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Jules Verne

 

HECTOR SERVADAC

voyages et aventures à travers le monde solaire

 

(Chapitre XXI-XXV)

 

 

Dessins de P. Philippoteaux

Bibliothèque D’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

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© Andrzej Zydorczak

 

Première partie

 

 

Chapitre XXI

Où l’on verra quelle charmante surprise la nature fait, un beau soir, aux habitants de Gallia

 

’était, en effet, une merveilleuse habitation, toute chauffée, tout éclairée, que cette caverne, où le petit monde de Gallia trouverait aisément place. Et non seulement Hector Servadac et «ses sujets», comme disait volontiers Ben-Zouf, pourraient s’y loger confortablement, mais les deux chevaux du capitaine et un nombre assez considérable d’animaux domestiques auraient là un abri contre le froid jusqu’à la fin de l’hiver gallien, – si cet hiver devait jamais avoir un terme.

Cette énorme excavation – cela fut aussitôt reconnu – n’était, à vrai dire, que l’épanouissement formé par une vingtaine de boyaux qui, après s’être ramifiés à l’intérieur du massif, venaient y aboutir. L’air chaud s’y propageait à une température remarquablement élevée. On eût dit vraiment que la chaleur transsudait à travers les pores minéraux du mont. Donc, sous ces épaisses voûtes, à l’abri de toutes les intempéries d’un climat polaire, bravant les froids de l’espace, si bas qu’ils pussent descendre, tous les êtres animés du nouvel astre devaient trouver un refuge assuré, – tant que le volcan se maintiendrait en activité. Mais, ainsi que le fit justement observer le comte Timascheff, aucun autre mont ignivome n’avait été signalé pendant le voyage de la Dobryna sur le périmètre de la nouvelle mer, et si cette unique bouche servait d’exutoire aux feux intérieurs de Gallia, l’éruption pouvait évidemment durer pendant des siècles.

Il s’agissait donc de ne perdre ni un jour, ni même une heure. Pendant que la Dobryna pouvait naviguer encore, il fallait retourner à l’île Gourbi, en «déménager» lestement, transporter sans retard à leur nouveau domicile hommes et animaux, y emmagasiner céréales et fourrages, et s’installer définitivement sur la Terre-Chaude, – nom très justifié, qui fut donné à cette portion volcanique du promontoire.

La chaloupe revint le jour même à l’île Gourbi, et, dès le lendemain, les travaux furent commencés.

C’était d’un grand hivernage qu’il s’agissait alors, et à toutes les éventualités duquel il fallait parer. Oui, grand, long, interminable peut-être, bien autrement menaçant que ces six mois de nuit et d’hiver que bravent les navigateurs des mers arctiques! Qui pouvait prévoir, en effet, le moment auquel Gallia serait délivrée de ses liens de glace? Qui pouvait dire si elle suivait dans son mouvement de translation une courbe rentrante, et si une orbe elliptique la ramènerait jamais vers le soleil?

Le capitaine Servadac apprit à ses compagnons l’heureuse découverte qu’il venait de faire. Le nom de «Terre-Chaude» fut accueilli par les bravos de Nina et des Espagnols surtout. La Providence, qui faisait si bien les choses, fut remerciée comme elle méritait de l’être.

Pendant les trois jours qui suivirent, la Dobryna fit trois voyages. Chargée jusqu’à la hauteur des bastingages, elle transporta d’abord la récolte des fourrages et des céréales, qui fut déposée dans les profonds réduits destinés à servir de magasins. Le 15 mars, les étables rocheuses reçurent ceux des animaux domestiques, taureaux, vaches, moutons et porcs, une cinquantaine environ, dont on voulait conserver l’espèce. Les autres, que le froid allait bientôt détruire, devaient être abattus en aussi grande quantité que possible, la conservation indéfinie des viandes étant facile sous ces climats rigoureux. Les Galliens auraient donc là une énorme réserve. Avenir rassurant, au moins pour la population actuelle de Gallia!

Quant à la question des boissons, elle était extrêmement facile à résoudre. Il faudrait évidemment se contenter d’eau douce; mais cette eau ne manquerait jamais, ni pendant l’été, grâce aux ruisseaux et aux citernes de l’île Gourbi, ni pendant l’hiver, puisque le froid se chargeait de la produire par la congélation de l’eau de mer.

Tandis que l’on travaillait ainsi à l’île, le capitaine Servadac, le comte Timascheff et le lieutenant Procope s’occupaient d’aménager cette demeure de la Terre-Chaude. Il fallait se hâter, car déjà la glace résistait, même en plein midi, aux rayons perpendiculaires du soleil. Or il convenait, pour les transports, d’utiliser la mer tandis qu’elle était encore libre, plutôt que de la traverser péniblement sur sa surface solidifiée.

Cet aménagement des diverses excavations, ouvertes dans le massif du volcan, fut conduit avec une grande ingéniosité. De nouvelles explorations avaient amené la découverte de nouvelles galeries. Ce mont ressemblait à une vaste ruche, dans laquelle abondaient les alvéoles. Les abeilles – on veut dire les colons – trouveraient aisément à s’y loger, et dans de très suffisantes conditions de confort. Cette disposition fit même donner à cette demeure, et en l’honneur de la fillette, le nom de Nina-Ruche.

Tout d’abord, le premier soin du capitaine Servadac et de ses compagnons fut d’employer au mieux des nécessités quotidiennes cette chaleur volcanique que la nature leur prodiguait gratuitement. En ouvrant aux filets de laves incandescentes des pentes nouvelles, ils les dérivèrent jusqu’aux endroits où ils devaient être utilisés. Ainsi la cuisine de la Dobryna, ayant été installée dans un réduit convenablement approprié à cet usage, fut désormais chauffée à la lave, et Mochel, le maître coq de la goélette, eut bientôt la main faite à ce nouveau genre de foyer de chaleur.

«Hein! disait Ben-Zouf, quel progrès, si, dans l’ancien monde, chaque maison avait pour calorifère un petit volcan qui ne coûterait pas un centime d’entretien!»

La grande caverne, cette excavation principale vers laquelle rayonnaient les galeries du massif, fut destinée à devenir la salle commune, et on la meubla avec les principaux meubles du gourbi et de la Dobryna. Les voiles de la goélette avaient été déverguées et emportées à Nina-Ruche, où elles pouvaient être employées à divers usages. La bibliothèque du bord, bien fournie de livres français et russes, trouva naturellement sa place dans la grande salle. Fable, lampes, chaises en complétaient l’ameublement, et les parois furent ornées des cartes de la Dobryna.

On a dit que le rideau de feu, qui masquait la baie antérieure de la principale excavation, la chauffait et l’éclairait à la fois. Cette cataracte de laves se précipitait dans un petit bassin encadré d’une bordure de récifs, et qui ne semblait avoir aucune communication avec la mer. C’était évidemment l’ouverture d’un précipice très profond, dont les eaux seraient sans doute maintenues à l’état liquide par les matières éruptives, même lorsque le froid aurait glacé toute la mer Gallienne. Une seconde excavation, située au fond, à gauche de la salle commune, devint la chambre spéciale du capitaine Servadac et du comte Timascheff. Le lieutenant Procope et Ben-Zouf occupaient ensemble une sorte de retrait, évidé dans la roche, qui s’ouvrait à droite, et on trouva même un réduit en arrière, dont on fit une véritable chambrette pour la petite Nina. Quant aux matelots russes et aux Espagnols, ils établirent leurs couches dans les galeries qui aboutissaient à la grande salle, et que la chaleur de la cheminée centrale rendait parfaitement habitables. Le tout constituait Nina-Ruche. La petite colonie, ainsi casée, pouvait donc attendre sans crainte le long et rude hiver qui allait la séquestrer dans le massif de la Terre-Chaude. Elle y devait impunément supporter une température qui, au cas où Gallia se verrait entraînée jusqu’à l’orbite de Jupiter, ne serait plus que la vingt-cinquième partie de la température terrestre.

Mais, pendant les préparatifs de déménagement, et au milieu de cette activité fébrile qui dévora même les Espagnols, que devenait Isac Hakhabut, demeuré au mouillage de l’île Gourbi?

Isac Hakhabut, toujours incrédule, sourd à toutes les preuves que, par humanité, on avait accumulées pour vaincre sa méfiance, était resté abord de sa tartane, veillant sur sa marchandise comme un avare sur son trésor, grommelant, gémissant, regardant à l’horizon, mais en vain, si quelque navire ne se présenterait pas en vue de l’île Gourbi. On était, d’ailleurs, débarrassé de sa vilaine figure à Nina-Ruche, et on ne s’en plaignait pas. – Isac avait formellement déclaré qu’il ne livrerait sa marchandise que contre argent ayant cours. Aussi, le capitaine Servadac avait-il défendu, en même temps qu’on lui prît quoi que ce soit, qu’on lui achetât quoi que ce fût. On verrait bien si cet entêté céderait devant la nécessité qui le presserait bientôt, et devant la réalité dont il serait convaincu avant peu.

