans, et avec lui…

– Evans!… hurrah pour Evans!… s’écrièrent d’une seule voix tous les jeunes colons.

– Comptez sur moi, mes garçons, répondit le master, et, comme je compte aussi sur vous, je vous promets que nous nous défendrons bien!

– Et pourtant, reprit Gordon, s’il était possible d’éviter cette lutte, si Walston consentait à quitter l’île?…

– Que veux-tu dire, Gordon?… demanda Briant.

– Je veux dire que ses compagnons et lui seraient déjà partis, s’ils avaient pu se servir de la chaloupe! – N’est-ce pas vrai, master Evans?

– Assurément.

– Eh bien! si l’on entrait en pourparlers avec eux, si on leur fournissait les outils dont ils ont besoin, peut-être accepteraient-ils?… Je sais bien que d’établir des relations avec les meurtriers du Severn, cela doit répugner! Mais, pour nous débarrasser d’eux, pour empêcher une attaque qui coûtera bien du sang, peut-être!… Enfin, qu’en pense master Evans?»

Evans avait attentivement écouté Gordon. Sa proposition dénotait un esprit pratique, qui ne se laissait point aller à des entraînements inconsidérés, et un caractère qui le portait à envisager toute situation avec calme. Il pensa, – il ne se trompait pas, – que ce devait être le plus sérieux de tous, et son observation lui parut digne d’être discutée.

«En effet, monsieur Gordon, répondit-il, n’importe quel moyen serait bon pour se délivrer de la présence de ces malfaiteurs. C’est pourquoi, après avoir été mis à même de réparer leur chaloupe, s’ils consentaient à partir, cela vaudrait mieux que d’engager une lutte dont le résultat peut être douteux. Mais, se fier à Walston, est-ce possible? Lorsque vous serez en relation avec lui, n’en profitera-t-il pas pour tenter de surprendre French-den, pour s’emparer de ce qui vous appartient? Ne peut-il s’imaginer que vous avez dû sauver quelque argent du naufrage? Croyez-moi, ces coquins ne chercheront qu’à vous faire du mal en échange de vos services! Dans ces âmes-là, il n’y a pas place pour la reconnaissance! S’entendre avec eux, c’est se livrer…

– Non!… Non!… s’écrièrent Baxter et Doniphan, à qui leurs camarades se joignirent avec une énergie qui fit plaisir au master.

– Non!… ajouta Briant. N’ayons rien de commun avec Walston et sa bande!

–Et puis, reprit Evans, ce ne sont pas seulement des outils dont ils ont besoin, ce sont des munitions! Qu’ils en aient encore assez pour tenter une attaque, cela n’est que trop certain!… Mais, quand il s’agira de courir d’autres parages à main armée, ce qui leur reste de poudre et de plomb ne suffira pas!… Ils vous en demanderont!… Ils en exigeront!… Leur en donnerez-vous?…

– Non, certes! répondit Gordon.

– Eh bien, ils essaieront de s’en procurer par la force! Vous n’aurez fait que reculer le combat, et il se fera dans des conditions moins bonnes pour vous!…

– Vous avez raison, master Evans! répondit Gordon. Tenons-nous sur la défensive et attendons!

– Oui, c’est le bon parti!… Attendons, monsieur Gordon. D’ailleurs, pour attendre, il y a une raison qui me touche plus encore que toute autre.

– Laquelle?

– Écoutez-moi bien! Walston, vous le savez, ne peut quitter l’île qu’avec la chaloupe du Severn?

– C’est évident! répondit Briant.

– Or, cette chaloupe est parfaitement réparable, je l’affirme, et si Walston a renoncé à la mettre en état de naviguer, c’est faute d’outils…

– Sans cela, dit Baxter, il serait loin déjà!

– Comme vous dites, mon garçon. Donc, si vous fournissez à Walston les moyens de radouber l’embarcation, – j’admets qu’il abandonne l’idée de piller French-den, –il se hâtera de partir sans s’inquiéter de vous.

– Eh! que ne l’a-t-il fait! s’écria Service.

– Mille diables! s’il l’avait fait, répondit Evans, comment serions-nous à même de le faire, puisque la chaloupe du Severn ne serait plus là?

