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Jules Verne

 

Les Frères Kip

 

(Chapitre VII-IX)

 

 

Illustrations par George Roux, 12 grandes chromotypographies

deux cartes et nombreuses vues photographique

Collection Hetzel

Paris, Imprimerie Gauthier-Villars

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© Andrzej Zydorczak

 

SECONDE partie

 

 

Chapitre VII

En attendant l’exécution

 

insi donc, les frères Kip n’avaient plus rien à attendre de la justice des hommes: elle s’était prononcée contre eux, sans même admettre des circonstances atténuantes pour le crime qu’on leur imputait. Aucun des arguments présentés par la défense n’avait touché le jury. Ni l’attitude à la fois si ferme et si digne des accusés au cours des débats, ni la colère de Karl Kip, qui s’échappait parfois en paroles indignées, ni les explications plus calmes de Pieter Kip, n’avaient rien pu contre les faits allégués, contre les charges si traîtreusement accumulées sur leur tête, contre les déclarations de ce misérable Flig Balt, appuyées par la dernière déposition du mousse Jim!

Et, en effet, tant que Karl et Pieter Kip avaient pu affirmer que l’instrument du meurtre ne s’était jamais trouvé entre leurs mains, et soutenir, non sans apparence de raison, que le kriss étant l’arme le plus en usage chez les naturels de la Mélanésie, celui auquel s’ajustait la virole devait appartenir à un indigène de Kerawara, de l’île York ou des îlots voisins, une certaine hésitation paraissait admissible. Mais ce poignard était bien celui qu’ils avaient repris sur l’épave et rapporté à bord du James-Cook sans le montrer à personne, et comment mettre en doute la déclaration du mousse qui l’avait vu dans leur cabine?…

Cette condamnation eut tout d’abord pour effet de donner satisfaction à la population d’Hobart-Town. Dans cette haine générale vouée aux assassins du capitaine Harry Gibson, il entrait une grande part de cet égoïsme si indiqué chez les races saxonnes, et dont la preuve n’est plus à faire. C’était un Anglais qui avait été tué, c’étaient des étrangers, des Hollandais, qui l’avaient frappé… Et, en présence d’un tel crime, qui eût osé concevoir la moindre pitié pour leurs auteurs?… Aussi personne, dans le public, pas même un seul des nombreux journaux de la Tasmanie, n’éleva-t-il la voix dans le but d’obtenir une commutation de la peine.

Que l’on ne reproche pas au fils de la victime l’horreur que lui inspiraient les frères Kip. Il croyait à leur culpabilité, comme il croyait en Dieu, – une culpabilité basée, non sur des présomptions, mais sur des preuves matérielles. Dénégations, protestations, c’était tout ce que les accusés avaient opposé aux témoignages concordants et précis. Après avoir longtemps désespéré de retrouver les meurtriers de son père, il les tenait enfin, ces deux monstres qui devaient leur salut au capitaine et qui, à sa bonté, à sa générosité, avaient répondu par le plus lâche des assassinats! Des quelques raisons, plus ou moins probantes, qui eussent milité en faveur de leur innocence, il ne voulait rien voir, il ne pouvait rien voir à travers cet épais voile de l’indignation et de la douleur.

Aussi, le jour où la sentence fut rendue par la cour criminelle, lorsqu’il rentra dans la maison de Mme Gibson:

«Mère, dit-il d’une voix que l’émotion faisait trembler, ils payeront ce crime de leur tête, et mon père sera vengé!…

– Dieu ait pitié!… murmura Mme Gibson.

– Pitié de ces misérables?… s’écria Nat Gibson, qui comprit dans ce sens la réponse de sa mère.

– Non… pitié de nous, mon enfant!» répondit Mme Gibson, en attirant son fils vers elle, en le pressant sur son cœur.

Voilà les premières paroles que Nat Gibson avait prononcées, dès qu’il eut franchi la porte de la maison paternelle.

Voici, maintenant, ce que dit l’armateur, lorsqu’il se retrouva en présence de Mme Hawkins, à l’issue de l’audience:

«Condamnés…

– Condamnés?…

– A mort, les malheureux!… Fasse le Ciel que la justice humaine ne se soit pas trompée!…

– Tu doutes toujours, mon ami?…

– Toujours!»