Il était bien évident, du reste, qu’Isac Hakhabut n’admettait en aucune façon la situation redoutable, acceptée par les autres, faite à la petite colonie. Il se croyait toujours sur le sphéroïde terrestre dont un cataclysme avait modifié quelques portions seulement, et il comptait que, tôt ou tard, les moyens lui seraient donnés de quitter l’île Gourbi pour aller reprendre son commerce sur le littoral méditerranéen. Avec sa défiance de tout et tous, il s’imaginait que quelque trame avait été ourdie contre lui pour le dépouiller de son bien. Aussi, ne voulant pas être joué, il repoussait l’hypothèse de cet énorme bloc, détaché de la terre et emporté dans l’espace, et, ne voulant pas être dépouillé, il veillait nuit et jour. Mais, en somme, puisque jusqu’ici tout concluait à l’existence d’un nouvel astre pérégrinant dans le monde solaire – astre habité seulement par les Anglais de Gibraltar et les colons de l’île Gourbi –, Isac Hakhabut avait beau promener sur la ligne d’horizon sa vieille lunette rapiécée comme un tuyau de poêle, il ne voyait aucun navire apparaître, ni aucun trafiquant accourir pour échanger son or contre les richesses de la Hansa.

Cependant, Isac n’avait pas été sans connaître les projets d’hivernage qui allaient être mis à exécution. Tout d’abord, suivant son invariable habitude, il refusa d’y croire. Mais lorsqu’il vit la Dobryna faire de fréquents voyages au sud, emportant les récoltes et les animaux domestiques, il fut bien obligé d’admettre que le capitaine Servadac et ses compagnons se préparaient à quitter l’île Gourbi.

Qu’allait-il donc devenir, ce malheureux Hakhabut, si, en fin de compte, tout ce qu’il refusait de croire était vrai? Comment! il ne serait plus sur la Méditerranée, mais sur la mer Gallienne! Il ne reverrait plus jamais sa bonne patrie allemande! Il ne trafiquerait plus avec ses faciles dupes de Tripoli et de Tunis? Mais c’était sa ruine!

Alors, on le vit quitter plus souvent sa tartane et se mêler aux divers groupes de Russes et d’Espagnols, qui ne lui ménageaient pas les quolibets. Il essaya encore d’amadouer Ben-Zouf en lui offrant quelques prises de tabac, que l’ordonnance refusait «par ordre».

«Non, vieux Zabulon! lui disait-il. Pas une seule prise! C’est la consigne! Tu mangeras ta cargaison, tu la boiras, tu la priseras tout entière et tout seul, Sardanapale!»

Isac Hakhabut, voyant enfin qu’il ne pouvait rien obtenir des «saints», se rapprocha du «Dieu», et, un jour, il se décida à demander lui-même, au capitaine Servadac, si tout cela était bien vrai, estimant qu’un officier français ne voudrait pas tromper un pauvre homme comme lui.

«Eh! oui, mordioux! oui! tout cela est vrai, répondit Hector Servadac, impatienté de tant d’obstination, et vous n’avez que le temps de vous réfugier à Nina-Ruche!

– Que l’Éternel et Mahomet me soient en aide! murmura Isac, faisant cette double invocation en véritable renégat qu’il était.

– Voulez-vous trois ou quatre hommes pour conduire la Hansa au nouveau mouillage de la Terre-Chaude? lui demanda le capitaine Servadac.

– Je voudrais aller à Alger, répondit Isac Hakhabut.

– Je vous répète qu’Alger n’existe plus!

– Par Allah, est-ce possible!

– Pour la dernière fois, voulez-vous nous suivre avec votre tartane à la Terre-Chaude, où nous allons hiverner?

– Miséricorde! C’en est fait de mon bien!

– Vous ne le voulez pas? Eh bien, nous conduirons la Hansa, malgré vous et sans vous, en lieu sûr!

– Malgré moi, monsieur le gouverneur?

– Oui, car je ne veux pas que, par votre stupide entêtement, toute cette précieuse cargaison soit anéantie sans profit pour personne!

– Mais c’est ma ruine!

– Ce serait bien plus sûrement votre ruine, si nous vous laissions faire! répondit Hector Servadac en haussant les épaules. – Et, maintenant, allez au diable!»

Isac Hakhabut retourna vers sa tartane, levant les bras au ciel et protestant contre l’incroyable rapacité des hommes «de la mauvaise race».

Le 20 mars, les travaux de l’île Gourbi étaient terminés. Il ne restait plus qu’à partir. Le thermomètre était descendu, en moyenne, à huit degrés au-dessous de zéro. L’eau de la citerne n’offrait plus une seule molécule liquide. Il fut donc convenu que, le lendemain, tous s’embarqueraient sur la Dobryna et quitteraient l’île, pour se réfugier à Nina-Ruche. On convint également d’y conduire la tartane, malgré toutes les protestations de son propriétaire. Le lieutenant Procope avait déclaré que si la Hansa restait mouillée au port du Chéliff, elle ne saurait résister à la pression des glaces et serait immanquablement brisée. A la crique de la Terre-Chaude, mieux protégée, elle serait plus en sûreté, et, en tout cas, s’y trouvât-elle en perdition, sa cargaison, du moins, pourrait être sauvée.

C’est pourquoi, quelques instants après que la goélette eut levé l’ancre, la Hansa appareilla aussi, malgré les cris et objurgations d’Isac Hakhabut. Quatre matelots russes s’y étaient embarqués par ordre du lieutenant, et, sa grande antenne déployée, le bateau-boutique, comme disait Ben-Zouf, quitta l’île Gourbi et se dirigea vers le sud.

Ce que furent les invectives du renégat pendant la traversée, et avec quelle insistance il répéta qu’on agissait malgré lui, qu’il n’avait besoin de personne, qu’il n’avait réclamé aucune aide, cela ne peut se dire. Il pleurait, il se lamentait, il geignait – au moins des lèvres –, car il ne pouvait empêcher ses petits yeux gris de lancer certains éclairs à travers ses fausses larmes. Puis, trois heures après, lorsqu’il fut bien amarré dans la crique de la Terre-Chaude, quand il vit en sûreté son bien et lui, quelqu’un qui se fût approché aurait été frappé de la satisfaction non équivoque de son regard, et, en prêtant l’oreille, il l’eût entendu murmurer ces paroles:

«Pour rien, cette fois! Les imbéciles! les idiots! ils m’ont conduit pour rien!»

Tout l’homme était dans ces mots. Pour rien! On lui avait rendu service «pour rien»!

L’île Gourbi était maintenant et définitivement abandonnée des hommes. Il ne restait plus rien sur ce dernier lambeau d’une colonie française, à part les animaux de poil et de plume qui avaient échappé aux traqueurs, et que le froid allait bientôt anéantir. Les oiseaux, après avoir essayé de trouver au loin quelque continent plus propice, étaient revenus à l’île, – preuve incontestable qu’il n’existait ailleurs aucune terre qui les pût nourrir.

Ce jour-là, le capitaine Servadac et ses compagnons prirent solennellement possession de leur nouveau domicile. L’aménagement intérieur de Nina-Ruche plut à tous, et chacun se félicita d’être si confortablement et surtout si chaudement logé. Seul, Isac Hakhabut ne partagea pas la satisfaction commune. Il ne voulut même pas pénétrer dans les galeries du massif et resta à bord de sa tartane.

«Il craint sans doute, dit Ben-Zouf, qu’on ne lui fasse payer son loyer! Mais bah! Avant peu, il sera forcé dans son gîte, ce vieux renard, et le froid le chassera hors de son trou!»

Le soir, on pendit la crémaillère, et un bon repas, dont les mets furent cuits au feu volcanique, rassembla tout ce petit monde dans la grande salle. Plusieurs toasts, dont la cave de la Dobryna fournit les éléments en vins de France, furent portés au gouverneur général et à son «conseil d’administration». Ben-Zouf, naturellement, en prit pour lui une bonne part.

Ce fut très gai. Les Espagnols se signalèrent par leur entrain. L’un prit sa guitare, l’autre ses castagnettes, et tous de chanter en chœur. A son tour, Ben-Zouf fit entendre le célèbre «refrain du zouave», si connu dans l’armée française, mais dont le charme ne peut être apprécié que de ceux qui l’ont entendu exécuter par un virtuose tel que l’ordonnance du capitaine Servadac:

Misti goth dar dar tire lyre:

Flic! floc! flac! lirette, lira!

Far la rira,

Tour tala rire,

Tour la Ribaud,

Ricandeau,

Sans repos, répit, répit repos, ris pot, ripette!

Si vous attrapez mon refrain,

Fameux vous êtes.

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Puis un bal fut improvisé, – le premier, sans doute, qui eût été donné sur Gallia. Les matelots russes essayèrent quelques danses de leur pays, que le public goûta fort, même après les merveilleux fandangos des Espagnols. Un pas, très connu à l’Élysée-Montmartre, fut même exécuté par Ben-Zouf avec autant d’élégance que de vigueur, et valut à l’aimable chorégraphe les sincères compliments de Negrete.

Il était neuf heures, lorsque se termina cette fête d’inauguration. On sentit alors le besoin de prendre l’air, car, les danses et la température aidant, il faisait vraiment chaud dans la grande salle.

Ben-Zouf, précédant ses amis, s’engagea dans la galerie principale qui aboutissait au littoral de la Terre-Chaude. Le capitaine Servadac, le comte Timascheff et le lieutenant Procope les suivaient d’un pas plus modéré, lorsque des cris qui retentirent au-dehors les firent hâter leur marche. Cependant, ce n’étaient point des exclamations provoquées par la terreur, mais bien des bravos, des hurrahs, qui éclataient comme une mousquetade dans cette atmosphère sèche et pure.

Le capitaine Servadac et ses deux compagnons, arrivés à l’orifice de la galerie, aperçurent tout leur monde groupé, sur les roches. Ben-Zouf, la main dirigée vers le ciel, était dans l’attitude de l’extase.

