Jules Verne
CÉSAR CASCABEL
(Chapitre XIII-XV)
85 Dessins de George Roux
12 grandes gravures en chromotypographie
2 grandes cartes en chromolithographie
Bibliothèque D’Éducation et de Récréation
J. Hetzel et Cie
© Andrzej Zydorczak
Une longue journée
e gouvernement de Perm est achevalé sur l’échine de l’Oural, un pied en Asie, un pied en Europe. Il est délimité comme suit: le gouvernement de Vologdia au nord-ouest, celui de Tobolsk à l’est, celui de Viatka à l’ouest, celui d’Orenbourg au sud. Aussi, grâce à cette disposition, sa population est-elle curieusement mélangée de types asiatiques et européens.
Perm, la capitale, est une ville de six mille habitants, située sur la Kama, et qui fait un important commerce de métaux. Ce n’était qu’un simple bourg, avant le XVIIIe siècle. Mais, après avoir été enrichi par la découverte d’une mine de cuivre en 1723, le bourg fut déclaré ville en 1781.
Justifie-t-elle au moins cette dernière qualification? À peine, en vérité! Point de monuments, des rues étroites et sales pour la plupart, des maisons peu confortables, des hôtels, dont il ne paraît pas que les voyageurs aient jamais imaginé de faire l’éloge.
En somme, la question d’édilité importait peu à la famille Cascabel. Est-ce que sa maison roulante ne lui paraissait pas préférable à toute autre? Elle ne l’eût changée ni pour l’hôtel Saint-Nicolas de New-York, ni pour le Grand-Hôtel de Paris.
«Pensez donc! répétait-il. La Belle-Roulotte est venue de Sacramento à Perm!… Rien que cela, s’il vous plaît!… Montrez-moi donc un de vos hôtel de Paris, de Londres, de Vienne ou de New-York, qui en ait jamais fait autant!»
Que voulez-vous répondre à des arguments de ce genre?
Donc, ce jour-là, Perm s’était accrue d’une maison, au beau milieu de sa grande place, avec l’autorisation du gouverneur civil – personnage dont les fonctions équivalent à celles de préfet d’un département de la France. Ce personnage n’avait rien trouvé de suspect dans les papiers concernant la troupe Cascabel.
Dès l’arrivée de la Belle-Roulotte, la curiosité s’en était mêlée. Des saltimbanques français, qui venaient du fond de l’Amérique, avec une voiture traînée par un attelage de rennes!… Aussi l’habile directeur comptait-il tirer grand profit de l’empressement du public.
Précisément, la foire de Perm battait son plein et devait durer quelques jours encore. Il y avait donc là quelques fructueuses recettes assurées. Mais il ne fallait pas perdre de temps, puisqu’il s’agissait de gagner – à Perm d’abord, à Nijni ensuite, – l’argent nécessaire au retour en France. Plus tard, on verrait. À la grâce de Dieu, qui, d’ailleurs, s’était toujours montré extrêmement gracieux pour la famille Cascabel.
Il s’ensuit donc que tout le monde fut sur pied de grand matin.
Jean, Sandre, Clou et les deux matelots russes rivalisèrent de bonne volonté en s’occupant des préparatifs de la représentation. Quant à M. Serge, il n’était pas revenu comme il l’avait promis – ce qui contrariait vivement Ortik et ne laissait pas d’inquiéter M. Cascabel.
Dès la première heure, cette représentation avait été annoncée par l’affiche que voici – affiche écrite en russe et en gros caractères sous la dictée de M. Serge.
FAMILLE CASCABEL
TROUPE FRANÇAISE, RETOUR D’AMÉRIQUE,
GYMNASTIQUE, JONGLERIES, ÉQUILIBRISME, EXERCICES DE FORCE
ET D’ADRESSE, DANSES, GRÂCES ET SÉDUCTIONS
M. CASCABEL, premier hercule en tous genre.
Mme CASCABEL, première lutteuse en tous genres, grand prix au Concours international de Chicago.
M. JEAN, équilibriste en tous genres.
M. SANDRE, clown en tous genres.
Mlle NAPOLÉONE, danseuse en tous genres.
M. CLOU-DE-GIROFLE, paillasse en tous genres.
JAKO, perroquet en tous genres.
JOHN BULL, singe en tous genres.
WAGRAM et MARENGO, chiens en tous genres.
GRANDE ATTRACTION
LES BRIGANDS DE LA FORÊT NOIRE.
pantomime avec fiançailles, mariage, surprises et dénouement.
Immense succès consacré par trois mille cent soixante-dix-sept représentations en France et à l’Étranger.
NOTA: Il va sans dire que le langage parlé étant proscrit de cette pantomime et remplacé par des gestes en tous genres, ce chef-d’œuvre de l’art dramatique peut être compris même des personnes atteintes d’une regrettable surdité.
Pour les facilités du public, on pourra entrer gratuitement. Les places ne seront perçues que lorsqu’elles auront été occupées.
Prix: 40 kopeks sans distinction.
Habituellement, M. Cascabel donnait ses représentations en plein air, après avoir tendu une toile circulaire en avant de la Belle-Roulotte. Mais, il se trouvait que la grande place de Perm possédait un cirque en planches, qui servait aux exercices des troupes équestres. Bien que cette bâtisse fût assez délabrée, laissant passer le vent et la pluie, elle était solide encore, et pouvait contenir deux cents à deux cent cinquante spectateurs.
En somme, tel qu’il était, ce cirque convenait mieux que la toile de M. Cascabel. Celui-ci demanda au maire l’autorisation de l’utiliser pendant son séjour dans la ville, et cette autorisation lui fut gracieusement accordée.
Décidément, c’étaient de braves gens, ces Russes – bien qu’il y eût parmi eux des Ortiks et autres bandits de cette espèce! Et en quel pays ne s’en trouve-t-il pas! Quant au cirque de Perm, il ne serait point déshonoré par les représentations qu’allait y donner la troupe Cascabel. Son directeur ne regrettait qu’une chose: c’était que Sa Majesté le czar Alexandre Il ne fût pas de passage en cette cité. Mais, comme il était à Pétersbourg, il eût été difficile qu’il assistât à cette soirée d’inauguration.
Toutefois, une préoccupation de César Cascabel, c’était que son personnel ne fût quelque peu rouillé en matière de culbutes, danses, tours de force et autres jeux. Les exercices, suspendus depuis l’entrée de la Belle-Roulotte dans le défilé de l’Oural, n’avaient pas été repris pendant le reste du voyage. Bah! de vrais artistes ne doivent-ils pas être toujours prêts à briller dans leur art?
Quant à la pièce, il était inutile de la répéter. On l’avait joué si souvent – et sans souffleur – que cela n’était pas pour préoccuper les chefs d’emploi.
Cependant Ortik avait quelque peine à ne point laisser voir l’inquiétude que lui causait l’absence prolongée de M. Serge. L’entrevue de la veille n’ayant pas eu lieu, il avait dû prévenir ses complices que l’affaire était remise de vingt-quatre heures. Aussi se demandait-il pourquoi M. Serge n’avait point reparu à Perm, bien que M. Cascabel eût annoncé son retour dans la soirée?… Était-ce parce qu’il avait dû rester au château de Walska? C’était probable, car il n’y avait pas de doute qu’il y fût allé. Ortik aurait donc dû montrer moins d’impatience. Mais il n’était pas maître de lui, et il ne put se retenir de demander à M. Cascabel s’il avait des nouvelles de M. Serge.