On le voit, par pressentiment plutôt que par raison, M. Hawkins se refusait encore à reconnaître la culpabilité des frères Kip. Il ne parvenait pas à les croire coupables d’un crime si odieux envers leur bienfaiteur, auquel ils avaient toujours témoigné tant de reconnaissance! Le mobile, un mobile incontestable, lui échappait… En somme, que leur eût rapporté la mort de M. Gibson? Quelques milliers de piastres; et, quant à cet espoir de le remplacer au commandement du brick, comment eût-il été réalisable, puisque, le maître d’équipage remplissant les fonctions de second, il était indiqué qu’il en devînt le capitaine?…

Pour tout dire, M. Hawkins n’avait pas laissé d’être ébranlé après la déposition du mousse Jim. Il était certain que le poignard, saisi dans la chambre des deux frères à l’auberge du Great-Old-Man, avait été vu par Jim dans leur cabine à bord du James-Cook,.. Karl ou Pieter Kip l’avaient rapporté de leur visite à l’épave de la Wilhelmina, et, s’ils ne l’avaient montré à personne, c’est qu’il ne leur convenait pas de le faire… Aussi l’accusation en concluait-elle que l’idée du crime avait déjà germé dans leur esprit.

Eh bien, non! et, malgré tant de preuves accablantes, malgré le verdict affirmatif rendu par d’honnêtes jurés dans la plénitude de leur indépendance, non! M. Hawkins ne voulait pas se rendre. Cette condamnation le révoltait… Cette affaire Kip le troublait profondément, et, s’il n’en parlait jamais à Nat Gibson, étant donnée la disposition d’esprit de ce dernier, il n’en souffrait pas moins en le sentant si réfractaire à sa conviction. Mais il ne désespérait pas de voir la justice lui donner raison un jour!

Toutefois, qu’en de telles occurrences les opinions aient été souvent divisées, les uns tenant pour l’innocence, les autres pour la culpabilité d’un accusé, ce n’est pas ce qui se passait à Hobart-Town et autres villes de Tasmanie. Qui eût jamais pu entrevoir qu’un revirement s’effectuerait en faveur des frères Kip?… M. Hawkins n’ignorait pas que tout le monde serait contre lui. Cela pourtant n’était pas de nature à le décourager. Il avait la foi, et que ne peut-on espérer du temps, qui est souvent le grand réformateur des erreurs humaines?…

Il est vrai, ce serait peut-être le temps qui ferait défaut. Le pourvoi que les frères Kip avaient formé contre leur condamnation ne tarderait pas à être rejeté. Il n’existait aucun motif de cassation, et l’on prévoyait que l’exécution de la sentence aurait lieu dans la seconde quinzaine de mars, un mois après le prononcé du verdict.

Et, il faut bien en convenir, cette exécution, on l’attendait avec une impatience véritablement féroce chez la partie de cette population toujours portée aux actions brutales, toujours prête aux pires excès, celle qui ne demande qu’à se substituer aux agents de la justice, celle qui veut lyncher les coupables ou ceux qu’elle croit tels. Et c’est peut-être ce qui serait arrivé à Hobart-Town, si le jury n’eût pas donné satisfaction à ces déplorables instincts de la foule, si une condamnation capitale n’eût été prononcée par la cour criminelle. Le jour de l’expiation, on la verrait, cette foule, grouiller autour de la prison.

Ils y seraient aussi, au premier rang, ces abominables coquins, Flig Balt et Vin Mod! Ils voudraient, de leurs propres yeux, s’assurer que Karl et Pieter Kip avaient payé de la vie ce crime dont ils étaient, eux, les auteurs!… Et, alors, ils pourraient partir en toute sécurité, se lancer dans d’autres aventures, sans avoir rien à craindre de l’avenir!…

Après l’audience, les deux frères avaient été ramenés à la prison, et qu’on ne s’étonne pas si leur passage provoqua ces ignobles insultes dont la tourbe lâche est surtout prodigue, et contre laquelle il fallut les protéger. A ces outrages, ils ne répondirent que par l’attitude la plus digne, le silence le plus dédaigneux.

Lorsque les portes de la prison se furent refermées derrière eux, le gardien chef ne les reconduisit point aux chambres qu’ils avaient occupées séparément depuis leur incarcération, mais dans la cellule des condamnés à mort. Du moins, au milieu de tant de misères, eurent-ils cette consolation d’être réunis! Durant ces derniers jours de leur existence, ils allaient se rattacher par une pensée commune aux souvenirs du passé, et ils auraient vécu l’un près de l’autre jusqu’au pied du gibet.

Il est vrai, dans cette cellule, ce ne fut pas la solitude à deux dont ils eussent si ardemment voulu jouir. Les gardiens ne devaient les quitter ni jour ni nuit, les surveillant, les écoutant. Il y aurait toujours, entre leurs épanchements les plus intimes, la présence de ces tiers farouches, auxquels ils n’inspiraient aucune pitié sans doute.

