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Jules Verne

 

les indes noires

 

(Chapitre XVI-XX)

 

 

45 dessinsJules-Descartes Férat

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XVI

Sur l’échelle oscillante.

 

ependant, les travaux d’exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle étaient conduits avec grand profit. Il va sans dire que l’ingénieur James Starr et Simon Ford – les premiers découvreurs de ce riche bassin carbonifère – participaient largement à ces bénéfices. Harry devenait donc un parti. Mais il ne songeait guère à quitter le cottage. Il avait remplacé son père dans les fonctions d’overman et surveillait assidûment tout ce monde de mineurs.

Jack Ryan était fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait à son camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack Ryan n’était pas sans avoir observé les sentiments qu’éprouvait Harry pour la jeune fille. Harry n’avouait pas, mais Jack riait à belles dents, lorsque son camarade secouait la tête en signe de dénégation.

Il faut dire que l’un des plus vifs désirs de Jack Ryan était d’accompagner Nell, lorsqu’elle ferait sa première visite à la surface du comté. Il voulait voir ses étonnements, son admiration devant cette nature encore inconnue d’elle. Il espérait bien qu’Harry l’emmènerait pendant cette excursion. Jusqu’ici, cependant, celui-ci ne lui en avait pas fait la proposition, – ce qui ne laissait pas de l’inquiéter un peu.

Un jour, Jack Ryan descendait l’un des puits d’aération par lequel les étages inférieurs de la houillère communiquaient avec la surface du sol. Il avait pris l’une de ces échelles qui, en se relevant et en s’abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de monter sans fatigue. Vingt oscillations de l’appareil l’avaient abaissé de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l’étroit palier où il avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux du jour.

«C’est toi? dit Jack, en regardant son compagnon, éclairé par la lumière des lampes électriques du puits.

– Oui, Jack, répondit Harry, et je suis content de te voir. J’ai une proposition à te faire…

– Je n’écoute rien avant que tu m’aies donné des nouvelles de Nell! s’écria Jack Ryan.

– Nell va bien, Jack, et si bien même que, dans un mois ou six semaines, je l’espère…

– Tu l’épouseras, Harry?

– Tu ne sais ce que tu dis, Jack!

– C’est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai!

– Et que feras-tu?

– Je l’épouserai, moi, si tu ne l’épouses pas, toi! répliqua Jack, en éclatant de rire. Saint Mungo me protège! mais elle me plaît, la gentille Nell! Une jeune et bonne créature qui n’a jamais quitté la mine, c’est bien la femme qu’il faut à un mineur! Elle est orpheline comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas à elle, et qu’elle veuille de ton camarade, Harry!…»

Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans même essayer de lui répondre.

«Ce que je dis là ne te rend pas jaloux, Harry? demanda Jack Ryan d’un ton un peu plus sérieux.

– Non, Jack, répondit tranquillement Harry.

– Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n’as pas la prétention qu’elle reste vieille fille?

– Je n’ai aucune prétention», répondit Harry.

Une oscillation de l’échelle vint alors permettre aux deux amis de se séparer, l’un pour descendre, l’autre pour remonter le puits. Cependant, ils ne se séparèrent pas.

«Harry, dit Jack, crois-tu que je t’aie parlé sérieusement tout à l’heure à propos de Nell?

– Non, Jack, répondit Harry.!

– Eh bien, je vais le faire alors!

– Toi, parler sérieusement!

– Mon brave Harry, répondit Jack, je suis capable de donner un bon conseil à un ami.

– Donne, Jack.

– Eh bien, voilà! Tu aimes Nell de tout l’amour dont elle est digne, Harry! Ton père, le vieux Simon, ta mère, la vieille Madge, l’aiment aussi comme si elle était leur enfant. Or, tu aurais bien peu à faire pour qu’elle devînt tout à fait leur fille! – Pourquoi ne l’épouses-tu pas?

– Pour t’avancer ainsi, Jack, répondit Harry, connais-tu donc les sentiments de Nell?

– Personne ne les ignore, pas même toi, Harry, et c’est pour cela que tu n’es point jaloux ni de moi, ni des autres. – Mais voici l’échelle qui va descendre, et…

– Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied avait déjà quitté le palier pour se poser sur l’échelon mobile.

– Bon, Harry! s’écria Jack en riant, tu vas me faire écarteler.

– Écoute sérieusement, Jack, répondit Harry, car, à mon tour, c’est sérieusement que je parle.

– J’écoute… jusqu’à la prochaine oscillation, mais pas plus!

– Jack, reprit Harry, je n’ai point à cacher que j’aime Nell. Mon plus vif désir est d’en faire ma femme…

– Bien, cela.

– Mais, telle qu’elle est encore, j’ai comme un scrupule de conscience à lui demander de prendre une détermination qui doit être irrévocable.

– Que veux-tu dire, Harry?

– Je veux dire, Jack, que Nell n’a jamais quitté ces profondeurs de la houillère où elle est née, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne connaît rien du dehors. Elle a tout à apprendre par les yeux, et peut-être aussi par le cœur. Qui sait ce que seront ses pensées, lorsque de nouvelles impressions naîtront en elle! Elle n’a encore rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant qu’elle se soit décidée, en pleine connaissance, à préférer à tout autre le séjour dans la houillère. – Me comprends-tu, Jack?

– Oui… vaguement… Je comprends surtout que tu vas encore me faire manquer la prochaine oscillation!

– Jack, répondit Harry d’une voix grave, quand ces appareils ne devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous nos pieds, tu écouteras ce que j’ai à te dire!

– A la bonne heure! Harry. Voilà comment j’aime qu’on me parle. – Nous disons donc qu’avant d’épouser Nell, tu vas l’envoyer dans un pensionnat de la Vieille-Enfumée?

– Non, Jack, répondit Harry, je saurai bien moi-même faire l’éducation de celle qui devra être ma femme!

– Et cela n’en vaudra que mieux, Harry!

– Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde extérieur. Une comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l’on venait te dire: «Dans un mois elle sera guérie!» n’attendrais-tu pas pour l’épouser que sa guérison fût faite?

– Oui, ma foi, oui! répondit Jack Ryan.

– Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d’en faire ma femme, je veux qu’elle sache bien que c’est moi, que ce sont les conditions de ma vie qu’elle préfère et accepte. Je veux que ses yeux se soient ouverts enfin à la lumière du jour!

– Bien, Harry, bien, très bien! s’écria Jack Ryan. Je te comprends à cette heure. Et à quelle époque l’opération?…

– Dans un mois, Jack, répondit Harry. Les yeux de Nell s’habituent peu à peu à la clarté de nos disques. C’est une préparation. Dans un mois, je l’espère, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses splendeurs! Elle saura que la nature a donné au regard humain des horizons plus reculés que ceux d’une sombre houillère! Elle verra que les limites de l’univers sont infinies!»

Mais, tandis qu’Harry se laissait ainsi entraîner par son imagination, Jack Ryan, quittant le palier, avait sauté sur l’échelon oscillant de l’appareil.

«Eh! Jack, cria Harry, où es-tu donc?

– Au-dessous de toi, répondit en riant le joyeux compère. Pendant que tu t’élèves dans l’infini, moi, je descends dans l’abîme!

– Adieu, Jack! répondit Harry, en se cramponnant lui-même à l’échelle remontante. Je te recommande de ne parler à personne de ce que je viens de te dire!

– A personne! cria Jack Ryan, mais à une condition pourtant…

– Laquelle?

– C’est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la première excursion que Nell fera à la surface du globe!

– Oui, Jack, je te le promets», répondit Harry.

Une nouvelle pulsation de l’appareil mit encore un intervalle plus considérable entre les deux amis. Leur voix n’arrivait plus que très affaiblie de l’un à l’autre.

Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier:

«Et lorsque Nell aura vu les étoiles, la lune et le soleil, sais-tu bien ce qu’elle leur préférera?

– Non, Jack!

– Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours!»

Et la voix de Jack Ryan s’éteignit enfin dans un dernier hurrah!

Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccupées à l’éducation de Nell. Il lui avait appris à lire, à écrire, – toutes choses dans lesquelles la jeune fille fit de rapides progrès. On eût dit qu’elle «savait» d’instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus vite d’une aussi complète ignorance. C’était un étonnement pour ceux qui l’approchaient.

Simon et Madge se sentaient chaque jour plus étroitement liés à leur enfant d’adoption, dont le passé ne laissait pas de les préoccuper, cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d’Harry pour Nell, et cela ne leur déplaisait point.

On se rappelle que lors de sa première visite à l’ancien cottage, le vieil overman avait dit à l’ingénieur:

«Pourquoi mon fils se marierait-il? Quelle créature de là-haut conviendrait à un garçon dont la vie doit s’écouler dans les profondeurs d’une mine!»

Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui eût envoyé la seule compagne qui pût véritablement convenir à son fils? N’était-ce pas là comme une faveur du Ciel?

Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se faisait, ce jour-là, il y aurait à Coal-City une fête qui ferait époque pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.

Simon Ford ne savait pas si bien dire!

Il faut ajouter qu’un autre encore désirait non moins ardemment cette union de Nell et d’Harry. C’était l’ingénieur James Starr. Certes, le bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un mobile, d’un intérêt plus général, peut-être, le poussait aussi dans ce sens.

On le sait, James Starr avait conservé certaines appréhensions, bien que rien dans le présent ne les justifiât plus. Cependant, ce qui avait été pouvait être encore. Ce mystère de la nouvelle houillère, Nell était évidemment la seule à le connaître. Or, si l’avenir devait réserver de nouveaux dangers aux mineurs d’Aberfoyle, comment se mettre en garde contre de telles éventualités, sans en savoir au moins la cause?

«Nell n’a pas voulu parler, répétait souvent James Starr, mais ce qu’elle a tu jusqu’ici à tout autre, elle ne saurait le taire longtemps à son mari! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait nous-mêmes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux époux et la sécurité à leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s’en fera jamais ici-bas!»

Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l’ingénieur James Starr. Ce raisonnement, il le communiqua même au vieux Simon, qui ne fut pas sans le goûter. Rien ne semblait donc devoir s’opposer à ce qu’Harry devint l’époux de Nell.

Et qui donc l’aurait pu? Harry et Nell s’aimaient. Les vieux parents ne rêvaient pas d’autre compagne pour leur fils. Les camarades d’Harry enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu’il lui était bien dû. La jeune fille ne relevait que d’elle-même et n’avait d’autre consentement à obtenir que celui de son propre cœur.

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Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle à ce mariage, pourquoi, lorsque les disques électriques s’éteignaient à l’heure du repos, quand la nuit se faisait sur la cité ouvrière, lorsque les habitants de Coal-city avaient regagné leur cottage, pourquoi, de l’un des coins les plus sombres de la Nouvelle-Aberfoyle, un être mystérieux se glissait-il dans les ténèbres? Quel instinct guidait ce fantôme à travers certaines galeries si étroites qu’on devait les croire impraticables? Pourquoi cet être énigmatique, dont les yeux perçaient la plus profonde obscurité, venait-il en rampant sur le rivage du lac Malcolm? Pourquoi se dirigeait-il si obstinément vers l’habitation de Simon Ford, et si prudemment aussi, qu’il avait jusqu’alors déjoué toute surveillance? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux fenêtres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation à travers les volets du cottage?

Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu’à lui, pourquoi son poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure? Pourquoi, enfin ces mots s’échappaient-ils de sa bouche, contractée par la colère:

«Elle et lui! Jamais!»

 

 

Chapitre XVII

Un lever de soleil.

 

n mois après – c’était le soir du 20 août –, Simon Ford et Madge saluaient de leurs meilleurs «wishes» quatre touristes qui s’apprêtaient à quitter le cottage.

James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que son pied n’avait jamais foulé, dans cet éclatant milieu, dont ses regards ne connaissaient pas encore la lumière.

L’excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr, d’accord avec Harry, voulait qu’après ces quarante-huit heures passées au-dehors, la jeune fille eût vu tout ce qu’elle n’avait pu voir dans la sombre houillère, c’est-à-dire les divers aspects du globe, comme si un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de lacs, de golfes, de mers, se fût dérouté devant ses yeux.

Or, dans cette portion de l’Écosse, comprise entre Édimbourg et Glasgow, il semblait que la nature eût voulu précisément réunir ces merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient là comme partout, avec leurs nuées changeantes, leur lune sereine ou voilée, leur soleil radieux, leur fourmillement d’étoiles.

L’excursion projetée avait donc été combinée de manière à satisfaire aux conditions de ce programme.

Simon Ford et Madge eussent été très heureux d’accompagner Nell; mais, on les connaît, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et, finalement, ils ne purent se résoudre à abandonner, même pour un jour, leur souterraine demeure.

James Starr allait là en observateur, en philosophe, très curieux, au point de vue psychologique, d’observer les naïves impressions de Nell, – peut-être même de surprendre quelque peu des mystérieux événements auxquels son enfance avait été mêlée.

Harry, lui, se demandait, non sans appréhension, si une autre jeune fille que celle qu’il aimait et qu’il avait connue jusqu’alors, n’allait pas se révéler pendant cette rapide initiation aux choses du monde extérieur.

Quant à Jack Ryan, il était joyeux comme un pinson qui s’envole aux premiers rayons de soleil. Il espérait bien que sa contagieuse gaieté se communiquerait à ses compagnons de voyage. Ce serait une façon de payer sa bienvenue.

Nell était pensive et comme recueillie.

James Starr avait décidé, non sans raison, que le départ se ferait le soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne passât que par une gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Or, c’est le résultat qui serait obtenu, puisque, de minuit à midi, elle subirait ces phases successives d’ombre et de lumière, auxquelles son regard pourrait s’habituer peu à peu.

Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d’Harry, et lui dit:

«Harry, est-il donc nécessaire que j’abandonne notre houillère, ne fût-ce que quelques jours?

– Oui, Nell, répondit le jeune homme, il le faut! Il le faut pour toi et pour moi.

– Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m’as recueillie, je suis heureuse autant qu’on peut l’être. Tu m’as instruite. Cela ne suffit-il pas? Que vais-je faire là-haut?»

Harry la regarda sans répondre. Les pensées qu’exprimait Nell étaient presque les siennes.

«Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton hésitation, mais il est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t’accompagnent, et ils te ramèneront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la houillère, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre à toi! Je ne doute pas qu’il en doive être ainsi, et je t’approuve. Mais, au moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et agir en toute liberté. Viens donc!

– Viens, ma chère Nell, dit Harry.

– Harry, je suis prête à te suivre», répondit la jeune fille.

A neuf heures, le dernier train du tunnel entraînait Nell et ses compagnons à la surface du comté. Vingt minutes après, il les déposait à la gare où se reliait le petit embranchement, détaché du railway de Dumbarton à Stirling, qui desservait la Nouvelle-Aberfoyle.

La nuit était déjà sombre. De l’horizon au zénith, quelques vapeurs peu compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la poussée d’une brise de nord-ouest qui rafraîchissait l’atmosphère. La journée avait été belle. La nuit devait l’être aussi.

Arrivés à Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train, sortirent aussitôt de la gare.

Devant eux, entre de grands arbres, se développait une route qui conduisait aux rives du Forth.

La première impression physique qu’éprouva la jeune fille, fut celle de l’air pur que ses poumons aspirèrent avidement.

«Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air chargé de toutes les vivifiantes senteurs de la campagne!

– Quelles sont ces grandes fumées qui courent au-dessus de notre tête? demanda Nell.

– Ce sont des nuages, répondit Harry, ce sont des vapeurs à demi condensées que le vent pousse dans l’ouest.

– Ah! fit Nell, que j’aimerais à me sentir emportée dans leur silencieux tourbillon. – Et quels sont ces points scintillants qui brillent à travers les déchirures des nuées?

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– Ce sont les étoiles dont je t’ai parlé, Nell. Autant de soleils, autant de centres de mondes, peut-être semblables au nôtre!»

Les constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du firmament, que le vent purifiait peu à peu.

Nell regardait ces milliers d’étoiles brillantes qui fourmillaient au-dessus de sa tête.

«Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils en supporter l’éclat?

– Ma fille, répondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais des soleils qui gravitent à une distance énorme. Le plus rapproché de ces milliers d’astres, dont les rayons arrivent jusqu’à nous, c’est cette étoile de la Lyre, Wega, que tu vois là presque au zénith, et elle est encore à cinquante mille milliards de lieues. Son éclat ne peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se lèvera demain à trente-huit millions de lieues seulement, et aucun œil humain ne peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu’un foyer de fournaise. Mais viens, Nell, viens!»

On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry marchait à son côté. Jack Ryan allait et venait comme eût fait un jeune chien, impatient de la lenteur de ses maîtres.

Le chemin était désert. Nell regardait la silhouette des grands arbres que le vent agitait dans l’ombre. Elle les eût volontiers pris pour quelques géants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne d’horizon qui s’accusait plus nettement, lorsque la route coupait une plaine, tout l’imprégnait de sentiments nouveaux et traçait en elle des impressions ineffaçables. Après avoir interrogé d’abord, Nell se taisait, et, d’un commun propos, ses compagnons respectaient son silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles l’imagination sensible de la jeune fille. Ils préféraient laisser les idées naître d’elles-mêmes en son esprit.

A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de Forth était atteinte.

Là, une barque, qui avait été frétée par James Starr, attendait. Elle devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu’au port d’Édimbourg.

Nell vit l’eau brillante qui ondulait à ses pieds sous l’action du ressac et semblait constellée d’étoiles tremblotantes.

«Est-ce un lac? demanda-t-elle.

– Non, répondit Harry, c’est un vaste golfe avec des eaux courantes, c’est l’embouchure d’un fleuve, c’est presque un bras de mer. Prends un peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu’elle n’est pas douce comme celle du lac Malcolm.»

La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la porta à ses lèvres.

«Cette eau est salée, dit-elle.

– Oui, répondit Harry, la mer a reflué jusqu’ici, car la marée est pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau salée, dont tu viens de boire quelques gouttes!

– Mais si l’eau des fleuves n’est que celle de la mer que leur versent les nuages, pourquoi est-elle douce? demanda Nell.

– Parce que l’eau se dessale en s’évaporant, répondit James Starr. Les nuages ne sont formés que par l’évaporation et renvoient sous forme de pluie cette eau douce à la mer.

– Harry, Harry! s’écria alors la jeune fille, quelle est cette lueur rougeâtre qui enflamme l’horizon? Est-ce donc une forêt en feu?»

Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se coloraient dans l’est.

«Non, Nell, répondit Harry. C’est la lune à son lever.

– Oui, la lune! s’écria Jack Ryan, un superbe plateau d’argent que les génies célestes font circuler dans le firmament, et qui recueille toute une monnaie d’étoiles!

– Vraiment, Jack! répondit l’ingénieur en riant, je ne te connaissais pas ce penchant aux comparaisons hardies!

– Eh! monsieur Starr, ma comparaison est juste! Vous voyez bien que les étoiles disparaissent à mesure que la lune s’avance. Je suppose donc qu’elles tombent dedans!

– C’est-à-dire, Jack, répondit l’ingénieur, que c’est la lune qui éteint par son éclat les étoiles de sixième grandeur, et voilà pourquoi celles-ci s’effacent sur son passage.

– Que tout cela est beau! répétait Nell, qui ne vivait plus que par le regard. Mais je croyais que la lune était toute ronde?

– Elle est ronde quand elle est pleine, répondit James Starr, c’est-à-dire lorsqu’elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais, cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est écornée déjà, et le plateau d’argent de notre ami Jack n’est plus qu’un plat à barbe!