«Aucune, répondit M. Cascabel.
– Je croyais, reprit Ortik, que vous attendiez M. Serge hier soir?…
– En effet, répondit M. Cascabel, et il faut qu’il ait eu quelque empêchement!… Ce serait bien fâcheux, s’il ne pouvait assister à notre représentation!… Ce sera tout simplement merveilleux!… Vous verrez, Ortik!…»
Si M. Cascabel parlait comme un homme qui n’éprouve aucune inquiétude, au fond, il était inquiet et très sérieusement.
La veille, après lui avoir promis d’être de retour avant le jour, M. Serge était parti pour le château de Walska. Six verstes pour aller, six verstes pour revenir, ce n’était rien! Or, puisqu’il n’était pas revenu, trois hypothèses se présentaient: ou M. Serge avait été arrêté avant d’arriver à Walska, ou il y était arrivé, mais l’état du prince Narkine l’avait retenu au château, ou, après être reparti dans la nuit, il avait été arrêté en route. Quant à supposer que les complices d’Ortik fussent parvenus à l’attirer dans quelque piège, ce n’était pas admissible, et, à cette observation qui lui fut faite par Kayette, M. Cascabel répondit:
„Non! ce coquin d’Ortik ne serait pas tourmenté comme il semble l’être!… Il ne m’aurait pas demandé des nouvelles de M. Serge, si ses compagnons l’avaient tenu entre leurs mains!… Ah! le gueux!… Tant que je ne l’aurai pas vu grimacer au bout d’une potence avec son ami Kirschef, il manquera quelque chose à mon bonheur en ce monde!»
M. Cascabel dissimulait donc assez mal ses anxiétés. Aussi, Cornélia, bien qu’elle fût non moins alarmée que son mari, lui disait-elle:
«Voyons, César, un peu de calme!… Tu t’agites trop!… Il faut te faire une raison!
– On ne se fait pas une raison, Cornélia, on se sert de celle qu’on possède, et on raisonne comme on peut! Il est certain que M. Serge devrait être revenu à l’heure qu’il est, et que nous en sommes encore à l’attendre!…
– Soit, César, mais personne ne peut soupçonner qu’il est le comte Narkine.
– Non… personne, en vérité, personne… à moins que…
– Qu’est-ce que cela signifie?… À moins que?… Voilà maintenant que tu te mets à parler comme Clou-de-Girofle!… Qu’entends-tu par là?… Il n’y a que toi et moi à savoir le secret de M. Serge… Crois-tu donc que j’aie pu le trahir?…
– Toi, Cornélia, jamais!… Ni moi!…
– Eh bien, alors…
– Eh bien, il y a à Perm des gens qui ont été autrefois en rapport avec le comte Narkine et ils ont pu le reconnaître!… Cela doit paraître singulier qu’il y ait un Russe dans notre troupe!… Enfin, Cornélia, il est possible que j’exagère, mais l’affection que j’ai pour M. Serge ne me permet pas de rester tranquille!… Il faut que j’aille, que je vienne…
– César, prends garde, à ton tour, d’exciter les soupçons! fit très judicieusement observer Cornélia. Et, surtout, ne va pas te compromettre en interrogeant mal à propos les gens et faire des demandes indiscrètes! Je trouve comme toi que ce retard est fâcheux, et j’aimerais mieux que M. Serge fût ici! Pourtant, je ne mets pas les choses au pis, et je pense qu’il aura été tout bonnement retenu au château de Walska, près du prince Narkine. à présent qu’il fait plein jour, il n’ose pas partir, je le comprends, mais il reviendra dans la nuit prochaine. Ainsi, César, pas de bêtises! Du sang-froid, et songe que tu vas jouer ce rôle de Fracassar, qui est l’un des grands succès de ta carrière!»
On ne pouvait mieux raisonner que cette femme de tant de bon sens, et on ne s’explique guère pourquoi son mari se refusait à lui faire connaître la vérité. Après tout, peut-être n’avait-il pas tort. Qui sait si l’impétueuse Cornélia eût pu se contenir en présence d’Ortik et de Kirschef, lorsqu’elle aurait su ce qu’ils étaient et ce qu’ils méditaient de faire!
M. Cascabel se tut donc, et quitta la Belle-Roulotte, afin de surveiller les détails de son installation au cirque. De son côté, Cornélia, aidée de Kayette et de Napoléone, avait à passer en revue les costumes, les perruques, les accessoires, qui devaient servir à la représentation.
Pendant ce temps, les deux Russes s’occupaient, à les en croire, de régulariser leur situation comme matelots rapatriés, – ce qui nécessitait nombre de courses, pas et démarches.
Tandis que M. Cascabel travaillait avec Clou, nettoyant les banquettes poussiéreuses du cirque, balayant la piste qui devait servir de théâtre, Jean et Sandre transportaient les divers objets et ustensiles indispensables pour les exercices de force et d’adresse. Puis, cela fait, ils auraient à s’occuper de ce que l’imprésario appelait «ses décors entièrement neufs» et dans lesquels «ses artistes incomparables jouaient ce beau drame pantomimique des Brigands de la Forêt noire».
Jean était plus triste que jamais. Il ignorait que M. Serge fût le comte Narkine, un condamné politique, qui ne pouvait rester dans son pays. Pour lui, M. Serge était un riche propriétaire foncier, rentré dans ses domaines, et qui revenait s’y fixer avec sa fille adoptive. Combien sa douleur eût été adoucie, s’il avait su que le séjour de l’empire russe était interdit à M. Serge et qu’il repartirait après avoir revu le prince Narkine, son père; s’il avait pu espérer que M. Serge chercherait refuge en France, et que Kayette y viendrait avec lui! Dans ce cas, la séparation eût été reculée de quelques semaines, et c’étaient quelques semaines à vivre encore l’un près de l’autre!
«Oui! se répétait Jean, M. Serge va rester à Perm… et Kayette y restera avec lui!… Dans quelques jours, nous serons repartis… et je ne la reverrai plus!… Chère petite Kayette, tu seras heureuse dans la maison de M. Serge… et pourtant!…»
Le cœur du pauvre garçon se brisait en songeant à toutes ces choses!
Cependant, vers neuf heures, M. Serge n’avait pas encore reparu à la Belle-Roulotte. Il est vrai, ainsi que l’avait fait observer Cornélia, il ne fallait plus l’attendre que dans la nuit, ou tout au moins à une heure assez avancée pour qu’il ne risquât pas d’être reconnu sur la route.
«Alors, se disait M. Cascabel, il ne pourra même pas assister à notre représentation!… Eh bien, tant mieux!… Je ne le regretterai point!… Elle sera jolie, cette représentation… pour les débuts de la famille Cascabel sur le théâtre de Perm!… Avec tous ces tracas, je perdrai mes moyens!… Je serai détestable dans ce rôle de Fracassar, moi qui emplissais si bien la peau du bonhomme!… Et Cornélia, qui, quoi qu’elle en dise, sera dans ses petits souliers!… Et Jean, qui ne pense qu’à sa petite Kayette!… Et Sandre et Napoléone, qui ont le cœur gros, en songeant qu’ils vont se séparer d’elle!… Ah! mes enfants, quelle veste nous allons endosser ce soir!… Je ne peux guère compter que sur Clou pour soutenir l’honneur de la troupe!»
