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Jules Verne

 

les indes noires

 

(Chapitre XI-XV)

 

 

45 dessinsJules-Descartes Férat

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XI

Les dames de feu.

 

uit jours après ces événements, les amis de James Starr étaient fort inquiets. L’ingénieur avait disparu sans qu’aucun motif pût être allégué à cette disparition. On avait appris, en interrogeant son domestique, qu’il s’était embarqué à Granton-pier, et on savait par le capitaine du steam-boat Prince de Galles qu’il avait débarqué à Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La lettre de Simon Ford lui avait recommandé le secret, et il n’avait rien dit de son départ pour les houillères d’Aberfoyle.

Donc, à Édimbourg, il ne fut plus question que de l’absence inexplicable de l’ingénieur. Sir W. Elphiston, le président de «Royal Institution», communiqua à ses collègues la lettre que lui avait adressée James Starr, en s’excusant de ne pouvoir assister à la prochaine séance de la Société. Deux ou trois autres personnes produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents prouvaient que James Starr avait quitté Édimbourg – ce que l’on savait de reste –, rien n’indiquait ce qu’il était devenu. Or, de la part d’un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait surprendre d’abord, inquiéter ensuite, puisqu’elle se prolongeait.

Aucun des amis de l’ingénieur n’aurait pu supposer qu’il se fût rendu aux houillères d’Aberfoyle. On savait qu’il n’eût point aimé à revoir l’ancien théâtre de ses travaux. Il n’y avait jamais remis les pieds, depuis le jour où la dernière benne était remontée à la surface du sol. Cependant, puisque le steam-boat l’avait déposé au débarcadère de Stirling, on fit quelques recherches de ce côté.

Les recherches n’aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu l’ingénieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l’avait rencontré en compagnie d’Harry sur un des paliers du puits Yarow, eût pu satisfaire la curiosité publique. Mais le joyeux garçon, on le sait, travaillait à la ferme de Melrose, à quarante milles dans le sud-ouest du comté de Renfrew, et il ne se doutait guère que l’on s’inquiétât à ce point de la disparition de James Starr. Donc, huit jours après sa visite au cottage, Jack Ryan eût continué à chanter de plus belle pendant les veillées du clan d’Irvine, – s’il n’eût eu, lui aussi, un motif de vive inquiétude dont il sera bientôt parlé.

James Starr était un homme trop considérable et trop considéré, non seulement dans la ville, mais dans toute l’Écosse, pour qu’un fait le concernant pût passer inaperçu. Le lord prévôt, premier magistrat d’Édimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart étaient des amis de l’ingénieur, firent commencer les plus actives recherches. Des agents furent mis en campagne, mais aucun résultat ne fut obtenu.

Il fallut donc insérer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une note relative à l’ingénieur James Starr, donnant son signalement, indiquant la date à laquelle il avait quitté Édimbourg, et il n’y eut plus qu’à attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxiété. Le monde savant de l’Angleterre n’était pas éloigné de croire à la disparition définitive de l’un de ses membres les plus distingués.

En même temps que l’on s’inquiétait ainsi de la personne de James Starr, la personne d’Harry était le sujet de préoccupations non moins vives. Seulement, au lieu d’occuper l’opinion publique, le fils du vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.

On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack Ryan avait invité Harry à venir, huit jours après, a la fête du clan d’Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d’Harry de se rendre à cette cérémonie. Jack Ryan savait, pour l’avoir constaté en maintes circonstances, que son camarade était homme de parole. Avec lui, chose promise, chose faite.

Or, à la fête d’Irvine, rien n’avait manqué, ni les chants, ni les danses, ni les réjouissances de toutes sortes, rien, – si ce n’est Harry Ford.

Jack Ryan avait commencé par lui en vouloir, parce que l’absence de son ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit même la mémoire au milieu d’une de ses chansons, et, pour la première fois, il resta court pendant une gigue, qui lui valait d’ordinaire des applaudissements mérités.

Il faut dire ici que la note relative à James Starr, et publiée dans les journaux, n’était pas encore tombée sous les yeux de Jack Ryan. Ce brave garçon ne se préoccupait donc que de l’absence d’Harry, se disant bien qu’une grave circonstance avait seule pu l’empêcher de tenir sa promesse. Aussi, le lendemain de la fête d’Irvine, Jack Ryan comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre à la fosse Dochart, et il l’aurait fait, – s’il n’eût été retenu par un accident qui faillit lui coûter la vie.

Voici ce qui était arrivé pendant la nuit du 12 décembre. En vérité, le fait était de nature à donner raison à tous les partisans du surnaturel, et ils étaient nombreux à la ferme de Melrose.

Irvine, petite ville maritime du comté de Renfrew, qui compte environ sept mille habitants, est bâtie dans un brusque retour que fait la côte écossaise, presque à l’ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez bien abrité contre les vents du large, est éclairé par un feu important qui indique les atterrissages, de telle façon qu’un marin prudent ne peut s’y tromper. Aussi, les naufrages étaient-ils rares sur cette portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu’ils voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre à Glasgow, soit donner dans la baie d’Irvine, pouvaient-ils manœuvrer sans danger, même par les nuits obscures.

Lorsqu’une ville est pourvue d’un passé historique, si mince qu’il soit, lorsque son château a appartenu autrefois à un Robert Stuart, elle n’est pas sans posséder quelques ruines.

Or, en Écosse, toutes les ruines sont hantées par des esprits. – Du moins, c’est l’opinion commune dans les Hautes et Basses-Terres.

Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal famées de cette partie du littoral, étaient précisément celles de ce château de Robert Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.

A cette époque, le château de Dundonald, refuge de tous les lutins errants de la contrée, était voué au plus complet abandon. On allait peu le visiter sur le haut rocher qu’il occupait au-dessus de la mer, à deux milles de la ville. Peut-être quelques étrangers avaient-ils encore l’idée d’interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils s’y rendaient seuls. Les habitants d’Irvine ne les y eussent point conduits, à quelque prix que ce fût. En effet, quelques histoires couraient sur le compte de certaines «Dames de feu» qui hantaient le vieux château.

Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces fantastiques créatures. Naturellement, Jack Ryan était de ces derniers.

La vérité est que, de temps à autre, de longues flammes apparaissaient, tantôt sur un pan de mur à demi éboulé, tantôt au sommet de la tour qui domine l’ensemble des ruines de Dundonald-Castle.

Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l’assurait? Méritaient-elles ce nom de «Dames de feu» que leur avaient donné les Écossais du littoral? Ce n’était évidemment là qu’une illusion de cerveaux portés à la crédulité, et la science eût expliqué physiquement ce phénomène.

Quoi qu’il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contrée la réputation bien établie de fréquenter les ruines du vieux château et d’y exécuter parfois d’étranges sarabandes, surtout pendant les nuits obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu’il fût, ne se serait point hasardé à les accompagner aux sons de sa cornemuse.

«Le vieux Nick leur suffit! disait-il, et il n’a pas besoin de moi pour compléter son orchestre infernal!»

On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte obligé des récits pendant la veillée. Aussi, Jack Ryan possédait-il tout un répertoire de légendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il jamais à court, quand il s’agissait d’en conter à leur sujet!

Donc, pendant cette dernière veillée, bien arrosée d’ale, de brandy et de whisky, qui avait terminé la fête du clan d’Irvine, Jack Ryan n’avait pas manqué de reprendre son thème favori, au grand plaisir et peut-être au grand effroi de ses auditeurs.

La veillée se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur la limite du littoral. Un bon feu de coke brûlait dans un large trépied de tôle, au milieu de l’assemblée.

Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes épaisses roulaient sur les lames, qu’une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit très noire, pas une seule éclaircie dans les nuages, la terre, le ciel et l’eau se confondant dans de profondes ténèbres, c’était là de quoi rendre difficiles les atterrages de la baie d’Irvine, si quelque navire s’y fût aventuré avec ces vents qui battaient en côte.

Le petit port d’Irvine n’est pas très fréquenté, – du moins par les navires d’un certain tonnage. C’est un peu plus au nord que les bâtiments de commerce, à voiles ou vapeur, attaquent la terre, lorsqu’ils veulent donner dans le golfe de Clyde.

Ce soir-là cependant, quelque pêcheur, attardé sur le rivage, eût aperçu, non sans surprise, un navire qui se dirigeait vers la côte. Si le jour se fût fait tout à coup, ce n’est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce bâtiment eût été vu, courant vent arrière, avec toute la toile qu’il pouvait porter. L’entrée du golfe manquée, il n’existait aucun refuge entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire s’obstinait à s’en approcher encore, comment parviendrait-il à se relever?

La veillée allait finir sur une dernière histoire de Jack Ryan. Ses auditeurs, transportés dans le monde des fantômes, étaient bien dans les conditions voulues pour faire acte de crédulité, le cas échéant.

Tout à coup, des cris retentirent au-dehors.

Jack Ryan suspendit aussitôt son récit, et tous quittèrent précipitamment la grange.

La nuit était profonde. De longues rafales de pluie et de vent couraient à la surface de la grève.

Deux ou trois pêcheurs, arc-boutés près d’un rocher, afin de mieux résister aux poussées de l’air, appelaient avec de grands éclats de voix.

Jack Ryan et ses compagnons coururent à eux.

Ces cris, ce n’était pas aux habitants de la ferme qu’ils s’adressaient, mais à un équipage qui, sans le savoir, courait à sa perte.

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En effet, une masse sombre apparaissait confusément à quelques encablures au large. C’était un navire, bien reconnaissable à ses feux de position, car il portait à sa hune de misaine un feu blanc, à tribord un feu vert, à bâbord un feu rouge. On le voyait donc par l’avant, et il était manifeste qu’il se dirigeait à toute vitesse vers la côte.

«Un navire en perdition? s’écria Jack Ryan.

– Oui, répondit un des pêcheurs, et maintenant il voudrait virer de bord, qu’il ne le pourrait plus!

– Des signaux, des signaux! cria l’un des Écossais.