– Ah! monsieur Starr, s’écria Jack Ryan, quelle indigne comparaison! J’allais justement entonner ce couplet en l’honneur de la lune:

 

Astre des nuits qui dans ton cours

Viens caresser…

 

Mais non! C’est maintenant impossible! Votre plat à barbe m’a coupé l’inspiration!»

Cependant, la lune montait peu à peu sur l’horizon. Devant elle s’évanouissaient les dernières vapeurs. Au zénith et dans l’ouest, les étoiles brillaient encore sur un fond noir que l’éclat lunaire allait graduellement pâlir. Nell contemplait en silence cet admirable spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur argentée, mais sa main frémissait dans celle d’Harry et parlait pour elle.

«Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons gravi les pentes de l’Arthur-Seat avant le lever du soleil!»

La barque était amarrée à un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell et ses compagnons y prirent place. La voile fut hissée et se gonfla sous la brise du nord-ouest.

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Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille! Elle avait navigué quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais l’aviron, si doucement manié qu’il fût par la main d’Harry, trahissait toujours l’effort du rameur. Ici, pour la première fois, Nell se sentait entraînée avec un glissement presque aussi doux que celui du ballon à travers l’atmosphère. Le golfe était uni comme un lac. A demi couchée à l’arrière, Nell se laissait aller à ce balancement. Par instants, en de certaines embardées, un rayon de lune filtrait jusqu’à la surface du Forth, et l’embarcation semblait courir sur une nappe d’argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long du bordage. C’était un ravissement.

Mais il arriva alors que les yeux de Nell se fermèrent involontairement. Une sorte d’assoupissement passager la prit. Sa tête s’inclina sur la poitrine d’Harry, et elle s’endormit d’un tranquille sommeil.

Harry voulait la réveiller, afin qu’elle ne perdît rien des magnificences de cette belle nuit.

«Laisse-la dormir, mon garçon, lui dit l’ingénieur. Deux heures de repos la prépareront mieux à supporter les impressions du jour.»

A deux heures du matin, l’embarcation arrivait au pier de Granton. Nell se réveilla, dès qu’elle toucha terre.

«J’ai dormi? demanda-t-elle.

– Non, ma fille, répondit James Starr. Tu as simplement rêvé que tu dormais, voilà tout.»

La nuit était très claire alors. La lune, à mi-chemin de l’horizon au zénith, dispersait ses rayons à tous les points du ciel.

Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de pêche, que balançait doucement la houle du golfe. La brise calmissait aux approches du matin. L’atmosphère, nettoyée de brumes, promettait une de ces délicieuses journées d’août que le voisinage de la mer rend plus belles encore. Une sorte de buée chaude se dégageait de l’horizon, mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de la mer, lorsqu’elle se confond avec l’extrême périmètre du ciel. La portée de sa vue s’en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait pas cette impression particulière que donne l’Océan, lorsque la lumière semble en reculer les bornes à l’infini.

Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack Ryan qui s’avançaient par les rues désertes. Dans la pensée de Nell, ce faubourg de la capitale n’était qu’un assemblage de maisons sombres, qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule différence que sa voûte était plus élevée et scintillait de points brillants. Elle allait d’un pas léger, et jamais Harry n’était obligé de ralentir le sien, par crainte de la fatiguer.

«Tu n’es pas lasse? lui demanda-t-il, après une demi-heure de marche.

– Non, répondit-elle. Mes pieds ne semblent même pas toucher à la terre! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j’ai l’envie de m’envoler, comme si j’avais des ailes!

– Retiens-la! s’écria Jack Ryan. C’est qu’elle est bonne à garder, notre petite Nell! Moi aussi, j’éprouve cet effet, lorsque je suis resté quelque temps sans sortir de la houillère!

– Cela est dû, dit James Starr, à ce que nous ne nous sentons plus écrasés par la voûte de schiste qui recouvre Coal-city! Il semble alors que le firmament soit comme un profond abîme dans lequel on est tenté de s’élancer. – N’est-ce pas ce que tu ressens, Nell?

– Oui, monsieur Starr, répondit la jeune fille, c’est bien cela. J’éprouve comme une sorte de vertige!

– Tu t’y feras, Nell, répondit Harry. Tu te feras à cette immensité du monde extérieur, et peut-être oublieras-tu alors notre sombre houillère!

– Jamais, Harry!» répondit Nell.

Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle eût voulu refaire dans son esprit le souvenir de tout ce qu’elle venait de quitter.

Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons traversèrent Leith-Walk. Ils contournèrent Calton-Hill, où se dressaient dans la pénombre l’Observatoire et le monument de Nelson. Ils suivirent la rue du Régent, franchirent un pont, et arrivèrent par un léger détour à l’extrémité de la Canongate.

Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.

En cet endroit, Nell s’arrêta.

«Quelle est cette masse confuse? demanda-t-elle en montrant un édifice isolé qui s’élevait au fond d’une petite place.

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– Cette masse, Nell, répondit James Starr, c’est le palais des anciens souverains de l’Écosse, Holyrood, où se sont accomplis tant d’événements funèbres! Là, l’historien pourrait évoquer bien des ombres royales, depuis l’ombre de l’infortunée Marie Stuart jusqu’à celle du vieux roi français Charles X! Et pourtant, malgré ces funèbres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras pas à cette résidence un aspect trop lugubre! Avec ses quatre grosses tours crénelées, Holyrood ne ressemble pas mal à quelque château de plaisance, auquel le bon plaisir de son propriétaire a conservé son caractère féodal! – Mais continuons notre marche. Là, dans l’enceinte même de l’ancienne abbaye d’Holyrood, se dressent ces roches superbes de Salisbury que domine l’Arthur-Seat. C’est là que nous monterons. C’est à sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil apparaître au-dessus de l’horizon de mer.»

Ils entrèrent dans le Parc du Roi. Puis, s’élevant graduellement, ils traversèrent Victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable aux voitures, que Walter Scott se félicite d’avoir obtenue avec quelques lignes de roman.

L’Arthur-Seat n’est, à vrai dire, qu’une colline haute de sept cent cinquante pieds, dont la tête isolée domine les hauteurs environnantes. En moins d’une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait l’ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crâne de ce lion auquel ressemble l’Arthur-Seat, lorsqu’on l’observe du côté de l’ouest.

Là, tous quatre s’assirent, et James Starr, toujours riche de citations empruntées au grand romancier écossais, se borna à dire:

«Voici ce qu’a écrit Walter Scott, au chapitre huit de la Prison d’Édimbourg:

«Si j’avais à choisir un lieu d’où l’on pût voir le mieux «possible le lever et le coucher du soleil, ce serait cet «endroit même.»

«Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur.»,

Les regards de la jeune fille étaient alors tournés vers l’est. Harry, placé près d’elle, l’observait avec une anxieuse attention. N’allait-elle pas être trop vivement impressionnée par les premiers rayons du jour? Tous demeurèrent silencieux. Jack Ryan lui-même se tut.

Déjà une petite ligne pâle, nuancée de rose, se dessinait au-dessus de l’horizon sur un fond de brumes légères. Un reste de vapeurs, égarées au Zénith, fut attaqué par le premier trait de lumière. Au pied d’Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, Édimbourg, assoupie encore, apparaissait confusément. Quelques points lumineux piquaient çà et là l’obscurité. C’étaient les étoiles matinales qu’allumaient les gens de la vieille ville. En arrière, dans l’ouest, l’horizon, coupé de silhouettes capricieuses, bornait une région accidentée de pics, auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.

Cependant, le périmètre de la mer se traçait plus vivement vers l’est. La gamme des couleurs se disposait peu à peu suivant l’ordre que donne le spectre solaire. Le rouge des premières brumes allait par dégradation jusqu’au violet du zénith. De seconde en seconde, la palette prenait plus de vigueur: le rose devenait rouge, le rouge devenait feu. Le jour se faisait au point d’intersection que l’arc diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.

En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline jusqu’à la ville, dont les quartiers commençaient à se détacher par groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus émergeaient çà et là, et leurs linéaments se profilaient alors avec plus de netteté. Il se répandait comme une sorte de lumière cendrée dans l’espace. Enfin, un premier rayon atteignit l’œil de la jeune fille. C’était ce rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l’horizon est pur.

Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.

«Un feu! dit-elle.

– Non, Nell, répondit Harry, ce n’est pas un feu. C’est une touche d’or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott!»

Et, en effet, l’extrême pointe du clocheton, haut de deux cents pieds, brillait comme un phare de premier ordre.

Le jour était fait. Le soleil déborda. Son disque semblait encore humide, comme s’il fût réellement sorti des eaux de la mer. D’abord élargi par la réfraction, il se rétrécit peu à peu, de manière à prendre la forme circulaire. Son éclat, bientôt insoutenable, était celui d’une bouche de fournaise qui eût troué le ciel.

Nell dut presque aussitôt fermer les yeux. Sur leurs paupières, trop minces, il lui fallut même appliquer ses doigts, serrés étroitement.

Harry voulait qu’elle se retournât vers l’horizon opposé.

«Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s’habituent à voir ce que savent voir tes yeux!»

A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose, qui blanchissait à mesure que le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon. Son regard s’y faisait graduellement. Puis, ses paupières se soulevèrent, et ses yeux s’imprégnèrent enfin de la lumière du jour.

La pieuse enfant tomba à genoux, s’écriant:

«Mon Dieu, que votre monde est beau!»

La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se déroulait le panorama d’Édimbourg: les quartiers neufs et bien alignés de la nouvelle ville, l’amas confus des maisons et le réseau bizarre des rues de l’Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le château accroché à son rocher de basalte et Calton-Hill, portant sur sa croupe arrondie les ruines modernes d’un monument grec. De magnifiques routes plantées rayonnaient de la capitale à la campagne. Au nord, un bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profondément la côte, sur laquelle s’ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisième plan, se développait l’harmonieux littoral du comté de Fife. Une voie, droite comme celle du Pirée, reliait à la mer cette Athènes du Nord. Vers l’ouest s’allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello, dont le sable teignait en jaune les premières lames du ressac. Au large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois steamers empanachaient le ciel d’un cône de fumée noire. Puis, au-delà, verdoyait l’immense campagne. De modestes collines bossuaient çà et là la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l’ouest, le Ben-Lomond et le Ben-Ledi réverbéraient les rayons solaires, comme si des glaces éternelles en eussent tapissé les cimes.