Et, comme M. Cascabel ne pouvait rester en place, il eut l’idée d’aller aux nouvelles. Dans une ville telle que Perm, on sait rapidement tout ce qui se passe. Les Narkine étaient très connus dans le pays, très aimés aussi… Dans le cas où M. Serge serait tombé entre les mains de la police, le bruit de son arrestation se serait immédiatement répandu… Cette affaire ferait le sujet de tous les entretiens… Et même, le prisonnier serait déjà enfermé à la citadelle de Perm pour y être jugé!
C’est pourquoi M. Cascabel laissa Clou-de-Girofle s’occuper de mettre le cirque en état. Puis il s’en alla errer à travers la ville, le long de la Kama, où les bateliers vaquaient à leurs travaux habituels, dans le haut et le bas quartier, où la population ne paraissait point distraite de ses labeurs quotidiens. Il se mêla aux conversations… il écouta sans en avoir l’air… Rien!… Rien qui eût rapport au comte Narkine!
Cela ne suffisant point à le rassurer, il revint vers la route qui conduit de Perm au village de Walska, par laquelle la police aurait ramené M. Serge si elle se fût emparée de sa personne. Et, toutes les fois qu’il apercevait au loin quelque groupe de passants, il se figurait que c’était le prisonnier, escorté d’un peloton de Cosaques!
Dans le désarroi de ses idées, M. Cascabel ne songeait même plus à sa femme, à ses enfants, à lui-même, si compromis pour le cas où le comte Narkine aurait été arrêté! En effet, il ne serait que trop facile aux autorités d’apprendre dans quelles conditions M. Serge avait pu rentrer sur les territoires russes, et quels étaient les braves gens qui avaient favorisé son retour. Et cela pourrait coûter cher à la famille Cascabel!
Bref, de ces diverses allées et venues de M. Cascabel, de ses stations prolongées sur la route de Walska, il résulta qu’il ne se trouvait point au cirque lorsqu’un homme vint demander à le voir, vers dix heures du matin.
Clou-de-Girofle était seul à ce moment, se démenant au milieu d’un nuage de poussière, qui flottait au-dessus de la piste. Il en sortit en apercevant cet homme qui était tout simplement un moujik. Clou ne connaissant pas plus la langue dudit moujik que ledit moujik ne connaissait la langue de Clou, il leur fut impossible de s’entendre. Aussi Clou ne comprit-il pas un traître mot, lorsque son interlocuteur lui dit qu’il désirait parler à son maître, et qu’il était venu le trouver au cirque avant d’aller à la Belle-Roulotte. Et alors le moujik fit ce qu’il aurait dû faire tout d’abord: il tendit une lettre à l’adresse de M. Cascabel.
Clou comprit, cette fois. Une lettre portant le nom fameux des Cascabel ne pouvait être destinée qu’au chef de la famille… à moins que ce ne fût à Mme Cornélia, ou à M. Jean, ou à M. Sandre, ou à Mlle Napoléone.
Aussi Clou prit-il la lettre, en faisant comprendre par un geste qu’il se chargeait de la remettre à son patron. Puis, il congédia le moujik avec nombre de salutations, mais sans avoir pu savoir d’où il venait et qui l’avait envoyé.
Un quart d’heure après, au moment où Clou se disposait à retourner à la Belle-Roulotte, M. Cascabel parut à l’entrée de la piste, plus énervé, plus anxieux que jamais.
«Monsieur patron? dit Clou.
– Eh bien?…
– J’ai reçu une lettre.
– Une lettre?…
– Oui, une lettre qui vient d’être apportée.
– Pour moi?
– Pour vous.
– Par qui?…
– Par un moujik.
– Un moujik?…
– À moins que ce ne soit pas un moujik!»
M. Cascabel saisit la lettre que lui tendait Clou, et, après avoir reconnu l’écriture de M. Serge sur l’adresse, il devint si pâle que son fidèle serviteur s’écria:
«Monsieur patron, qu’avez-vous?…
– Rien!»
Rien?… Et, pourtant, cet homme si énergique fut sur le point de se laisser choir entre les bras de Clou.
Que disait M. Serge dans cette lettre?… Pourquoi écrivait-il à M. Cascabel?… Évidemment, pour l’informer des motifs qui l’avaient empêché de revenir à Perm pendant la nuit!… Était-il donc en état d’arrestation?…
M. Cascabel ouvrit la lettre, se frotta l’œil droit, puis l’œil gauche, et la lut d’un trait.
Quel cri lui échappa alors – un de ces cris qui sortent des larynx à demi-étranglés! La figure convulsée, les yeux blancs, la face paralysée par une contraction nerveuse, il essayait de parler et ne pouvait articuler un son!…
Clou dut croire que son patron allait périr par suffocation, et il commençait à lui défaire sa cravate…
M. Cascabel se releva d’un bond, et sa chaise, repoussée d’un pied vigoureux, alla retomber sur les dernières banquettes du cirque. Il tournait et retournait, il se démenait, et prestement il envoya le coup de pied traditionnel à Clou-de-Girofle, qui, n’étant pas à la réplique cette fois, le reçut en plein à la place non moins traditionnelle… Son maître était-il donc devenu fou?…
«Eh! monsieur patron, s’écria Clou, nous ne sommes pas à la parade!
– Si… nous y sommes, à la parade! s’écria M. Cascabel. Jamais nous n’y avont tant été, à la parade, et à la grrrande parade des grrrands drrrimanches!»
Clou n’avait qu’à s’incliner devant cette réponse – ce qu’il fit en se frottant les reins, car le coup de pied avait véritablement été un coup de pied des grrrands jours!
Mais alors M. Cascabel, ayant repris son sang-froid, vint à lui et d’un ton mystérieux:
«Clou, tu es un garçon discret?… dit-il.
– Certes, monsieur patron!… Je n’ai jamais rien dit des secrets qui m’étaient confiés… à moins que…
– Chut!… Assez!… Tu vois cette lettre?
– La lettre du moujik?…
– Elle-même!… S’il t’arrive de dire à qui que ce soit que je l’ai reçue…
– Bon!
– À Jean, à Sandre ou à Napoléone…
– Bien!
– Et surtout à Cornélia, mon épouse, je te jure que je te ferai empailler…
– Vivant?
– Vivant… pour que tu le sentes, imbécile!»
Et, devant cette menace, voilà que Clou se met à trembler de tous ses membres.
Puis, M. Cascabel, le prenant par l’épaule, lui murmura à l’oreille d’un ton de fatuité superbe et transcendante:
«C’est qu’elle est jalouse, Cornélia!… Et vois-tu, Clou, on est bel homme ou on ne l’est pas!… Une femme charmante… une princesse russe!… Tu comprends!… Elle m’écrit!… Un rendez-vous!… Voilà ce qui ne t’arrivera jamais… avec un nez comme le tien!
– Jamais, répondit Clou, à moins que…»
Mais, ce que cette situation pouvait signifier dans la pensée de Clou, on n’a jamais pu le savoir!