Il y a lieu d’observer que, si Karl Kip donna plus d’une fois large cours à son indignation, devant cette abominable injustice de deux innocents envoyés à la mort, son frère, qui essayait vainement de se contenir, se montrait plus calme et plus résigné à son sort.

Du reste, Pieter Kip ne se faisait aucune illusion sur le pourvoi que, déférant aux conseils de leur avocat, tous deux avaient signé. Que Karl, au fond de l’âme, eût conservé l’espoir que l’arrêt fût cassé, que l’affaire serait jugée à nouveau, que le temps gagné ainsi permettrait à la vérité d’apparaître dans tout son éclat, lui ne conservait aucune espérance. En songeant à l’énormité des charges qui pesaient sur eux, d’où leur serait venu un secours?… Quelle intervention eût été assez forte pour les sauver, sinon une intervention providentielle?…

Puis, leur esprit se reportait en arrière, ils songeaient à tous ces coups de la mauvaise fortune qui les avait conduits là où ils étaient… Ah! mieux eût valu que le James-Cook ne fût pas venu les recueillir sur l’île de Norfolk!… Mieux eût valu que le capitaine Gibson n’eût point aperçu leur signaux!… Sans doute ils auraient péri de misère et de faim sur cette côte déserte!… Mais ce n’eût pas été du moins cette mort infamante du gibet, de la mort réservée aux assassins!…

«Pieter !… Pieter !… s’écriait Karl Kip. Notre pauvre père, s’il vivait encore… s’il voyait son nom déshonoré!… Cette honte le tuerait…

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– Peux-tu donc penser qu’il nous aurait crus coupables, Karl?…

– Non… frère, jamais!… jamais!»

Et alors, ils en venaient à parler de ceux dont ils avaient partagé la vie commune pendant quelques semaines, de ces généreux sauveurs qui leur avaient témoigné une si vive sympathie, auxquels ils devaient tant de reconnaissance!… Que, dans l’excès de sa douleur, Nat Gibson eût pris contre eux une attitude si accusatrice, ils le comprenaient, ils faisaient la part de sa situation, à lui, le fils de la victime!… Mais comment lui pardonner qu’il voulût voir en eux les meurtriers de son père!…

En ce qui concerne M. Hawkins, rien qu’à la manière réservée dont sa déposition était faite, ils sentaient bien qu’un doute laissait quelque ombre dans son esprit. Ils se disaient que le cœur de cet excellent homme ne leur était peut-être pas entièrement fermé. Aux témoignages si affirmatifs du maître d’équipage et du mousse Jim, s’il n’avait pu opposer que des présomptions morales, du moins les avait-il présentées au jury suivant l’inspiration de sa conscience.

Quant aux divers témoins, auraient-ils pu déposer autrement qu’ils ne l’avaient fait?… Pour Flig Balt, les deux frères ne voyaient dans la conduite de ce misérable que la satisfaction de sa haine, un acte de vengeance contre le nouveau commandant du James-Cook, contre le capitaine dont l’énergie avait comprimé la révolte et envoyé son chef à fond de cale. Relativement aux papiers d’Harry Gibson, au poignard qui leur appartenait, s’ils se trouvaient dans leur valise, c’est qu’ils y avaient été mis dans le but de perdre les deux frères par celui qui les avait volés!… Et comment eussent-ils pu supposer que l’un des assassins de Kerawara fût précisément le maître d’équipage?…

Lui, non plus, M. Hawkins, bien qu’il cherchât de nouvelles pistes, ne parvenait pas à en suivre une avec quelque chance de succès. Dans sa pensée, d’ailleurs, l’attentat devait avoir pour auteurs les indigènes de l’île York, et qui sait si les autorités allemandes ne finiraient pas par les découvrir un jour?…

Cependant le jour, l’heure approchaient où deux hommes, deux frères allaient subir le dernier supplice pour un crime qu’ils n’avaient pas commis, qu’ils n’avaient pu commettre!

M. Hawkins, de plus en plus obsédé de cette conviction que Karl et Pieter Kip étaient innocents, quoiqu’il lui fût impossible d’apporter une preuve de leur innocence, avait entrepris certaines démarches en leur faveur.

Le gouverneur de la Tasmanie était particulièrement connu de M. Hawkins. Celui-ci tenait Son Excellence Sir Edward Carrigan pour un homme de grand sens et d’un jugement très sûr. Aussi se résolut-il à lui demander audience à bref délai et, dans la matinée du 25 février, s’étant rendu à l’hôtel de la résidence, il fut à l’instant reçu.