– Lesquels? répliqua le pêcheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait pas tenir une torche allumée!»

Et, pendant que ces propos s’échangeaient rapidement, de nouveaux cris étaient poussés. Mais comment eût-on pu les entendre au milieu de cette tempête? L’équipage du navire n’avait plus aucune chance d’échapper au naufrage.

«Pourquoi manœuvrer ainsi? s’écriait un marin.

– Veut-il donc faire côte? répondit un autre,

– Le capitaine n’a donc pas eu connaissance du feu d’Irvine? demanda Jack Ryan.

– Il faut le croire, répondit un des pêcheurs, à moins qu’il n’ait été trompé par quelque…»

Le pêcheur n’avait pas achevé sa phrase, que Jack Ryan poussait un formidable cri. Fut-il entendu de l’équipage? En tout cas, il était trop tard pour que le bâtiment pût se relever de la ligne des brisants qui blanchissait dans les ténèbres.

Mais ce n’était pas, comme on aurait pu le croire, un suprême avertissement que Jack Ryan avait tenté de faire parvenir au bâtiment en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos à la mer. Ses compagnons, eux aussi, regardaient un point situé à un demi-mille en arrière de la grève.

C’était le château de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les rafales au sommet de la vieille tour.

«La Dame de feu!» s’écrièrent avec grande terreur tous ces superstitieux Écossais.

Franchement, il fallait une bonne dose d’imagination pour trouver à cette flamme une apparence humaine. Agitée comme un pavillon lumineux sous la brise, elle semblait parfois s’envoler du sommet de la tour, comme si elle eût été sur le point de s’éteindre, et, un instant après, elle s’y rattachait de nouveau par sa pointe bleuâtre.

«La Dame de feu! la Dame de feu!» criaient les pêcheurs et les paysans effarés.

Tout s’expliquait alors. Il était évident que le navire, désorienté dans les brumes, avait fait fausse route, et qu’il avait pris cette flamme, allumée au sommet du château de Dundonald, pour le feu d’Irvine. Il se croyait à l’entrée du golfe, située dix milles plus au nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun refuge!

Que pouvait-on faire pour le sauver, s’il en était temps encore? Peut-être eût-il fallu monter jusqu’aux ruines et tenter d’éteindre ce feu, pour qu’il ne fût pas possible de le confondre plus longtemps avec le phare du port d’Irvine.

Sans doute, c’était ainsi qu’il convenait d’agir, sans retard: mais lequel de ces Écossais eût eu la pensée, et, après la pensée, l’audace de braver la Dame de feu? Jack Ryan, peut-être, car il était courageux, et sa crédulité, si forte qu’elle fût, ne pouvait l’arrêter dans un généreux mouvement.

Il était trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas des éléments.

Le navire venait de talonner par son arrière. Ses feux de position s’éteignirent. La ligne blanchâtre du ressac sembla brisée un instant. C’était le bâtiment qui l’abordait, se couchait sur le flanc et se disloquait entre les récifs.

Et, à ce même instant, par une coïncidence qui ne pouvait être due qu’au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle eût été arrachée par une violente rafale. La mer, le ciel, la grève furent aussitôt replongés dans les plus profondes ténèbres.

«La Dame de feu!» avait une dernière fois crié Jack Ryan, lorsque cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut évanouie subitement.

Mais alors, le courage que ces superstitieux Écossais n’auraient pas eu contre un danger chimérique, ils le retrouvèrent en face d’un danger réel, maintenant qu’il s’agissait de sauver leurs semblables. Les éléments déchaînés ne les arrêtèrent pas. Au moyen de cordes lancées dans les lames – héroïques autant qu’ils avaient été crédules –, ils se jetèrent au secours du bâtiment naufragé.

Heureusement, ils réussirent, non sans que quelques-uns – et le hardi Jack Ryan était du nombre – se fussent grièvement meurtris sur les roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l’équipage purent être déposés, sains et saufs, sur la grève.

Ce navire était le brick norvégien Motala, chargé de bois du nord, faisant route pour Glasgow.

Il n’était que trop vrai. Le capitaine, trompé par ce feu, allumé sur la tour du château de Dundonald, était venu donner en pleine côte, au lieu d’embouquer le golfe de Clyde.

Et maintenant, du Motala, il ne restait plus que de rares épaves, dont le ressac achevait de briser les débris sur les roches du littoral.

 

 

Chapitre XII

Les exploits de Jack Ryan.

 

ack Ryan et trois de ses compagnons, blessés comme lui, avaient été transportés dans une des chambres de la ferme de Melrose, où des soins leur furent immédiatement prodigués.

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Jack Ryan avait été le plus maltraité, car, au moment où, la corde aux reins, il s’était jeté à la mer, les lames furieuses l’avaient rudement roulé sur les récifs. Peu s’en était fallu, même, que ses camarades ne l’eussent rapporté sans vie sur le rivage.

Le brave garçon fut donc cloué au lit pour quelques jours, – ce dont il enragea fort. Cependant, lorsqu’on lui eut permis de chanter autant qu’il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose retentit, à toute heure, des joyeux éclats de sa voix. Mais Jack Ryan, dans cette aventure, ne puisa qu’un plus vif sentiment de crainte à l’égard de ces brawnies et autres lutins qui s’amusent à tracasser le pauvre monde, et ce fut eux qu’il rendit responsables de la catastrophe du Motala. On fût mal venu à lui soutenir que les Dames de feu n’existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projetée entre les ruines, n’était due qu’à un phénomène physique. Aucun raisonnement ne l’eût convaincu. Ses compagnons étaient encore plus obstinés que lui dans leur crédulité. A les entendre, une des Dames de feu avait méchamment attiré le Motala à la côte. Quant à vouloir l’en punir, autant mettre l’ouragan à l’amende! Les magistrats pouvaient décréter toutes poursuites qui leur conviendraient. On n’emprisonne pas une flamme, on n’enchaîne pas un être impalpable. Et, s’il faut le dire, les recherches qui furent ultérieurement faites, semblèrent donner raison – au moins en apparence – à cette façon superstitieuse d’expliquer les choses.

En effet, le magistrat, chargé de diriger une enquête relativement à la perte du Motala, vint interroger les divers témoins de la catastrophe. Tous furent d’accord sur ce point que le naufrage était dû à l’apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du château de Dundonald.

On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons. Qu’un phénomène purement physique se fût produit dans ces ruines, pas de doute à cet égard. Mais était-ce accident ou malveillance? c’est ce que le magistrat devait chercher à établir.

Que ce mot «malveillance» ne surprenne pas. Il ne faudrait pas remonter haut dans l’histoire armoricaine pour en trouver la justification. Bien des pilleurs d’épaves du littoral breton ont fait ce métier d’attirer les navires à la côte afin de s’en partager les dépouilles. Tantôt un bouquet d’arbres résineux, enflammés pendant la nuit, guidait un bâtiment dans des passes dont il ne pouvait plus sortir. Tantôt une torche, attachée aux cornes d’un taureau et promenée au caprice de l’animal, trompait un équipage sur la route à suivre. Le résultat de ces manœuvres était inévitablement quelque naufrage, dont les pillards profitaient. Il avait fallu l’intervention de la justice et de sévères exemples pour détruire ces barbares coutumes. Or, ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main criminelle n’eût repris les anciennes traditions des pilleurs d’épaves?

C’est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu’en eussent Jack Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d’enquête, ils se divisèrent en deux camps: les uns se contentèrent de hausser les épaules; les autres, plus craintifs, annoncèrent que, très certainement, à provoquer ainsi les êtres surnaturels, on amènerait de nouvelles catastrophes.

Néanmoins, l’enquête fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de police se transportèrent au château de Dundonald, et ils procédèrent aux recherches les plus rigoureuses.

Le magistrat voulut d’abord reconnaître si le sol avait conservé quelques empreintes de pas, pouvant être attribuées à d’autres pieds que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus légère trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore toute humide des pluies de la veille, eût conservé le moindre vestige.

«Des pas de brawnies! s’écria Jack Ryan, lorsqu’il connut l’insuccès des premières recherches. Autant vouloir retrouver les traces d’un follet sur l’eau d’un marécage!»

Cette première partie de l’enquête ne produisit donc aucun résultat. Il n’était pas probable que la seconde partie en donnât davantage.

Il s’agissait d’établir, en effet, comment le feu avait pu être allumé au sommet de la vieille tour, quels éléments avaient été fournis à la combustion, et enfin quels résidus cette combustion avait laissés.

Sur le premier point, rien, ni restes d’allumettes, ni chiffons de papier, ayant pu servir à allumer un feu quelconque.

Sur le second point, néant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes desséchées, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait pourtant dû être largement alimenté pendant la nuit.

Quant au troisième point, il ne put être éclairci davantage. L’absence de toutes cendres, de tout résidu d’un combustible quelconque, ne permit pas même de retrouver l’endroit où le foyer avait dû être établi. Il n’existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait été tenu par la main de quelque malfaiteur? C’était bien invraisemblable, puisque, au dire des témoins la flamme présentait un développement gigantesque, tel que l’équipage du Motala avait pu, malgré les brumes, l’apercevoir de plusieurs milles au large.

«Bon s’écria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer d’allumettes! Elle souffle, cela suffit à embraser l’air autour d’elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres!»

Il résultat donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur peine, qu’une nouvelle légende s’ajouta à tant d’autres, – légende qui devait perpétuer le souvenir de la catastrophe du Motala et affirmer plus indiscutablement encore l’apparition des Dames de feu.

Cependant, un si brave garçon que Jack Ryan, et d’une si vigoureuse constitution, ne pouvait demeurer longtemps alité. Quelques foulures et luxations n’étaient pas pour le coucher sur le flanc plus qu’il ne convenait. Il n’avait pas le temps d’être malade. Or, lorsque ce temps-là manque, on ne l’est guère dans ces régions salubres des Lowlands.