Dénouement très applaudi des spectateurs
a pièce qui portait ce titre aussi neuf qu’alléchant: Les Brigands de la Forêt Noire, était une œuvre remarquable. Faite selon les anciens préceptes de l’art dramatique, elle reposait sur l’unité de temps, d’action et de lieu. Son introduction posait nettement les personnages, son nœud nouait vigoureusement l’action, son dénouement la dénouait avec habileté, et, quoique prévu, ce dénouement n’en produisait pas moins un effet très considérable. Il n’y manquait même pas la «scène à faire» réclamée par le plus tenace des critiques modernes, et elle était bien faite.
D’ailleurs, il n’aurait pas fallu demander à César Cascabel une de ces pièces au goût du jour, où tous les détails de la vie privée sont transportés sur le théâtre, – une de ces pièces dans lesquelles, si le crime ne triomphe pas, du moins la vertu n’est pas suffisamment récompensée. Non! à la dernière scène des Brigands de la Forêt Noire, l’innocence était reconnue selon la formule, et la méchanceté était punie sous la forme la plus convenable. Les gendarmes apparaissaient au moment où tout semblait perdu, et, lorsqu’ils mettaient la main au collet du traître, la salle croulait sous les applaudissements.
A n’en pas douter, cette pièce eût été écrite d’un style simple, ferme, personnel, respectueux de la grammaire, dégagé de ces néologismes prétentieux, de ces expressions documentaires, de ces mots réalistes de la nouvelle école – si elle eût été écrite. Mais elle ne l’était pas. Aussi cette pantomime pouvait-elle se jouer sur tous les théâtres comme sur tous les tréteaux des deux mondes. Immense avantage de ces pièces simplement mimées, sans parler des fautes grammaticales et autres, qui sont facilement évitées dans ce genre de littérature.
On à dit plus haut: Il n’aurait pas fallu demander à César Cascabel, etc. C’est que César Cascabel, en effet, était l’auteur de ce chef-d’œuvre forain. Chef-d’œuvre est le mot, puisque, tant dans l’ancien que dans le nouveau continent, il en était à sa trois mille cent soixante-dix-septième représentation. On ne connaît que l’Ours et la Sentinelle du cirque Franconi, – le plus grand succès connu dans les annales dramatiques, – qui ait dépassé ce chiffre. Mais, très certainement, la valeur littéraire de cette œuvre olympique est inférieure à celle des Brigands de la Forêt Noire.
D’ailleurs, cette pièce avait été faite pour mettre en relief les talents spéciaux de la troupe Cascabel, talents si réels, si variés, que jamais un tel ensemble d’artistes n’avait été présenté au public par un directeur de troupe sédentaire ou ambulante.
Les maîtres du drame contemporain ont très justement formulé ce principe: «Au théâtre, il faut toujours faire rire ou pleurer, ou l’on bâille.» Eh bien! si tout l’art du dramaturge est là, les Brigands de la Forêt Noire méritent cent fois cette qualification de chef-d’œuvre. On y rit aux larmes, et on y pleure – aux larmes aussi. Il n’y a pas une scène, ni une partie de scène, où le spectateur le plus indifférent éprouve le besoin d’ouvrir la bouche pour bâiller. Et même, dans le cas où il serait pris d’un bâillement, provenant de quelque digestion pénible, son bâillement se terminerait par un éclat de sanglots ou de rire.
Comme toute pièce bien charpentée, celle-ci était claire, rapide, simplement conçue, simplement conduite. Les faits s’y succédaient logiquement. C’est au point qu’on pouvait se demander «si ce n’était pas arrivé»!
Qu’on en juge par ce compte rendu, que la plupart des critiques pourraient prendre pour modèle.
C’était l’histoire très dramatisée de deux amoureux qui s’adoraient. Pour la commodité du récit, sachez que Napoléone jouait la jeune fille et que Sandre jouait le jeune homme. Malheureusement, Sandre est pauvre, et la mère de Napoléone, la hautaine Cornélia, ne veut pas entendre parler de ce mariage.
Ce qu’il y a de tout à fait neuf, c’est que ces amours sont contrariées par la présence d’un grand dadais, Clou-de-Girofle, aussi riche d’argent que pauvre d’esprit, lequel est amoureux de Napoléone et veut l’épouser. Et – là peut-être éclate le génie inventif de l’auteur – la mère, qui tient aux écus, ne demande pas mieux que de lui donner sa fille.
Il serait vraiment difficile d’engager plus adroitement une action et de la rendre plus intéressante. Il va de soi que cet imbécile de Clou ne peut pas ouvrir la bouche sans dire une sottise. Il est ridicule de sa personne, mal dégauchi, avec un nez long de cela, qu’il à l’habitude de fourrer partout. Et, lorsqu’il arrive avec ses cadeaux de noces, le singe John Bull, grimaçant à plein museau, et Jako, le perroquet, – le seul de tous les artistes qui parle dans la pièce, – c’est vraiment à se tordre.
Cependant ces rires se taisent bientôt devant la profonde douleur des deux jeunes gens, qui ne peuvent se voir qu’en secret, ce qu’on appelle «à la dérobée».
Et précisément, on est arrivé au jour de ce mariage que Cornélia a imposé à sa fille. Napoléone a revêtu ses plus beaux atours, mais toute pleurante, toute désespérée! Et c’est vraiment odieux, de voir que cette jolie poulette est promise à cet affreux coq de village!
Tout cela se joue sur la place de l’église. La cloche sonne, les portes sont ouvertes, il n’y a qu’à entrer. Sandre s’est agenouillé sur les marches du portique!… Il faudra qu’on lui passe sur le corps!… Rien n’est plus poignant.
Soudain – et dans tout le répertoire dramatique de la Comédie Française ou de l’Ambigu, peut-être n’y a-t-il jamais eu un pareil coup de théâtre – soudain un jeune militaire apparaît en faisant trembler la toile de fond. C’est Jean, le propre frère de la malheureuse fiancée. Il revient de la guerre, où il a vaincu les ennemis – ennemis qui peuvent varier suivant les pays où l’on joue la pièce, des Anglais en Amérique, des Français en Allemagne, des Russes en Turquie, etc.
Le brave et sympathique Jean est arrivé à propos. Il saura faire prévaloir sa volonté. Il a appris que Sandre aime Napoléone et que Napoléone aime Sandre. Aussi, après avoir repoussé Clou d’un bras vigoureux, il le provoque, et ce niais est pris d’une si belle peur qu’il s’empresse de renoncer au mariage.
On voit combien ce drame est corsé, et comment les situations s’y enchaînent!… Et ce n’est pas fini.
En effet, tandis que l’on cherche Cornélia, à qui Clou veut rendre sa parole, un incident se produit… Cornélia a disparu!… On va, on vient!… Plus personne!
Tout à coup, des cris se font entendre dans les profondeurs de la forêt voisine. Sandre reconnaît la voix de Mme Cascabel, et, quoiqu’il s’agisse de sa future belle-mère, il n’hésite pas… il vole à son secours… Évidemment, cette impérieuse dame a été enlevée par la bande de Fracassar, peut-être pi Fracassar lui-même, le fameux chef des brigands de la Forêt Noire.