Le gouverneur ne se doutait guère du motif qui amenait M. Hawkins en sa présence. Après avoir suivi avec intérêt les débats de l’affaire Kip comme tout le monde, il ne mettait pas en doute la culpabilité des condamnés.

La surprise de Son Excellence ne laissa donc pas d’être profonde, lorsque M. Hawkins lui eut fait connaître son opinion.

Comme il lui prêtait d’ailleurs toute attention, M. Hawkins s’abandonna sans réserve. Il parla avec tant de chaleur de ces deux victimes d’une erreur judiciaire, il mit en relief avec une si franche logique les points obscurs, indécis, ou du moins inexpliqués de leur cause, que le gouverneur se sentit ébranlé dans une certaine mesure.

«Je vois, mon cher Hawkins, déclara-t-il, que, durant cette traversée à bord du James-Cook, vous avez conçu une grande estime pour Karl et Pieter Kip… et qu’ils s’en étaient toujours montrés dignes…

– Je les considérais et je les considère encore comme d’honnêtes gens, monsieur le gouverneur, affirma M. Hawkins d’un ton convaincu. Je ne puis vous fournir de preuves matérielles à l’appui de ma conviction, parce qu’elles m’échappent jusqu’ici, et peut-être même nous échapperont-elles toujours… Mais rien de ce qui a été dit au cours des débats, pas un des témoignages qui ne sont produits n’a pu affaiblir la certitude que j’ai de l’innocence de ces deux infortunés. Et, Votre Excellence le remarquera, ces témoignages se réduisent à un seul, celui du maître d’équipage, que j’ai maintenant des raisons de regarder comme très suspect!… C’est par haine qu’il agit, c’est par vengeance qu’il accuse les frères Kip d’un meurtre dont ils ne sont pas coupables, et que j’attribue à quelque indigène de Kerawara…

– Mais il y a un autre témoignage que celui de Flig Balt, mon cher Hawkins…

– Le témoignage du mousse Jim, monsieur le gouverneur, et je l’accepte tel qu’il a été fait, car ce jeune garçon est incapable de mentir… Oui! Jim a vu, dans la cabine de Karl et de Pieter Kip, ce poignard qu’ils ne savaient pas être en leur possession… Mais est-ce bien l’arme qui a servi au meurtre, et ce fait de la virole n’est-il pas dû à une coïncidence toute fortuite!…

– Il a pourtant sa valeur, et ne convenait-il pas d’en tenir compte, mon cher Hawkins?…

– Assurément, monsieur le gouverneur, et il a dû déterminer la conviction du jury… Cependant, je le répète, tout le passé des frères Kip plaide en leur faveur… Pour vous parler ainsi, il faut que j’oublie la douleur que m’a causée la mort de mon pauvre ami Gibson, et qui aurait pu me mettre un bandeau sur les yeux, comme à son fils que je plains et que j’excuse!… Moi… moi… je perçois la vérité au milieu des obscurités de cette affaire, et j’ai l’entière conviction qu’elle éclatera un jour!»

Il fut visible que le gouverneur se sentait très impressionné par les déclarations de M. Hawkins, dont il connaissait la nature probe et droite. Sans doute, son argumentation ne reposait que sur une base morale, mais, enfin, dans les causes de ce genre, les preuves matérielles ne sont pas tout, et il convient de tenir compte des autres.

Sir Edward Carrigan, après quelques instants de silence, répondit en ces termes:

«Je comprends… je saisis, mon cher Hawkins, toute la valeur de votre opinion… Et maintenant, je vous demanderai…: Qu’attendez-vous de moi?…

– Que vous vouliez bien intervenir… du moins pour sauver la vie de ces malheureux…

– Intervenir?… répondit le gouverneur. Ignorez-vous donc que la seule intervention possible était de se pourvoir contre l’arrêt qui a été prononcé? Or, ce pourvoi, vous savez qu’il a été introduit en temps utile… et il ne reste d’espoir qu’en son admission… dans un délai très court…»

Tandis que parlait Son Excellence, M. Hawkins n’avait pu retenir des gestes de dénégation, et il dit à son tour:

«Monsieur le gouverneur, je ne me fais aucune illusion au sujet du pourvoi… Les formes de la justice ont été régulièrement suivies dans cette affaire… Il n’y a aucun motif qui permette de casser l’arrêt, et le pourvoi sera rejeté…»

Le gouverneur se taisait, sachant bien que M. Hawkins avait raison.