Jack Ryan se rétablit donc promptement. Dès qu’il fut sur pied, avant de reprendre sa besogne à la ferme de Melrose, il voulut mettre certain projet à exécution. Il s’agissait d’aller faire visite à son camarade Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manqué à la fête du clan d’Irvine. De la part d’un homme tel qu’Harry, qui ne promettait jamais sans tenir, cette absence ne s’expliquait pas. Il était invraisemblable, d’ailleurs, que le fils du vieil overman n’eût pas entendu parler de la catastrophe du Motala rapportée à grands détails par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au sauvetage, ce qui en était advenu pour lui, et c’eût été trop d’indifférence de la part d’Harry que de ne pas pousser jusqu’à la ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.

Si donc Harry n’était pas venu, c’est qu’il n’avait pu venir. Jack Ryan eût plutôt nié l’existence des Dames de feu que de croire à l’indifférence d’Harry à son égard.

Donc, deux jours après la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme, gaillardement, comme un solide garçon qui ne se ressentait aucunement de ses blessures. D’un joyeux refrain lancé à pleine poitrine, il fit résonner les échos de la falaise, et se rendit à la gare du railway qui, par Glasgow, conduit à Stirling et à Callander.

Là, pendant qu’il attendait dans la gare, ses regards furent tout d’abord attirés par une affiche, reproduite à profusion sur les murs, et qui contenait l’avis suivant:

«Le 4 décembre dernier, l’ingénieur James Starr, d’Édimbourg, s’est embarqué à Granton-pier sur le Prince de Galles. Il a débarqué le même jour à Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.

«Prière d’adresser toute information le concernant au président de Royal Institution, à Édimbourg.»

Jack Ryan, arrêté devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non sans donner les signes de la plus extrême surprise.

«Monsieur Starr! s’écria-t-il. Mais, le 4 décembre, je l’ai précisément rencontré avec Harry sur les échelles du puits Yarow! Voilà dix jours de cela! Et, depuis ce temps, il n’aurait pas reparu! Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n’est pas venu à la fête d’Irvine?»

Et, sans prendre le temps d’informer par lettre le président de Royal Institution de ce qu’il savait relativement à James Starr, le brave garçon sauta dans le train, avec l’intention bien arrêtée de se rendre tout d’abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu’au fond de la fosse Dochart, s’il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui l’ingénieur James Starr.

Trois heures après, il quittait le train à la gare de Callander, et se dirigeait rapidement vers le puits Yarow.

«Ils n’ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi? Est-ce quelque obstacle qui les en a empêchés? Est-ce un travail dont l’importance les retient encore au fond de la houillère? Je le saurai!»

Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d’une heure au puits Yarow.

Extérieurement, rien de changé. Même silence aux abords de la fosse. Pas un être vivant dans ce désert.

Jack Ryan pénétra sous l’appentis en ruine qui recouvrait l’orifice du puits. Il plongea son regard dans ce gouffre… Il ne vit rien. Il écouta… Il n’entendit rien.

«Et ma lampe! s’écria-t-il. Ne serait-elle donc plus à sa place?»

La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites à la fosse, était ordinairement déposée dans un coin, près du palier de l’échelle supérieure.

Cette lampe avait disparu.

«Voilà une première complication!» dit Jack Ryan, qui commença à devenir très inquiet.

Puis, sans hésiter, tout superstitieux qu’il fût:

«J’irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que dans le tréfonds de l’enfer!»

Et il commença à descendre la longue suite d’échelles, qui s’enfonçaient dans le sombre puits.

Il fallait que Jack Ryan n’eût point perdu de ses anciennes habitudes de mineur, et qu’il connût bien la fosse Dochart, pour se hasarder ainsi. Il descendait prudemment d’ailleurs. Son pied tâtait chaque échelon, dont quelques-uns étaient vermoulus. Tout faux pas eût entraîné une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack Ryan comptait donc chacun des paliers qu’il quittait successivement pour atteindre un étage inférieur. Il savait que son pied ne toucherait la semelle de la fosse qu’après avoir dépassé le trentième. Une fois là, il ne serait pas gêné, pensait-il, de retrouver le cottage, bâti, comme on sait, à l’extrémité de la galerie principale.

Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixième palier, et, par conséquent, deux cents pieds, au plus, le séparaient alors du fond.

A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier échelon de la vingt-septième échelle. Mais sa jambe, se balançant dans le vide, ne trouva aucun point d’appui.

Jack Ryan s’agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main l’extrémité de l’échelle… Ce fut en vain.

Il était évident que la vingt-septième échelle ne se trouvait pas à sa place, et, par conséquent, qu’elle avait été retirée.

«Il faut que le vieux Nick ait passé par là!» se dit-il, non sans éprouver un certain sentiment d’effroi.

Debout, les bras croisés, voulant toujours percer cette ombre impénétrable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint à la pensée que, si lui ne pouvait descendre, les habitants de la houillère, eux, n’avaient pu remonter. Il n’existait plus, en effet, aucune communication entre le sol du comté et les profondeurs de la fosse. Si cet enlèvement des échelles inférieures du puits Yarow avait été pratiqué depuis sa dernière visite au cottage, qu’étaient devenus Simon Ford, sa femme, son fils et l’ingénieur? L’absence prolongée de James Starr prouvait évidemment qu’il n’avait pas quitté la fosse depuis le jour où Jack Ryan s’était croisé avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors, s’était fait le ravitaillement du cottage? Les vivres n’avaient-ils pas manqué à ces malheureux, emprisonnés à quinze cents pieds sous terre?

Toutes ces pensées traversèrent l’esprit de Jack Ryan. Il vit bien qu’il ne pouvait rien par lui-même pour arriver jusqu’au cottage. Y avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications étaient interrompues? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les magistrats aviseraient, mais il fallait les prévenir au plus vite.

Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.

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«Harry! Harry!» cria-t-il de sa voix puissante.

Les échos se renvoyèrent à plusieurs reprises le nom d’Harry, qui s’éteignit enfin dans les dernières profondeurs du puits Yarow.

Jack Ryan remonta rapidement les échelles supérieures, et revit la lumière du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d’une traite, il regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques minutes le passage de l’express d’Édimbourg, et, à trois heures de l’après-midi, il se présentait chez le lord-prévôt de la capitale.

Là, sa déclaration fut reçue. Les détails précis qu’il donna ne permettaient pas de soupçonner sa véracité. Sir W. Elphiston, président de Royal Institution, non seulement collègue, mais ami particulier de James Starr, fut aussitôt averti, et il demanda à diriger les recherches qui allaient être faites sans délai à la fosse Dochart. On mit à sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de pics, de longues échelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux. Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent immédiatement le chemin des houillères d’Aberfoyle.

Le soir même, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arrivèrent à l’orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu’au vingt-septième palier, sur lequel Jack s’était arrêté, quelques heures auparavant.

Les lampes, attachées au bout de longues cordes, furent envoyées dans les profondeurs du puits, et l’on put alors constater que les quatres dernières échelles manquaient.

Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la fosse Dochart n’eût été intentionnellement rompue.

«Qu’attendons-nous, monsieur? demanda l’impatient Jack Ryan.

– Nous attendons que ces lampes soient remontées, mon garçon, répondit Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu’au sol de la dernière galerie, et tu nous conduiras…

– Au cottage, s’écria Jack Ryan, et, s’il le faut, jusque dans les derniers abîmes de la fosse!»

Dès que les lampes eurent été retirées, les agents fixèrent au palier les échelles de corde, qui se déroulèrent dans le puits. Les paliers inférieurs subsistaient encore. On put descendre de l’un à l’autre.

Cela ne se fit pas sans de grandes difficultés. Jack Ryan, le premier, s’était suspendu à ces échelles vacillantes, et, le premier, il atteignit le fond de la houillère.

Sir W. Elphiston et les agents l’eurent bientôt rejoint.

Le rond-point, formé par le fond du puits Yarow, était absolument désert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas médiocrement surpris d’entendre Jack Ryan s’écrier:

«Voici quelques fragments des échelles, et ce sont des fragments à demi brûlés!

– Brûlés! répéta Sir W Elphiston. En effet, voilà des cendres refroidies depuis longtemps!

– Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l’ingénieur James Starr ait eu intérêt à brûler ces échelles et à interrompre toute communication avec le dehors?

– Non, répondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. – Allons, mon garçon, au cottage! C’est là que nous saurons la vérité!»

Jack Ryan hocha la tête, en homme peu convaincu. Mais, prenant une lampe des mains d’un agent, il s’avança rapidement à travers la galerie principale de la fosse Dochart.

Tous le suivaient.

Un quart d’heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient atteint l’excavation au fond de laquelle était bâti le cottage de Simon Ford. Aucune lumière n’en éclairait les fenêtres.

Jack Ryan se précipita vers la porte, qu’il repoussa vivement.

Le cottage était abandonné.

On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence à l’intérieur. Tout était en ordre, comme si la vieille Madge eût encore été là. La réserve de vivres était même abondante, et eût suffi pendant plusieurs jours à la famille Ford.

L’absence des hôtes du cottage était donc inexplicable. Mais pouvait-on constater d’une manière précise à quelle époque ils l’avaient quitté? – Oui, car, dans ce milieu où ne se succédaient ni les nuits, ni les jours, Madge avait coutume de marquer d’une croix chaque quantième de son calendrier.

Ce calendrier était suspendu au mur de la salle. Or, la dernière croix avait été faite à la date du 6 décembre, c’est-à-dire un jour après l’arrivé de James Starr, – ce que Jack Ryan fut en mesure d’affirmer. Il était donc manifeste que depuis le 6 décembre, c’est-à-dire depuis dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son hôte avaient quitté le cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par l’ingénieur, pouvait-elle donner la raison d’une si longue absence? Non, évidemment.

Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Après avoir minutieusement inspecté le cottage, il fut très embarrassé sur ce qu’il convenait de faire.

L’obscurité était profonde. L’éclat des lampes, balancées aux mains des agents, étoilait seulement ces impénétrables ténèbres.

Soudain, Jack Ryan poussa un cri.

«Là! là!» dit-il.

Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s’agitait dans l’obscur lointain de la galerie.

«Mes amis, courons sur ce feu! répondit Sir W. Elphiston.

– Un feu de brawnie! s’écria Jack Ryan. A quoi bon? Nous ne l’atteindrons jamais!»

Le président de Royal Institution et les agents, peu enclins à la crédulité, s’élancèrent dans la direction indiquée par la lueur mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le dernier en route.

Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait porté par un être de petite taille, mais singulièrement agile. A chaque instant, cet être disparaissait derrière quelque remblai; puis, on le revoyait au fond d’une galerie transversale. De rapides crochets le mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir définitivement disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif éclat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait à croire, non sans raison, qu’on ne l’atteindrait pas.

Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses compagnons s’enfoncèrent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart. Ils en arrivaient, eux aussi, à se demander s’ils n’avaient pas affaire à quelque follet insaisissable.

A ce moment, cependant, il sembla que la distance commençait à diminuer entre le follet et ceux qui cherchaient à l’atteindre. Était-ce fatigue de l’être quelconque qui fuyait, ou cet être voulait-il attirer Sir W. Elphiston et ses compagnons là où les habitants du cottage avaient peut-être été attirés eux-mêmes? Il eût été malaisé de résoudre la question.

Toutefois, les agents, voyant s’amoindrir cette distance redoublèrent leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brillé à plus de deux cents pas en avant d’eux, se tenait maintenant à moins de cinquante. Cet intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible. Quelquefois, lorsqu’il retournait la tête, on pouvait reconnaître le vague profil d’une figure humaine, et, à moins qu’un lutin n’eût pris cette forme, Jack Ryan était forcé de convenir qu’il ne s’agissait point là d’un être surnaturel.

Et alors, tout en courant plus vite:

«Hardi, camarades! criait-il. Il se fatigue! Nous l’atteindrons bientôt, et, s’il parle aussi bien qu’il d’étale, il pourra nous en dire long!»

Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au milieu des dernières profondeurs de la fosse, d’étroits tunnels s’entrecroisaient comme les allées d’un labyrinthe. Dans ce dédale, le porteur du falot pouvait aisément échapper aux agents. Il lui suffisait d’étendre sa lanterne et de se jeter de côté au fond de quelque refuge obscur.

«Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s’il veut nous échapper, pourquoi ne le fait-il pas?»

Cet être insaisissable ne l’avait pas fait jusqu’alors; mais, au moment où cette pensée traversait l’esprit de Sir W. Elphiston, la lueur disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite, arrivèrent presque aussitôt devant une étroite ouverture que les roches schisteuses laissaient entre elles, à l’extrémité d’un étroit boyau.

S’y glisser, après avoir ravivé leurs lampes, s’élancer à travers cet orifice qui s’ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack Ryan et leurs compagnons l’affaire d’un instant.

Mais ils n’avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus large et plus haute, qu’ils s’arrêtaient soudain.

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Là, près de la paroi, quatre corps étaient étendus sur le sol, – quatre cadavres peut-être!

«James Starr! dit Sir W. Elphiston.

– Harry! Harry!» s’écria Jack Ryan, en se précipitant sur le corps de son camarade.

C’étaient, en effet, l’ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui étaient étendus là, sans mouvement.

Mais, alors, l’un de ces corps se redressa, et l’on entendit la voix épuisée de la vieille Madge murmurer ces mots:

«Eux! eux, d’abord!»

Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essayèrent de ranimer l’ingénieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes de cordial. Ils y réussirent presque aussitôt. Ces infortunés, séquestrés depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient d’inanition.

Et, s’ils n’avaient pas succombé pendant ce long emprisonnement – James Starr l’apprit à Sir W. Elphiston –, c’est que trois fois ils avaient trouvé près d’eux un pain et une cruche d’eau! Sans doute, l’être secourable auquel ils devaient de vivre encore n’avait pas pu faire davantage…!

Sir W. Elphiston se demanda si ce n’était pas là l’œuvre de cet insaisissable follet qui venait de les attirer précisément à l’endroit où gisaient James Starr et ses compagnons.

Quoi qu’il en soit, l’ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford étaient sauvés. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l’étroite issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer à Sir W. Elphiston.

Et si James Starr et ses compagnons n’avaient pu retrouver l’orifice de la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c’est que cet orifice avait été solidement bouché au moyen de roches superposées, que, dans cette profonde obscurité, ils n’avaient pu ni reconnaître ni disjoindre.

Ainsi donc, pendant qu’ils exploraient la vaste crypte, toute communication avait été volontairement fermée par une main ennemie entre l’ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle.

 

 

Chapitre XIII

Coal-City.

 

rois ans après les événements qui viennent d’être racontés, les Guides Joanne ou Murray recommandaient, «comme grande attraction», aux nombreux touristes qui parcouraient le comté de Stirling, une visite de quelques heures aux houillères de la Nouvelle-Aberfoyle.

 Aucune mine, en n’importe quel pays du nouveau ou de l’ancien monde, ne présentait un plus curieux aspect.

Tout d’abord, le visiteur était transporté sans danger ni fatigue jusqu’au sol de l’exploitation, à quinze cents pieds au-dessous de la surface du comté.

En effet, à sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel oblique, décoré d’une entrée monumentale, avec tourelles, créneaux et mâchicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, à pente douce, largement évidé, venait aboutir directement à cette crypte si singulièrement creusée dans le massif du sol écossais.

Un double railway, dont les wagons étaient mus par une force hydraulique, desservait, d’heure en heure, le village qui s’était fondé dans le sous-sol du comté, sous le nom un peu ambitieux peut-être de «Coal-city», c’est-à-dire la Cité du Charbon.

Le visiteur, arrivé à Coal-city, se trouvait dans un milieu où l’électricité jouait un rôle de premier ordre, comme agent de chaleur et de lumière.

En effet, les puits d’aération, quoiqu’ils fussent nombreux, n’auraient pas pu mêler assez de jour à l’obscurité profonde de la Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumière intense emplissait ce sombre milieu, où de nombreux disques électriques remplaçaient le disque solaire. Suspendus sous l’intrados des voûtes, accrochés aux piliers naturels, tous alimentés par des courants continus que produisaient des machines électro-magnétiques – les uns soleils, les autres étoiles –, ils éclairaient largement ce domaine. Lorsque l’heure du repos arrivait, un interrupteur suffisait à produire artificiellement la nuit dans ces profonds abîmes de la houillère.

Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide, c’est-à-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec l’air ambiant. Si bien que, pour le cas où l’atmosphère eût été mélangée de grisou dans une proportion détonante, aucune explosion n’eût été à craindre. Aussi l’agent électrique était-il invariablement employé à tous les besoins de la vie industrielle et de la vie domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les galeries exploitées de la Nouvelle-Aberfoyle.

Il faut dire, avant tout, que les prévisions de l’ingénieur James Starr – en ce qui concernait l’exploitation de la nouvelle houillère – n’avaient point été déçues. La richesse des filons carbonifères était incalculable. C’était dans l’ouest de la crypte, à un quart de mille de Coal-city, que les premières veines avaient été attaquées par le pic des mineurs. La cité ouvrière n’occupait donc pas le centre de l’exploitation. Les travaux du fond étaient directement reliés aux travaux du jour par les puits d’aération et d’extraction, qui mettaient les divers étages de la mine en communication avec le sol. Le grand tunnel, où fonctionnait le railway à traction hydraulique, ne servait qu’au transport des habitants de Coal-city.

On se rappelle quelle était la singulière conformation de cette vaste caverne, où le vieil overman et ses compagnons s’étaient arrêtés pendant leur première exploration. Là, au-dessus de leur tête, s’arrondissait un dôme de courbure ogivale. Les piliers qui le soutenaient allaient se perdre dans la voûte de schiste, à une hauteur de trois cents pieds, – hauteur presque égale à celle du «Mammouth-Dôme», des grottes du Kentucky.

On sait que cette énorme halte – la plus grande de toute l’hypogée américaine – peut aisément contenir cinq mille personnes. Dans cette partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c’était même proportion et aussi même disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la célèbre grotte, le regard s’accrochait ici à des intumescences de filons carbonifères, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la pression des failles schisteuses. On eût dit des rondes-bosses de jais dont les paillettes s’allumaient sous le rayonnement des disques.

Au-dessous de ce dôme s’étendait un lac comparable pour son étendue à la mer Morte des «Mammouth-Caves», – lac profond dont les eaux transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel l’ingénieur donna le nom de lac Malcolm.

C’était là, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford avait bâti son nouveau cottage, et il ne l’eût pas échangé pour le plus bel hôtel de Princes-street, à Édimbourg. Cette habitation était située au bord du lac, et ses cinq fenêtres s’ouvraient sur les eaux sombres, qui s’étendaient au-delà de la limite du regard.

Deux mois après, une seconde habitation s’était élevée dans le voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr. L’ingénieur s’était donné corps et âme à la Nouvelle-Aberfoyle. Il avait, lui aussi, voulu l’habiter, et il fallait que ses affaires l’y obligeassent impérieusement pour qu’il consentît à remonter au-dehors. Là, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.

Depuis la découverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de l’ancienne houillère s’étaient hâtés d’abandonner la charrue et la herse pour reprendre le pic ou la pioche. Attirés par la certitude que le travail ne leur manquerait jamais, alléchés par les hauts prix que la prospérité de l’exploitation allait permettre d’affecter à la main-d’œuvre, ils avaient abandonné le dessus du sol pour le dessous, et s’étaient logés dans la houillère, qui, par sa disposition naturelle, se prêtait à cette installation.

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Ces maisons de mineurs, construites en briques, s’étaient peu à peu disposées d’une façon pittoresque, les unes sur les rives du lac Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour résister à la poussée des voûtes comme les contreforts d’une cathédrale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui étançonnent les galeries, cantonniers auxquels est confiée la réparation des voies, remblayeurs qui substituent la pierre à la houille dans les parties exploitées, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus spécialement employés aux travaux du fond, fixèrent leur domicile dans la Nouvelle-Aberfoyle et fondèrent peu à peu Coal-city, située sous la pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comté de Stirling.