Effectivement, c’est ce qui est arrivé, et, tandis que Jean se tient près de sœur pour la protéger au besoin, Clou sonne la cloche et appelle au secours. Un coup de feu retentit… Le public est haletant, et il serait difficile d’imaginer que l’émotion puisse être jamais poussée plus loin au théâtre.
C’est alors que M. Cascabel, sous le costume calabrais du terrible Fracassar, paraît en scène, accompagné de ses complices, qui entraînent Cornélia, malgré sa résistance… Mais l’héroïque jeune premier revient à la tête d’une brigade de gendarmes, bottés jusqu’à la ceinture… Sa belle-mère est délivrée, les brigands sont saisis, et l’amoureux Sandre épouse sa fiancée Napoléone.
Il convient d’ajouter que, vu l’insuffisance du personnel, les bandits d’une part, les gendarmes de l’autre, ne paraissent jamais sur la scène. C’est Clou qui est chargé d’imiter leurs différents cris dans la coulisse, et il s’en acquitte à faire illusion. Quant à M. Cascabel, il est réduit à se mettre lui-même les menottes. Mais, on ne saurait trop le répéter, l’effet de ce dénouement, grâce à une figuration si clairement indiquée, est extraordinaire.
Telle est cette pièce, sortie du puissant cerveau de César Cascabel, qui allait être représentée au cirque de Perm. Et, on ne peut en douter, elle y retrouverait son succès habituel, si les interprètes étaient à la hauteur de l’œuvre.
Ils l’étaient ordinairement, M. Cascabel très farouche, Cornélia très entichée de sa naissance et de sa fortune, Jean très chevaleresque, Sandre très sympathique, Napoléone très touchante. Les rôles, comme on dit, portaient les artistes. Mais, il faut le reconnaître, la famille n’était pas précisément à la gaieté ce jour-là. Elle était fort triste, et, certainement, une fois en scène, elle manquerait de verve. Les jeux de physionomie seraient incertains, les répliques de gestes n’arriveraient pas avec la précision voulue… Peut-être les effets de larmes seraient-ils plus vrais, puisque chacun avait envie de pleurer, tandis que, pour les effets de rire, ce ne serait plus cela du tout!
Et, lorsque l’on se mit à table au déjeuner de midi, en voyant inoccupée la place de M. Serge – ce qui était comme un avant-goût de la prochaine séparation – la tristesse s’accrut encore… Personne n’avait faim, personne n’avait soif… C’était navrant!
Eh bien! il ne l’entendait pas ainsi, le directeur de la troupe. Lui avait mangé comme quatre. Et, le repas achevé, il ne se gêna pas pour exprimer son mécontentement.
«Ah ça! s’écria-t-il, est-ce que cela ne va pas finir?… Je ne vois que des figures longues d’une aune!… à commencer par toi, Cornélia, et à finir par toi, Napoléone!… Il n’y a vraiment que Clou qui soit à peu près présentable!… Ventre du diable! ça ne me convient pas, enfants, mais pas du tout!… J’entends que l’on soit gai, et que l’on joue gaiement, et qu’on y mette du sien, et que ça passe la rampe, ou je me fichtrefache!»
Et, lorsque M. Cascabel avait employé cette expression, qui lui appartenait en propre, personne n’osait encourir les suites de sa colère. Il n’y avait qu’à obéir… on obéissait.
D’ailleurs, cet homme d’un esprit si inventif avait eu une idée excellente, comme il lui en venait toujours dans des circonstances graves.
Il avait résolu de compléter sa pièce, ou, plutôt, de renforcer sa mise en scène – on va voir de quelle façon.
Il a été dit que jusqu’alors, par défaut de comparses, jamais les brigands ni les gendarmes ne s’étaient montrés au public. Bien qu’il représentât le brigandage à lui tout seul, M. Cascabel pensait, très justement, que la pièce ferait un plus grand effet, si la figuration était complète au dénouement.
Aussi l’idée lui était-elle venue d’engager quelques comparses pour cette représentation. Et, au fait, n’avait-il pas sous la main Ortik et Kirschef? Pourquoi ces deux braves marins refuseraient-ils de remplir le rôle de brigands?
Donc, au moment de quitter la table, M. Cascabel, s’adressant à Ortik, lui expliqua-t-il la situation, et finit par dire:
„Vous conviendrait-il de prendre tous deux part à la représentation, comme figurants?… Ça me rendrait un véritable service, mes amis!
– Très volontiers! répondit Ortik. Kirschef et moi, nous ne demandons pas mieux!»
Comme ils avaient intérêt à rester dans les meilleurs termes avec la famille Cascabel, on comprend qu’ils se fussent empressés d’agréer cette proposition.
«Parfait, mes amis, parfait! répondit M. Cascabel. Vous n’aurez, d’ailleurs, qu’à paraître avec moi, au moment où j’entre en scène, c’est-à-dire au dénouement!… Vous ferez comme je ferai, les mêmes roulements d’yeux, les mêmes gestes, les mêmes rugissements de rage!… Vous verrez, cela ira tout seul, et je vous garantis un succès prodigieux!»
Puis, après avoir réfléchi:
«Mais j’y pense, ajouta-t-il, à vous deux, vous ne ferez encore que deux brigands!… Ce n’est pas assez!… Non!… C’est toute une bande que Fracassar a sous ses ordres, et si je pouvais vous adjoindre cinq ou six autres bonshommes, l’effet serait plus grand!… Est-ce que vous ne pourriez pas me racoler par la ville quelques gentilshommes sans ouvrage, à qui une bonne bouteille de vodka et un demi-rouble ne feraient pas peur?»
Après avoir jeté un coup d’œil à Kirschef, Ortik répondit:
«Cela se peut, monsieur Cascabel. Hier, au cabaret, nous avons précisément fait connaissance avec une demi-douzaine de braves gens…
– Amenez-les, Ortik, amenez-les ce soir, et je réponds de mon dénouement!
– C’est convenu, monsieur Cascabel.
– Parfait, mes amis!… Quelle représentation!… Quelle attraction pour le public!»
Et, lorsque les deux marins furent partis, M. Cascabel fut pris d’une telle convulsion de rire que sa ceinture en cassa sur son ventre. Cornélia crut qu’il allait passer dans une syncope.
«César, il n’est pas prudent de rire comme cela, après déjeuner! lui dit-elle.
– Moi?… rire, ma bonne?… Mais je n’en ai point envie!… Si je ris, c’est sans m’en apercevoir!… Au fond, je suis très triste!… Songe donc, il est une heure, et cet excellent M. Serge qui n’est pas encore de retour!… Et il ne sera pas là pour débuter comme escamoteur dans la troupe!… Quelle guigne!»
Puis, tandis que Cornélia retournait à ses costumes, il sortit, afin de faire quelques courses qui lui paraissaient indispensables, se contenta-t-il de dire.
La représentation devait commencer à quatre heures – ce qui permettait d’économiser l’éclairage, lequel laissait à désirer au cirque de Perm. La jeune Napoléone n’était-elle pas assez fraîche, d’ailleurs, et sa mère elle-même, assez bien «conservée», pour affronter le grand jour?
On se figurerait difficilement l’effet que l’affiche de César Cascabel avait produit dans la ville, sans parler du tambour de Clou-de-Girofle, qui, une heure durant, alla battre à travers les rues ses ras et ses fias les plus extraordinaires. Il y avait de quoi réveiller toute les Russies à la fois!