«Ah! monsieur le gouverneur général! Ah! Monseigneur! s’écria l’ordonnance avec un accent de joie qu’on ne saurait rendre.

– Eh bien? qu’y a-t-il? demanda le capitaine Servadac.

– La lune!» répondit Ben-Zouf.

Et, en effet, la lune sortait des brumes de la nuit et apparaissait pour la première fois sur l’horizon de Gallia!

 

 

Chapitre XXII

Qui se termine par une petite expérience assez curieuse de physique amusante

 

a lune! Si c’était la lune, pourquoi avait-elle disparu? Et si elle reparaissait, d’où venait-elle? Jusqu’alors, aucun satellite n’avait accompagné Gallia dans son mouvement de translation autour du soleil. L’infidèle Diane venait-elle donc d’abandonner la terre pour passer au service du nouvel astre?

«Non! c’est impossible, dit le lieutenant Procope. La terre est à plusieurs millions de lieues de nous, et la lune n’a pas discontinué de graviter autour d’elle!

– Eh! nous n’en savons rien, fit observer Hector Servadac. Pourquoi la lune ne serait-elle pas tombée depuis peu dans le centre d’attraction de Gallia, et devenue son satellite?

– Elle se serait déjà montrée sur notre horizon, dit le comte Timascheff, et nous n’aurions pas attendu trois mois avant de la revoir.

– Ma foi! répondit le capitaine Servadac, tout ce qui nous arrive est si étrange!

– Monsieur Servadac, reprit le lieutenant Procope, l’hypothèse que l’attraction de Gallia ait été assez forte pour enlever à la terre son satellite est absolument inadmissible!

– Bon, lieutenant! répondit le capitaine Servadac. Et qui vous dit que le même phénomène qui nous a arrachés au globe terrestre n’a pas, du même coup, dévoyé la lune? Errante alors dans le monde solaire, elle serait venue s’attacher à nous…

– Non, capitaine, non, répondit le lieutenant Procope, et pour une raison sans réplique!

– Et quelle est cette raison?

– C’est que la masse de Gallia étant évidemment inférieure à celle du satellite terrestre, c’est Gallia qui serait devenue sa lune, et non lui qui fût devenu la sienne.

– Je vous accorde cela, lieutenant, reprit Hector Servadac. Mais qui prouve que nous ne sommes pas lune de lune, et que, le satellite terrestre ayant été lancé sur une orbite nouvelle, nous ne l’accompagnons pas dans le monde interplanétaire?

– Tenez-vous beaucoup à ce que je réfute cette nouvelle hypothèse? demanda le lieutenant Procope.

– Non, répondit en souriant le capitaine Servadac, car, en vérité, si notre astéroïde n’était qu’un sous-satellite, il n’emploierait pas trois mois à faire le demi-tour de la lune, et celle-ci nous serait déjà apparue plusieurs fois depuis la catastrophe!»

Pendant cette discussion, le satellite de Gallia, quel qu’il fût, montait rapidement sur l’horizon, – ce qui justifiait déjà le dernier argument du capitaine Servadac. On put donc l’observer avec attention. Les lunettes furent apportées, et bientôt il fut constant que ce n’était pas là l’ancienne Phoebé des nuits terrestres.

En effet, bien que ce satellite parût plus rapproché de Gallia que la lune ne l’est de la terre, il semblait être beaucoup plus petit, et il ne présentait en surface que la dixième partie du satellite terrestre. Ce n’était donc qu’une réduction de lune, qui réfléchissait assez faiblement la lumière du soleil et n’eût pas éteint les étoiles de huitième grandeur. Elle s’était levée dans l’ouest, précisément en opposition avec l’astre radieux, et elle devait être pleine en ce moment. Quant à la confondre avec la lune, ce n’était pas possible. Le capitaine Servadac dut convenir qu’on n’y voyait ni mers, ni rainures, ni cratères, ni montagnes, ni aucun de ces détails qui se dessinent si nettement sur les cartes sélénographiques. Ce n’était plus cette douce figure de la sœur d’Apollon qui, fraîche et jeune selon les uns, vieille et ridée suivant les autres, contemple tranquillement depuis tant de siècles les mortels sublunaires.

Donc, c’était une lune spéciale, et, ainsi que le fit observer le comte Timascheff, très probablement quelque astéroïde que Gallia avait capté en traversant la zone des planètes télescopiques. Maintenant, s’agissait-il de l’une des cent soixante-neuf petites planètes cataloguées à cette époque, ou de quelque autre dont les astronomes n’avaient pas encore connaissance? peut-être le saurait-on plus tard. Il y a tel de ces astéroïdes, à dimensions extrêmement réduites, dont un bon marcheur ferait aisément le tour en vingt-quatre heures. Leur masse, dans ce cas, est donc très inférieure à la masse de Gallia, dont la puissance attractive avait parfaitement pu s’exercer sur un de ces microcosmes en miniature.

La première nuit passée à Nina-Ruche s’écoula sans aucun incident. Le lendemain, la vie commune fut organisée définitivement. «Monseigneur le gouverneur», ainsi que disait emphatiquement Ben-Zouf, n’entendait pas que l’on restât à rien faire. Par-dessus tout, en effet, le capitaine Servadac redoutait l’oisiveté et ses mauvaises conséquences. Les occupations journalières furent donc réglées avec le plus grand soin, et le travail ne manquait pas. Le soin des animaux domestiques constituait une assez grosse besogne. La préparation des conserves alimentaires, la pêche, tandis que la mer était libre encore, l’aménagement des galeries qu’il fallut évider en de certains endroits pour les rendre plus praticables, mille détails enfin qui se renouvelaient sans cesse, ne laissèrent pas un instant les bras oisifs.

Il convient d’ajouter que la plus complète entente régnait dans la petite colonie. Russes et Espagnols s’accordaient parfaitement et commençaient à employer quelques mots de ce français, qui était la langue officielle de Gallia. Pablo et Nina étaient devenus les élèves du capitaine Servadac, qui les instruisait. Quant à les amuser, c’était l’affaire de Ben-Zouf. L’ordonnance leur apprenait non seulement sa langue, mais le parisien, qui est encore plus distingué. Puis il leur promettait de les conduire un jour dans une ville, «bâtie au pied d’une montagne», qui n’avait pas sa pareille au monde et dont il faisait des descriptions enchanteresses. On devine de quelle ville l’enthousiaste professeur voulait parler.

Une question d’étiquette fut également réglée à cette époque.

On se souvient que Ben-Zouf avait présenté son capitaine comme le gouverneur général de la colonie. Mais, ne se contentant pas de lui donner ce titre, il le qualifiait de «Monseigneur» à tout propos. Cela finit par agacer particulièrement Hector Servadac, qui enjoignit à son ordonnance de ne plus lui donner cette appellation honorifique.

«Cependant, Monseigneur?… répondait invariablement Ben-Zouf.

– Te tairas-tu, animal!

– Oui, Monseigneur!»

Enfin, le capitaine Servadac, ne sachant plus comment se faire obéir, dit un jour à Ben-Zouf:

«Veux-tu enfin renoncer à m’appeler Monseigneur!

– Comme il vous plaira, Monseigneur, répondit Ben-Zouf.

– Mais, entêté, sais-tu bien ce que tu fais en m’appelant ainsi?

– Non, Monseigneur.

– Ignores-tu ce que veut dire ce mot, que tu emploies sans même le comprendre?

– Non, Monseigneur!

– Eh bien, cela veut dire: «Mon vieux» en latin, et tu manques au respect dû à ton supérieur, quand tu l’appelles mon vieux!»

Et, ma foi, depuis cette petite leçon, l’honorifique qualification disparut du vocabulaire de Ben-Zouf.

Cependant, les grands froids n’étaient pas arrivés avec la dernière quinzaine de mars, et, par conséquent, Hector Servadac et ses compagnons ne se séquestrèrent pas encore. Quelques excursions furent même organisées le long du littoral et à la surface de ce nouveau continent. On l’explora dans un rayon de cinq ou six kilomètres autour de la Terre-Chaude. C’était toujours l’horrible désert rocheux, sans trace de végétation. Quelques filets d’eau congelée, ça et là des plaques de neige, provenant des vapeurs condensées dans l’atmosphère, indiquaient l’apparition de l’élément liquide à sa surface. Mais que de siècles, sans doute, se passeraient avant qu’un fleuve eût pu creuser son lit dans ce sol pierreux et rouler ses eaux jusqu’à la mer! Quant à cette concrétion homogène, à laquelle les Galliens avaient donné le nom de Terre-Chaude, était-ce un continent, était-ce une île, s’étendait-elle ou non jusqu’au pôle austral? on ne pouvait le dire, et une expédition à travers ces cristallisations métalliques devait être considérée comme impossible.

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Du reste, le capitaine Servadac et le comte Timascheff purent se former une idée générale de cette contrée, en l’observant un jour du sommet du volcan. Ce mont se dessinait à l’extrémité du promontoire de la Terre-Chaude, et il mesurait environ neuf cents à mille mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer. C’était un énorme bloc, assez régulièrement construit, qui affectait la forme d’un cône tronqué. A la troncature même s’évasait l’étroit cratère par lequel s’épanchaient les matières éruptives que couronnait incessamment un immense panache de vapeurs.