– Quoi, master Evans, demanda Gordon, vous comptez sur cette embarcation pour quitter l’île?…

– Absolument, monsieur Gordon!

– Pour regagner la Nouvelle-Zélande, pour traverser le Pacifique? ajouta Doniphan.

– Le Pacifique?… Non, mes garçons, répondit Evans, mais pour gagner une station peu éloignée, où nous attendrions l’occasion de revenir à Auckland!

– Dites-vous vrai, monsieur Evans? s’écria Briant.

Et en même temps, deux ou trois de ses camarades voulurent presser le master de questions.

«Comment, cette chaloupe pourrait-elle suffire à une traversée de plusieurs centaines de milles? fit observer Baxter.

– Plusieurs centaines de milles? répondit Evans. Non point! Une trentaine seulement!

– N’est-ce donc pas la mer qui s’étend autour de l’île! demanda Doniphan.

– A l’ouest, oui! répondit Evans. Mais au sud, au nord, à l’est, ce ne sont que des canaux que l’on peut aisément traverser en soixante heures!

– Ainsi nous ne nous trompions pas en pensant qu’il existait des terres dans le voisinage? dit Gordon.

– Nullement, répondit Evans, et même, ce sont de larges terres qui s’étendent à l’est.

– Oui… à l’est! s’écria Briant. Cette tache blanchâtre, puis cette lueur que j’ai aperçues dans cette direction…

– Une tache blanchâtre, dites-vous? répliqua Evans. C’est évidemment quelque glacier, et cette lueur, c’est la flamme d’un volcan dont la situation doit être portée sur les cartes! – Ah! ça, mes garçons, où croyez-vous donc être, s’il vous plaît?

– Dans l’une des îles isolées de l’Océan Pacifique! répondit Gordon.

– Une île?… oui!… Isolée, non! Tenez pour certain qu’elle appartient à l’un de ces nombreux archipels, qui couvrent la côte du Sud-Amérique! – Et, au fait, si vous avez donné des noms aux caps, aux baies, aux cours d’eau de votre île, vous ne m’avez pas dit comment vous l’appelez?…

– L’île Chairman, du nom de notre pensionnat, répondit Doniphan.

– L’île Chairman!… répliqua Evans. Eh bien, ça lui fera deux noms, puisqu’elle s’appelle déjà l’île Hanovre!»

Là-dessus, après avoir procédé aux mesures de surveillance habituelles, tous allèrent prendre du repos, après qu’une couchette eut été disposée dans le hall pour le master. Les jeunes colons se trouvaient alors sous une double impression, bien faite pour troubler leur sommeil: d’un côté, la perspective d’une lutte sanglante, de l’autre, la possibilité de se rapatrier…

Le master Evans avait remis au lendemain de compléter ses explications en indiquant sur l’atlas quelle était la position exacte de l’île Hanovre, et, tandis que Moko et Gordon veillaient, la nuit s’écoula tranquillement à French-den.

 

 

Chapitre XXVII

Le détroit de Magellan. – Les terres et les îles qui le bordent. – Les stations qui y sont établies. – Projets d’avenir. – La force ou la ruse? – Rock et Forbes.
– Les faux naufragés. – Accueil hospitalier. – Entre onze heures et minuit.
– Un coup de feu d’Evans. – Intervention de Kate.

 

n canal, long de trois cent quatre-vingts milles environ, dont la courbure se dessine de l’ouest à l’est, depuis le cap des Vierges sur l’Atlantique jusqu’au cap de Los Pilares sur le Pacifique, – encadré de côtes très accidentées, – dominé par des montagnes de trois mille pieds au-dessus du niveau de la mer, – creusé de baies au fond desquelles se multiplient les ports de refuge, – riches en aiguades où les navires peuvent sans peine renouveler leur provision d’eau, – bordé de forêts épaisses où le gibier abonde, – retentissant du fracas des chutes qui se précipitent par milliers dans ses innombrables criques, – offrant aux navires venus de l’est ou de l’ouest un passage plus court que celui de Lemaire entre la Terre des États et la Terre de Feu, et moins battu des tempêtes que celui du cap Horn, – tel est ce détroit de Magellan que l’illustre navigateur portugais découvrit en l’année 1520.