Nell ne pouvait parler. Ses lèvres ne murmuraient que des mots vagues. Ses bras frémissaient. Sa tête était prise de vertiges. Un instant, ses forces l’abandonnèrent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle sublime, elle se sentit tout à coup faiblir, et tomba sans connaissance dans les bras d’Harry, prêts à la recevoir.

Cette jeune fille, dont la vie s’était écoulée jusqu’alors dans les entrailles du massif terrestre, avait enfin contemplé ce qui constitue presque tout l’univers, tel que l’ont fait le Créateur et l’homme. Ses regards, après avoir plané sur la ville et sur la campagne, venaient de s’étendre, pour la première fois, sur l’immensité de la mer et l’infini du ciel.

 

 

Chapitre XVIII

Du lac Lomond au lac Katrine.

 

arry, portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan, redescendit les pentes d’Arthur-Seat. Après quelques heures de repos et un déjeuner réconfortant qui fut pris à Lambret’s-Hotel, on songea à compléter l’excursion par une promenade à travers le pays des lacs.

Nell avait recouvré ses forces. Ses yeux pouvaient désormais s’ouvrir tout grands à la lumière, et ses poumons aspirer largement cet air vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance variée des plantes, l’azur du ciel, avaient déployé devant ses regards la gamme des couleurs.

Le train qu’ils prirent à General railway station, conduisit Nell et ses compagnons à Glasgow. Là, du dernier pont jeté sur la Clyde, ils purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils passèrent la nuit à Comrie’s Royal-hôtel.

Le lendemain, de la gare d’«Édimburgh and Glasgow railway», le train devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, à l’extrémité méridionale du lac Lomond.

«C’est là le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor! s’écria James Starr, le territoire si poétiquement célébré par Walter Scott. – Tu ne connais pas ce pays, Jack?

– Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et, lorsqu’un pays a été si bien chanté, il doit être superbe!

– Il l’est, en effet, s’écria l’ingénieur, et notre chère Nell en conservera le meilleur souvenir!

– Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, répondit Harry, ce sera double profit, car vous nous raconterez l’histoire du pays pendant que nous le regarderons.

– Oui, Harry, dit l’ingénieur, autant que ma mémoire me le permettra, mais à une condition, cependant: c’est que le joyeux Jack me viendra en aide! Lorsque je serai fatigué de raconter, il chantera!

– Il ne faudra pas me le dire deux fois», répliqua Jack Ryan en lançant une note vibrante, comme s’il eût voulu monter son gosier au la du diapason.

Par le railway de Glasgow à Balloch, entre la métropole commerciale de l’Écosse et l’extrémité méridionale du lac Lomond, on ne compte qu’une vingtaine de milles.

Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comté, dont le château, toujours fortifié, conformément au traité de l’Union, est pittoresquement campé sur les deux pics d’un gros rocher de basalte.

Dumbarton est situé au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce propos, James Starr raconta quelques particularités de l’aventureuse histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu’elle partit pour aller épouser François II et devenir reine de France. Là aussi, après 1815, le ministère anglais médita d’interner Napoléon; mais le choix de Sainte-Hélène prévalut, et. voilà pourquoi le prisonnier de l’Angleterre alla mourir sur un roc de l’Atlantique, pour le plus grand profit de la légendaire mémoire.

Bientôt, le train s’arrêta à Balloch, près d’une estacade en bois qui descendait au niveau du lac.

Un bateau à vapeur, le Sinclair, attendait les touristes qui font l’excursion des lacs. Nell et ses compagnons s’y embarquèrent, après avoir pris leur billet pour Inversnaid, à l’extrémité nord du lac Lomond.

La journée commençait par un beau soleil, bien dégagé de ces brumes britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun détail de ce paysage, qui allait se dérouler sur un parcours de trente milles, ne devait échapper aux voyageurs du Sinclair. Nell, assise à l’arrière entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la poésie superbe, dont cette belle nature écossaise est si largement empreinte.

Jack Ryan allait et venait sur le pont du Sinclair, interrogeant sans cesse l’ingénieur, qui, cependant, n’avait pas besoin d’être interrogé. A mesure que ce pays de Rob Roy se développait à ses regards, il le décrivait en admirateur enthousiaste.

Dans les premières eaux du lac Lomond, apparurent d’abord de nombreuses petites îles ou îlots. C’était comme un semis. Le Sinclair côtoyait leurs rives escarpées, et, dans l’entre-deux des îles, se dessinaient, tantôt une vallée solitaire, tantôt une gorge sauvage, hérissée de rocs abrupts.

«Nell, dit James Starr, chacun de ces îlots a sa légende, et peut-être sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut dire, sans trop de prétention, que l’histoire de cette contrée est écrite avec ces caractères gigantesques d’îles et de montagnes.

– Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette partie du lac Lomond?

– Que te rappelle-t-elle, Harry?

– Les mille îles du lac Ontario, si admirablement décrites par Cooper. Tu dois être comme moi frappée de cette ressemblance, ma chère Nell, car, il y a quelques jours, je t’ai lu ce roman qu’on a pu justement nommer le chef-d’œuvre de l’auteur américain.

– En effet, Harry, répondit la jeune fille, c’est le même aspect, et le Sinclair se glisse entre ces îles, comme faisait au lac Ontario le cutter de Jasper Eau-douce!

– Eh bien, reprit l’ingénieur, cela prouve que les deux sites méritaient d’être également chantés par deux poètes! Je ne connais pas ces mille îles de l’Ontario, Harry, mais je doute que l’aspect en soit plus varié que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage. Voici l’île Murray, avec son vieux fort du Lennox, où résida la vieille duchesse d’Albany, après la mort de son père, de son époux, de ses deux fils, décapités par ordre de Jacques Ier. Voici l’île Clar, l’île Cro, l’île Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de végétation, les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des mélèzes et des bouleaux. Là, des champs de bruyères jaunes et desséchées. En vérité! j’ai quelque peine à croire que les mille îles du lac Ontario offrent une telle variété de sites.

– Quel est ce petit port? demanda Nell, qui s’était retournée vers la rive orientale du lac.

– C’est Balmaha, qui forme l’entrée des Highlands, répondit James Starr. Là commencent nos hautes terres d’Écosse. Les ruines que tu aperçois, Nell, sont celles d’un ancien couvent de femmes, et ces tombes éparses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor, dont le nom est encore célèbre dans toute la contrée.

– Célèbre par le sang que cette famille a répandu et fait répandre! fit observer Harry.

– Tu as raison, répondit James Starr, et il faut bien avouer que la célébrité, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils vont loin à travers les âges ces récits de combats…

– Et ils se perpétuent par les chansons», ajouta Jack Ryan.

Et, à l’appui de son dire, le brave garçon entonna le premier couplet d’un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d’Alexandre Mac Gregor, du glen Straë, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.

Nell écoutait, mais, de ces récits de combats, elle ne recevait qu’une impression triste. Pourquoi tant de sang versé sur ces plaines que la jeune fille trouvait immenses, là où la place, cependant, ne devait manquer à personne?

Les rives du lac, qui mesurent de trois à quatre milles, tendaient à se rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un instant la vieille tour de l’ancien château. Puis, le Sinclair remit le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui s’élève à près de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.

«L’admirable montagne. s’écria Nell, et, de son sommet, que la vue doit être belle.

– Oui, Nell, répondit James Starr. Regarde comme cette cime se dégage fièrement de la corbeille de chênes, de bouleaux, de mélèzes, qui tapissent la zone inférieure du mont! De là, on aperçoit les deux tiers de notre vieille Calédonie. C’est ici que le clan de Mac Gregor faisait sa résidence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d’une fois ensanglanté ces gorges désolées. Là, pendant les belles nuits, se lève cette pâle lune, que les vieux récits nomment «la lanterne de Mac Farlane». Là, les échos répètent encore les noms impérissables de Rob Roy et de Mac Gregor Campbell.»

Le Ben Lomond, dernier pic de la chaîne des Grampians, mérite vraiment d’avoir été célébré par le grand romancier écossais. Ainsi que le fit observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime revêt des neiges éternelles, mais il n’en est peut-être pas de plus poétique en aucun coin du monde.

«Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout entier au duc de Montrose! Sa Grâce possède une montagne comme un bourgeois de Londres possède un boulingrin dans son jardinet.»

Pendant ce temps, le Sinclair arrivait au village de Tarbet, sur la rive opposée du lac, où il déposa les voyageurs qui se rendaient à Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa beauté. Ses flancs, zébrés par le lit des torrents, miroitaient comme des plaques d’argent en fusion.

A mesure que le Sinclair longeait la base de la montagne, le pays devenait de plus en plus abrupt. A peine, çà et là, des arbres isolés, entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient autrefois à pendre les gens de petite condition.

«Pour économiser le chanvre», fit observer James Starr.

Le lac, cependant, se rétrécissait en s’allongeant vers le nord. Les montagnes latérales l’enserraient plus étroitement. Le bateau à vapeur longea encore quelques îles et îlots, Inveruglas, Eilad-Whou, où se dressaient les vestiges d’une forteresse qui appartenait aux Mac Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le Sinclair s’arrêta à la station d’Inverslaid.

Là, pendant qu’on préparait leur déjeuner, Nell et ses compagnons allèrent visiter, près du lieu de débarquement, un torrent qui se précipitait dans le lac d’une assez grande hauteur. Il paraissait avoir été planté là comme un décor, pour le plaisir des touristes. Un pont tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d’une poussière liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande partie du Lomond, et le Sinclair ne paraissait plus être qu’un point à sa surface.