C’était donc une sorte de village flamand, qui s’était élevé sur les bords du lac Malcolm. Une chapelle, érigée sous l’invocation de Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d’un énorme rocher, dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterranéenne.

Lorsque ce bourg souterrain s’éclairait des vifs rayons projetés par les disques, suspendus aux piliers du dôme ou aux arceaux des contre-nefs, il se présentait sous un aspect quelque peu fantastique, d’un effet étrange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray ou Joanne. C’est pourquoi les visiteurs affluaient.

Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation, cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cité ouvrière, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n’en voulait jamais sortir. Le vieil overman prétendait qu’il pleuvait toujours «là-haut», et, étant donné le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu’il n’avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle prospéraient donc. Depuis trois ans, elles étaient arrivées à une certaine aisance, qu’elles n’eussent jamais obtenue à la surface du comté. Bien des bébés, qui étaient nés à l’époque où les travaux furent repris, n’avaient encore jamais respiré l’air extérieur.

Ce qui faisait dire à Jack Ryan:

«Voilà dix-huit mois qu’ils ont cessé de téter leurs mères, et, pourtant, ils n’ont pas encore vu le jour!»

Il faut noter, à ce propos, qu’un des premiers accourus à l’appel de l’ingénieur avait été Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s’était fait un devoir de reprendre son ancien métier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son piper ordinaire. Mais ce n’est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus. Au contraire, et les échos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient leurs poumons de pierre à lui répondre.

Jack Ryan s’était installé au nouveau cottage de Simon Ford. On lui avait offert une chambre qu’il avait acceptée sans façon, en homme simple et franc qu’il était. La vieille Madge l’aimait pour son bon caractère et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses idées au sujet des êtres fantastiques qui devaient hanter la houillère, et, tous deux, quand ils étaient seuls, se racontaient des histoires à faire frémir, histoires bien dignes d’enrichir la mythologie hyperboréenne.

Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C’était, d’ailleurs, un bon sujet, un solide ouvrier. Six mois après la reprise des travaux, il était chef d’une brigade des travaux du fond.

«Voilà qui est bien travaillé, monsieur Ford, disait-il, quelques jours après son installation. Vous avez trouvé un nouveau filon, et, si vous avez failli payer de votre vie cette découverte, eh bien, ce n’est pas trop cher!

– Non, Jack, c’est même un bon marché que nous avons fait là! répondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n’oublierons que c’est à toi que nous devons la vie!

– Mais non, reprit Jack Ryan. C’est à votre fils Harry, puisqu’il a eu la bonne pensée d’accepter mon invitation pour la fête d’Irvine…

– Et de n’y point aller, n’est-ce pas? répliqua Harry, en serrant la main de son camarade. Non, Jack, c’est à toi, à peine remis de tes blessures, à toi, qui n’as perdu ni un jour, ni une heure, que nous devons d’avoir été retrouvés vivants dans la houillère!

– Eh bien, non! riposta l’entêté garçon. Je ne laisserai pas dire des choses qui ne sont point. J’ai pu faire diligence pour savoir ce que tu étais devenu, Harry et voilà tout. Mais, afin de rendre à chacun ce qui lui est dû, j’ajouterai que sans cet insaisissable lutin…

– Ah! nous y voilà! s’écria Simon Ford. Un lutin!

– Un lutin, un brawnie, un fils de fée, répéta Jack Ryan, un petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin! Il n’en est pas moins certain que, sans lui, nous n’aurions jamais pénétré dans la galerie, d’où vous ne pouviez plus sortir!

– Sans doute, Jack, répondit Harry. Il reste à savoir si cet être est aussi surnaturel que tu veux le croire.

– Surnaturel! s’écria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu’un follet, qu’on verrait courir son falot à la main, qu’on voudrait attraper, qui vous échapperait comme un sylphe, qui s’évanouirait comme une ombre! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l’autre!

– Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons à le retrouver, et il faudra que tu nous aides à cela.

– Vous vous ferez là une mauvaise affaire, monsieur Ford! répondit Jack Ryan.

– Bon! laisse venir, Jack!»

On se figure aisément combien ce domaine de la Nouvelle-Aberfoyle devint bientôt familier aux membres de la famille Ford, et plus particulièrement à Harry. Celui-ci apprit à en connaître les plus secrets détours. Il en arriva même à pouvoir dire à quel point de la surface du sol correspondait tel ou tel point de la houillère. Il savait qu’au-dessus de cette couche se développait le golfe de Clyde, que là s’étendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c’était un contrefort des monts Grampians qu’ils supportaient. Cette voûte, elle servait de soubassement à Dumbarton. Au-dessus de ce large étang passait le railway de Balloch. Là finissait le littoral écossais. Là commençait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant les grandes tourmentes de l’équinoxe. Harry eût été un merveilleux «leader» de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumière, il l’eût fait dans la houillère, en pleine ombre, avec une incomparable sûreté d’instinct.

Aussi l’aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle! Que de fois, sa lampe au chapeau, il s’aventurait jusque dans ses plus extrêmes profondeurs! Il explorait ses étangs sur un canot qu’il manœuvrait adroitement. Il chassait même, car de nombreux oiseaux sauvages s’étaient introduits dans la crypte, pilets, bécassines, macreuses, qui se nourrissaient des poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux d’Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d’un marin aux horizons éloignés.

Mais, courant ainsi, Harry était comme irrésistiblement entraîné par l’espoir de retrouver l’être mystérieux, dont l’intervention, pour dire le vrai, l’avait sauvé plus que toute autre, et les siens avec lui. Réussirait-il? Oui, à n’en pas douter, s’il en croyait ses pressentiments. Non, s’il fallait conclure du peu de succès que ses recherches avaient obtenu jusqu’alors.

Quant aux attaques dirigées contre la famille du vieil overman, avant la découverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s’étaient pas renouvelées.

Ainsi allaient les choses dans cet étrange domaine.

Il ne faudrait pas s’imaginer que, même à l’époque où les linéaments de Coal-city se dessinaient à peine, toute distraction fût écartée de la souterraine cité, et que l’existence y fût monotone.

Il n’en était rien. Cette population, ayant mêmes intérêts, mêmes goûts, à peu près même somme d’aisance, constituait, à vrai dire, une grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin d’aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.

D’ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houillère, excursions sur les lacs et les étangs, c’étaient autant d’agréables distractions.

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Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les bords du lac Malcolm. Les Écossais accouraient à l’appel de leur instrument national. On dansait, et ce jour-là, Jack Ryan, revêtu de son costume de Highlander, était le roi de la fête.

Enfin, de tout cela il résultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city pouvait déjà se poser en rivale de la capitale de l’Écosse, de cette cité soumise aux froids de l’hiver, aux chaleurs de l’été, aux intempéries d’un climat détestable, et qui, dans une atmosphère encrassée de la fumée de ses usines, justifiait trop justement son surnom de «Vieille-Enfumée1».

 

 

Chapitre XIV

Suspendu à un fil.

 

ans de telles conditions, ses plus chers désirs satisfaits, la famille de Simon Ford était heureuse. Cependant, on eût pu observer qu’Harry, déjà d’un caractère un peu sombre, était de plus en plus «en dedans», comme disait Madge. Jack Ryan, malgré sa bonne humeur si communicative, ne parvenait pas à le mettre «en dehors».

Un dimanche – c’était au mois de juin –, les deux amis se promenaient sur les bords du lac Malcolm. Coal-city chômait. A l’extérieur, le temps était orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre une buée chaude. On ne respirait pas à la surface du comté.

Au contraire, à Coal-city, calme absolu, température douce, ni pluie ni vent. Rien n’y transpirait de la lutte des éléments du dehors. Aussi, un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs étaient-ils venus chercher un peu de fraîcheur dans les profondeurs de la houillère.

Les disques électriques jetaient un éclat qu’eût certainement envié le soleil britannique, plus embrumé qu’il ne convient à un soleil des dimanches.

Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs à son camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait prêter à ses paroles qu’une médiocre attention.

«Regarde donc, Harry! s’écriait Jack Ryan. Quel empressement à venir nous voir! Allons, mon camarade! Chasse un peu tes idées tristes pour mieux faire les honneurs de notre domaine! Tu donnerais à penser, à tous ces gens du dessus, que l’on peut envier leur sort!

– Jack, répondit Harry, ne t’occupe pas de moi! Tu es gai pour deux, et cela suffit!

– Que le vieux Nick m’emporte! riposta Jack Ryan, si ta mélancolie ne finit pas par déteindre sur moi! Mes yeux se rembrunissent, mes lèvres se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la mémoire des chansons m’abandonne! Voyons, Harry, qu’as-tu?

– Tu le sais, Jack.

– Toujours cette pensée?¼

– Toujours.

– Ah! mon pauvre Harry! répondit Jack Ryan en haussant les épaules, si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la mine, tu aurais l’esprit plus tranquille!

– Tu sais bien, Jack, que les lutins n’existent que dans ton imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n’en a pas revu un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.

– Soit, Harry! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses extraordinaires ne se montrent pas davantage!

– Je les retrouverai, Jack!

– Ah! Harry! Harry! Les génies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas faciles à surprendre!

– Je les retrouverai, tes prétendus génies! reprit Harry avec l’accent de la plus énergique conviction.

– Ainsi, tu prétends punir?…

– Punir et récompenser, Jack. Si une main nous a emprisonnés dans cette galerie, je n’oublie pas qu’une autre main nous a secourus! Non! je ne l’oublie pas!

– Eh! Harry! répondit Jack Ryan, es-tu bien sûr que ces deux mains-là n’appartiennent pas au même corps?

– Pourquoi, Jack? D’où peut te venir cette idée?

– Dame… tu sais… Harry! Ces êtres, qui vivent dans les abîmes… ne sont pas faits comme nous!

– Ils sont faits comme nous, Jack!