Les Espagnols, qui furent seuls à visiter les terres magellaniques pendant un demi-siècle, fondèrent sur la presqu’île de Brunswick l’établissement de Port-Famine. Aux Espagnols succédèrent les Anglais avec Drake, Cavendish, Chidley, Hawkins; puis les Hollandais avec de Weert, de Cord, de Noort, avec Lemaire et Schouten qui découvrirent en 1610 le détroit de ce nom. Enfin, de 1696 à 1712, les Français y apparaissent avec Degennes, Beauchesne-Gouin, Frezier, et, depuis cette époque, ces parages s’ouvrirent aux navigateurs les plus célèbres de la fin du siècle, Anson, Cook, Byron, Bougainville et autres.

Dès lors, le détroit de Magellan devint une voie fréquentée pour le passage d’un Océan à l’autre – surtout depuis que la navigation à vapeur, qui ne connaît ni les vents défavorables ni les courants contraires, eût permis de le traverser dans des conditions de navigation exceptionnelles.

Tel est donc le détroit que, – le lendemain 28 novembre, – Evans montrait sur la carte de l’Atlas de Stieler à Briant, à Gordon et à leurs camarades.

Si la Patagonie, – cette dernière province du Sud-Amérique, – la terre du Roi Guillaume et la presqu’île de Brunswick forment la limite septentrionale du détroit, il est bordé au sud par cet archipel magellanique qui comprend de vastes îles, la Terre de Feu, la Terre de Désolation, les îles Clarence, Hoste, Gordon, Navarin, Wollaston, Stewart, et nombre d’autres moins importantes, jusqu’au dernier groupe des Hermites, dont la plus avancée entre les deux océans n’est que le dernier sommet de la haute Cordillère des Andes, et s’appelle le cap Horn.

A l’est, le détroit de Magellan s’évase par un ou deux goulets, entre le cap des Vierges de la Patagonie et le cap Espiritu-Santo de la Terre de Feu. Mais il n’en est pas ainsi à l’ouest, – ainsi que le fit observer Evans. De ce côté, îlots, îles, archipels, détroits, canaux, bras de mer, s’y mélangent à l’infini. C’est par une passe, située entre le promontoire de Los Pilares et la pointe méridionale de la grande île de la Reine-Adélaïde, que le détroit débouche sur le Pacifique. Au-dessus se développe toute une série d’îles, capricieusement groupées, depuis le détroit de lord Nelson jusqu’au groupe des Chonos et des Chiloë, confinant à la côte chilienne.

«Et maintenant, ajouta Evans, voyez-vous, au delà du détroit de Magellan, une île que de simples canaux séparent, de l’île Cambridge au sud et des îles Madré de Dios et Chatam au nord? Eh bien, cette île, sur le cinquante-unième degré de latitude, c’est l’île Hanovre, celle à laquelle vous avez donné le nom de Chairman, celle que vous habitez depuis plus de vingt mois!»

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Briant, Gordon, Doniphan, penchés sur l’atlas, regardaient curieusement cette île qu’ils avaient crue éloignée de toutes terres, et qui était si voisine de la côte américaine.

«Quoi, dit Gordon, nous n’étions séparés du Chili que par des bras de mer?…

– Oui, mes garçons, répondit Evans. Mais, entre l’île Hanovre et le continent américain, il n’y a que des îles aussi désertes que celle-ci. Et, une fois arrivés sur ledit continent, il aurait fallu franchir des centaines de milles, avant d’atteindre les établissements du Chili ou de la République Argentine! Et que de fatigues, sans compter les dangers, car les Indiens Puelches, qui errent à travers les pampas, sont peu hospitaliers! Je pense donc que mieux a valu pour vous de n’avoir pu abandonner votre île, puisque l’existence matérielle y était assurée, et puisque, Dieu aidant, j’espère que nous pourrons la quitter ensemble!»

Ainsi, ces divers canaux qui entourent l’île Hanovre ne mesuraient, en de certains endroits, que quinze à vingt milles de largeur, et Moko, par beau temps, eût pu les traverser sans peine, rien qu’avec sa yole. Si Briant, Gordon, Doniphan, lors de leurs excursions au nord et à l’est, n’avaient pu apercevoir ces terres, c’est qu’elles sont absolument basses. Quant à la tache blanchâtre, c’était un des glaciers de l’intérieur, et la montagne en éruption, un des volcan des régions magellaniques.