Le déjeuner achevé, il s’agissait de se rendre au lac Katrine. Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane – cette famille qui assurait autrefois le bois et l’eau à Rob Roy fugitif – étaient à la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce confort qui distingue la carrosserie anglaise.

Harry installa Nell sur l’impériale, conformément à la mode du jour. Ses compagnons et lui prirent place auprès d’elle. Un magnifique cocher, à livrée rouge, réunit dans sa main gauche les guides de ses quatre chevaux, et l’attelage commença à gravir le flanc de la montagne, en côtoyant le lit sinueux du torrent.

La route était fort escarpée. A mesure qu’elle s’élevait, la forme des cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement toute la chaîne de la rive opposée du lac et les sommets d’Arroquhar, dominant la vallée d’Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui découvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.

Le pays compris entre le Lac Lomond et le lac Katrine présentait un aspect sauvage. La vallée commençait par des défilés étroits qui aboutissaient au glen d’Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement à la jeune fille ces abîmes remplis d’épouvante, au fond desquels s’était écoulée son enfance. Aussi James Starr s’empressa-t-il de la distraire par ses récits.

La contrée y prêtait, d’ailleurs. C’est sur les bords du petit lac d’Ard que se sont accomplis les principaux événements de la vie de Rob Roy. Là se dressaient des roches calcaires d’un aspect sinistre, entremêlées de cailloux, que l’action du temps et de l’atmosphère avait durcis comme du ciment. De misérables huttes, semblables à des tanières – de celles qu’on appelle «bourrochs» –, gisaient au milieu des bergeries en ruine. On n’eût pu dire si elles étaient habitées par des créatures humaines ou des bêtes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux déjà décolorés par l’intempérie du climat, regardaient passer les voitures avec de grands yeux ébahis.

«Voilà bien, dit James Starr, ce que l’on peut plus particulièrement appeler le pays de Rob Roy. C’est ici que l’excellent bailli Nichol Jarvie, digne fils de son père le diacre, fut saisi par la milice du comte de Lennox. C’est à cet endroit même qu’il resta suspendu par le fond de sa culotte, heureusement faite d’un bon drap d’Écosse, et non de ces camelots légers de France! Non loin des sources du Forth, qu’alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gué que franchit le héros pour échapper aux soldats du duc de Montrose. Ah! s’il avait connu les sombres retraites de notre houillère, il aurait pu y défier toutes les recherches! Vous le voyez, mes amis, on ne peut faire un pas dans cette contrée, merveilleuse à tant de titres, sans rencontrer ces souvenirs du passé dont s’est inspiré Walter Scott, lorsqu’il a paraphrasé en strophes magnifiques l’appel aux armes du clan des Mac Grégor.

– Tout cela est bien dit, monsieur Starr, répliqua Jack Ryan, mais, s’il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa culotte, que devient notre proverbe: «Bien matin celui qui pourra jamais prendre «la culotte d’un Écossais?»

– Ma foi, Jack, tu as raison, répondit en riant James Starr, et cela prouve tout simplement que, ce jour-là, notre bailli n’était pas vêtu à la mode de ses ancêtres!

– Il eut tort, monsieur Starr!

– Je n’en disconviens pas, Jack!»

L’attelage, après avoir gravi les abruptes rives du torrent, redescendit dans une vallée sans arbres, sans eaux, uniquement couverte d’une maigre bruyère. En certains endroits, quelques tas de pierres s’élevaient en pyramides.

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«Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois, devait y apporter une pierre, pour honorer le héros couché sous ces tombes. De là est venu le dicton gaélique: «Malheur à qui passe devant un cairn sans y «déposer la pierre du dernier salut!» Si les fils avaient conservé la foi de leurs pères, ces amas de pierres seraient maintenant des collines. En vérité, dans cette contrée, tout contribue à développer cette poésie naturelle innée au cœur des montagnards! Il en est ainsi de tous les pays de montagne. L’imagination y est surexcitée par ces merveilles, et, si les Grecs eussent habité un pays de plaines, ils n’auraient jamais inventé la mythologie antique!»

Pendant ces discours et bien d’autres, la voiture s’enfonçait dans les défilés d’une vallée étroite, qui eût été très propice aux ébats des brawnies familiers de la grande Meg Mérillies. Le petit lac d’Arklet fut laissé sur la gauche, et une route à pente raide se présenta, qui conduisait à l’auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.

Là, au musoir d’une légère estacade, se balançait un petit steam-boat, qui portait naturellement le nom de Rob-Roy. Les voyageurs s’y embarquèrent aussitôt: il allait partir.

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Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur qui ne dépasse jamais deux milles. Les premières collines du littoral sont encore empreintes d’un grand caractère.

«Voilà donc ce lac, s’écria James Starr, que l’on a justement comparé à une longue anguille! On affirme qu’il ne gèle jamais. Je n’en sais rien, mais ce qu’il ne faut point oublier, c’est qu’il a servi de théâtre aux exploits de la Dame du lac. Je suis certain que, si notre ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore à sa surface l’ombre légère de la belle Hélène Douglas!

– Certainement, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et pourquoi ne la verrais-je point? Pourquoi cette jolie femme ne serait-elle pas aussi visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la houillère sur les eaux du lac Malcolm?»

En cet instant, les sons clairs d’une cornemuse se firent entendre à l’arrière du Rob-Roy.

Là, un Highlander en costume national préludait, sur son «bag-pipe» à trois bourdons, dont le plus gros sonnait le sol le second le si, et le plus petit l’octave du gros. Quant au chalumeau, percé de huit trous, il donnait une gamme de sol majeur dont le fa était naturel.

Le refrain du Highlander était un chant simple, doux et naïf. On peut croire, véritablement, que ces mélodies nationales n’ont été composées par personne, qu’elles sont un mélange naturel de souffle de la brise, du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain, qui revenait à intervalles réguliers, était bizarre. Sa phrase se composait de trois mesures à deux temps, et d’une mesure à trois temps, finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille époque, il était en majeur, et l’on eût pu l’écrire comme suit, dans ce langage chiffré qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons:

 

51.2 35 51.765 22.22

 1.2 35 5 1.765 11.11

 

Un homme véritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des lacs d’Écosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander l’accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne, consacré aux poétiques légendes de la vieille Calédonie:

 

Beaux lacs aux ondes dormantes,

Gardez à jamais

Vos légendes charmantes,

Beaux lacs écossais!

 

Sur vos bords on trouve la trace

De ces héros tant regrettés,

Ces descendants de noble race,

Que notre Walter a chantés!

Voici la tour où les sorcières

Préparaient leur repas frugal;

Là, les vastes champs de bruyères,

Où revient l’ombre de Fingal!

 

Ici passent dans la nuit sombre

Les folles danses des lutins.

Là, sinistre, apparaît dans l’ombre

La face des vieux Puritains!

Et parmi les rochers sauvages,

Le soir, on peut surprendre encor

Waverley, qui, vers vos rivages,

Entraîne Flora Mac Ivor!

 

La Dame du Lac vient sans doute

Errer là sur son palefroi,

Et Diana, non loin, écoute

Résonner le cor de Rob Roy!

N’a-t-on pas entendu naguère

Fergus au milieu de ses clans,

Entonnant ses pibrochs de guerre,

Réveiller l’écho des Highlands

 

Si loin de vous, lacs poétiques,

Que le destin mène nos pas,

Ravins, rochers, grottes antiques,

Nos yeux ne vous oublieront pas!

O vision trop tôt finie,

Vers nous ne peux-tu revenir!

A toi, vieille Calédonie,

A toi, tout notre souvenir!

 

Beaux lacs aux ondes dormantes,

Gardez à jamais

Vos légendes charmantes,

Beaux lacs écossais!

 

Il était trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine, moins accidentées, se détachaient alors dans le double cadre du Ben An et du Ben Venue. Déjà, à un demi-mille, se dessinait l’étroit bassin, au fond duquel le Rob-Roy allait débarquer les voyageurs, qui se rendaient à Stirling par Callander.

Nell était comme épuisée par la tension continue de son esprit. Un seul mot sortait de ses lèvres: «Mon Dieu! mon Dieu!» chaque fois qu’un nouveau sujet d’admiration s’offrait à sa vue. Il lui fallait quelques heures de repos, ne fût-ce que pour fixer plus durablement le souvenir de tant de merveilles.

A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec émotion et lui dit:

«Nell, ma chère Nell, bientôt nous serons rentrés dans notre sombre domaine! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces quelques heures passées à la pleine lumière du jour?

– Non, Harry, répondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c’est avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aimée houillère.

– Nell, demanda Harry d’une voix dont il voulait en vain contenir l’émotion, veux-tu qu’un lien sacré nous unisse à jamais devant Dieu et devant les hommes? Veux-tu de moi pour époux?

– Je le veux, Harry, répondit Nell, en le regardant de ses yeux si purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire à ta vie…»

Nell n’avait pas achevé cette phrase, dans laquelle se résumait tout l’avenir d’Harry, qu’un inexplicable phénomène se produisit.

Le Rob-Roy, bien qu’il fût encore à un demi-mille de la rive, éprouvait un choc brusque. Sa quitte venait de heurter le fond du lac, et sa machine, malgré tous ses efforts, ne put l’en arracher.

Et si cet accident était arrivé, c’est que, dans sa portion orientale, le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une immense fissure se fût ouverte sous son lit. En quelques secondes, il s’était asséché, ainsi qu’un littoral au plus bas d’une grande marée d’équinoxe. Presque tout son contenu avait fui à travers les entrailles du sol.

«Mes amis, s’était écrié James Starr, comme si la cause du phénomène se fût soudain révélée à son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle!»

 

 

Chapitre XIX

Une dernière menace.