– Eh non! Harry… non… D’ailleurs, ne peut-on supposer que quelque fou est parvenu à s’introduire…

– Un fou! répondit Harry! Un fou qui aurait une telle suite dans les idées! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour où il a rompu les échelles du puits Yarow, n’a cessé de nous faire du mal!

– Mais il n’en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte malveillant n’a été renouvelé ni contre toi, ni contre les tiens!

– Il n’importe, Jack, répondit Harry. J’ai le pressentiment que cet être mauvais, quel qu’il soit, n’a pas renoncé à ses projets. Sur quoi je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack, dans l’intérêt de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est et d’où il vient.

– Dans l’intérêt de la nouvelle exploitation?¼demanda Jack Ryan, assez étonné.

– Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m’abuse, mais je vois dans toute cette affaire un intérêt contraire au nôtre. J’y ai souvent songé, et je ne crois pas me tromper. Rappelle‑toi la série de ces faits inexplicables, qui s’enchaînent logiquement l’un à l’autre. Cette lettre anonyme, contradictoire de celle de mon père, prouve, tout d’abord, qu’un homme a eu connaissance de nos projets et qu’il a voulu en empêcher l’accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite à la fosse Dochart. A peine l’y ai-je introduit, qu’une énorme pierre est lancée sur nous, et que toute communication est aussitôt interrompue par la rupture des échelles du puits Yarow. Notre exploration commence. Une expérience, qui doit révéler l’existence du nouveau gisement, est alors rendue impossible par l’obturation des fissures du schiste. Néanmoins, la constatation s’opère, le filon est trouvé. Nous revenons sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l’air. Notre lampe est brisée. L’obscurité se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant, à suivre la sombre galerie… Plus d’issue pour en sortir. L’orifice était bouché. Nous étions séquestrés. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas dans tout cela une pensée criminelle? Oui! un être, insaisissable jusqu’ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes à le croire, était caché dans la houillère. Dans un intérêt que je ne puis comprendre, il cherchait à nous en interdire l’accès. Il y était!¼Un pressentiment me dit qu’il y est encore, et qui sait s’il ne prépare pas quelque coup terrible! – Eh bien, Jack, dussé-je y risquer ma vie, je le découvrirai!»

Harry avait parlé avec une conviction qui ébranla sérieusement son camarade.

Jack Ryan sentait bien qu’Harry avait raison, – au moins pour le passé. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou surnaturelle, ils n’en étaient pas moins patents.

Cependant, le brave garçon ne renonçait pas à sa manière d’expliquer ces événements. Mais, comprenant qu’Harry n’admettrait jamais l’intervention d’un génie mystérieux, il se rabattit sur l’incident qui semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirigée contre la famille Ford.

«Eh bien, Harry, dit-il, si je suis obligé de te donner raison sur un certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l’eau, a pu vous sauver de…

– Jack, répondit Harry en l’interrompant, l’être secourable dont tu veux faire un être surnaturel existe aussi réellement que le malfaiteur en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus lointaines profondeurs de la houillère.

– Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches? demanda Jack Ryan.

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– Peut-être, répondit Harry. Écoute-moi bien. A cinq milles dans l’ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s’enfonce perpendiculairement dans les entrailles mêmes du gisement. Il y a huit jours, j’ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde descendait, alors que j’étais penché sur l’orifice de ce puits, il m’a semblé que l’air s’agitait à l’intérieur, comme s’il eût été battu de grands coups d’ailes.

– C’était quelque oiseau égaré dans les galeries inférieures de la houillère, répondit Jack.

– Ce n’est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin même, je suis retourné à ce puits, et là, prêtant l’oreille, j’ai cru surprendre comme une sorte de gémissement…

– Un gémissement! s’écria Jack. Tu t’es trompé, Harry! C’est une poussée d’air… à moins qu’un lutin…

– Demain, Jack, reprit Harry, je saurai à quoi m’en tenir.

– Demain? répondit Jack en regardant son camarade.

– Oui! Demain, je descendrai dans cet abîme.

– Harry, c’est tenter Dieu, cela!

– Non, Jack, car j’implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous nous rendrons tous deux à ce puits avec quelques-uns de nos camarades. Une longue corde, à laquelle je m’attacherai, vous permettra de me descendre et de me retirer à un signal convenu. – Je puis compter sur toi, Jack?

– Harry, répondit Jack Ryan en hochant la tête, je ferai ce que tu me demandes, et cependant, je te le répète, tu as tort.

– Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n’avoir pas fait, dit Harry d’un ton décidé. Donc, demain matin, à six heures, et silence! Adieu, Jack!»

Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan eût encore essayé de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son camarade et rentra au cottage.

Il faut, cependant, convenir que les appréhensions de Jack n’étaient point exagérées. Si quelque ennemi personnel menaçait Harry, s’il se trouvait au fond de ce puits où le jeune mineur allait le chercher, Harry s’exposait. Cependant, quelle vraisemblance d’admettre qu’il en fût ainsi?

«Et, au surplus, répétait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal pour expliquer une série de faits, qui s’expliquaient si aisément par une intervention surnaturelle des génies de la mine?»

Quoi qu’il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa brigade arrivaient en compagnie d’Harry à l’orifice du puits suspect.

Harry n’avait rien dit de son projet, ni à James Starr, ni au vieil overman. De son côté, Jack Ryan avait été assez discret pour ne point parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pensé qu’il ne s’agissait là que d’une simple exploration du gisement suivant sa coupe verticale.

Harry s’était muni d’une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette corde n’était pas grosse, mais elle était solide. Harry ne devant ni descendre ni remonter à la force des poignets, il suffisait que la corde fût assez forte pour supporter son poids. C’était à ses compagnons qu’incomberait la tâche de le laisser glisser dans le gouffre, à eux de l’en retirer. Une secousse, imprimée à la corde, servirait de signal entre eux et lui.

Le puits était assez large, ayant douze pieds de diamètre à son orifice. Une poutre fut placée en travers, comme un pont, de manière que la corde, en glissant à sa surface, pût se maintenir dans l’axe du puits. Précaution indispensable à prendre pour qu’Harry ne fût pas heurté, pendant la descente, aux parois latérales.

Harry était prêt.

«Tu persistes dans ton projet d’explorer cet abîme? lui demanda Jack Ryan à voix basse.

– Oui, Jack», répondit Harry.

La corde fut d’abord attachée autour des reins d’Harry, puis sous ses aisselles, afin que son corps ne pût basculer.

Ainsi maintenu, Harry était libre de ses deux mains. A sa ceinture, il suspendit une lampe de sûreté, à son côté, un de ces larges couteaux écossais qui sont engainés dans un fourreau de cuir.

Harry s’avança jusqu’au milieu de la poutre, autour de laquelle la corde fut passée.

Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s’enfonça lentement dans le puits. Comme la corde subissait un léger mouvement de rotation, la lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des parois, et Harry put les examiner avec soin.

Ces parois étaient faites de schiste houiller. Elles étaient assez lisses pour qu’il fût impossible de se hisser à leur surface.

Harry calcula qu’il descendait avec une vitesse modérée, – environ un pied par seconde. Il avait donc possibilité de bien voir, facilité de se tenir prêt à tout événement.

Au bout de deux minutes, c’est-à-dire à une profondeur de cent vingt pieds à peu près, la descente s’était opérée sans incident. Il n’existait aucune galerie latérale dans la paroi du puits, lequel s’étranglait peu à peu, en forme d’entonnoir. Mais Harry commençait à sentir un air plus frais, qui venait d’en bas, – d’où il conclut que l’extrémité inférieure du puits communiquait avec quelque boyau de l’étage inférieur de la crypte.

La corde glissait toujours. L’obscurité était absolue. Le silence, absolu aussi. Si un être vivant, quel qu’il fût, avait cherché refuge dans ce mystérieux et profond abîme, ou il n’y était pas alors, ou aucun mouvement ne trahissait sa présence.

Harry, plus défiant à mesure qu’il descendait, avait tiré le couteau de sa gaine, et il le tenait de sa main droite.

A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu’il avait atteint le sol inférieur, car la corde mollit et ne se déroula plus.

Harry respira un instant. Une des craintes qu’il avait pu concevoir ne s’était pas réalisée, c’est-à-dire que, pendant sa descente, la corde ne fût coupée au-dessus de lui. Il n’avait, d’ailleurs, remarqué aucune anfractuosité dans les parois qui pût receler un être quelconque.

L’extrémité inférieure du puits était fort rétrécie.

Harry, détachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne s’était pas trompé dans ses conjectures.

Un étroit boyau s’enfonçait latéralement dans l’étage inférieur du gisement. Il eût fallu se courber pour y pénétrer, et se traîner sur les mains pour le suivre.

Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si elle aboutissait à quelque abîme.

Il se coucha sur le sol et commença à ramper. Mais un obstacle l’arrêta presque aussitôt.

Il crut sentir au toucher que cet obstacle était un corps qui obstruait le passage.

Harry recula, d’abord, par un vif sentiment de répulsion, puis il revint.

Ses sens ne l’avaient pas trompé. Ce qui l’avait arrêté, c’était, en effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glacé aux extrémités, il n’était pas encore refroidi tout à fait.

L’attirer à soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la lumière de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu’il ne faut à le dire.

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«Un enfant!» s’écria Harry.

L’enfant, retrouvé au fond de cet abîme, respirait encore, mais son souffle était si faible qu’Harry pût croire qu’il allait cesser. Il fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite créature à l’orifice du puits, et la conduire au cottage, où Madge lui prodiguerait ses soins.

Harry, oubliant toute autre préoccupation, rajusta la corde à sa ceinture, y attacha sa lampe, prit l’enfant qu’il soutint de son bras gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et armé, il fit le signal convenu, afin que la corde fût halée doucement.

La corde se tendit, et la remontée commença à s’opérer régulièrement.

Harry regardait autour de lui avec un redoublement d’attention. Il n’était plus seul exposé, maintenant.