D’ailleurs, – autre observation que fît Briant en examinant attentivement la carte, – le hasard de leurs excursions les avait précisément conduits sur les points du littoral qui s’éloignaient le plus des îles voisines. Il est vrai, lorsque Doniphan atteignit les Severn-shores, peut-être aurait-il pu apercevoir la côte méridionale de l’île Chatam, si ce jour-là, l’horizon, embrume par les vapeurs de la bourrasque, n’eut été visible que dans un assez court rayon? Quant à Deception-bay, qui creuse profondément l’île Hanovre, aussi bien de l’embouchure de l’East-river que des hauteurs de Bear-rock, on ne peut rien voir de l’îlot, situé dans l’est, ni de l’île de l’Espérance, qui se recule à une vingtaine de milles. Pour apercevoir les terres avoisinantes, il aurait fallu se transporter soit au North-Cape, d’où l’extrémité de l’île Chatam et de l’île Madre de Dios sont visibles au delà du détroit de la Conception, – soit au South-Cape, duquel on peut entrevoir les pointes des îles Reine, Reine-Adélaïde ou Cambridge, – soit enfin au littoral extrême des Downs-lands, que dominent les sommets de l’île Owen ou les glaciers des terres du sud-est.

Or, les jeunes colons n’avaient jamais poussé leurs reconnaissances jusqu’à ces points éloignés. Quant à la carte de François Baudoin, Evans ne put s’expliquer pourquoi ces îles et ces terres n’y étaient point indiquées. Puisque le naufragé français avait pu déterminer assez exactement la configuration de l’île Hanovre, c’est qu’il en avait fait le tour. Fallait-il donc admettre que les brumes eussent restreint la portée de sa vue à moins de quelques milles? C’était admissible, après tout.

Et maintenant, au cas où l’on parviendrait à s’emparer de la chaloupe du Severn et à la réparer, de quel côté Evans la dirigerait-il?

Ce fut la demande que lui adressa Gordon.

«Mes garçons, répondit Evans, je ne chercherai à remonter ni au nord ni à l’est. Plus nous ferons de chemin par mer, mieux cela vaudra. Évidemment, avec une brise bien établie, la chaloupé pourrait nous conduire vers quelque port chilien, où l’on nous ferait bon accueil. Mais la mer est extrêmement dure sur ces côtes, tandis que les canaux de l’archipel nous offriront toujours une traversée assez facile.

– En effet, répondit Briant. Seulement, trouverons-nous des établissements sur ces parages, et, dans ces établissements, les moyens de nous rapatrier?

– Je n’en doute pas, répondit Evans. Tenez! Voyez la carte. Après avoir franchi les passes de l’archipel de la Reine-Adélaïde, où arrivons-nous par le canal de Smyth? Dans le détroit de Magellan, n’est-ce pas? Eh bien, presque à l’entrée du détroit, est situé le havre Tamar qui appartient à la Terre de Désolation, et là, nous serons déjà sur le chemin du retour.

– Et si nous n’y rencontrons aucun navire, demanda Briant, attendrons-nous donc qu’il en passe?

– Non, monsieur Briant. Suivez-moi plus loin à travers le détroit de Magellan. Apercevez-vous cette grande presqu’île de Brunswick?… C’est là, au fond de la haie Fortescue, au Port-Galant, que les bâtiments viennent souvent en relâche. Faudra-t-il aller au delà, et doubler le cap Froward au sud de la presqu’île? Voici la baie Saint--Nicolas ou baie de Bougainville, où s’arrêtent la plupart des navires qui franchissent le détroit. Enfin, au delà encore, voici Port-Famine, et plus au nord, Punta-Arena.»