 

e jour-là, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s’accomplissaient d’une façon régulière. On entendait au loin le fracas des cartouches de dynamite, faisant éclater le filon carbonifère. Ici, c’étaient les coups de pic et de pince qui provoquaient l’abatage du charbon, là, le grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les fait les de grès ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L’air aspiré par les machines fusait à travers les galeries d’aération. Les portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes poussées. Dans les tunnels inférieurs, les trains de wagonnets, mus mécaniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles à l’heure, et les timbres automatiques prévenaient les ouvriers de se blottir dans les refuges. Les cages montaient et descendaient sans relâche, halées par les énormes tambours des machines installées à la surface du sol. Les disques, poussés à plein feu, éclairaient vivement Coal-city.

L’exploitation était donc conduite avec la plus grande activité. Le filon s’égrenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se vider dans les bennes, au fond des puits d’extraction. Pendant qu’une partie des mineurs se reposait après les travaux nocturnes, les équipes de jour travaillaient sans perdre une heure.

Simon Ford et Madge, leur dîner terminé, s’étaient installés dans la cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutumée. Il fumait sa pipe bourrée d’excellent tabac de France. Lorsque les deux époux causaient, c’était pour parler de Nell, de leur garçon, de James Starr, de cette excursion à la surface de la terre. Où étaient-ils? Que faisaient-ils en ce moment? Comment, sans éprouver la nostalgie de la houillère, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors?

En ce moment, un mugissement d’une violence extraordinaire se fit soudain entendre, c’était à croire qu’une énorme cataracte se précipitait dans la houillère.

Simon Ford et Madge s’étaient levés brusquement.

Presque aussitôt les eaux du lac Malcolm se gonflèrent. Une haute vague, déferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se briser contre le mur du cottage.

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Simon Ford, saisissant Madge, l’avait rapidement entraînée au premier étage de l’habitation.

En même temps, des cris s’élevaient de toutes parts dans Coal-city, menacée par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du lac.

La terreur était au comble. Déjà quelques familles de mineurs, à demi affolées, se précipitaient vers le tunnel, pour gagner les étages supérieurs. On pouvait craindre que la mer n’eût fait irruption dans la houillère, dont les galeries s’enfonçaient jusque sous le canal du Nord. La crypte, si vaste qu’elle fût, aurait été entièrement noyée. Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n’eût échappé à la mort.

Mais, au moment où les premiers fuyards atteignaient l’orifice du tunnel, ils se trouvèrent en face de Simon Ford, qui avait aussitôt quitté le cottage.

«Arrêtez, arrêtez, mes amis! leur cria le vieil overman. Si notre cité devait être envahie, l’inondation courrait plus vite que vous, et personne ne lui échapperait! Mais les eaux ne croissent plus! Tout danger paraît être écarté.

– Et nos compagnons qui sont occupés aux travaux du fond? s’écrièrent quelques-uns des mineurs.

– Il n’y a rien à craindre pour eux, répondit Simon Ford. L’exploitation se fait à un étage supérieur au lit du lac!»

Les faits devaient donner raison au vieil overman. L’envahissement de l’eau s’était produit subitement; mais, réparti à l’étage inférieur de la vaste houillère, il n’avait eu d’autre effet que de surélever de quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n’était donc pas compromise, et l’on pouvait espérer que l’inondation, entraînée dans les plus basses profondeurs de la houillère, encore inexploitées, n’aurait fait aucune victime.

Quant à cette inondation, si elle était due à l’épanchement d’une nappe intérieure à travers les fissures du massif, ou si quelque cours d’eau du sol s’était précipité par son lit effondré jusqu’aux derniers étages de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant à penser qu’il s’agissait là d’un simple accident, tel qu’il s’en produit quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.

Mais, le soir même, on savait à quoi s’en tenir. Les journaux du comté publiaient le récit de cet étrange phénomène, dont le lac Katrine avait été le théâtre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui étaient revenus en toute hâte au cottage, confirmaient ces nouvelles, et apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait à des dégâts matériels dans la Nouvelle-Aberfoyle.

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Ainsi donc, le lit du lac Katrine s’était subitement effondré. Ses eaux avaient fait irruption à travers une large fissure jusque dans la houillère. Au lac favori du romancier écossais, il ne restait plus de quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, – du moins dans toute sa partie méridionale. Un étang de quelques acres, voilà à quoi il était réduit, là où son lit se trouvait en contre-bas de la portion effondrée.

Quel retentissement eut cet événement bizarre! C’était la première fois, sans doute, qu’un lac se vidait en quelques instants dans les entrailles du sol. Il n’y avait plus, maintenant, qu’à rayer celui-ci des cartes du Royaume-Uni, jusqu’à ce qu’on l’eût rempli de nouveau – par souscription publique –, après avoir préalablement bouché la fissure. Walter Scott en fût mort de désespoir, – s’il eût encore été de ce monde.

Après tout, l’accident était explicable. En effet, entre la profonde cavité et le lit du lac, l’étage des terrains secondaires se réduisait à une mince couche, par suite d’une disposition géologique particulière du massif.

Mais, si cet éboulement semblait être dû à une cause naturelle, James Starr, Simon et Harry Ford se demandèrent, eux, s’il ne fallait pas l’attribuer à la malveillance. Les soupçons étaient revenus avec plus de force à leur esprit. Le génie malfaisant allait-il donc recommencer ses entreprises contre les exploitants de la riche houillère?

Quelques jours après, James Starr en causait au cottage avec le vieil overman et son fils.

«Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s’expliquer de lui-même, j’ai comme un pressentiment qu’il rentre dans la catégorie de ceux dont nous recherchons encore la cause!

– Je pense comme vous, monsieur James, répondit Simon Ford; mais, si vous m’en croyez, n’ébruitons rien et faisons notre enquête nous-mêmes.

– Oh! s’écria l’ingénieur, j’en connais le résultat d’avance!

– Eh! quel sera-t-il?

– Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le malfaiteur!

– Cependant il existe! répondit Simon Ford. Où se cache-t-il? Un seul être, si pervers qu’il soit, pourrait-il mener à bien une idée aussi infernale que celle de provoquer l’effondrement d’un lac? Vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c’est quelque génie de la houillère, qui nous en veut d’avoir envahi son domaine!»

Il va sans dire que Nell, autant que possible, était tenue en dehors de ces conciliabules. Elle aidait, d’ailleurs, au désir qu’on avait de ne lui en rien laisser soupçonner. Son attitude témoignait, toutefois, qu’elle partageait les préoccupations de sa famille adoptive. Sa figure attristée portait la marque des combats intérieurs qui l’agitaient.

Quoi qu’il en soit, il fut résolu que James Starr, Simon et Harry Ford retourneraient sur le lieu même de l’éboulement, et qu’ils essayeraient de se rendre compte de ses causes. Ils ne parlèrent à personne de leur projet. A qui n’eût pas connu l’ensemble des faits qui lui servaient de base, l’opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument inadmissible.

Quelques jours après, tous trois, montant un léger canot que manœuvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du lac Katrine.

Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient été attaqués à coups de mine. Les traces noircies étaient encore visibles, car les eaux avaient baissé par suite d’infiltrations, et l’on pouvait arriver jusqu’à la base de la substruction.

Cette chute d’une portion des voûtes du dôme avait été préméditée, puis exécutée de main d’homme.

«Aucun doute n’est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui serait arrivé, si, au lieu de ce petit lac, l’effondrement eût ouvert passage aux eaux d’une mer!

– Oui! s’écria le vieil overman avec un sentiment de fierté, il n’aurait pas fallu moins d’une mer pour noyer notre Aberfoyle! Mais, encore une fois, quel intérêt peut avoir un être quelconque à la ruine de notre exploitation?

– C’est incompréhensible, répondit James Starr. Il ne s’agit pas là d’une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l’antre où ils s’abritent, se répandraient sur le pays pour voler et piller! De tels méfaits, depuis trois ans, auraient révélé leur existence! Il ne s’agit pas, non plus, comme j’y ai pensé quelquefois, de contrebandiers ou de faux monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignoré de ces immenses cavernes leur coupable industrie, et intéressés par suite à nous en chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour la garder! Il est clair cependant qu’un ennemi implacable a juré la perte de la Nouvelle-Aberfoyle, et qu’un intérêt le pousse à chercher tous les moyens possibles d’assouvir la haine qu’il nous a vouée! Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c’est dans l’ombre qu’il prépare ses embûches, mais l’intelligence qu’il y déploie fait de lui un être redoutable. Mes amis, il possède mieux que nous tous les secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il échappe à toutes nos recherches!

C’est un homme du métier, un habile parmi les habiles, à coup sûr, Simon. Ce que nous avons surpris de sa façon d’opérer en est la preuve manifeste. Voyons! avez-vous jamais eu quelque ennemi personnel, sur lequel vos soupçons puissent se porter? Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n’éteint pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s’il le faut. Tout ce qui se passe est l’œuvre d’une sorte de folie froide et patiente, qui exige que vous évoquiez sur ce point jusqu’à vos plus lointains souvenirs!»

Simon Ford ne répondit pas. On voyait que l’honnête overman, avant de s’expliquer, interrogeait avec candeur tout son passé. Enfin, relevant la tête:

«Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n’avons jamais fait de mal à personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un ennemi, un seul!

– Ah! s’écria l’ingénieur, si Nell voulait enfin parler!

– Monsieur Starr, et vous, mon père, répondit Harry, je vous en supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enquête! N’interrogez pas ma pauvre Nell! Je la sens déjà anxieuse et tourmentée. Il est certain pour moi que son cœur contient à grand-peine un secret qui l’étouffe. Si elle se tait, c’est ou qu’elle n’a rien à dire, ou qu’elle ne croit pas devoir parler! Nous ne pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous! Plus tard, si elle m’apprend ce qu’elle nous a tu jusqu’ici, vous en serez instruits aussitôt.

– Soit, Harry, répondit l’ingénieur, et cependant ce silence, si Nell sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable!»

Et comme Harry allait se récrier:

«Sois tranquille, ajouta l’ingénieur. Nous ne dirons rien à celle qui doit être ta femme.

– Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon père!

– Mon garçon, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton mariage se fera. – Vous tiendrez lieu de père à Nell, monsieur James?

– Comptez sur moi, Simon», répondit l’ingénieur.