«Il sera rejeté, je vous le répète, reprit celui-ci, et alors, monsieur le gouverneur, vous seul pourriez tenter un dernier effort pour sauver la tête des condamnés…

– Me demandez-vous de solliciter un recours en grâce?…

– Oui… un recours en grâce près de la Reine… Une dépêche peut être envoyée par vous au lord chief-justice afin que la peine soit commuée, ce qui nous réserverait l’avenir…, ou tout au moins que l’on sursoie à l’exécution de la sentence… Et alors… je ferai de nouvelles démarches… je retournerai, s’il le faut, à Port-Praslin… à Kerawara… je seconderai M. Hamburg et M. Zieger… et nous finirons par découvrir les vrais coupables, en ne ménageant ni l’argent ni les peines!… Si j’insiste avec cette passion, monsieur le gouverneur, c’est que j’y suis poussé par une force irrésistible, c’est que, la vérité enfin reconnue, la justice n’aura pas à se reprocher plus tard la mort de deux innocents!…»

M. Hawkins prit alors congé du gouverneur, non sans que celui-ci ne l’eût invité à revenir le voir à ce sujet. Et c’est bien ce que fit chaque jour cet homme dévoué. Aussi, grâce à son dévouement, la cause des deux frères gagna-t-elle dans l’esprit de Son Excellence, qui voulut s’associer à cette œuvre de réparation.

Toutefois, le secret de ces démarches fut gardé entre le gouverneur et M. Hawkins. Nul ne sut que, sans attendre la décision relative au pourvoi, Edward Carrigan avait envoyé en Angleterre par télégramme officiel une proposition de recours en grâce auprès de Sa Majesté.

Le 7 mars, le bruit se répandit par la ville que le pourvoi formé par les frères Kip avait été rejeté. La nouvelle était vraie; elle ne provoqua aucun sentiment de surprise. Depuis le début de l’affaire, on s’attendait à une condamnation, même à une condamnation capitale, et personne n’eût mis en doute qu’elle ne fût suivie d’une exécution.

D’ailleurs, personne ne pensait que le gouverneur de la Tasmanie dût intervenir près de la Reine, ni que M. Hawkins eût fait près de lui de si pressantes démarches à cet effet.

La population d’Hobart-Town comptait donc que l’exécution serait prochaine, et l’on sait combien, chez les races saxonnes comme chez les races latines, ces supplices provoquent d’irrésistibles et malsaines curiosités.

Si, d’après les lois anglaises, la pendaison des condamnés n’est pas faite en place publique, mais seulement en présence de personnes désignées, c’est déjà un progrès. Toutefois la foule ne s’en amasse pas moins aux abords de la prison.

Aussi, à partir du 7 mars, avant le lever du soleil, et même dès les premières heures après minuit, d’innombrables curieux affluaient-ils pour voir hisser le pavillon noir qui marque l’instant du supplice.

Et, parmi eux, s’étonnera-t-on que Flig Balt et Vin Mod fussent là, et aussi Len Cannon et ses camarades, qui n’avaient pas quitté Hobart-Town?… Oui! c’était de leurs propres yeux que le maître d’équipage et son complice voulaient voir redescendre le pavillon, après l’exécution de la sentence!… Ils seraient alors certains que d’autres avaient payé pour eux la dette de leur crime!… Il n’y aurait plus lieu de revenir sur cette affaire, et ces deux misérables retourneraient avec leurs compagnons au tap des Fresh-Fishs, où les piastres volées s’écouleraient en wisky et en gin.

Quant à Mme Gibson, ni son fils ni elle ne devaient être ce jour-là à Hobart-Town, et ils ne reviendraient qu’après que justice serait faite. Lorsque Nat fit part de ce projet à M. Hawkins, celui-ci se contenta de répondre:

«Tu as raison, Nat… cela vaut mieux!»

Depuis la condamnation, l’armateur avait rencontré plusieurs fois les matelots Hobbes, Wickley, Bûmes et aussi le mousse Jim. Ces braves gens ne s’étaient pas encore occupés de chercher un embarquement, et peut-être leur intention était-elle d’attendre que le James-Cook fût réarmé sous un autre capitaine.

Ils savaient, du reste, qu’ils pouvaient compter sur M. Hawkins, lorsqu’il reformerait l’équipage du brick, ou même d’un autre navire de sa maison. Inutile d’ajouter qu’ils avaient rompu tout rapport avec Flig Balt, Vin Mod et leurs autres camarades de l’ancien équipage du brick.

On était au 19 mars, et la ville commençait à s’étonner que l’ordre d’exécution ne fût pas déjà arrivé – ce dont Flig Balt et Vin Mod ne laissaient pas de s’inquiéter dans leur intérêt personnel. Ils étaient bien résolus, du reste, s’il y avait sursis, à quitter Hobart-Town, et, en cette prévision, ils cherchaient un navire en partance.