Le master avait raison. Une fois engagée dans le détroit, la chaloupe aurait de nombreux points de relâche. Dans ces conditions, le rapatriement était donc assuré, sans parler de la rencontre des navires qui se dirigent vers l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Si Port-Tamar, Port-Galant, Port-Famine, n’offrent que peu de ressources. Punta-Arena, au contraire, est pourvue de tout ce qui est nécessaire à l’existence. Ce grand établissement, fondé par le gouvernement chilien, forme une véritable bourgade, bâtie sur le littoral, avec une jolie église, dont la flèche se dresse entre les superbes arbres de la presqu’île de Brunswick. Il est en pleine prospérité, tandis que la station de Port-Famine, qui date de la fin du Xe siècle, n’est plus aujourd’hui qu’un village en ruines.

Du reste, à l’époque actuelle, il existe, plus au sud, d’autres colonies que visitent les expéditions scientifiques, – telles la station de Liwya sur l’île Navarin, et principalement celle d’Ooshooia dans le canal du Beagle, au-dessous de la Terre de Feu. Cette dernière, grâce au dévouement des missionnaires anglais, aide beaucoup à la reconnaissance de ces régions, où les Français ont laissé de nombreuses traces de leur passage, dont témoignent les noms de Dumas, Cloué, Pasteur, Chanzy, Grévy, donnés à certaines îles de l’archipel magellanique.

Le salut des jeunes colons serait donc certain, s’ils parvenaient à gagner le détroit. Pour l’atteindre, il est vrai, il était nécessaire de radouber la chaloupe du Severn, et, pour la radouber, de s’en emparer, – ce qui ne serait possible qu’après avoir réduit à l’impuissance Walston et ses complices.

Si, encore, cette embarcation fût restée à l’endroit où Doniphan l’avait rencontrée sur la côte de Severn-shores, peut-être eût-on pu essayer d’en prendre possession. Walston, pour le moment installé à quinze milles de là, au fond de Deception-bay, n’aurait sans doute rien su de cette tentative. Ce qu’il avait fait, Evans l’eût pu faire aussi, c’est-à-dire conduire la chaloupe, non point à l’embouchure de l’East-river, mais à l’embouchure du rio Zealand, et, même, en remontant le rio, jusqu’à la hauteur de French-den. Là, les réparations auraient été entreprises dans des conditions meilleures, sous la direction du master. Puis, l’embarcation gréée, chargée de munitions, de provisions et des quelques objets qu’il eût été dommage d’abandonner, se serait éloignée de l’île, avant que les malfaiteurs eussent été en mesure de l’attaquer.

Par malheur, ce plan n’était plus exécutable. La question de départ ne pouvait être tranchée que par la force, soit en prenant l’offensive, soit en se tenant sur la défensive. Rien à faire, tant qu’on n’aurait pas eu raison de l’équipage du Severn!

Evans, d’ailleurs, inspirait une confiance absolue aux jeunes colons. Kate leur en avait tant parlé et en termes si chaleureux! Depuis que le master avait pu tailler sa chevelure et sa barbe, c’était tout à fait rassurant que de voir sa figure hardie et franche. S’il était énergique et brave, on le sentait bon aussi, d’un caractère résolu, capable de tous les dévouements.

En vérité, comme l’avait dit Kate, c’était bien un envoyé du ciel, qui venait d’apparaître à French-den, un «homme», enfin, au milieu de ces enfants!

Et, d’abord, le master voulut connaître les ressources, dont il pourrait user au point de vue de la résistance.

Store-room et le hall lui parurent convenablement disposés pour la défensive. Par leurs faces, l’un commandait la berge et le cours du rio, et l’autre, Sport-terrace jusqu’à la rive du lac. Les embrasures permettraient de tirer dans ces directions, tout en restant à couvert. Avec leurs huit fusils, les assiégés pourraient tenir les assaillants à distance, et, avec les deux petits canons, les mitrailler, s’ils s’aventuraient jusqu’à French-den. Quant aux revolvers, aux haches, aux coutelas de bord, tous sauraient s’en servir, si l’on en venait à un combat corps à corps.

Evans approuva Briant d’avoir entassé, à l’intérieur, ce qu’il fallait de pierres pour empêcher que les doux portes pussent être enfoncées. Au dedans, si les défenseurs étaient relativement forts, au dehors, ils seraient faibles. Il ne faut pas l’oublier, ils n’étaient que six garçons, de treize à quinze ans contre sept hommes vigoureux, habitués au maniement des armes, et d’une audace qui ne reculait pas devant le meurtre.