Il s’ensuit qu’à l’heure dite, il y eut aux abords du cirque grande affluence de spectateurs: le gouverneur de Perm et sa famille, un certain nombre de fonctionnaires, des officiers de la citadelle, quelques gros négociants de l’endroit, et aussi nombre de ces petits trafiquants, qui étaient venus à la foire, enfin un énorme concours de populaire.
A la porte se démenaient les instrumentistes de la troupe, Sandre, Napoléone, Clou, avec piston, trombone, tambour, et aussi Cornélia, en maillot couleur chair et en jupe rosé, qui faisait tonner sa grosse caisse. De là, un vacarme prodigieux, bien fait pour charmer des oreilles de moujiks.
Puis, ces cris de César Cascabel, proférés en bon et intelligible russe:
«Entrez!… Entrez, mesdames et messieurs!… C’est quarante kopeks la place… sans distinction!… Entrez!».
Et, dès que messieurs et mesdames eurent pris place sur les banquettes du cirque, l’orchestre s’éclipsa, afin de reprendre son rôle dans le programme de la représentation.
La première partie marcha parfaitement. La petite Napoléone sur la corde raide, le jeune Sandre dans ses dislocations de clown contorsionniste, les chiens savants, le singe John Bull et le perroquet Jako dans leurs réjouissantes scènes, M. et Mme Cascabel dans leurs exercices de force et d’adresse, obtinrent un véritable succès. De ces vifs applaudissements, si légitimement dus à des artistes de premier ordre, Jean eut aussi sa part. Peut-être, ayant l’esprit ailleurs, sa main hésita-t-elle, peut-être ses talents d’équilibriste furent-ils un moment obscurcis?… Mais cela ne fut perceptible que pour l’œil du maître, et le public ne s’aperçut pas que le pauvre garçon n’était pas tout à son affaire!
Quant à la pyramide humaine, qui précéda l’entr’acte, elle fut unanimement bissée.
Au surplus, M. Cascabel avait été étourdissant de verve et de bonne humeur, en présentant ses artistes, en demandant pour eux des hurrahs bien mérités. Jamais cet homme supérieur n’avait montré plus hautement tout ce qu’une nature énergique peut prendre d’empire sur elle-même. L’honneur de la famille Cascabel était sauf. C’est un nom que les descendants des Moscovites prononceraient toujours avec admiration et respect.
Mais, si le public avait suivi avec intérêt cette partie du programme, avec quelle impatience il attendait la seconde! Pendant l’entr’acte, on ne parlait que de cela dans les couloirs.
Après une suspension de dix minutes, qui avait permis aux spectateurs d’aller prendre l’air, la foule rentra, et pas une place ne resta inoccupée.
Depuis une heure déjà, Ortik et Kirschef étaient revenus de leur tournée, ramenant une demi-douzaine de comparses. Comme on le devine, c’étaient précisément ceux de leurs anciens compagnons qu’ils avaient retrouvés dans le défilé de l’Oural.
M. Cascabel examina attentivement sa nouvelle figuration.
«Bonnes têtes!… s’écria-t-il. Bonnes faces!… Beaux torses!… L’air un peu trop honnête peut-être pour remplir des rôles de brigands!… Enfin, avec des perruques hérissées et des barbes terribles, j’en ferai quelque chose!»
Et, comme M. Cascabel ne paraissait qu’à la fin de la pièce, il eut le temps nécessaire pour préparer ses recrues, les habiller, les coiffer, en un mot, pour en faire des bandits présentables.
Puis, Clou-de-Girofle frappa les trois coups.
A ce moment, dans un théâtre bien machiné, le rideau se fût levé sur les derniers accords de l’orchestre. S’il ne se leva pas, cette fois, c’est qu’il n’y a point de rideaux aux pistes de cirque, même quand elles servent de scène.
Mais que l’on ne s’imagine pas qu’il n’y eût pas de décor, ou, du moins quelque apparence de décor. À gauche, une armoire, avec une croix peinte, figurait l’église, ou plutôt la chapelle, dont le clocher devait être dans la coulisse; au centre, se développait la place publique du village, naturellement représentée par la piste; à droite, quelques arbustes en caisse, habilement disposés, donnaient une très suffisante idée de la Forêt-Noire.
La pièce commença au milieu d’un profond silence. Que Napoléone était donc gentille avec sa petite jupe à raies, légèrement défraîchie, son joli bonnet posé comme une fleur sur sa chevelure blonde, et surtout son air si ingénu et si tendre! Le premier amoureux Sandre, en justaucorps orange, déteint aux entournures, lui faisait la cour avec des gestes si passionnés, qu’un dialogue n’eût pas rendu ses répliques plus compréhensibles! Et l’entrée de Clou-de-Girofle, coiffé de sa perruque niaise, d’un jaune ardent, monté sur de longues jambes qu’il jetait de ci de là, son air bête et prétentieux, son nez à besicles, et le singe qui lui faisait des grimaces, et le perroquet dont les jacasseries étaient si spirituelles! Impossible d’être plus réussi que ce laruette de foire!
Survient Cornélia, une femme qui sera terrible lorsqu’elle sera belle-mère. Elle refuse à Sandre la main de Napoléone, et, pourtant, on sent qu’un cœur bat sous ses oripeaux de grande dame du moyen âge.
Grand succès à l’entrée de Jean, en carabinier italien. Il est bien triste, bien défait, le pauvre garçon! Il a l’air de penser à toute autre chose qu’à son rôle! Il aimerait mieux jouer celui de Sandre, et que Kayette fût sa fiancée, et qu’il n’y eût plus qu’à la conduire à l’église! Et que d’heures perdues, lorsqu’il leur en restait si peu à passer ensemble!
Cependant la situation dramatique était tellement forte qu’elle emporta l’acteur. Il eût été impossible de ne pas déployer un énorme talent dans un tel rôle. Songez donc! Un frère qui revient de la guerre, vêtu en carabinier, et qui prend la défense de sa sœur contre les injonctions hautaines d’une mère et les ridicules prétentions d’un sot!
Superbe, la scène de provocation entre Jean et Clou-de-Girofle! Cet imbécile tremble de peur, au point que sa mâchoire grelotte, que son regard se trouble, et que son nez s’allonge démesurément. On dirait la pointe d’une épée qui, après lui avoir traversé la tête, sortirait par le milieu de sa face.
Alors éclatent dans la coulisse des cris, bien nourris cette fois. Le jeune Sandre, emporté par son courage, et peut-être avec l’idée de se faire tuer, car la vie lui est à charge, s’élance dans les profondeurs de la forêt d’arbres en caisse. On entend une lutte très violente à la cantonade, et un coup de feu…
Un instant après, voilà Fracassar, le chef des brigands, qui entre en scène. Il est effrayant avec son maillot rosé presque blanc et sa barbe noire presque rousse. Toute la bande scélérate l’accompagne en gesticulant. Au milieu des brigands, figurent Ortik et Kirschef, méconnaissables sous leur perruque et leur défroque. Cornélia, menacée dans son honneur, est saisie par le terrible chef. Sandre se précipite pour la défendre, et il semble bien que le dénouement ordinaire de la pièce va être compromis, ce jour-là, car la situation n’est plus la même.
