L’EXPÉRIENCE annoncée par le vieil overman avait réussi. L’hydrogène protocarboné, on le sait, ne se développe que dans les gisements houillers. Donc, l’existence d’un filon du précieux combustible ne pouvait être mise en doute. Quelles étaient son importance et sa qualité ? on les déterminerait plus tard.
Telles furent les conséquences que l’ingénieur déduisit du phénomène qu’il venait d’observer. Elles étaient en tout conformes à celles qu’en avait déjà tirées Simon Ford.
« Oui, se dit James Starr, derrière cette paroi s’étend une couche carbonifère que nos sondages n’ont pas su atteindre ! Cela est fâcheux, puisque tout l’outillage de la mine abandonnée depuis dix ans, est maintenant à refaire ! N’importe ! Nous avons retrouvé la veine que l’on croyait épuisée, et, cette fois, nous l’exploiterons jusqu’au bout !
— Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de notre découverte ? Ai-je eu tort de vous déranger ? Regrettez-vous cette dernière visite faite à la fosse Dochart ?
— Non, non, mon vieux compagnon ! répondit James Starr. Nous n’avons pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne retournions immédiatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici. Nous ferons éclater cette paroi à coups de dynamite. Nous mettrons au jour l’affleurement du nouveau filon, et, après une série de sondages, si la couche paraît être importante, je reconstituerai une Société de la Nouvelle Aberfoyle, à l’extrême satisfaction des anciens actionnaires ! Avant trois mois, il faut que les premières bennes de houille aient été extraites du nouveau gisement !
— Bien parlé, monsieur James ! s’écria Simon Ford. La vieille houillère va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie ! L’animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche, les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des machines ! Je reverrai donc tout cela, moi ! J’espère, monsieur James, que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions d’overman ?
— Non, brave Simon, non, certes ! vous êtes resté plus jeune que moi, mon vieux camarade !
— Et, que saint Mungo nous protège ! vous serez encore notre « viewer » ! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues années, et fasse le Ciel que j’aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin ! »
La joie du vieux mineur débordait. James Starr la partageait tout entière, mais il laissait Simon Ford s’enthousiasmer pour deux.
Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la succession des circonstances singulières, inexplicables, au milieu desquelles s’était opérée la découverte du nouveau gisement. Cela ne laissait pas de l’inquiéter pour l’avenir.
Une heure après, James Starr et ses deux compagnons étaient de retour au cottage.
L’ingénieur soupa avec grand appétit, approuvant du geste tous les plans que développait le vieil overman, et, n’eût été son impérieux désir d’être au lendemain, jamais il n’aurait mieux dormi que dans ce calme absolu du cottage.
Le lendemain, après un déjeuner substantiel, James Starr, Simon Ford, Harry et Madge elle-même reprenaient le chemin déjà parcouru la veille. Tous allaient là en véritables mineurs. Ils emportaient divers outils et des cartouches de dynamite, destinées à faire sauter la paroi terminale. Harry, en même temps qu’un puissant fanal, prit une grosse lampe de sûreté qui pouvait brûler pendant douze heures. C’était plus qu’il ne fallait pour opérer le voyage d’aller et de retour, en y comprenant les haltes nécessaires à l’exploration, — si une exploration devenait possible.
« A l’œuvre ! » s’écria Simon, lorsque ses compagnons et lui furent arrivés à l’extrémité de la galerie.
Et sa main saisit une lourde pince qu’elle brandit avec vigueur.
« Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne s’est produit et si le grisou fuse toujours à travers les feuillets de la paroi.
— Vous avez raison, monsieur Starr, répondit Harry. Ce qui était bouché hier pourrait bien l’être encore aujourd’hui ! »
Madge, assise sur une roche, observait attentivement l’excavation et la muraille qu’il s’agissait d’éventrer.
Il fut constaté que les choses étaient telles qu’on les avait laissées. Les fissures des feuillets n’avaient subi aucune altération. L’hydrogène protocarboné fusait au travers, mais assez faiblement. Cela tenait sans doute à ce que, depuis la veille, il trouvait un libre passage pour s’épancher. Toutefois, cette émission était si peu importante, qu’elle ne pouvait former avec l’air intérieur un mélange détonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir procéder en toute sécurité. D’ailleurs, cet air se purifierait peu à peu, en gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu dans toute cette atmosphère, ne pourrait plus produire aucune explosion.
« A l’œuvre, donc ! » reprit Simon Ford.
Et bientôt, sous sa pince, vigoureusement maniée, la roche ne tarda pas à voler en éclats.
Cette faille se composait principalement de poudingues, interposés entre le grès et le schiste, tels qu’il s’en rencontre le plus souvent à l’affleurement des filons carbonifères.
James Starr ramassait les morceaux que l’outil abattait, et il les examinait avec soin, espérant y découvrir quelque indice de charbon.
Ce premier travail dura environ une heure. Il en résulta un évidement assez profond dans la paroi terminale.
James Starr choisit alors l’emplacement où devaient être forés les trous de mine, travail qui s’accomplit rapidement sous la main d’Harry avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent introduites dans ces trous. Dès qu’on y eut placé la longue mèche goudronnée d’une fusée de sûreté, qui aboutissait à une capsule de fulminate, elle fut allumée au ras du sol. James Starr et ses compagnons se mirent à l’écart.
« Ah ! monsieur James, dit Simon Ford, en proie à une véritable émotion qu’il ne cherchait pas à dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux cœur n’a battu si vite ! Je voudrais déjà attaquer le filon !
— Patience, Simon, répondit l’ingénieur, vous n’avez pas la prétention de trouver derrière cette paroi une galerie tout ouverte ?
— Excusez-moi, monsieur James, répondit le vieil overman. J’ai toutes les prétentions possibles ! S’il y a eu bonne chance dans la manière dont Harry et moi nous avons découvert ce gîte, pourquoi cette chance ne continuerait-elle pas jusqu’au bout ? »
L’explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea à travers le réseau des galeries souterraines.
James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussitôt vers la paroi de la caverne.
« Monsieur James ! monsieur James ! s’écria le vieil overman. voyez ! La porte est enfoncée !... »
Cette comparaison de Simon Ford était justifiée par l’apparition d’une excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.
Harry allait s’élancer par l’ouverture...
L’ingénieur, extrêmement surpris, d’ailleurs, de trouver là cette cavité, retint le jeune mineur.
« Laisse le temps à l’air intérieur de se purifier, dit-il.
— Oui ! gare aux mofettes ! » s’écria Simon Ford.
Un quart d’heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, placé au bout d’un bâton, fut alors introduit dans l’excavation et continua de brûler avec un inaltérable éclat.
« Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons. » L’ouverture produite par la dynamite était plus que suffisante pour qu’un homme pût y passer.
Harry, le fanal à la main, s’y introduisit sans hésiter et disparut dans les ténèbres.
James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.
Une minute — qui leur parut bien longue — s’écoula. Harry ne reparaissait pas, il n’appelait pas. En s’approchant de l’orifice, James Starr n’aperçut même plus la lueur de sa lampe, qui aurait dû éclairer cette sombre cavité.
Le sol avait-il donc manqué subitement sous les pieds d’Harry ? Le jeune mineur était-il tombé dans quelque anfractuosité ? Sa voix ne pouvait-elle plus arriver jusqu’à ses compagnons ?
Le vieil overman, ne voulant rien écouter, allait s’introduire à son tour par l’orifice, lorsque parut une lueur, vague d’abord, qui se renforça peu à peu, et Harry fit entendre ces paroles :
« Venez, monsieur Starr ! venez, mon père ! La route est libre dans la Nouvelle-Aberfoyle. »