«"Vous les considérez comme de redoutables malfaiteurs, master Evans? demanda Gordon.

– Oui, monsieur Gordon, très redoutables!

– Sauf l’un d’eux, qui n’est pas tout à fait perdu peut-être! dit Kate, ce Forbes qui m’a sauvé la vie…

– Forbes? répondit Evans. Eh! mille diables! Qu’il ait été entraîna par les mauvais conseils ou par peur de ses compagnons, il n’en a pas moins trempé dans le massacre du Severn! D’ailleurs, est-ce que ce gredin ne s’est pas mis à ma poursuite avec Rock? Est-ce qu’il n’a pas tiré sur moi comme sur une bête fauve? Est-ce qu’il ne s’est pas félicité, quand il m’a cru noyé dans le rio? Non, bonne Kate, je crains bien qu’il ne vaille pas mieux que les autres! S’il vous a épargnée, c’est qu’il savait bien que ces gueux avaient encore besoin de vos services, et il ne restera pas en arrière, lorsqu’il s’agira de marcher contre French-den!»

Cependant quelques jours se passèrent. Rien de suspect n’avait été signalé par ceux des jeunes colons qui observaient les environs du haut d’Auckland-hill. Cela ne laissait pas de surprendre Evans.

Connaissant les projets de Walston, sachant l’intérêt qu’il avait à se hâter, il se demandait pourquoi, du 27 au 30 novembre, aucune démonstration n’avait été encore faite.

Alors l’idée lui vint que Walston chercherait sans doute à employer la ruse au lieu de la force, afin de pénétrer dans French-den. Et voici ce dont il informa Briant, Gordon, Doniphan et Baxter, avec lesquels il conférait le plus souvent.

«Tant que nous serons renfermés dans French-den, dit-il, Walston sera bien empêché de forcer l’une ou l’autre porte, s’il n’a personne pour les lui ouvrir! Il peut donc vouloir essayer d’y pénétrer par ruse…

– Et comment?… demanda Gordon.

– Peut-être de la façon qui m’est venue à l’idée, répondit Evans. Vous le savez, mes garçons, il n’y avait que Kate et moi qui fussions à même de dénoncer Walston comme le chef d’une bande de gredins, dont la petite colonie aurait à redouter l’attaque. Or, Walston ne met pas en doute que Kate ait péri pendant le naufrage. Quant à moi, je me suis bel et bien noyé dans le rio, après avoir reçu les coups de feu de Rock et de Forbes, – et vous n’ignorez pas que je les ai entendus s’applaudir de cet heureux dénouement. Walston doit donc croire que vous n’êtes prévenus de rien, – pas même de la présence des matelots du Severn sur votre île, et que, si l’un d’eux se présentait à French-den, vous lui feriez l’accueil que l’on fait à tout naufragé. Or, une fois ce coquin dans la place, il ne lui serait que trop aisé d’y introduire ses compagnons – ce qui rendrait toute résistance impossible!

– Eh bien, répondit Briant, si Walston ou tout autre de la bande vient nous demander l’hospitalité, nous le recevrons à coup de fusil…

– A moins qu’il ne soit plus adroit de le recevoir à coup de chapeau! fit observer Gordon.

– Eh! peut-être bien, monsieur Gordon! répliqua le master. Cela vaudrait mieux! Ruse contre ruse. Aussi, le cas échéant, verrons-nous ce qu’il faudra faire!»

Oui! il conviendrait d’agir avec la plus grande circonspection. En effet, si les choses tournaient bien, si Evans rentrait en possession de la chaloupe du Severn, il était permis de croire que l’heure de la délivrance ne serait pas éloignée. Mais que de périls encore! et tout ce petit monde serait-il au complet, lorsqu’on ferait route pour la Nouvelle-Zélande?

Le lendemain, la matinée s’écoula sans incidents. Le master, accompagné de Doniphan et de Baxter, remonta même pendant un demi-mille dans la direction de Traps-woods, en se dissimulant derrière les arbres groupés à la base d’Auckland-hill. Il ne vit rien d’anormal, et Phann, qui le suivait, n’eut point l’occasion de le mettre en défiance.