Ce volcan, transporté sur l’ancienne terre, n’eût pas été gravi sans difficultés, sans fatigues. Ses pentes très raides, ses déclivités fort glissantes ne se fussent aucunement prêtées aux efforts des ascensionnistes les plus déterminés. En tout cas, cette expédition eût exigé une grande dépense de forces, et son but n’aurait pas été atteint sans peine. Ici, au contraire, grâce à la sérieuse diminution de la pesanteur et à l’accroissement de la puissance musculaire qui en était la conséquence, Hector Servadac et le comte Timascheff accomplirent des prodiges de souplesse et de vigueur. Un chamois n’eût pas été plus agile à s’élancer d’une roche à l’autre, un oiseau n’aurait pas couru plus légèrement sur ces étroites arêtes qui côtoyaient l’abîme. A peine mirent-ils une heure à s’élever des trois mille pieds qui séparaient du sol la cime de la montagne. Lorsqu’ils arrivèrent sur les bords du cratère, ils n’étaient pas plus fatigués que s’ils eussent marché pendant un kilomètre et demi en suivant une ligne horizontale. Décidément, si l’habitabilité de Gallia présentait certains inconvénients, elle offrait aussi quelques avantages.

De la cime du mont, les deux explorateurs, la lunette aux yeux, purent reconnaître que l’aspect de l’astéroïde restait sensiblement le même. Au nord s’étendait l’immense mer Gallienne, unie comme une glace, car il ne faisait pas plus de vent que si les gaz de l’air eussent été solidifiés par les froids de la haute atmosphère. Un petit point, légèrement estompé dans la brume, marquait la place occupée par l’île Gourbi. A l’est et à l’ouest se développait la plaine liquide, déserte comme toujours.

Vers le sud, au-delà des limites de l’horizon, allait se perdre la Terre-Chaude. Ce bout de continent semblait former un vaste triangle dont le volcan formait le sommet, sans qu’on pût en apercevoir la base. Vu de cette hauteur, qui aurait dû en niveler toutes les aspérités, le sol de ce territoire inconnu ne paraissait pas être praticable. Ces millions de lamelles hexagonales qui le hérissaient l’eussent rendu absolument impropre à la marche d’un piéton.

«Un ballon ou des ailes! dit le capitaine Servadac, voilà ce qu’il nous faudrait pour explorer ce nouveau territoire! Mordioux! Nous sommes emportés sur un véritable produit chimique, aussi curieux, à coup sûr, que ceux qu’on expose sous la vitrine des muséums!

– Vous remarquez, capitaine, dit le comte Timascheff, combien la convexité de Gallia s’accuse rapidement à nos regards, et, par conséquent, combien est relativement courte la distance qui nous sépare de l’horizon?

– Oui, comte Timascheff, répondit Hector Servadac. C’est l’effet, plus agrandi, que j’avais déjà observé du haut des falaises de l’île. Pour un observateur placé à une hauteur de mille mètres sur notre ancienne terre, l’horizon ne se fermerait qu’à une distance plus considérable.

– C’est un bien petit globe que Gallia, si on le compare au sphéroïde terrestre! répondit le comte Timascheff.

– Sans doute, mais il est plus que suffisant pour la population qui l’habite! Remarquez, d’ailleurs, que sa partie fertile se réduit actuellement aux trois cent cinquante hectares cultivés de l’île Gourbi.

– Oui, capitaine, partie fertile pendant deux ou trois mois d’été, et infertile pendant des milliers d’années d’hiver peut-être!

– Que voulez-vous? répondit le capitaine Servadac en souriant. On ne nous a pas consultés avant de nous embarquer sur Gallia, et le mieux est d’être philosophes!

– Non seulement philosophes, capitaine, mais reconnaissants aussi envers Celui dont la main a allumé les laves de ce volcan! Sans cet épanchement des feux de Gallia, nous étions condamnés à périr par le froid.

– Et j’ai le ferme espoir, comte Timascheff, que ces feux ne s’éteindront pas avant la fin…

– Quelle fin, capitaine?

– Celle que Dieu voudra! Lui sait, et il n’y a que Lui qui sache!»

Le capitaine Servadac et le comte Timascheff, après avoir jeté un dernier regard sur le continent et la mer, songèrent à redescendre. Mais, auparavant, ils voulurent observer le cratère du volcan. Ils remarquèrent, tout d’abord, que l’éruption s’accomplissait avec un calme assez singulier. Elle n’était pas accompagnée de ces fracas désordonnés, de ces tonnerres assourdissants, qui signalent ordinairement les projections de matières volcaniques. Ce calme relatif ne pouvait échapper à l’attention des explorateurs. Il n’y avait même pas bouillonnement de laves. Ces substances liquides, portées à l’état incandescent, s’élevaient dans le cratère par un mouvement continu, et elles s’épanchaient tranquillement, comme le trop-plein d’un paisible lac qui s’enfuit par son déversoir. Que l’on permette cette comparaison: le cratère ne ressemblait point à une bouilloire, soumise à un feu ardent, et dont l’eau s’échappe avec violence; c’était plutôt une cuvette, emplie jusqu’aux bords, qui se déversait sans effort et presque sans bruit. Aussi, point d’autres matières éruptives que ces laves, point de jets de pierres ignées à travers les volutes fuligineuses qui couronnaient la cime du mont, point de cendres mêlées à ces fumées, – ce qui expliquait pourquoi la base de la montagne n’était pas semée de ces pierres ponces, de ces obsidiennes et autres minéraux d’origine plutonienne, qui parsèment le sol aux approches des volcans. Il ne se voyait pas non plus un seul bloc erratique, puisque aucun glacier n’avait pu se former encore.

Cette particularité, ainsi que le fit observer le capitaine Servadac, était de bon augure et permettait de croire à l’infinie continuation de l’éruption volcanique. La violence, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, est exclusive de la durée. Les orages les plus terribles, aussi bien que les emportements les plus excessifs, ne se prolongent jamais. Ici, cette eau de feu coulait avec tant de régularité, s’épanchait avec tant de calme, que la source qui l’alimentait semblait devoir être intarissable. En présence des chutes du Niagara, dont les eaux d’amont glissent si paisiblement sur le trapp de leur lit, la pensée ne vient pas qu’elles puissent s’arrêter jamais dans leur course. Au sommet de ce volcan, l’effet était le même, et la raison eût refusé d’admettre que ces laves ne dussent pas éternellement déborder de leur cratère.

Ce jour-là, un changement se produisit dans l’état physique de l’un des éléments de Gallia; mais il faut constater qu’il fut l’œuvre des colons eux-mêmes.

En effet, toute la colonie étant installée à Terre-Chaude, après l’entier déménagement de l’île Gourbi, il parut convenable de provoquer la solidification de la surface de la mer Gallienne. Les communications avec l’île seraient alors possibles sur les eaux glacées, et les chasseurs verraient par là même s’agrandir leur terrain de chasse. Donc, ce jour-là, le capitaine Servadac, le comte Timascheff et le lieutenant Procope réunirent toute la population sur un rocher qui dominait la mer à l’extrémité même du promontoire.

Malgré l’abaissement de la température, la mer était liquide encore. Cette circonstance était due à son absolue immobilité, car pas un souffle d’air n’en troublait la surface. Dans ces conditions, on le sait, l’eau peut, sans se congeler, supporter un certain nombre de degrés au-dessous de zéro. Un simple choc, il est vrai, suffit à la faire prendre subitement.

La petite Nina et son ami Pablo n’avaient eu garde de manquer au rendez-vous.

«Mignonne, dit le capitaine Servadac, saurais-tu bien lancer un morceau de glace dans la mer?

– Oh oui! répondit la petite fille, mais mon ami Pablo le jetterait bien plus loin que moi.

– Essaie tout de même», reprit Hector Servadac, en mettant un petit fragment de glace dans la main de Nina.

Puis, il ajouta:

«Regarde bien, Pablo! Tu vas voir quelle petite fée est notre petite Nina!»

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Nina balança deux ou trois fois sa main et lança le morceau de glace, qui tomba dans l’eau calme…

Aussitôt une sorte d’immense grésillement se fit entendre, qui se propagea jusqu’au-delà des limites de l’horizon.

La mer Gallienne venait de se solidifier sur sa surface tout entière!

 

 

Chapitre XXIII

Qui traite d’un événement de haute importance, lequel met en émoi toute la colonie gallienne

 

u 23  mars, trois heures après le coucher du soleil, la lune se leva sur l’horizon opposé, et les Galliens purent voir qu’elle entrait déjà dans son dernier quartier.

Ainsi, en quatre jours, le satellite de Gallia était passé de syzygie en quadrature, ce qui lui assignait une période de visibilité d’une semaine environ, et, par conséquent, des lunaisons de quinze à seize jours. Donc, pour Gallia, les mois lunaires avaient diminué de moitié comme les jours solaires.

Trois jours plus tard, le 26, la lune entrait en conjonction avec le soleil et disparaissait dans son irradiation.

«Reviendra-t-elle?» dit Ben-Zouf, qui, pour avoir le premier signalé ce satellite, s’y intéressait de tout cœur.

Et vraiment, après tant de phénomènes cosmiques, dont la cause échappait encore aux Galliens, l’observation du brave Ben-Zouf n’était pas absolument oiseuse.

Le 26, le temps étant très pur, l’atmosphère très sèche, le thermomètre tomba à douze degrés centigrades.

A quelle distance Gallia se trouvait-elle alors du soleil? Quel chemin avait-elle parcouru sur son orbite depuis la date indiquée au dernier document trouvé en mer? Aucun des habitants de la Terre-Chaude n’eût pu le dire. La diminution apparente du disque solaire ne pouvait plus servir de base à un calcul, même approximatif. Il était à regretter que le savant anonyme n’eût pas adressé de nouvelles notices donnant le résultat de ses dernières observations. Le capitaine Servadac regrettait tout particulièrement que cette correspondance singulière avec un de ses compatriotes – il s’obstinait à le regarder comme tel – n’eût pas eu de suites.