En effet, lorsque M. Cascabel était seul à représenter toute la bande des brigands de la Forêt Noire, Jean, Sandre, leur mère, leur sœur, et aussi Clou-de-Girofle, avaient la partie belle pour le tenir en respect, en attendant l’arrivée des gendarmes, qui étaient signalés au lointain dans la coulisse. Mais, cette fois, le chef Fracassar est à la tête de huit malfaiteurs en chair et en os, visibles, palpables, et dont il sera bien difficile d’avoir raison… Il y avait donc lieu de se demander comment cela finirait, pour que la vraisemblance ne fût pas trop choquée…
Soudain, un peloton de Cosaques fait irruption sur la piste. Voilà une entrée des plus inattendues…
En vérité, M. Cascabel n’a rien négligé pour donner à cette représentation un éclat extraordinaire, et sa figuration est au complet. Gendarmes ou Cosaques, c’est tout un! En un instant, Ortik, Kirschef, leurs six compagnons, sont terrassés, garrottés, et d’autant plus facilement que leur rôle les oblige à se laisser faire…
Mais, tout à coup, voilà que des cris se font entendre:
«Ah! pas moi, s’il vous plaît, braves Cosaques!… Ceux-ci tant que vous voudrez!… Moi… je n’en suis que pour rire!»
Et qui parle ainsi?… C’est Fracassar ou plutôt M. Cascabel, qui s’est relevé, les mains libres, tandis que les figurants, dûment enchaînés, sont entre les mains de la police.
Voilà quelle avait été la grande idée de César Cascabel! Après avoir prié Ortik et ses complices de jouer le rôle des brigands, il s’était mis en rapport avec les autorités de Perm, en les prévenant qu’il y aurait «un fameux coup à faire»! Cela explique comment un peloton de Cosaques était arrivé juste au dénouement de la pièce.
Ah! il était réussi et bien réussi, ce fameux coup! Ortik et les autres étaient bel et bien pinces par les agents de l’autorité.
Mais Ortik s’est redressé, et, désignant M. Cascabel au chef des Cosaques:.
«Cet homme, dit-il, je vous le dénonce!… C’est lui qui a fait rentrer en Russie un condamné politique!… Ah! tu m’as livré, maudit saltimbanque, je te livre à mon tour!
– Livre, mon ami, répondit tranquillement M. Cascabel, en clignant de l’œil.
– Et le condamné, l’évadé de la forteresse d’Iakoust, qu’il a ramené, c’est le comte Narkine!
– Parfaitement, Ortik!»
Cornélia, ses enfants, et Kayette, qui venait d’accourir, étaient atterrés!…
En ce moment, un des spectateurs se lève… C’est le comte Narkine.
«Le voilà! dit Ortik.
– Oui! le comte Narkine! répond M. Serge.
– Mais le comte Narkine amnistié!” s’écrie M. Cascabel, en partant d’un superbe éclat de rire.
Quel effet sur le public! Toute cette réalité, mêlée aux fictions de la pièce, cela était de nature à troubler les plus fermes esprits! Il n’est même pas bien sûr qu’une partie des spectateurs n’ait pas cru que les Brigands de la Forêt Noire n’avaient jamais eu d’autre dénouement!
Une courte explication suffira.
Depuis que le comte Narkine avait été recueilli par la famille Cascabel sur la frontière de l’Alaska, treize mois s’étaient écoulés, pendant lesquels il n’avait reçu aucune nouvelle de Russie. Ce n’était ni chez les Indiens du Youkon, ni chez les indigènes des îles Liakhoff qu’elles auraient pu lui arriver. Il ignorait donc que, depuis six mois, un ukase, rendu par le czar Alexandre II, amnistiait ceux des condamnés politiques qui étaient dans la situation du comte Narkine. Le prince, son père, lui avait écrit en Amérique qu’il pouvait rentrer en Russie, où il l’attendait impatiemment. Mais, déjà parti, le comte n’avait pas eu connaissance de cette lettre, et elle avait été retournée au château de Walska, faute de destinataire. On conçoit quelles furent les inquiétudes du prince Narkine, lorsqu’il ne reçut plus aucune nouvelle de son fils. Il le crut perdu… mort dans son exil. Sa santé s’altéra, et elle était bien compromise quand M. Serge arriva au château. Quelle joie ce fut pour le prince Narkine qui désespérait de jamais le revoir!… Le comte Narkine était libre!… Il n’avait plus rien à craindre de la police moscovite!… Et alors, ne voulant pas laisser son père dans l’état où il était, ne voulant pas le quitter quelques heures après l’avoir revu, il avait envoyé à M. Cascabel cette lettre qui lui disait tout. Elle le prévenait en outre qu’il viendrait le retrouver au cirque de Perm, à la fin de la représentation.
C’est alors que M. Cascabel avait eu la triomphante idée que l’on sait, et qu’il avait pris ses mesures pour livrer la bande d’Ortik au dénouement de la pièce.
Lorsque le public eut été mis au courant, ce fut un délire. Les hurrahs éclatèrent de toutes parts, au moment où les Cosaques emmenaient Ortik et ses complices, lesquels, après avoir si longtemps joué le rôle de brigands au naturel, allaient enfin expier leurs crimes – au naturel également.
M. Serge fut aussitôt instruit de tout ce qui s’était passé, comment Kayette avait découvert cette machination tramée contre lui et contre la famille Cascabel, comment la jeune Indienne avait risqué sa vie en se glissant à la suite des deux matelots russes pendant la nuit du 6 juillet, comment elle avait tout raconté à M. Cascabel, comment enfin celui-ci n’avait rien voulu dire ni au comte Narkine, ni à sa femme…
«Un secret pour moi, César, un secret! dit Mme Cascabel d’un ton de reproche.
– Le premier et le dernier, ma femme!»
Cornélia avait déjà pardonné à son mari, et, n’y tenant plus, elle s’écria:
«Ah! monsieur Serge, il faut que je vous embrasse!»
Puis, toute confuse:
«Excusez, monsieur le comte… dit-elle.
– Non… monsieur Serge pour vous, mes amis… toujours monsieur Serge!… Et pour toi aussi, ma fille!» ajouta-t-il en ouvrant ses bras à Kayette.
Conclusion
l est fini, le voyage de M. Cascabel, et bien fini! La Belle-Roulotte n’a plus qu’à traverser la Russie et l’Allemagne pour mettre le pied en France, et le nord de la France pour rentrer au pays normand! C’est encore un long trajet, sans doute. Mais, comparé à ce parcours de deux mille huit cents lieues qu’elle vient de faire, ce n’est plus qu’une promenade, une simple promenade – «une course de fiacre!» dirait M. Cascabel.
Oui! Il est fini ce voyage et mieux terminé qu’on aurait pu espérer, après tant d’aventures! Et jamais il n’y eut de dénouement plus heureux – pas même dans cette admirable pièce des Brigands de la Forêt Noire, qui s’était cependant achevée à l’immense satisfaction du public et des acteurs, – sauf Ortik et Kirschef. Ils furent en effet pendus quelques semaines plus tard, tandis que leurs complices étaient envoyés au fond de la Sibérie pour le reste de leurs jours.