Or, dans la journée du 25, une dépêche arriva de Londres, envoyée par le lord chief-justice à Son Excellence le gouverneur de la Tasmanie.

Le recours en grâce avait été admis par Sa Majesté, Reine d’Angleterre, Impératrice des Indes, et la peine de mort, prononcée contre les frères Kip, était commuée en celle des travaux forcés à perpétuité.

 

 

Chapitre VIII

Port-Arthur

 

n mois après ce jour où les condamnés à mort avaient bénéficié de la commutation de leur peine, deux hommes travaillaient sous le fouet des argousins dans le pénitencier de Port-Arthur.

Ces deux forçats n’appartenaient pas à la même escouade. Séparés l’un de l’autre, ne pouvant échanger ni une parole ni un regard, ils ne partageaient ni la même gamelle ni le même cabanon. Ils allaient, chacun de son côté, vêtus de l’ignoble vareuse du galérien, accablés sous les injures et les coups de la chiourme, au milieu de cette tourbe de bandits que la Grande-Bretagne expédie à ses colonies d’outre-mer. Le matin, ils quittaient le bagne et n’y rentraient que le soir, épuisés de fatigues, insuffisamment soutenus par une grossière nourriture. Ils y reprenaient le lit de camp, côte à côte avec un compagnon de chaîne, cherchant en vain l’oubli dans quelques heures de sommeil. Puis, le jour revenu, alors sous les chaleurs étouffantes de l’été, plus tard sous les terribles froids de l’hiver, ils iraient ainsi jusqu’à l’heure où la mort tant souhaitée les délivrerait de cette abominable existence.

Ces deux hommes étaient les frères Kip, qui, trois semaines avant, avaient été transportés au pénitencier de Port-Arthur.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, on le sait, la Tasmanie ne fut habitée que par les plus misérables peuplades du globe, des indigènes placés, pourrait-on dire, sur cette limite qui sépare l’animalité de l’humanité. Or, les premiers Européens qui devaient prendre pied sur cette grande île ne valaient guère mieux, sans doute, que ces sauvages. Mais, après eux, vinrent les émigrants, lesquels, avec leur concours et le temps aidant, en firent une colonie des plus florissantes.

A cette époque, la Grande-Bretagne avait déjà fondé un établissement de ce genre à Botany-Bay, sur la côte orientale de l’Australie, alors dénommée Nouvelle-Galles du Sud. Comme elle put supposer chez les Français l’intention de créer un bagne similaire en terre tasmanienne, elle se hâta de les y devancer, ainsi qu’elle le fit plus tard en Nouvelle-Zélande.

Vers le milieu de l’année 1803, John Bowin, quittant Sydney avec un détachement de troupes coloniales, débarqua sur la rive gauche de la rivière Derwent, à vingt milles au-dessus de son embouchure, au lieu dit «Ridens». Il emmenait un certain nombre de convicts, dont le chiffre monta à quatre cents l’année suivante, sous le lieutenant-colonel Collins.

Cet officier, abandonnant Ridens, jeta les fondements d’Hobart-Town sur l’autre rive du Derwent, en un endroit où une petite rivière fournissait l’eau douce, au fond de la baie de Sullivan-Cove dans laquelle les navires, même d’un tonnage élevé, trouvaient d’excellents mouillages. La nouvelle ville ne tarda pas à prendre de l’extension, et, entre les bâtiments civils qu’elle compta bientôt, l’un des premiers construits fut le bagne, enfermé de quatre hautes murailles en pierres dures comme le granit.

Trois éléments ont contribué à former la population en Tasmanie: les hommes libres, ce sont les émigrants, les colons, qui ont volontairement quitté le Royaume-Uni; les émancipés, ce sont les déportés, auxquels il a été accordé une remise de peine en raison de leur bonne conduite ou dont la condamnation a pris fin; les convicts, ce sont les déportés qui, à leur débarquement, passent sous la surveillance du surintendant ou commissaire des chiourmes.

Ces convicts comprenaient trois catégories: 1° les condamnés aux peines les plus graves, qui deviennent les hôtes du bagne et, sous la direction des constables, sont employés aux travaux de force, et particulièrement à l’établissement des routes; 2° les condamnés pour fautes plus légères, – les magistrats anglais ont souvent la main lourde, – qui obtiennent la faveur d’entrer au service des colons sans aucun salaire, mais à la condition d’être convenablement logés, nourris suivant la ration réglementaire, mis à même de remplir chaque dimanche leurs devoirs religieux; 3° les condamnés qui, grâce à leur bonne conduite, ont la liberté de travailler pour leur compte, et, de ceux-là, il en est quelques-uns qui sont arrivés à la fortune, à l’indépendance. Il est vrai, en dépit des efforts tentés par les gouverneurs, aucun d’eux ne peut reprendre rang dans la société des hommes libres.