«Après cela, dit-il à ses compagnons, il est bien possible que notre astronome ait continué à nous écrire… par étuis ou par barils, mais que ni les uns ni les autres ne soient arrivés à l’île Gourbi ou à la Terre-Chaude! Et maintenant que la mer est prise, adieu tout espoir de recevoir la moindre lettre de cet original!»

En effet, on le sait, la mer était entièrement congelée. Cette substitution de l’état solide à l’état liquide s’était opérée par un temps magnifique, et à un moment où pas un souffle d’air ne troublait les eaux galliennes. Aussi, leur surface solidifiée était-elle absolument unie, comme eût été celle d’un lac ou d’un bassin du Club des patineurs. Pas une intumescence, pas une boursouflure, pas une crevasse! C’était une glace pure, sans une érosion, sans un seul défaut, qui s’étendait par-delà les limites de l’horizon.

Quelle différence avec l’aspect que présentent ordinairement les mers polaires aux abords de la banquise! Là, tout n’est qu’icebergs, hummocks, glaçons accumulés les uns sur les autres et exposés aux plus capricieuses ruptures d’équilibre. Les ice-fields ne sont, à vrai dire, qu’une agglomération de morceaux de glace irrégulièrement ajustés, d’éboulis que le froid maintient dans les positions les plus bizarres, de montagnes à base fragile, qui dominent les plus hautes mâtures des baleiniers.

Rien n’est stable sur ces océans arctiques ou antarctiques, rien n’est immuable, la banquise n’est pas coulée en bronze, et un coup de vent, une modification de la température, y produisent des changements à vue d’un effet saisissant. Ce n’est donc qu’une succession de féeriques décors. Ici, au contraire, la mer Gallienne était définitivement fixée, et plus nettement encore qu’à l’époque où elle offrait une surface sensible à la brise. L’immense plaine blanche était plus unie que les plateaux du Sahara ou les steppes de la Russie, et pour longtemps sans doute. Sur les eaux emprisonnées de la mer, cette cuirasse, s’épaississant avec l’aggravation des froids, garderait sa rigidité jusqu’au dégel… si le dégel devait jamais se produire!

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Les Russes étaient habitués aux phénomènes de congélation des mers du Nord, qui offrent l’aspect d’un champ irrégulièrement cristallisé. Ils ne considérèrent donc pas sans surprise cette mer Gallienne, plane comme un lac, – ni sans satisfaction, non plus, car le champ de glace, parfaitement poli, se prêtait merveilleusement aux exercices du patinage. La Dobryna possédait un assortiment de patins, qui furent mis à la disposition des amateurs. Les amateurs affluèrent. Les Russes donnèrent des leçons aux Espagnols, et bientôt, pendant ces beaux jours, par ces froids vifs mais supportables en l’absence de tout vent, il n’y eut pas un Gallien qui ne s’exerçât à décrire les courbes les plus élégantes. La petite Nina et le jeune Pablo firent merveille et recueillirent force bravos. Le capitaine Servadac, adroit à tout exercice de gymnastique, devint bientôt l’égal de son professeur le comte Timascheff. Ben-Zouf, lui-même, accomplit des prodiges, ayant d’ailleurs plus d’une fois patiné déjà sur l’immense bassin de la place Montmartre, «une mer, quoi!»

Ce genre d’exercice, très hygiénique par lui-même, devint en même temps une utile distraction pour les habitants de la Terre-Chaude. Le cas échéant, il pouvait aussi être un moyen de rapide locomotion. Et en effet, le lieutenant Procope, l’un des meilleurs patineurs de Gallia, fit plus d’une fois le trajet de la Terre-Chaude à l’île Gourbi, c’est-à-dire une dizaine de lieues, dans l’espace de deux heures.

«Voilà qui remplacera à la surface de Gallia les chemins de fer de l’ancien monde, disait le capitaine Servadac. Au surplus, le patin n’est pas autre chose qu’un rail mobile, fixé au pied du voyageur!»

Cependant, la température s’abaissait progressivement, et la moyenne du thermomètre était de quinze à seize degrés centigrades au-dessous de zéro. En même temps que la chaleur, la lumière diminuait aussi, comme si le disque solaire eût été indéfiniment masqué par la lune dans une éclipse partielle. Une sorte de demi-teinte se répandait sur tous les objets et ne laissait pas d’impressionner tristement le regard. C’étaient là des causes d’une sorte d’assombrissement moral, contre lesquelles il convenait de réagir. Comment, aussi, ces exilés du globe terrestre n’auraient-ils pas songé à la solitude qui s’était faite autour d’eux, si étroitement mêlés jusqu’alors au mouvement humain? Comment auraient-ils oublié que la terre, gravitant déjà à des millions de lieues de Gallia, s’en éloignait toujours? Pouvaient-ils supposer qu’ils la reverraient jamais, puisque ce bloc, détaché d’elle, s’enfonçait de plus en plus dans les espaces interplanétaires? Rien ne prouvait même qu’il n’abandonnerait pas un jour ces espaces, qui sont soumis au pouvoir de l’astre radieux, pour courir le monde sidéral et se mouvoir dans le centre d’attraction de quelque nouveau soleil.

Le comte Timascheff, le capitaine Servadac et le lieutenant Procope étaient évidemment les seuls de la colonie gallienne qui pussent songer à ces éventualités. Toutefois, leurs compagnons, sans pénétrer aussi profondément les secrets et les menaces de l’avenir, subissaient, et comme à leur insu, les effets d’une situation sans précédent dans les annales du monde. Il fallut donc s’ingénier à les distraire, soit en les occupant, soit en les amusant, et l’exercice du patinage fit une heureuse diversion aux monotones travaux de chaque jour.

Lorsqu’on a dit que tous les habitants de la Terre-Chaude prenaient plus ou moins part à ce salutaire exercice, c’était, bien entendu, en exceptant Isac Hakhabut.

En effet, malgré la rigueur de la température, Hakhabut n’avait pas reparu depuis son arrivée de l’île Gourbi. Le capitaine Servadac, ayant rigoureusement défendu de communiquer avec lui, personne n’était allé le voir à la Hansa. Mais une petite fumée, qui s’échappait par le tuyau de la cabine, indiquait que le propriétaire de la tartane demeurait toujours à son bord. Cela devait lui coûter, sans doute, de brûler de son combustible, si peu que ce fût, lorsqu’il aurait pu profiter gratuitement de la chaleur volcanique de Nina-Ruche. Mais il préférait ce surcroît de dépense à l’obligation où il eût été d’abandonner la Hansa pour partager la vie commune. En son absence, qui donc eût veillé sur la précieuse cargaison?

Du reste, la tartane et la goélette avaient été disposées de manière à supporter les fatigues d’un long hivernage. Le lieutenant Procope y avait donné tous ses soins. Solidement affourchées dans la crique, prises maintenant dans leur carapace glacée, elles étaient toutes deux immobiles. Mais on avait eu la précaution, ainsi que le font les hiverneurs des mers arctiques, de tailler la glace en biseau sous leur coque. De cette façon, la masse durcie des eaux se rejoignait sous la quille et ne venait plus exercer sa puissante pression contre les flancs des deux embarcations, avec le risque de les écraser. Si le niveau de l’ice-field s’élevait, la goélette et la tartane s’exhausseraient d’autant; mais, avec le dégel, on pouvait espérer qu’elles retrouveraient la ligne de flottaison convenable à leur élément naturel.

La mer Gallienne était donc maintenant congelée sur toute son étendue, et, dans sa dernière visite à l’île Gourbi, le lieutenant Procope avait pu constater que le champ de glace se développait à perte de vue dans le nord, l’est et l’ouest.

Un seul endroit de ce vaste bassin avait résisté au phénomène de solidification. C’était, au bas de la caverne centrale, cette espèce d’étang sur lequel se déversait la nappe de laves incandescentes. Là, l’eau demeurait absolument libre dans son cadre de roches, et les glaçons, qui tendaient à se former sous l’action du froid, étaient aussitôt dévorés par le feu. L’eau sifflait et se volatilisait au contact des laves, et un bouillonnement continu tenait ses molécules dans une sorte d’ébullition permanente. Cette petite portion de mer, toujours liquide, aurait dû permettre aux pêcheurs d’exercer leur art avec quelque succès. Mais, comme le disait Ben-Zouf, «les poissons y étaient déjà trop cuits pour mordre!»

Pendant les premiers jours d’avril, le temps changea, le ciel se couvrit sans provoquer, cependant, aucun relèvement de la température. C’est que la baisse thermométrique ne tenait pas à un état particulier de l’atmosphère, ni au plus ou moins de vapeurs dont elle était saturée. En effet, il n’en était plus de Gallia comme des contrées polaires du globe, nécessairement soumises à l’influence atmosphérique, et dont les hivers éprouvent certaines intermittences sous l’influence des vents qui sautent d’un point du compas à l’autre. Le froid du nouveau sphéroïde ne pouvait causer d’importantes variations thermométriques. Il n’était dû, en somme, qu’à son éloignement de la source de toute lumière et de toute chaleur, et il irait croissant jusqu’à ce qu’il eût atteint la limite assignée par Fourier aux températures de l’espace.