La question de séparation se présenta alors avec toutes ses tristes conséquences. Comment allait-elle se résoudre?
Eh bien! ce fut d’une façon très simple.
Le soir même, lorsque le personnel fut réuni à la Belle-Roulotte, le comte Narkine dit:
«Mes amis, je sais tout ce que je vous dois, et je serais un ingrat si je l’oubliais jamais!… Que puis-je faire pour vous?… Mon cœur se serre à la pensée de nous séparer!… Voyons!… Vous conviendrait-il de demeurer en Russie, de vous y fixer, de vivre sur le domaine de mon père?…»
M. Cascabel, qui ne s’attendait pas à cette proposition, répondit, après avoir réfléchi un instant:.
«Monsieur le comte Narkine…
– Appelez-moi M. Serge, dit le comte Narkine, jamais autrement!… Vous me ferez plaisir!
– Eh bien, monsieur Serge, ma famille et moi, nous sommes très touchés… L’offre que vous nous faites, cela montre toute votre affection… Nous vous remercions bien!… Mais là-bas… vous savez… c’est le pays…
– Je vous comprends! répondit le comte Narkine. Oui!… je vous comprends… Et, puisque vous voulez retourner en France, dans votre Normandie, je serais heureux de savoir que vous êtes établis chez vous… dans une jolie maison de campagne… avec une ferme et quelques terres autour!… Là, vous pourriez vous reposer de vos longs voyages…
– Ne croyez point que nous soyons fatigués, monsieur Serge! s’écria M. Cascabel.
– Voyons, mon ami… parlez-moi franchement!… Tenez-vous beaucoup à votre état?…
– Oui…, puisqu’il nous fait vivre!…
– Vous ne voulez pas me comprendre, reprit le comte Narkine, et vous m’affligez! Me refuserez-vous la satisfaction de faire quelque chose pour vous?…
– Ne nous oubliez pas, monsieur Serge, répondit Cornélia, voilà tout ce que nous vous demandons, car nous ne vous oublierons jamais… ni vous… ni Kayette…
– Ma mère!… s’écria la jeune fille.
– Je ne puis être ta mère, chère enfant!
– Pourquoi pas, madame Cascabel? répondit M. Serge.
– Et comment?…
– En la donnant pour femme à votre fils!»
Quel effet produisirent ces paroles du comte Narkine – effet plus grand, à coup sûr, que tous ceux que M. Cascabel avait pu obtenir dans sa brillante carrière!
Jean était fou de bonheur, il baisait les mains de M. Serge, qui pressait Kayette sur son cœur. Oui, elle serait la femme de Jean, et n’en serait pas moins la fille adoptive du comte! Et M. Serge le garderait près de lui, car il voulait l’attacher à sa personne! M. et Mme Cascabel auraient-ils jamais pu rêver un plus bel avenir pour leur fils? Quant à accepter du comte Narkine autre chose que l’assurance de son amitié, tous deux ne voulaient point y consentir. Ils avaient un bon métier, ils le continueraient…
C’est alors que le jeune Sandre s’avança, et, la voix un peu émue, mais les yeux pleins de malice:
«A quoi bon, père?… Nous sommes riches, et nous n’aurons plus besoin de travailler pour vivre!»
Et le gamin tirait triomphalement de sa poche la pépite qu’il avait ramassée dans les forêts du Caribou.
«Où as-tu trouvé cela?» s’écria M. Cascabel, qui avait pris la précieuse pierre.
Sandre raconta ce qui s’était passé.
«Et tu ne nous en as rien dit?… s’écria Cornélia. Et tu as pu garder ce secret?…
– Oui… mère, quoique ça n’ait pas été sans peine!… Je voulais vous en faire la surprise, et ne vous apprendre que nous sommes riches qu’après notre arrivée en France!
– Ah! l’adorable enfant! s’écria M. Cascabel. Eh bien, monsieur Serge, voilà une fortune qui arrive à propos!… Regardez!… C’est bien une pépite!… C’est bien de l’or… et il n’y aura qu’à la changer…»
Le comte Narkine avait pris le caillou, il l’examinait avec attention, et pour en apprécier la valeur, il la balançait dans sa main, il en observait les petits points brillants.
«Oui, dit-il, c’est bien de l’or, et cela pèse au moins dix livres…
– Ce qui vaut?… demanda M. Cascabel.
– Vingt mille roubles!
– Vingt mille roubles!…
– Mais… à la condition… de le changer… et de le changer… tout de suite! Voyez… comme je fais!»
Et M. Serge, digne élève de César Cascabel, fit un si habile tour d’escamotage, qu’il substitua à la fameuse pépite un portefeuille, lequel se trouva entre les mains du jeune garçon.
«En voilà un tour! s’écria M. Cascabel. Quand je vous disais que vous aviez d’étonnantes dispositions…
– Qu’y a-t-il dans ce portefeuille?… demanda Cornélia.
– Le prix de la pépite!… Oh! rien de plus… mais rien de moins!» répondit M. Serge.
En effet, il s’y trouvait un chèque de vingt mille roubles sur MM. Rothschild frères, de Paris.
Que valait la pépite? Était-ce un morceau d’or ou un simple caillou que le jeune Sandre avait si consciencieusement rapporté de l’Eldorado colombien? ce point n’a jamais pu être éclairci. Quoi qu’il en soit, il fallut bien que M. Cascabel en crût le comte Narkine sur parole, et s’en rapportât à l’amitié de M. Serge, dont il faisait plus de cas que de tout le trésor impérial de Sa Majesté le Czar!
La famille Cascabel resta pendant un mois en Russie. Il n’était plus question ni de la foire de Perm ni de la foire de Nijni. Le père, la mère, le frère, la sœur pouvaient-ils se dispenser d’assister au mariage de Jean et de Kayette, qui fut célébré au château de Walska en grande cérémonie?… Non, et jamais jeunes époux ne furent entourés d’un tel concours de gens heureux.
«Hein, César!… qui aurait jamais cru?… dit Cornélia, au moment où elle sortait de la chapelle du château.
– Moi!…» répondit simplement M. Cascabel.
Huit jours après, M. et Mme Cascabel, Sandre, Napoléone et Clou-de-Girofle, – qu’il ne faut point oublier, car il fait véritablement partie de la famille – prirent congé du comte Narkine. Ils firent route pour la France, mais en chemin de fer, emmenant la Belle-Roulotte, qui les suivit en grande vitesse, s’il vous plaît!
Le retour de M. Cascabel dans sa Normandie fut un événement. Cornélia et lui devinrent gros propriétaires aux environs de Pontorson, avec de belles dots en perspective pour Sandre et Napoléone. Le comte Narkine, Jean, devenu son secrétaire, et Kayette, la plus heureuse des femmes, venaient les voir tous les ans dans «leur château», où ils étaient reçus avec ivresse!… Le mot est d’autant plus juste, que, ce jour-là, les gens de M. Cascabel perdaient la raison.
Tel est le récit fidèle de ce voyage que l’on peut compter comme l’un des plus surprenants de la collection des Voyages extraordinaires. Évidemment, tout cela finit bien!… Et comment pourrait-il en être autrement, quand il s’agit d’une aussi honnête famille que la famille Cascabel!
FIN DE LA DEUXIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.