Telles furent donc les premières mesures adoptées au début de la colonie pour l’organisation pénale, et telles étaient les différentes catégories de convicts, aussi bien hommes que femmes. D’après ce que note Dumont d’Urville, lors de son arrivée en Tasmanie, vers 1840, les peines infligées étaient graduées ainsi qu’il suit suivant la gravité des délits: réprimande, condamnation à tourner la roue d’un moulin pendant un temps limité, travaux forcés le jour et emprisonnement solitaire la nuit, travaux forcés sur les grands chemins, travaux forcés dans les escouades enchaînées, envoi à l’établissement pénal de Port-Arthur.

A propos de ce dernier établissement, il convient de rappeler qu’en 1768 un pénitencier avait été fondé sur l’île Norfolk, – cette île où furent recueillis par le James-Cook Karl et Pieter Kip, les naufragés de la Wilhelmina. Mais, dès 1805, le gouvernement le fit évacuer, parce que, faute de port, il était très difficile d’y débarquer. L’île, cependant, redevint plus tard siège de colonie pénale, et c’est là que l’administration déportait les criminels les plus redoutables de la Tasmanie et de la Nouvelle-Galles du Sud.

Plus tard, en 1842, il fut abandonné définitivement et remplacé par celui de Port-Arthur.1

Ainsi, sans parler du bagne d’Hobart-Town, la Tasmanie en possédait un second, dont il convient de faire connaître la situation avec quelque détail.

La grande île, profondément entaillée dans sa partie méridionale par Storm-Bay, est limitée à l’ouest par le littoral très découpé, que traverse le Dervent, dont Hobart-Town occupe la rive droite. A l’est, elle a pour frontière la presqu’île de Tasman qui, de l’autre côté, est battue par les longues houles du Pacifique. Au nord, cette presqu’île se rattache par un isthme très resserré à la péninsule de Forestier, qui elle-même ne tient au district de Panbroke que par une étroite langue de terre. Au sud, vers le large, se projettent les pointes aiguës du cap du Sud-Ouest et du cap Pillar.

Depuis l’isthme qui relie les presqu’îles Forestier et Tasman jusqu’au cap Pillar, on compte environ six milles, et ce fut dans une petite baie de la côte méridionale que l’administration fonda l’établissement de Port-Arthur.

La presqu’île de Tasman est couverte de forêts épaisses, très riches en essences propres à la construction maritime, entre autres un bois dur qui présente l’apparence et les qualités du teck. Nombre de ces arbres, déjà vieux d’un siècle, se reconnaissent à leur tronc gigantesque, sans aucune pousse latérale, et dont la frondaison ne s’étale qu’à leur cime.

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Port-Arthur

La petite ville de Port-Arthur se développe en amphithéâtre sur la colline du fond de la baie. Son port, bien aménagé avec môle de débarquement, abrité par les hauteurs environnantes, offre toute sécurité aux navires, dont les terribles rafales du nord-ouest empêchent souvent l’entrée dans les eaux de Storm-Bay. Du reste, sauf pour les besoins du pénitencier, ils n’y viennent guère qu’en relâche forcée. La raison en est que le commerce est nul dans ce port, auquel l’avenir réserve une certaine prospérité si sa destination vient à changer.

En effet, la population de Port-Arthur est de composition toute spéciale: les employés du gouvernement, les constables, les soldats des deux compagnies d’infanterie. Ce personnel, placé sous l’autorité d’un capitaine-commandant, est préposé au fonctionnement et à la garde de l’établissement pénal. Ce chef, le capitaine Skirtle, en résidence à Port-Arthur, occupait alors une confortable habitation, bâtie sur une pointe élevée du littoral, d’où la vue s’étendait jusqu’à la pleine mer.

A cette époque, l’établissement comprenait deux divisions, affectées à deux catégories de convicts très distinctes.