Ce fut une véritable tempête qui se déclara à cette époque, tempête sans pluie ni neige, mais pendant laquelle le vent se déchaîna avec une incomparable violence. En se précipitant à travers la nappe de feu qui fermait extérieurement la baie de la salle commune, il y produisait les plus étranges effets. Il fallut se garer sévèrement des laves qu’il repoussait à l’intérieur. Mais il n’était pas à craindre qu’il les éteignît. Au contraire, en les saturant d’oxygène, cet ouragan en activait l’incandescence, comme eût fait un immense ventilateur. Quelquefois, tant sa poussée était violente, le rideau liquide se crevait un instant, et un courant froid pénétrait dans la grande salle, mais la déchirure se refermait presque aussitôt, et ce renouvellement de l’air intérieur était plutôt avantageux que nuisible.

Le 4 avril, la lune, nouvellement acquise, avait commencé à se détacher de l’irradiation solaire sous la forme d’un croissant délié. Elle reparaissait donc après une absence de huit jours environ, ainsi que sa révolution, déjà observée, avait pu le faire prévoir. Les craintes, plus ou moins justifiées, que l’on avait eues de ne pas la revoir, ne se réalisèrent donc pas, à l’extrême satisfaction de Ben-Zouf, et le nouveau satellite sembla décidé à faire régulièrement son service bi-mensuel autour de Gallia.

On se souvient que, par suite de la disparition de toute autre terre cultivée, les oiseaux, emportés dans l’atmosphère gallienne, s’étaient réfugiés à l’île Gourbi. Là, ce sol cultivé avait amplement suffi à leur nourriture pendant les beaux jours, et c’était par milliers que, venus de tous les points de l’astéroïde, on les avait vus s’abattre sur l’île.

Mais, avec l’arrivée des grands froids, les champs n’avaient pas tardé à se revêtir de neige, et la neige, bientôt transformée en glace compacte, ne laissait plus la possibilité aux becs les plus solidement emmanchés de pénétrer jusqu’au sol. De là, émigration générale des oiseaux, qui, par instinct, se jetèrent en masse sur la Terre-Chaude.

Ce continent, il est vrai, n’avait aucune nourriture à leur offrir, mais il était habité. Au lieu de fuir la présence de l’homme, les oiseaux s’empressaient alors à la rechercher. Tous les détritus, jetés journellement en dehors des galeries, disparaissaient instantanément, mais il s’en fallait de beaucoup qu’ils suffissent à alimenter ces milliers d’individus de toute espèce. Bientôt même, poussés autant par le froid que par la faim, quelques centaines de volatiles se hasardèrent dans l’étroit tunnel et élirent domicile à l’intérieur de Nina-Ruche.

Il fallut donc recommencer à leur donner la chasse, car la position n’eût plus été tenable. Ce fut une diversion aux occupations quotidiennes, et les chasseurs de la petite colonie ne chômèrent pas. Le nombre de ces oiseaux était si considérable, que ce fut bientôt comme un envahissement. Ils étaient si affamés, et, par conséquent, si rapaces, qu’ils enlevaient des bribes de viande ou des miettes de pain jusque dans les mains des convives de la grande salle. On les poursuivait à coups de pierres, à coups de bâton, à coups de fusil même. Mais ce ne fut qu’après une suite de combats acharnés que l’on parvint à se débarrasser en partie de ces incommodes visiteurs, après que quelques couples eurent été conservés pour le renouvellement de l’espèce.

Ben-Zouf était le grand ordonnateur de ces chasses. Comme il se démenait, comme il criait! De quelles invectives soldatesques il accablait les malheureux volatiles! Combien on en mangea, pendant quelques jours, de ceux qui se distinguaient par leurs qualités comestibles, tels que canards sauvages, pilets, perdrix, bécasses, bécassines, etc.! Il est même à supposer que les chasseurs les tuaient avec une préférence marquée.

Enfin, l’ordre commença à se rétablir dans Nina-Ruche. On ne compta plus enfin qu’une centaine d’intrus, qui nichèrent dans les trous de roche et qu’il n’était pas facile de déloger. Aussi, arriva-t-il que ces intrus finirent par se considérer comme locataires du lieu et n’en laissèrent-ils aucun autre s’y introduire. Il y eut donc comme une trêve des partis qui luttaient pour l’indépendance de leur domicile, et, par tacite transaction, on laissa ces entêtés faire la police de l’habitation. Et comme ils la faisaient! Le malheureux oiseau; égaré dans les galeries, sans droit ni privilège, était vite chassé ou occis par ses impitoyables congénères.

Un jour, le 15 avril, des cris retentirent vers l’orifice de la galerie principale. C’était Nina qui appelait à son secours.

Pablo reconnut sa voix, et, devançant Ben-Zouf, il se hâta d’accourir à l’aide de sa petite amie.

«Viens! viens! criait Nina. Ils veulent me le tuer!»

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Pablo, se précipitant, aperçut une demi-douzaine de gros goélands qui étaient aux prises avec la petite fille. Armé d’un bâton, il se jeta dans la mêlée et parvint à chasser ces rapaces oiseaux de mer, non sans avoir reçu quelques bons coups de bec.

«Qu’as-tu donc, Nina? demanda-t-il.

– Tiens, Pablo!» répondit la petite fille, en montrant un oiseau qu’elle serrait contre sa poitrine.

Ben-Zouf, qui arrivait en ce moment, prit l’oiseau des mains de la petite fille et s’écria:

«C’est un pigeon!»

C’était, en effet, un pigeon, et même un échantillon de l’espèce des pigeons voyageurs, car il avait les ailes légèrement échancrées et tronquées vers leur extrémité.

«Ah! fit soudain Ben-Zouf. De par tous les saints de Montmartre, il a un sac au cou!»

Quelques instants après, le pigeon était entre les mains du capitaine Servadac, et ses compagnons, réunis autour de lui dans la grande salle, le regardaient avidement.

«Voilà des nouvelles de notre savant qui nous arrivent! s’écria le capitaine Servadac. La mer n’étant plus libre, il emploie les oiseaux pour porter ses lettres! Ah! puisse-t-il, cette fois, avoir donné sa signature et surtout son adresse!»

Le petit sac avait été en partie déchiré pendant la lutte du pigeon contre les goélands. Il fut ouvert, et on y trouva une courte notice, laconiquement rédigée et dont voici les termes:

«Gallia.

«Chemin parcouru du 1er mars au 1er avril: 39 700 000 L.

«Distance du soleil: 110 000 000 L.!

«Capté Nérina en passant.

«Vivres vont manquer, et…»

Le reste de la dépêche, déchiré par les coups de bec des goélands, n’était plus lisible.

«Ah! malchance maudite! s’écria le capitaine Servadac. La signature était là, évidemment, et la date, et le lieu d’origine de la notice! Elle est toute en français, cette fois, et c’est bien un Français qui l’a écrite! Et ne pouvoir secourir cet infortuné!»

Le comte Timascheff et le lieutenant Procope retournèrent sur le lieu du combat, espérant retrouver, sur quelque lambeau arraché, un nom, une signature, un indice qui pût les mettre sur la voie!… Leurs recherches furent inutiles.

«Ne saurons-nous donc jamais où se trouve ce dernier survivant de la terre?… s’écria le capitaine Servadac.

– Ah! fit soudain la petite Nina. Mon ami Zouf, vois donc!»

Et, ce disant, elle montrait à Ben-Zouf le pigeon, qu’elle avait soigneusement gardé entre ses deux mains.

Sur l’aile gauche de l’oiseau, on distinguait très nettement l’empreinte d’un timbre humide, et ce timbre portait en exergue ce seul mot, qui disait ce qu’il importait surtout de savoir:

«Formentera.»

 

 

Chapitre XXIV

Dans lequel le capitaine Servadac et le lieutenant Procope apprennent enfin le mot de cette énigme cosmographique

 

ormentera!» s’écrièrent presque à la fois le comte Timascheff et le capitaine Servadac.

Ce nom était celui d’une petite île du groupe des Baléares, situé dans la Méditerranée. Il indiquait d’une façon précise le point qu’occupait alors l’auteur des documents. Mais que faisait là ce Français, et, s’il y était, vivait-il encore?

C’était évidemment de Formentera même que ce savant avait lancé les diverses notices, dans lesquelles il indiquait les positions successives de ce fragment du globe terrestre qu’il nommait Gallia.

En tout cas, le document, apporté par le pigeon, prouvait qu’à la date du 1er avril, soit quinze jours auparavant, il était encore à son poste. Mais, entre cette dépêche et les documents antérieurs, il existait cette différence importante que tout indice de satisfaction y manquait. Plus de «Va bene», d’«all right», de «nil desperandum!» En outre, la dépêche, uniquement rédigée en français, contenait un appel suprême, puisque les vivres allaient manquer à Formentera.

Ces observations furent faites en quelques mots par le capitaine Servadac. Puis:

«Mes amis, ajouta-t-il, nous allons immédiatement courir au secours de cet infortuné…

– Ou de ces infortunés, ajouta le comte Timascheff. – Capitaine, je suis prêt à partir avec vous.

– Il est évident, dit alors le lieutenant Procope, que la Dobryna a passé près de Formentera, lorsque nous avons exploré l’emplacement des anciennes Baléares. Si donc nous n’avons eu connaissance d’aucune terre, c’est que, comme à Gibraltar, comme à Ceuta, il ne reste plus qu’un étroit îlot de tout cet archipel.

– Si petit qu’il soit, cet îlot, nous le retrouverons! répondit le capitaine Servadac. – Lieutenant Procope, quelle distance sépare la Terre-Chaude de Formentera?