Mais, dans la soirée, un peu avant le coucher du soleil, il y eut une alerte. Webb et Cross, de faction sur la falaise, venaient d’en redescendre précipitamment, en signalant l’approche de deux hommes, qui s’avançaient par la berge méridionale du lac, de l’autre côté du rio Zealand.

Kate et Evans, tenant à ne point être reconnus, rentrèrent aussitôt dans Store-room. Puis, regardant à travers une des meurtrières, ils observèrent les hommes signalés. C’étaient deux des compagnons de Walston, Rock et Forbes.

«Évidemment, dit le master, c’est par ruse qu’ils veulent agir, et, ils vont se présenter ici comme des matelots qui viennent d’échapper au naufrage!

– Que faire?… demanda Briant.

– Les bien accueillir, répondit Evans.

– Bon accueil à ces misérables! s’écria Briant. Jamais je ne pourrai…

– Je m’en charge, répondit Gordon.

– Bien, monsieur Gordon! répliqua le master. Et surtout qu’ils n’aient aucun soupçon de notre présence! Kate et moi, nous nous montrerons quand il en sera temps!»

Evans et sa compagne vinrent se blottir au fond de l’un des réduits du couloir, dont la porte fut refermée sur eux. Quelques instants après, Gordon, Briant, Doniphan et Baxter accouraient sur le bord du rio Zealand. En les apercevant, les deux hommes feignirent une extrême surprise, à laquelle Gordon répondit par une surprise non moins grande.

Rock et Forbes semblaient accablés de fatigue, et, dès qu’ils eurent atteint le cours d’eau, voici les paroles qui s’échangèrent d’une rive à l’autre:

«Qui êtes-vous?

– Des naufragés qui viennent de se perdre au sud de l’île, avec la chaloupe du trois-mâts Severn?

– Vous êtes Anglais?…

– Non, Américains.

– Et vos compagnons?…

– Ils ont péri! Seuls, nous avons échappé au naufrage, et nous sommes à bout de forces!… A qui avons-nous affaire, s’il vous plaît?…

– Aux colons de l’île Chairman.

– Que les colons prennent pitié de nous et nous accueillent, car nous voilà sans ressources…

– Des naufragés ont toujours droit à l’assistance de leurs semblables!… répondit Gordon. Vous serez les bien venus!»

Sur un signe de Gordon, Moko embarqua dans la yole, qui était amarrée près de la petite digue, et, en quelques coups d’aviron, il eut ramené les deux matelots sur la rive droite du rio Zealand.

Sans doute, Walston n’avait pas eu le choix, mais, il faut bien l’avouer, la figure de Rock n’était pas faite pour inspirer la confiance, – même à des enfants, si peu habitués qu’ils fussent à déchiffrer une physionomie humaine. Bien qu’il eût essayé de se faire une tête d’honnête homme, quel type de bandit que ce Rock, avec son front étroit, sa tête élargie par derrière, sa mâchoire inférieure très prononcée! Forbes, – celui en qui tout sentiment d’humanité n’était peut-être pas éteint, au dire de Kate, – se présentait sous un meilleur aspect. C’était probablement la raison pour laquelle Walston l’avait adjoint à l’autre.

Tous deux jouèrent alors leur rôle de faux naufragés. Toutefois, par crainte d’exciter les soupçons, s’ils se laissaient adresser des questions trop précises, ils se dirent plus accablés de fatigue que de besoin, et demandèrent qu’on leur permît de prendre quelque repos et même de passer la nuit à French-den. Ils y furent aussitôt conduits. A leur entrée, il est vrai, – ce qui n’échappa point à Gordon, – ils n’avaient pu s’empêcher de jeter des regards un peu trop investigateurs sur la disposition du hall. Ils parurent même assez surpris en voyant le matériel défensif que possédait la petite colonie, – surtout la pièce de canon braquée à travers l’embrasure.

Il s’en suit que les jeunes colons, – à qui cela répugnait fort d’ailleurs, – n’eurent point à continuer leur rôle, puisque Rock et Forbes avaient hâte de se coucher, après avoir remis au lendemain le récit de leurs aventures.

«Une botte d’herbe nous suffira, dit Rock. Mais, comme nous ne voudrions pas vous gêner, si vous aviez une autre chambre que celle-ci….