James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent rien du résultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la houillère, l’effondrement des voûtes resta à l’état de simple accident. Il n’y avait qu’un lac de moins en Écosse.

Nell avait peu à peu repris ses occupations habituelles. De cette visite à la surface du comté, elle avait gardé d’impérissables souvenirs qu’Harry utilisait pour son instruction. Mais cette initiation à la vie du dehors ne lui avait laissé aucun regret. Elle aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine où, femme, elle continuerait de demeurer, après y avoir vécu enfant et jeune fille.

Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments affluèrent au cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier à y apporter les siens. On le surprenait aussi à étudier au loin ses meilleures chansons pour une fête à laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.

Mais il arriva que, pendant le mois qui précéda le mariage, la Nouvelle-Aberfoyle fut plus éprouvée qu’elle ne l’avait jamais été. On eût dit que l’approche de l’union de Nell et d’Harry provoquait catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient principalement dans les travaux du fond, sans que la véritable cause pût en être connue.

Ainsi, un incendie dévora le boisage d’une galerie inférieure, et on retrouva la lampe que l’incendiaire avait employée. Harry et ses compagnons durent risquer leur vie pour arrêter ce feu, qui menaçait de détruire le gisement, et ils n’y parvinrent qu’en employant les extincteurs, remplis d’une eau chargée d’acide carbonique, dont la houillère était prudemment pourvue.

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Une autre fois, ce fut un éboulement dû à la rupture des étançons d’un puits, et James Starr constata que ces étançons avaient été préalablement attaqués à la scie. Harry, qui surveillait les travaux sur ce point, fut enseveli sous les décombes et n’échappa que par miracle à la mort.

Quelques jours après, sur le tramway à traction mécanique, le train de wagonnets sur lequel Harry était monté, tamponna un obstacle et fut culbuté. On reconnut ensuite qu’une poutre avait été placée en travers de la voie.

Bref, ces faits se multiplièrent tellement, qu’une sorte de panique se déclara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la présence de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.

«Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs! répétait Simon Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul!»

On recommença les recherches. La police du comté se tint sur pied nuit et jour, mais elle ne put rien découvrir. James Starr défendit à Harry, que cette malveillance semblait viser plus directement, de s’aventurer jamais seul hors du centre des travaux.

On en agit de même à l’égard de Nell, à laquelle, sur les instances de Harry, on cachait, néanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui pouvaient lui rappeler le souvenir du passé. Simon Ford et Madge la gardaient jour et nuit avec une sorte de sévérité, ou plutôt de sollicitude farouche. La pauvre enfant s’en rendait compte; mais pas une remarque, pas une plainte ne lui échappa. Se disait-elle que si l’on en agissait ainsi, c’était dans son intérêt? Oui, probablement. Toutefois, elle aussi, à sa façon, semblait veiller sur les autres, et ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu’elle aimait étaient réunis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature, d’ordinaire plus réservée qu’expansive. La nuit une fois passée, elle était debout, avant tous les autres. Son inquiétude la reprenait dès le matin, à l’heure de la sortie pour les travaux du fond.

Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage fût un fait accompli. Il lui semblait que, devant cet acte irrévocable, la malveillance, devenue inutile, désarmerait, et que Nell ne se sentirait en sûreté que lorsqu’elle serait sa femme. Cette impatience était d’ailleurs partagée par James Starr aussi bien que par Simon Ford et Madge. Chacun comptait les jours.

La vérité est que chacun était sous le coup des plus sinistres pressentiments. Cet ennemi caché, qu’on ne savait où prendre et comment combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne lui était sans doute indifférent. Cet acte solennel du mariage d’Harry et de la jeune fille pouvait donc être l’occasion de quelque machination nouvelle de sa haine.

Un matin, huit jours avant l’époque convenue pour la cérémonie, Nell, poussée sans doute par quelque sinistre pressentiment, était parvenue à sortir la première du cottage, dont elle voulait observer les abords.

Arrivée au seuil, un cri d’indicible angoisse s’échappa de sa bouche.

Ce cri retentit dans toute l’habitation, et attira en un instant Madge, Simon et Harry près de la jeune fille.

Nell était pâle comme la mort, le visage bouleversé, les traits empreints d’une épouvante inexprimable. Hors d’état de parler, son regard était fixé sur la porte du cottage, qu’elle venait d’ouvrir. Sa main crispée y désignait ces lignes, qui avaient été tracées pendant la nuit et dont la vue la terrifiait:

 

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«Simon Ford, tu m’as volé le dernier filon de nos vieilles houillères! Harry, ton fils, m’a volé Nell! Malheur à vous! malheur à tous! malheur à la Nouvelle-Aberfoyle.

« Silfax»                      

 

«Silfax! s’écrièrent à la fois Simon Ford et Madge.

– Quel est cet homme? demanda Harry, dont le regard se portait alternativement de son père à la jeune fille.

– Silfax! répétait Nell avec désespoir, Silfax!»

Et tout son être frémissait en murmurant ce nom, pendant que Madge, s’emparant d’elle, la reconduisait presque de force à sa chambre.

James Starr était accouru. Après avoir lu et relu la phrase menaçante:

«La main qui a tracé ces lignes, dit-il, est celle qui m’avait écrit la lettre contradictoire de la vôtre, Simon! Cet homme se nomme Silfax! Je vois à votre trouble que vous le connaissez! Quel est ce Silfax?»

 

 

Chapitre XX

Le pénitent.

 

e nom avait été toute une révélation pour le vieil overman.

C’était celui du dernier «pénitent» de la fosse Dochart.

Autrefois, avant l’invention de la lampe de sûreté, Simon Ford avait connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet être étrange, rôdant dans la mine, toujours accompagné d’un énorme harfang, sorte de chouette monstrueuse, qui l’aidait dans son périlleux métier en portant une mèche enflammée là où la main de Silfax ne pouvait atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en même temps que lui, une petite orpheline, née dans la mine et qui n’avait plus pour parent que lui, son arrière-grand-père. Cette enfant, évidemment, c’était Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc vécu dans quelque secret abîme, jusqu’au jour où Nell fut sauvée par Harry.

Le vieil overman, en proie à la fois à un sentiment de pitié et de colère, communiqua à l’ingénieur et à son fils ce que la vue de ce nom de Silfax venait de lui révéler.

Cela éclaircissait toute la situation. Silfax était l’être mystérieux vainement cherché dans les profondeurs de la Nouvelle-Aberfoyle!

«Ainsi, vous l’avez connu, Simon? demanda l’ingénieur.

– Oui, en vérité, répondit l’overman. L’homme au harfang! Il n’était déjà plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne craindre ni l’eau ni le feu! C’était par goût qu’il avait choisi le métier de pénitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession avait dérangé ses idées. On le disait méchant, et il n’était peut-être que fou. Sa force était prodigieuse. Il connaissait la houillère comme pas un, – aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des années.

– Mais, reprit James Starr, qu’entend-il par ces mots: «Tu m’as volé le dernier filon de nos vieilles houillères»?

– Ah! voilà, répondit Simond Ford. Il y a longtemps déjà, Silfax, dont la cervelle, je vous l’ai dit, a toujours été dérangée, prétendait avoir des droits sur l’ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur devenait-elle de plus en plus farouche à mesure que la fosse Dochart, – sa fosse! – s’épuisait! Il semblait que ce fussent ses propres entrailles que chaque coup de pic lui arrachât du corps! – Tu dois te souvenir de cela, Madge?

– Oui, Simon, répondit la vieille Écossaise.

– Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j’ai vu le nom de Silfax sur cette porte; mais, je le répète, je le croyais mort, et je ne pouvais imaginer que cet être malfaisant, que nous avons tant cherché, fût l’ancien pénitent de la fosse Dochart.

– En effet, dit James Starr, tout s’explique. Un hasard a révélé à Silfax l’existence du nouveau gisement. Dans son égoïsme de fou, il aura voulu s’en constituer le défenseur. Vivant dans la houillère, la parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que vous me demandiez en toute hâte au cottage. De là, cette lettre contradictoire de la vôtre; de là, après mon arrivée, le bloc de pierre lancé contre Harry et les échelles détruites du puits Yarow; de là, l’obturation des fissures à la paroi du nouveau gisement; de là, enfin, notre séquestration, puis notre délivrance, qui s’est accomplie grâce à la secourable Nell, sans doute, à l’insu et malgré ce Silfax!

– Vous venez de raconter les choses comme elles ont évidemment dû se passer, monsieur James, répondit Simon Ford. Le vieux pénitent est certainement fou, maintenant!

– Cela vaut mieux, dit Madge.

– Je ne sais, reprit James Starr en secouant la tête, car ce doit être une folie terrible que la sienne! Ah! je comprends que Nell ne puisse songer à lui sans épouvante, et je comprends aussi qu’elle n’ait pas voulu dénoncer son grand-père! Quelles tristes années elle a dû passer près de ce vieillard!

– Bien tristes! répondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang, non moins sauvage que lui! Car, bien sûr, il n’est pas mort, cet oiseau! Ce ne peut être que lui qui a éteint notre lampe, lui qui a failli couper la corde à laquelle étaient suspendus Harry et Nell!…

– Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa petite-fille avec notre fils semble avoir exaspéré la rancune et redoublé la rage de Silfax.

– Le mariage de Nell avec le fils de celui qu’il accuse de lui avoir volé le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu’avoir porté son irritation au comble! reprit Simon Ford.

– Il faudra pourtant bien qu’il prenne son parti de cette union! s’écria Harry. Si étranger qu’il soit à la vie commune, on finira bien bar l’amener à reconnaître que la nouvelle existence de Nell vaut mieux que celle qu’il lui faisait dans les abîmes de la houillère! Je suis sûr, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous parviendrions à lui faire entendre raison!…

– On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry! répondit l’ingénieur. Mieux vaut sans doute connaître son ennemi que l’ignorer, mais tout n’est pas fini, parce que nous savons aujourd’hui ce qu’il est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il faut interroger Nell! Il le faut! Elle comprendra que, à l’heure qu’il est, son silence n’aurait plus de raison. Dans l’intérêt même de son grand-père, il convient qu’elle parle. Il importe autant pour lui que pour nous, que nous puissions mettre à néant ses sinistres projets.