– Cent vingt lieues environ, capitaine. Vous demanderai-je comment vous comptez faire ce trajet?

– A pied, évidemment, répondit Hector Servadac, puisque la mer n’est plus libre, mais sur nos patins! N’est-ce pas, comte Timascheff?

– Partons, capitaine, dit le comte, que les questions d’humanité ne trouvaient jamais ni indifférent ni irrésolu.

– Père, dit vivement le lieutenant Procope, je voudrais-te faire une observation, non pour t’empêcher d’accomplir un devoir, mais, au contraire, pour te mettre à même de l’accomplir plus sûrement.

– Parle, Procope.

– Le capitaine Servadac et toi, vous allez partir. Or, le froid est devenu excessif, le thermomètre est à vingt-deux degrés au-dessous de zéro, et il règne une violente brise du sud qui rend cette température insoutenable. En admettant que vous fassiez vingt lieues par jour, il vous faudra six jours pour atteindre Formentera. En outre, des vivres sont nécessaires, non seulement pour vous, mais pour ceux ou celui que vous allez secourir…

– Nous irons le sac au dos, comme deux soldats, répondit vivement le capitaine Servadac, qui ne voulait voir que les difficultés, non les impossibilités d’un pareil voyage.

– Soit, répondit froidement le lieutenant Procope. Mais il faudra nécessairement, à plusieurs reprises, vous reposer en route. Or, le champ de glace est uni, et vous n’aurez pas la ressource de pouvoir tailler une hutte dans un glaçon, à la manière des Esquimaux.

– Nous courrons jour et nuit, lieutenant Procope, répondit Hector Servadac, et, au lieu de six jours, nous n’en mettrons que trois, que deux à atteindre Formentera!

– Soit encore, capitaine Servadac. J’admets que vous arriviez dans ce délai de deux jours, – ce qui est matériellement impossible. Que ferez-vous de ceux que vous trouverez sur l’îlot, succombant au froid et à la faim? Si vous les emportez mourants avec vous, ce sont des morts que vous ramènerez à la Terre-Chaude!»

Les paroles du lieutenant Procope produisirent une impression profonde. Les impossibilités d’un voyage fait dans de telles conditions apparurent clairement aux yeux de tous. Il était évident que le capitaine Servadac et le comte Timascheff, sans abri sur cet immense ice-field, au cas où il surviendrait quelque chasse-neige qui les envelopperait dans ses tourbillons, tomberaient pour ne plus se relever.

Hector Servadac, entraîné par un vif sentiment de générosité, par la pensée du devoir à accomplir, voulait résister à l’évidence. Il s’entêtait contre la froide raison du lieutenant Procope. D’autre part, son fidèle Ben-Zouf n’était pas éloigné de le soutenir, se déclarant prêt à faire signer sa feuille de route avec celle de son capitaine, si le comte Timascheff hésitait à partir.

«Eh bien, comte? demanda Hector Servadac.

– Je ferai ce que vous ferez, capitaine.

– Nous ne pouvons pas abandonner nos semblables, sans vivres, sans abri peut-être!…

– Nous ne le pouvons pas», répondit le comte Timascheff.

Puis, se retournant vers Procope:

«S’il n’existe pas d’autre moyen d’atteindre Formentera que celui que tu repousses, lui dit-il, c’est celui-là que nous emploierons, Procope, et Dieu nous viendra en aide!»

Le lieutenant, absorbé dans sa pensée, ne répondit pas à la demande du comte Timascheff.

«Ah! si nous avions seulement un traîneau! s’écria Ben-Zouf.

– Un traîneau serait facile à construire, répondit le comte Timascheff, mais où trouver des chiens ou des rennes pour le traîner?

– N’avons-nous pas nos deux chevaux, que l’on pourrait ferrer à glace? s’écria Ben-Zouf.

– Ils ne supporteraient pas cette température excessive et tomberaient en route! répondit le comte.

– N’importe, dit alors le capitaine Servadac. Il n’y a pas à hésiter. Faisons le traîneau…

– Il est fait, dit le lieutenant Procope.

– Eh bien, attelons-y…

– Non, capitaine. Nous avons un moteur plus sûr et plus rapide que vos deux chevaux, qui ne résisteraient pas aux fatigues de ce voyage.

– Et c’est?… demanda le comte Timascheff.

– Le vent», répondit le lieutenant Procope.

Le vent, en effet! Les Américains ont su merveilleusement l’utiliser pour leurs traîneaux à voile. Ces traîneaux rivalisent maintenant avec les express des rail-ways dans les vastes prairies de l’Union, et ont obtenu des vitesses de cinquante mètres à la seconde, soit cent quatre-vingts kilomètres à l’heure. Or, le vent, en ce moment, soufflait du sud en grande brise. Il pouvait donc imprimer à ce genre de véhicule une vitesse de douze à quinze lieues à l’heure. Il était donc possible, entre deux levers de soleil sur l’horizon de Gallia, d’atteindre les Baléares, ou, du moins, le seul îlot de l’archipel qui eût survécu à l’immense désastre.

Le moteur était prêt à agir. Bien. Mais Procope avait ajouté que le traîneau était aussi prêt à partir. En effet, le youyou de la Dobryna, long d’une douzaine de pieds, et pouvant contenir cinq à six personnes, n’était-ce pas un traîneau tout fait? Ne suffisait-il pas de lui ajouter deux fausses quilles en fer, qui, soutenant ses flancs, formeraient deux patins sur lesquels il glisserait? Et quel temps fallait-il au mécanicien de la goélette pour ajuster ces deux quilles? Quelques heures au plus. Alors, sur cet ice-field si parfaitement uni, sans un obstacle, sans une bosse, sans même une éraillure, la légère embarcation, enlevée par sa voile et courant vent arrière, ne filerait-elle pas avec une incomparable vitesse? De plus, ce youyou pourrait être recouvert d’une sorte de toit en planche, doublé de forte toile. Il abriterait ainsi ceux qui le dirigeraient à l’aller et ceux qu’il ramènerait au retour. Garni de fourrures, de provisions diverses, de cordiaux, d’un petit fourneau portatif alimenté à l’esprit-de-vin, il serait dans les plus favorables conditions pour atteindre l’îlot et rapatrier les survivants de Formentera.

On ne pouvait rien imaginer de mieux et de plus pratique. Une seule objection était à faire.

Le vent était bon pour pointer au nord, mais quand il faudrait revenir au sud…

«N’importe, s’écria le capitaine Servadac, ne pensons qu’à arriver! Ensuite, nous songerons à revenir!»

D’ailleurs, ce youyou, s’il ne pouvait courir au plus près comme fait une embarcation soutenue contre la dérive par son gouvernail, arriverait peut-être à biaiser avec le vent dans une certaine mesure. Ses quilles de fer, mordant la surface glacée, devaient lui assurer au moins l’allure du largue. Il était donc possible, si le vent ne changeait pas au retour, qu’il pût louvoyer pour ainsi dire et gagner dans le sud. Cela, on le verrait plus tard.

Le mécanicien de la Dobryna, aidé de quelques matelots, se mit aussitôt à l’œuvre. Vers la fin de la journée, le youyou, muni d’une double armature de fer recourbée à l’avant, protégé par un léger toit en forme de roufle, pourvu d’une sorte de godille métallique qui devait le maintenir tant soit peu contre les embardées, garni de provisions, d’ustensiles et de couvertures, était prêt à partir.

Mais, alors, le lieutenant Procope demanda à remplacer le comte Timascheff près du capitaine Servadac. D’une part, le youyou ne devait pas prendre plus de deux passagers, pour le cas où il aurait à ramener plusieurs personnes, et, d’autre part, la manœuvre de la voile aussi bien que la direction à suivre exigeaient la main et les connaissances d’un marin.

Le comte Timascheff insista, cependant, mais, le capitaine Servadac l’ayant instamment prié de le remplacer auprès de ses compagnons, il dut se rendre. Le voyage était plein de périls, en somme. Les passagers du youyou allaient être exposés à mille dangers. Il suffisait d’une tempête un peu violente pour que le fragile véhicule ne pût résister, et, si le capitaine Servadac ne devait pas revenir, le comte Timascheff pouvait seul être le chef naturel de la petite colonie… Il consentit donc à rester.

Quant à céder sa place, le capitaine Servadac ne l’eût pas voulu. C’était, à n’en pas douter, un Français qui réclamait secours et assistance, c’était donc à lui, officier français, de l’assister et de le secourir.

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Le 16 avril, au soleil levant, le capitaine Servadac et le lieutenant Procope s’embarquèrent dans le youyou. Ils dirent adieu à leurs compagnons, dont l’émotion fut grande à les voir prêts à se lancer sur l’immense plaine blanche par un froid qui dépassait vingt-cinq degrés centigrades. Ben-Zouf avait le cœur gros. Les matelots russes et les Espagnols voulurent tous serrer la main du capitaine et du lieutenant. Le comte Timascheff étreignit sur sa poitrine le courageux officier et embrassa son fidèle Procope. Un bon baiser de la petite Nina, dont les grands yeux avaient peine à retenir de grosses larmes, termina cette touchante scène d’adieux. Puis, sous sa voile déployée, le youyou, emporté comme par une immense aile, disparut en quelques minutes au-delà de l’horizon.

La voilure du youyou se composait d’une brigantine et d’un foc. Celui-ci fut «traversé» de manière à porter vent arrière. La vitesse du léger véhicule fut donc excessive, et ses passagers ne l’estimèrent pas à moins de douze lieues à l’heure. Une ouverture ménagée à l’arrière du roufle permettait au lieutenant Procope de passer sa tête bien encapuchonnée, sans trop s’exposer au froid, et, au moyen de la boussole, il pouvait se diriger en droite ligne sur Formentera.