– Oui, répondit Gordon, celle qui nous sert de cuisine, et vous n’avez qu’à vous y installer jusqu’à demain!»

Rock et son compagnon passèrent dans Store-room, dont ils examinèrent l’intérieur d’un coup d’œil, après avoir reconnu que la porte donnait sur le rio.

En vérité, on ne pouvait être plus accueillant pour ces pauvres naufragés! Les deux coquins devaient se dire que pour avoir raison de ces innocents, il ne valait pas la peine que l’on se mît en frais d’imagination!

Rock et Forbes s’étendirent donc dans un coin de Store-room. Ils n’allaient pas y être seuls, il est vrai, puisque c’était là que couchait Moko; mais ils ne s’embarrassaient guère de ce garçon, bien décidés à l’étrangler en un tour de main, s’il s’avisait de ne dormir que d’un œil. A l’heure convenue, Rock et Forbes devaient ouvrir la porte de Store-room, et Walston, qui rôderait sur la berge avec ses quatre compagnons, deviendrait aussitôt maître de French-den.

Vers neuf heures, alors que Rock et Forbes étaient censés dormir. Moko rentra et ne tarda pas à se jeter sur sa couchette, prêt à donner l’alerte.

Briant et les autres étaient restés dans le hall. Puis, la porte du couloir ayant été fermée, ils furent rejoints par Evans et Kate. Les choses s’étaient passées comme l’avait prévu le master, et il ne doutait pas que Walston ne fût aux environs de French-den, attendant le moment d’y pénétrer.

«Soyons sur nos gardes!» dit-il.

Cependant deux heures s’écoulèrent, et Moko se demandait si Rock et Forbes n’avaient pas remis leur machination à une autre nuit, lorsque son attention fut attirée par un léger bruit qui se produisait à l’intérieur de Store-room.

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A la lueur du fanal suspendu à la voûte, il vit alors Rock et Forbes quitter le coin dans lequel ils s’étaient étendus, et ramper du côté de la porte.

Cette porte était consolidée par un amas de grosses pierres, – véritable barricade qu’il eut été difficile pour ne pas dire impossible de renverser.

Aussi, les deux matelots commencèrent-ils à enlever ces pierres qu’ils déposaient une à une contre la paroi de droite. En quelques minutes, la porte fut complètement dégagée. Il n’y avait plus qu’à retirer la barre qui l’assujettissait en dedans, pour que l’entrée de French-den devînt libre.

Mais, au moment où Rock, après avoir retiré ladite barre, ouvrait la porte, une main s’abattit sur son épaule. Il se retourna et reconnut le master que le fanal éclairait en pleine figure.

«Evans! s’écria-t-il. Evans ici!…

– A nous, mes garçons!» cria le master.

Briant et ses camarades se précipitèrent aussitôt dans Store-room. Là, tout d’abord, Forbes, saisi par les quatre plus vigoureux, Baxter, Wilcox, Doniphan et Briant, fut mis hors d’état de s’échapper.

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Quant à Rock, d’un mouvement rapide, il avait repoussé Evans, en lui portant un coup de couteau, qui l’effleura légèrement au bras gauche. Puis, par la porte ouverte, il s’élança au dehors. Il n’avait pas fait dix pas qu’une détonation éclatait.

C’était le master qui venait de tirer sur Rock. Selon toute apparence, le fugitif n’avait pas été atteint, car aucun cri ne se fit entendre.

«Mille diables!… J’ai manqué ce gueux! s’écria Evans. Quant à l’autre… ce sera toujours un de moins! «

Et, son coutelas à la main, il leva le bras sur Forbes.

«Grâce!… Grâce!… fit le misérable que les jeunes garçons maintenaient à terre.

– Oui! grâce, Evans! répéta Kate, qui se jeta entre le master et Forbes. Faites-lui grâce, puisqu’il m’a sauvé la vie!…

– Soit! répondit Evans. J’y consens, Kate; du moins pour l’instant!»

Et Forbes, solidement garotté, fut déposé dans l’un des réduits du couloir.

Puis, la porte de Store-room ayant été refermée et barricadée, tous restèrent sur le qui-vive jusqu’au jour.

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