Tout alla bien pendant les premières minutes de l’ascension, aucun incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un souffle puissant qui déplaçait les couches d’air dans les profondeurs du puits. Il regarda au-dessous de lui et aperçut, dans la pénombre, une masse, qui, s’élevant peu à peu, le frôla en passant.

C’était un énorme oiseau, dont il ne put reconnaître l’espèce, et qui montait à grands coups d’ailes.

Le monstrueux volatile s’arrêta, plana un instant, puis fondit sur Harry avec un acharnement féroce.

Harry n’avait que son bras droit dont il pût faire usage pour parer les coups du formidable bec de l’animal.

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Harry se défendit donc, tout en protégeant l’enfant du mieux qu’il put. Mais ce n’était pas à l’enfant, c’était à lui que l’oiseau s’attaquait. Gêné par la rotation de la corde, il ne parvenait pas à le frapper mortellement.

La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons, espérant que ses cris seraient entendus d’en haut.

C’est ce qui arriva, car la corde fut aussitôt halée plus vite.

Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds à franchir. L’oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d’un coup de son couteau, le blessa à l’aile; l’oiseau, poussant un cri rauque, disparut dans les profondeurs du puits.

Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour frapper l’oiseau, avait entamé la corde, dont un toron était maintenant coupé.

Les cheveux d’Harry se dressèrent sur sa tête.

La corde cédait peu à peu, à plus de cent pieds au-dessus du fond de l’abîme!…

Harry poussa un cri désespéré.

Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde à demi tranchée.

Harry lâcha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment où la corde allait se rompre, il parvint à la saisir de la main droite au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet fût de fer, il sentit la corde glisser peu à peu entre ses doigts.

Il aurait pu ressaisir cette corde à deux mains, en sacrifiant l’enfant qu’il soutenait d’un bras… Il n’y voulut même pas penser.

Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcités par les cris d’Harry, halaient plus vivement.

Harry crut qu’il ne pourrait tenir bon jusqu’à ce qu’il fût remonté à l’orifice du puits. Sa face s’injecta. Il ferma un instant les yeux, s’attendant à tomber dans l’abîme, puis il les rouvrit…

Mais, au moment où il allait lâcher la corde, qu’il ne tenait plus que par son extrémité, il fut saisi et déposé sur le sol avec l’enfant.

La réaction se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les bras de ses camarades.

 

 

Chapitre XV

Nell au cottage.

 

eux heures après, Harry, qui n’avait pas aussitôt recouvré ses sens, et l’enfant, dont la faiblesse était extrême, arrivaient au cottage avec l’aide de Jack Ryan et de ses compagnons.

Là, le récit de ces événements fut fait au vieil overman, et Madge prodigua ses soins à la pauvre créature, que son fils venait de sauver.

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Harry avait cru retirer un enfant de l’abîme… C’était une jeune fille de quinze à seize ans, au plus. Son regard vague et plein d’étonnement, sa figure maigre, allongée par la souffrance, son teint de blonde que la lumière ne semblait avoir jamais baigné, sa taille frêle et petite, tout en faisait un être à la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec quelque raison, la compara à un farfadet d’aspect un peu surnaturel. Était-ce dû aux circonstances particulières, au milieu exceptionnel dans lequel cette jeune fille avait peut-être vécu jusqu’alors, mais elle paraissait n’appartenir qu’à demi à l’humanité. Sa physionomie était étrange. Ses yeux, que l’éclat des lampes du cottage semblait fatiguer, regardaient confusément, comme si tout eût été nouveau pour eux.

A cet être singulier, alors déposé sur le lit de Madge et qui revint à la vie comme s’il sortait d’un long sommeil, la vieille Écossaise adressa d’abord la parole:

«Comment te nommes-tu? lui demanda-t-elle.

– Nell2, répondit la jeune fille.

– Nell, reprit Madge, souffres-tu?

– J’ai faim, répondit Nell. Je n’ai pas mangé depuis… depuis..»

A ce peu de mots qu’elle venait de prononcer, on sentait que Nell n’était pas habituée à parler. La langue dont elle se servait était ce vieux gaélique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.

Sur la réponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussitôt quelques aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand était-elle au fond de ce puits? on ne pouvait le dire.

«Combien de jours as-tu passés là-bas, ma fille?» demanda Madge.

Nell ne répondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui lui était faite.

«Depuis combien de jours?… reprit Madge.

– Jours?…» répondit Nell, pour qui ce mot semblait être dépourvu de toute signification.

Puis, elle secoua la tête comme une personne qui ne comprend pas ce qu’on lui demande.

Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute confiance:

«Quel âge as-tu, ma fille?» demanda-t-elle, en lui faisant de bons yeux, bien rassurants.

Même signe négatif de Nell.

«Oui, oui, reprit Madge, combien d’années?

– Années?…» répondit Nell.

Et ce mot, pas plus que le mot «jour», ne parut avoir de signification pour la jeune fille.

Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un double sentiment de pitié et de sympathie. L’état de ce pauvre être, vêtu d’une misérable cotte de grosse étoffe, était bien fait pour les impressionner.

Harry, plus que tout autre, se sentait irrésistiblement attiré par l’étrangeté même de Nell.

Il s’approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait d’abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les lèvres ébauchèrent une sorte de sourire, et il lui dit:

«Nell… là-bas… dans la houillère… étais-tu seule?

– Seule! seule!» s’écria la jeune fille en se redressant.

Sa physionomie décelait alors l’épouvante. Ses yeux, qui s’étaient adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.

«Seule! seule!» répéta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge, comme si les forces lui eussent manqué tout à fait.

«Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous répondre, dit Madge, après avoir recouché la jeune fille. Quelques heures de repos, un peu de bonne nourriture lui rendront ses forces. Viens, Simon! viens, Harry! Venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil!»

Sur le conseil de Madge, Nell fut laissée seule, et on put s’assurer, un instant après, qu’elle dormait profondément.

Cet événement n’alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la houillère, mais aussi dans le comté de Stirling, et, peu après, dans tout le Royaume-Uni. Le renom d’étrangeté de Nell s’en accrut. On aurait trouvé une jeune fille enfermée dans la roche schisteuse, comme un de ces êtres antédiluviens qu’un coup de pic délivre de leur gangue de pierre, que l’affaire n’eût pas eu plus d’éclat.

Sans le savoir, Nell devint fort à la mode. Les gens superstitieux trouvèrent là un nouveau texte à leurs récits légendaires. Ils pensaient volontiers que Nell était le génie de la Nouvelle-Aberfoyle, et lorsque Jack Ryan le disait à son camarade Harry:

«Soit, répondait le jeune homme, pour! conclure, soit, Jack! Mais, en tout cas, c’est le bon génie! C’est celui qui nous a secourus, qui nous a apporté le pain et l’eau, lorsque nous étions emprisonnés dans la houillère! Ce ne peut être que lui! Quant au mauvais génie, s’il est resté dans la mine, il faudra bien que nous le découvrions un jour!»

On le pense bien, l’ingénieur James Starr avait été informé tout d’abord de ce qui s’était passé.

La jeune fille, ayant recouvré ses forces dès le lendemain de son entrée au cottage fut interrogée par lui avec la plus grande sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie. Cependant, elle était intelligente, on le reconnut bientôt, mais certaines notions élémentaires lui manquaient: celle du temps, entre autres. On voyait qu’elle n’avait été habituée à diviser le temps ni par heures, ni par jours, et que ces mots mêmes lui étaient inconnus. En outre, ses yeux, accoutumés à la nuit, se faisaient difficilement à l’éclat des disques électriques; mais, dans l’obscurité, son regard possédait une extraordinaire acuité, et sa pupille, largement dilatée, lui permettait de voir au milieu des plus profondes ténèbres. Il fut aussi constant que son cerveau n’avait jamais reçu les impressions du monde extérieur, que nul autre horizon que celui de la houillère ne s’était développé à ses yeux, que l’humanité tout entière avait tenu pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille, qu’il y eût un soleil et des étoiles, des villes et des campagnes, un univers dans lequel fourmillaient les mondes? On devait en douter jusqu’au moment où certains mots qu’elle ignorait encore prendraient dans son esprit une signification précise.

Quant à la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer à la résoudre. En effet, toute allusion à ce sujet jetait l’épouvante dans cette étrange nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas répondre; mais, certainement, il existait là quelque secret qu’elle eût pu dévoiler.

«Veux-tu rester avec nous? Veux-tu retourner là où tu étais?» lui avait demandé James Starr.

A la première de ces deux questions: «Oh oui!» avait dit la jeune fille. A la seconde, elle n’avait répondu que par un cri de terreur, mais rien de plus.

Devant ce silence obstiné, James Starr, et avec lui Simon et Harry Ford, ne laissaient pas d’éprouver une certaine appréhension. Ils ne pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagné la découverte de la houillère. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel incident ne se fût produit, ils s’attendaient toujours à quelque nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi voulurent-ils explorer le puits mystérieux. Ils le firent donc, bien armés et bien accompagnés. Mais ils n’y trouvèrent aucune trace suspecte. Le puits communiquait avec les étages inférieurs de la crypte, creusés dans la couche carbonifère.

James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou plusieurs êtres malfaisants étaient cachés dans la houillère, s’ils préparaient quelques embûches, Nell aurait pu le dire peut-être, mais elle ne parlait pas. La moindre allusion au passé de la jeune fille provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le temps, son secret lui échapperait sans doute.

Quinze jours après son arrivée au cottage, Nell était l’aide la plus intelligente et la plus zélée de la vieille Madge. Évidemment, ne plus jamais quitter cette maison où elle avait été si charitablement accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-être même ne s’imaginait-elle pas que désormais elle pût vivre ailleurs. La famille Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pensée de ces braves gens, du moment que Nell était entrée au cottage, elle était devenue leur enfant d’adoption.