L’allure du youyou était d’une douceur extrême. Il n’éprouvait même pas ce désagréable frémissement, dont les trains ne sont pas exempts sur les chemins de fer les mieux établis. Moins pesant à la surface de Gallia qu’il ne l’eût été à la surface de la terre, il glissait sans éprouver ni roulis ni tangage, et dix fois plus vite qu’il ne l’avait jamais fait dans son élément naturel. Le capitaine Servadac et le lieutenant Procope se croyaient parfois enlevés dans l’air, comme si un aérostat les eût promenés au-dessus de l’ice-field. Mais ils ne quittaient point ce champ glacé, dont la couche supérieure se pulvérisait sous l’armature métallique du youyou, et ils laissaient derrière eux tout un nuage de poussière neigeuse.

Il fut alors aisé de reconnaître que l’aspect de cette mer congelée était partout le même. Pas un être vivant n’animait cette vaste solitude. L’effet était particulièrement triste. Cependant il s’en dégageait une sorte de poésie qui impressionna, chacun suivant son caractère, les deux compagnons de route. Le lieutenant Procope observait en savant, le capitaine Servadac en artiste, ouvert à toute émotion nouvelle. Quand le soleil vint à se coucher, lorsque ses rayons, frappant obliquement le youyou, projetèrent sur sa gauche l’ombre démesurée de ses voiles, lorsqu’enfin la nuit eut brusquement remplacé le jour, ils se rapprochèrent l’un de l’autre, mus par une involontaire attraction, et leurs mains se pressèrent silencieusement.

La nuit fut entièrement obscure, car la lune était nouvelle depuis la veille, mais les constellations brillaient d’un admirable éclat sur le ciel assombri. A défaut de boussole, le lieutenant Procope eût pu certainement se guider sur la nouvelle Polaire, qui resplendissait près de l’horizon. On comprend bien que, quelle que fût la distance qui séparait actuellement Gallia du soleil, cette distance était absolument insignifiante par rapport à l’incommensurable éloignement des étoiles.

Quant à cette distance de Gallia, elle était déjà considérable. La dernière notice l’établissait nettement. C’est à quoi pensait le lieutenant Procope, tandis que le capitaine Servadac, suivant un autre courant d’idées, ne songeait qu’à celui ou à ceux de ses compatriotes auxquels il portait secours.

La vitesse de Gallia le long de son orbite avait diminué de vingt millions de lieues du 1er mars au 1er avril, conformément à la seconde loi de Kepler. En même temps, sa distance au soleil s’était accrue de trente-deux millions de lieues. Elle se trouvait donc à peu près au milieu de la zone parcourue par les planètes télescopiques qui circulent entre les orbites de Mars et de Jupiter. C’est ce que prouvait, d’ailleurs, la prise de ce satellite qui, suivant la notice, était Nérina, l’un des derniers astéroïdes récemment découverts. Ainsi donc, Gallia s’éloignait toujours de son centre attractif, suivant une loi parfaitement déterminée. Or, ne pouvait-on espérer que l’auteur des documents arriverait à calculer cette orbite et à trouver mathématiquement l’époque à laquelle Gallia serait à son aphélie, si toutefois elle suivait un orbe elliptique? Ce point marquerait alors son éloignement maximum, et, à compter de cet instant, elle tendrait à se rapprocher de l’astre radieux. On connaîtrait alors exactement la durée de l’année solaire et le nombre des jours galliens.

Le lieutenant Procope réfléchissait à tous ces inquiétants problèmes, lorsque le retour du jour le surprit brusquement. Le capitaine Servadac et lui tinrent alors conseil. Après calcul, estimant à cent lieues, au moins, la route qu’ils avaient parcourues en droite ligne depuis leur départ, ils résolurent de diminuer là vitesse du youyou. Les voiles furent donc en partie serrées, et, malgré le froid excessif, les deux explorateurs examinèrent la plaine blanche avec la plus scrupuleuse attention.

Elle était absolument déserte. Pas une surélévation de roches n’en altérait la superbe uniformité.

«Ne sommes-nous pas un peu trop dans l’ouest de Formentera? dit le capitaine Servadac, après avoir consulté la carte.

– C’est probable, répondit le lieutenant Procope, car, ainsi que je l’eusse fait en mer, je me suis tenu au vent de l’île. Nous n’avons plus maintenant qu’à laisser porter.

– Faites donc, lieutenant, répondit le capitaine Servadac, et ne perdons pas un instant!»

Le youyou fut manœuvré de manière à présenter le cap au nord-est. Hector Servadac, bravant la bise aiguë, se tenait debout à l’avant. Tout ce qu’il avait de force se concentrait dans son regard. Il ne cherchait pas à apercevoir dans l’air une fumée qui pût trahir la retraite de l’infortuné savant, auquel, très probablement, le combustible manquait comme les vivres. Non! c’était le sommet de quelque îlot émergeant de l’ice-field, qu’il essayait de découvrir sur la ligne de l’horizon.

Soudain l’œil du capitaine Servadac s’anima, et sa main se tendit vers un point de l’espace.

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«Là! là!» s’écria-t-il.

Et il montrait une sorte de construction en charpente qui faisait saillie sur la ligne circulaire tracée entre le ciel et le champ de glace.

Le lieutenant Procope avait saisi sa lunette.

«Oui! répondit-il, là!… là!… C’est un pylône qui servait à quelque opération géodésique!»

Le doute n’était plus possible! La voile fut éventée, et le youyou, qui ne se trouvait pas à plus de six kilomètres du point signalé, s’enleva avec une prodigieuse vitesse.

Le capitaine Servadac et le lieutenant Procope, dominés par l’émotion, n’auraient pu prononcer une seule parole. Le pylône grandissait rapidement à leurs yeux, et bientôt ils virent un amas de roches basses que ce pylône dominait, et dont l’agglomération faisait tache sur le tapis blanc de l’ice-field.

Ainsi que l’avait pressenti le capitaine Servadac, aucune fumée ne s’élevait de l’îlot. Or, par ce froid intense, il ne fallait plus se faire d’illusion. C’était, sans doute, un tombeau vers lequel le youyou courait à toutes voiles.

Dix minutes après, un kilomètre environ avant d’arriver, le lieutenant Procope serra sa brigantine, car l’élan du youyou devait suffire à le porter jusqu’aux roches.

Alors, une émotion, plus vive encore, serra au cœur le capitaine Servadac.

Au sommet du pylône, le vent tordait un lambeau d’étamine bleue… C’était tout ce qui restait du pavillon de la France!

Le youyou vint heurter les premières roches. L’îlot n’avait pas un demi-kilomètre de tour. De Formentera, de l’archipel des Baléares, il n’existait pas d’autres vestiges.

Au pied du pylône s’élevait une misérable cabane de bois, dont les volets étaient hermétiquement fermés.

S’élancer sur les roches, escalader les pierres glissantes, atteindre la cabane, le capitaine Servadac et le lieutenant Procope ne mirent à cela que la durée d’un éclair.

Hector Servadac heurta du poing la porte de la cabane, qui était barrée intérieurement.

Il appela. Pas de réponse.

«A moi, lieutenant!» dit le capitaine Servadac.

Et tous deux, appuyant vigoureusement de l’épaule, firent sauter la porte à demi vermoulue.

Dans l’unique chambre de la cabane, l’obscurité était complète, le silence absolu.

Ou le dernier habitant de cette chambre l’avait abandonnée, ou il y était, mais mort.

Les volets furent repoussés et le jour se fit.

Dans l’âtre froid de la cheminée, il n’y avait rien, si ce n’est la cendre d’un feu éteint.

Dans un coin, un lit. Sur ce lit, un corps étendu.

Le capitaine Servadac s’approcha, et un cri s’échappa de sa poitrine.

«Mort de froid! Mort de faim!»

Le lieutenant Procope se pencha sur le corps de l’infortuné.

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«Il vit!» s’écria-t-il.

Et, ouvrant un flacon que remplissait un énergique cordial, il en introduisit quelques gouttes entre les lèvres du mourant.

Un léger soupir se fit entendre, et il fut presque aussitôt suivi de ces quelques mots, dits d’une voix faible:

«Gallia?

– Oui!.. oui!.. Gallia!.. répondit le capitaine Servadac, et c’est…

– C’est ma comète, à moi, ma comète!»

Puis, ce mot prononcé, le moribond retomba dans un profond engourdissement, tandis que le capitaine Servadac se disait:

«Mais je connais ce savant! Où l’ai-je donc rencontré déjà?»

Le soigner, le sauver de la mort, dans cette cabane où toute ressource manquait, il n’y fallait pas songer. La décision d’Hector Servadac et du lieutenant Procope fut rapidement prise. En quelques instants, le moribond, ses quelques instruments de physique et d’astronomie, ses vêtements, ses papiers, ses livres et une vieille porte qui lui servait de tableau noir pour ses calculs, eurent été transportés dans le youyou.

Le vent, qui avait heureusement tourné de trois quarts, était presque favorable. On en profita, on mit à la voile, et le seul roc qui restât des îles Baléares fut abandonné.

Le 19 avril, trente-six heures après, sans que le savant eût ouvert les yeux ou dit une parole, il était déposé dans la grande salle de Nina-Ruche, et les colons accueillaient par des hurrahs les deux hardis compagnons, dont ils avaient attendu si impatiemment le retour.

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