– Je ne doute pas, monsieur Starr, répondit Harry, que Nell ne vienne de son propre mouvement au-devant de vos questions, Vous le savez maintenant, c’est par conscience, c’est par devoir qu’elle s’est tue jusqu’ici. C’est par devoir, c’est par conscience qu’elle parlera dès que vous le voudrez. Ma mère a bien fait de la reconduire dans sa chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l’aller chercher…

– C’est inutile, Harry», dit d’une voix ferme et claire la jeune fille, qui entrait au moment même dans la grande salle du cottage.

Nell était pâle. Ses yeux disaient combien elle avait pleuré; mais on la sentait résolue à la démarche que sa loyauté lui commandait en ce moment.

«Nell! s’était écrié Harry, en s’élançant vers la jeune fille.

– Harry, répondit Nell, qui d’un geste arrêta son fiancé, ton père, ta mère et toi, il faut aujourd’hui que vous sachiez tout. Il faut que vous n’ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne l’enfant que vous avez accueillie sans la connaître et qu’Harry pour son malheur, hélas! a tirée de l’abîme.

– Nell! s’écria Harry.

– Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence à Harry.

– Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n’ai jamais connu de mère que le jour où je suis entrée ici, ajouta-t-elle en regardant Madge.

– Que ce jour soit béni, ma fille! répondit la vieille Écossaise.

– Je n’ai jamais connu de père que le jour où j’ai vu Simon Ford, reprit Nell, et d’ami que le jour où la main d’Harry a touché la mienne! Seule, j’ai vécu pendant quinze ans, dans les recoins les plus reculés de la mine, avec mon grand-père. Avec lui, c’est beaucoup dire. Par lui serait plus juste. Je le voyais à peine. Lorsqu’il disparut de l’ancienne Aberfoyle, il se réfugia dans ces profondeurs que lui seul connaissait. A sa façon, il était alors bon pour moi, quoique effrayant. Il me nourrissait de ce qu’il allait chercher au‑dehors; mais j’ai le vague souvenir que, d’abord, pendant mes plus jeunes années, j’ai eu pour nourrice une chèvre, dont la perte m’a bien désolée. Grand-père, me voyant si chagrine, la remplaça d’abord par un autre animal, – un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien était gai. Il aboyait. Grand-père n’aimait pas la gaieté. Il avait horreur du bruit. Il m’avait appris le silence, et n’avait pu l’apprendre au chien. Le pauvre animal disparut presque aussitôt. Grand-père avait pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d’abord me fit horreur; mais cet oiseau, malgré la répulsion qu’il m’inspirait, me prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en était venu à m’obéir mieux qu’à son maître, et cela même m’inquiétait pour lui. Grand-père était jaloux. Le harfang et moi, nous nous cachions le plus que nous pouvions d’être trop bien ensemble! Nous comprenions qu’il le fallait!… Mais c’est trop vous parler de moi! C’est de vous qu’il s’agit…

– Non, ma fille, répondit James Starr. Dis les choses comme elles te viennent.

– Mon grand-père, reprit Nell, avait toujours vu d’un très mauvais œil votre voisinage dans la houillère. L’espace ne manquait pas, cependant. C’était loin, bien loin de vous qu’il se choisissait des refuges. Cela lui déplaisait de vous sentir là. Quand je le questionnais sur les gens de là-haut, son visage s’assombrissait, il ne répondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais où sa colère éclata, ce fut quand il s’aperçut que, ne vous contentant plus du vieux domaine, vous sembliez vouloir empiéter sur le sien. Il jura que si vous parveniez à pénétrer dans la nouvelle houillère, connue de lui seul jusqu’alors, vous péririez! Malgré son âge, sa force est encore extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.

– Continue, Nell, dit Simon Ford à la jeune fille, qui s’était interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.

– Après votre première tentative, reprit Nell, dès que grand-père vous vit pénétrer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha l’ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que comme des ombres, vaguement entrevues dans l’obscure houillère; mais je ne pus supporter l’idée que des chrétiens allaient mourir de faim dans ces profondeurs, et, au risque d’être prise sur le fait, je parvins à vous procurer pendant quelques jours un peu d’eau et de pain!… J’aurais voulu vous guider au-dehors, mais il était si difficile de tromper la surveillance de mon grand-père! Vous alliez mourir! Jack Ryan et ses compagnons arrivèrent… Dieu a permis que je les aie rencontrés ce jour-là! Je les entraînai jusqu’à vous. Au retour, mon grand-père me surprit. Sa colère contre moi fut terrible. Je crus que j’allais périr de sa main! Depuis lors, la vie devint insupportable pour moi. Les idées de mon grand-père s’égarèrent tout à fait. Il se proclamait le roi de l’ombre et du feu! Quand il entendait vos pics frapper ces filons qu’il regardait comme les siens, il devenait furieux et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible, tant il me gardait de près. Enfin, il y a trois mois, dans un accès de démence sans nom, il me descendit dans l’abîme où vous m’avez trouvée, et il disparut, après avoir vainement appelé l’harfang, qui resta fidèlement près de moi. Depuis quand étais-je là? je l’ignore! Tout ce que je sais, c’est que je me sentais mourir quand tu es arrivé, mon Harry, et quand tu m’as sauvée! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux Silfax ne peut pas être la femme d’Harry Ford, puisqu’il y va de ta vie, de votre vie à tous!

– Nell! s’écria Harry.

– Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n’est qu’un moyen de conjurer votre perte: c’est que je retourne près de mon grand-père. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle!… C’est une âme incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le génie de la vengeance lui aura inspiré! Mon devoir est clair. Je serais la plus misérable des créatures si j’hésitais à l’accomplir. Adieu! et merci! Vous m’avez fait connaître le bonheur dès ce monde! Quoi qu’il arrive, pensez que mon cœur tout entier restera au milieu de vous!»

A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s’étaient levés.

«Quoi, Nell! s’écrièrent-ils avec désespoir, tu voudrais nous quitter!»

James Starr les écarta d’un geste plein d’autorité, et, allant droit à Nell, il lui prit les deux mains.

«C’est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire; mais voici ce que nous avons à te répondre. Nous ne te laisserons pas partir, et, s’il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous crois-tu donc capables de cette lâcheté d’accepter ton offre généreuse? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit! Mais, après tout, un homme n’est qu’un homme, et nous prendrons nos précautions. Cependant, peux-tu, dans l’intérêt de Silfax même, nous renseigner sur ses habitudes, nous dire où il se cache? Nous ne voulons qu’une chose: le mettre hors d’état de nuire, et peut-être le ramener à la raison.

– Vous voulez l’impossible, répondit Nell. Mon grand-père est partout et nulle part. Je n’ai jamais connu ses retraites! Je ne l’ai jamais vu endormi. Quand il avait trouvé quelque refuge, il me laissait seule et disparaissait. Lorsque j’ai pris ma résolution, monsieur Starr, je savais tout ce que vous pouviez me répondre. Croyez-moi! Il n’y a qu’un moyen de désarmer mon grand-père: c’est que je parvienne à le retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous comment il aurait découvert vos plus secrètes pensées, depuis la lettre écrite à M. Starr, jusqu’au projet de mon mariage avec Harry, s’il n’avait pas l’inexplicable faculté de tout savoir. Mon grand-père, autant que je puis en juger, est, dans sa folie même, un homme puissant par l’esprit. Autrefois, il lui est arrivé de me dire de grandes choses. Il m’a appris Dieu, et ne m’a trompée que sur un point: c’est quand il m’a fait croire que tous les hommes étaient perfides, lorsqu’il a voulu m’inspirer sa haine contre l’humanité tout entière. Lorsque Harry m’a rapportée dans ce cottage, vous avez pensé que j’étais ignorante seulement! J’étais plus que cela. J’étais épouvantée! Ah! pardonnez-moi! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au pouvoir des méchants, et je voulais vous fuir! Ce qui a commencé à ramener mon esprit au vrai, c’est vous, Madge, non par vos paroles, mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aimée et respectée de votre mari et de votre fils! Puis, quand j’ai vu ces travailleurs, heureux et bons, vénérer M. Starr, dont je les ai crus d’abord les esclaves, lorsque pour la première fois j’ai vu toute la population d’Aberfoyle venir à la chapelle, s’y agenouiller, prier Dieu et le remercier de ses bontés infinies, alors je me suis dit: «Mon grand-père m’a trompée!» Mais aujourd’hui, éclairée par ce que vous m’avez appris, je pense qu’il s’est trompé lui-même! Je vais donc reprendre les chemins secrets par lesquels je l’accompagnais autrefois. Il doit me guetter! Je l’appellerai!… il m’entendra, et qui sait si, en retournant vers lui, je ne le ramènerai pas à la vérité?»

Tous avaient laissé parler la jeune fille. Chacun sentait qu’il devait lui être bon d’ouvrir son cœur tout entier à ses amis, au moment où, dans sa généreuse illusion, elle croyait qu’elle allait les quitter pour toujours. Mais quand, épuisée, les yeux pleins de larmes, elle se tut, Harry, se tournant vers Madge, dit:

«Ma mère, que penseriez-vous de l’homme qui abandonnerait la noble fille que vous venez d’entendre?

– Je penserais, répondit Madge, que cet homme est un lâche, et, s’il était mon fils, je le renierais, je le maudirais!

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– Nell, tu as entendu notre mère, reprit Harry. Où que tu ailles, je te suivrai. Si tu persistes à partir, nous partirons ensemble…

– Harry! Harry!» s’écria Nell.

Mais l’émotion était trop forte. On vit blêmir les lèvres de la jeune fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l’ingénieur, Simon et Harry de la laisser seule avec elle.

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