Nell était charmante, en vérité. Sa nouvelle existence l’embellissait. C’étaient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait. Madge s’était pris pour Nell d’une sympathie toute maternelle. Le vieil overman en raffola bientôt à son tour. Tous l’aimaient, d’ailleurs. L’ami Jack Ryan ne regrettait qu’une chose: c’était de ne pas l’avoir sauvée lui-même. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell, qui n’avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on eût pu voir que la jeune fille préférait aux chansons de Jack Ryan les entretiens plus sérieux d’Harry, qui, peu à peu, lui apprit ce qu’elle ignorait encore des choses du monde extérieur.

Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle, Jack Ryan s’était vu forcé de convenir que sa croyance aux lutins faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois après, sa crédulité reçut un nouveau coup.

En effet, vers cette époque, Harry fit une découverte assez inattendue, mais qui expliquait en partie l’apparition des Dames de feu dans les ruines du château de Dundonald, à Irvine.

Un jour, après une longue exploration de la partie sud de la houillère – exploration qui avait duré plusieurs jours à travers les dernières galeries de cette énorme substruction –, Harry avait péniblement gravi une étroite galerie, évidée dans un écartement de la roche schisteuse. Tout à coup, il fut très surpris de se trouver en plein air. La galerie, après avoir remonté obliquement vers la surface du sol, aboutissait précisément aux ruines de Dundonald-Castle. Il y existait donc une communication secrète entre la Nouvelle-Aberfoyle et la colline que couronnait le vieux château. L’orifice supérieur de cette galerie eût été impossible à découvrir extérieurement, tant il était obstrué de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l’enquête, les magistrats n’avaient-ils pu y pénétrer.

Quelques jours après, James Starr, conduit par Harry, vint reconnaître lui-même cette disposition naturelle du gisement houiller.

«Voilà, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine. Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu!

– Je ne crois pas, monsieur Starr, répondit Harry, que nous ayons lieu de nous en féliciter! Leurs remplaçants ne valent pas mieux et peuvent être pires, assurément!

– En effet, Harry, reprit l’ingénieur, mais qu’y faire? Évidemment, les êtres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la torche à la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attiré le Motala à la côte, et, comme les anciens pilleurs d’épaves, ils en eussent volé les débris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouvés la! Quoi qu’il en soit, enfin, tout s’explique, Voilà l’orifice du repaire! Quant à ceux qui l’habitaient, l’habitent-ils encore?

– Oui, puisque Nell tremble, lorsqu’on lui en parle! répondit Harry avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n’ose pas en parler!»

Harry devait avoir raison. Si les mystérieux hôtes de la houillère l’eussent abandonnée, ou s’ils étaient morts, quelle raison aurait eue la jeune fille de garder le silence?

Cependant, James Starr tenait absolument à pénétrer ce secret. Il pressentait que l’avenir de la nouvelle exploitation pouvait en dépendre. On prit donc de nouveau les plus sévères précautions. Les magistrats furent prévenus. Des agents occupèrent secrètement les ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-même se cacha, pendant plusieurs nuits, au milieu des broussailles qui hérissaient la colline. Peine inutile. On ne découvrit rien. Nul être humain n’apparut à travers l’orifice.

On en arriva bientôt à cette conclusion, que les malfaiteurs avaient dû définitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant à Nell, ils la croyaient morte au fond de ce puits où ils l’avaient abandonnée. Avant l’exploitation, la houillère pouvait leur offrir un refuge assuré, à l’abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances n’étaient plus les mêmes. Le gîte devenait difficile à cacher. On aurait donc dû raisonnablement espérer qu’il n’y avait plus rien à craindre pour l’avenir. Cependant, James Starr n’était pas absolument rassuré. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il répétait souvent:

«Nell a été évidemment mêlée à tout ce mystère. Si elle n’avait plus rien à redouter, pourquoi garderait-elle le silence? On ne peut douter qu’elle soit heureuse d’être avec nous! Elle nous aime tous! Elle adore ma mère! Si elle se tait sur son passé, sur ce qui pourrait nous rassurer pour l’avenir, c’est donc que quelque terrible secret, que sa conscience lui interdit de dévoiler, pèse sur elle! Peut-être aussi, dans notre intérêt plus que dans le sien, croit-elle devoir se renfermer dans cet inexplicable mutisme!»

C’est par suite de ces diverses considérations que, d’un accord commun, il avait été convenu qu’on écarterait de la conversation tout ce qui pouvait rappeler son passé à la jeune fille.

Un jour, cependant, Harry fut amené à faire connaître à Nell ce que James Starr, son père, sa mère et lui-même croyaient devoir à son intervention.

C’était jour de fête. Les bras chômaient aussi bien à la surface du comté de Stirling que dans le domaine souterrain. On s’y promenait un peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les voûtes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.

Harry et Nell avaient quitté le cottage et suivaient à pas lents la rive gauche du lac Malcolm. Là, les éclats électriques se projetaient avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le dôme. Cette pénombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient que très difficilement à la lumière.

Après une heure de marche, Harry et sa compagne s’arrêtèrent en face de la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui dominait les eaux du lac.

«Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitués au jour, dit Harry, et certainement, ils ne pourraient supporter l’éclat du soleil.

– Non, sans doute, répondit la jeune fille, si le soleil est tel que tu me l’as dépeint, Harry.

– Nell, reprit Harry en te parlant, je n’ai pu te donner une juste idée de sa splendeur ni des beautés de cet univers que tes regards n’ont jamais observé. – Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour où tu es née dans les profondeurs de la houillère, se peut-il que tu ne sois jamais remontée à la surface du sol?

– Jamais, Harry, répondit Nell, et je ne pense pas que, même petite, ni un père ni une mère m’y aient jamais portée. J’aurais certainement gardé quelque souvenir du dehors!

– Je le crois, répondit Harry. D’ailleurs, à cette époque, Nell, bien d’autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec l’extérieur étaient difficiles, et j’ai connu plus d’un jeune garçon ou d’une jeune fille, qui, à ton âge, ignoraient encore tout ce que tu ignores des choses de là-haut! Mais maintenant, en quelques minutes, le railway du grand tunnel nous transporte à la surface du comté. J’ai donc hâte, Nell, de t’entendre me dire: «Viens, Harry, mes yeux peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil. Je veux voir l’œuvre de Dieu!»

– Je te le dirai, Harry, répondit la jeune fille, avant peu, je l’espère. J’irai admirer avec toi ce monde extérieur, et cependant…

– Que veux-tu dire, Nell? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque regret d’avoir abandonné le sombre abîme dans lequel tu as vécu pendant les premières années de ta vie, et dont nous t’avons retirée presque morte?

– Non, Harry, répondit Nell. Je pensais seulement que les ténèbres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu’y voient des yeux habitués à leur profondeur! Il y a des ombres qui passent et qu’on aimerait à suivre dans leur vol! Parfois ce sont des cercles qui s’entrecroisent devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir! Il existe, au fond de la houillère, des trous noirs, pleins de vagues lumières. Et puis, on entend des bruits qui vous parlent! Vois-tu, Harry, il faut avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis t’exprimer!

– Et tu n’avais pas peur, Nell, quand tu étais seule?

– Harry, répondit la jeune fille, c’est quand j’étais seule que je n’avais pas peur!»

La voix de Nell s’était légèrement altérée en prononçant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un peu, et il dit:

«Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne craignais-tu donc pas de t’y égarer?

– Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les détours de la nouvelle houillère!

– N’en sortais-tu pas quelquefois?…

– Oui… quelquefois… répondit en hésitant la jeune fille, quelquefois, je venais jusque dans l’ancienne mine d’Aberfoyle.

– Tu connaissais donc le vieux cottage?

– Le cottage… oui… mais, de bien loin seulement, ceux qui l’habitaient!

C’étaient mon père et ma mère, répondit Harry, c’était moi! Nous n’avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure!

– Peut-être cela aurait-il mieux valu pour vous!… murmura la jeune fille.

– Et pourquoi, Nell? N’est-ce pas notre obstination à ne pas la quitter, qui nous a fait découvrir le nouveau gisement? Et cette découverte n’a-t-elle pas eu des conséquences heureuses pour toute une population qui a reconquis ici l’aisance par le travail, pour toi, Nell, qui, rendue à la vie, as trouvé des cœurs tout à toi!

– Pour moi! répondit vivement Nell… Oui! quoi qu’il puisse arriver! Pour les autres… qui sait?…

– Que veux-tu dire?

– Rien… rien!… Mais, il y avait danger à s’introduire, alors, dans la nouvelle houillère! Oui, grand danger! Harry! Un jour, des imprudents ont pénétré dans ces abîmes. Ils ont été loin, bien loin! Ils se sont égarés…

– Égarés? dit Harry en regardant Nell.

– Oui… égarés… répondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe s’est éteinte! Ils n’ont pu retrouver leur chemin…

– Et là, s’écria Harry, emprisonnés pendant huit longs jours, Nell, ils ont été près de mourir! Et sans un être secourable, que Dieu leur a envoyé, un ange peut-être, qui leur a secrètement apporté un peu de nourriture, sans un guide mystérieux qui, plus tard, a conduit jusqu’à eux leurs libérateurs, ils ne seraient jamais sorti de cette tombe!

– Et comment le sais-tu? demanda la jeune fille.

– Parce que ces hommes c’était James Starr… c’était mon père… c’était moi, Nell!»

Nell, relevant la tête, saisit la main du jeune homme, et elle le regarda avec une telle fixité, que celui-ci se sentit troublé jusqu’au plus profond de son cœur.

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«Toi! répéta la jeune fille.

– Oui! répondit Harry, après un instant de silence, et celle à qui nous devons de vivre, c’était toi, Nell! Ce ne pouvait être que toi!»

Nell laissa tomber sa tête entre ses deux mains, sans répondre. Jamais Harry ne l’avait vue aussi vivement impressionnée.

«Ceux qui t’ont sauvée, Nell, ajouta-t-il d’une voix émue, te devaient déjà la vie, et crois-tu qu’ils puissent jamais l’oublier?»

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1 Auld-Reeky, surnom donné au vieil Édimbourg.

2 Nell est un abréviatif de Helena.