Le premier se voyait sur la gauche en entrant dans le havre. Son nom de Point-Puer indiquait qu’il était destiné à de jeunes détenus, – plusieurs centaines d’enfants compris entre douze et dix-huit ans. Trop souvent déportés pour des délits en somme peu graves, ils occupaient des baraques de bois aménagées en ateliers et en dortoirs. C’est là qu’on tentait de les ramener au bien par le travail, par l’instruction moralisatrice que les règlements imposaient, par les leçons qu’ils recevaient d’un ministre chargé de diriger les pratiques religieuses. Enfin, c’est de là qu’ils sortaient parfois bons ouvriers, en cordonnerie, en menuiserie, en charpentage et autres métiers manuels qui pourraient leur assurer une honnête existence. Mais on leur faisait la vie dure, à ces jeunes reclus, sous la menace des punitions en usage, l’internement en cellule, la mise au pain et à l’eau, le fouet incessamment brandi par la main des constatées contre les récalcitrants.

Au total, de ceux qui quittent le pénitencier à l’expiration de leur peine, les uns restent dans la colonie comme ouvriers et les autres retournent en Europe. Dans le premier cas, ils gardent surtout trace des bonnes leçons qu’ils ont reçues; mais, dans le second, ils ne tardent guère à les oublier. Rejetés sur la route du crime, ils sont de nouveau condamnés à la déportation, lorsqu’ils ne finissent pas par le gibet, et c’est dans le pénitencier des hommes qu’ils sont enfermés alors, quelquefois pour la vie, et soumis à toutes les rigueurs d’une discipline de fer.

L’autre division de Port-Arthur contenait environ huit cents convicts. C’est, ainsi qu’on l’a pu justement dire, la «lie des bandits d’Angleterre», tombés au dernier échelon de la dépravation humaine. Tels étaient autrefois les déportés de l’île Norfolk, avant qu’ils eussent été évacués sur la Tasmanie. Pas un qui n’eût un casier judiciaire chargé d’assassinats ou de vols. Pour la plupart, – à la limite du châtiment suprême, ils n’avaient plus qu’une seule pénalité à encourir, – la mort.

On ne s’étonnera pas si toutes précautions ont été prises à Port-Arthur pour empêcher les évasions. C’est par mer qu’elles offrent les meilleures chances de réussite, à la condition que les fugitifs aient pu s’emparer d’une embarcation qui les déposera sur un point du littoral, en dehors de la presqu’île de Tasman. Toutefois ces occasions sont rares. Les convicts n’ont point accès dans le port, ou, s’ils y sont employés à certains travaux, on les tient en rigoureuse surveillance.

Mais, s’il est difficile de s’échapper par mer, n’est-il pas possible de s’échapper par terre, puisque, en réalité, les déportés ne sont plus enfermés dans une île comme ils l’étaient à Norfolk?… Oui, des fugitifs ont pu quelquefois s’évader du pénitencier, se réfugier dans les bois environnants, se soustraire à toute poursuite, en se condamnant à une vie plus épouvantable que celle du bagne, et la plupart meurent de misère ou d’inanition. D’ailleurs, que de chances ils ont d’être repris au milieu de ces forêts, où l’on a multiplié les postes, relevés de deux heures en deux heures, et que les patrouilles parcourent jour et nuit!

Il faudrait que les fugitifs pussent quitter la presqu’île de Tasman, et cela, c’est impossible.

En effet, l’isthme qui la rattache à la presqu’île Forestier, l’Eagle-Hawk-Neck, – l’isthme de l’Aigle-Épervier, – ne mesure pas plus de cent pas en largeur dans sa partie la plus étroite. Sur cette grève, qui ne présente aucun abri, l’administration a fait planter des poteaux assez rapprochés les uns des autres. A ces poteaux sont attachés des chiens dont les chaînes peuvent se croiser – une cinquantaine de dogues, féroces comme des fauves. Quiconque tenterait de forcer cette ligne serait en un instant dévoré. Puis, en cas qu’un évadé y fût parvenu, d’autres chiens, enfermés dans des niches élevées sur pilotis, signaleraient sa présence le long de la grève, où sont échelonnées des sentinelles toujours en éveil. Dans de telles conditions, il semble donc que les déportés doivent renoncer à tout espoir de s’enfuir.

Tel était ce pénitencier de Port-Arthur, réservé aux malfaiteurs les plus intraitables, les plus endurcis. C’est là que Karl et Pieter Kip furent transportés quinze jours après la commutation de leur peine. Pendant la nuit, un canot, les prenant à l’extrémité du port, les mit à bord du petit aviso qui fait le service de l’établissement pénal. Cet aviso traversa Storm-Bay, doubla le cap du Sud-Ouest, donna dans le havre et vint accoster le môle. Les deux frères furent aussitôt incarcérés en attendant le moment de comparaître devant le capitaine-commandant de Port-Arthur.

Le capitaine Skirtle, âgé de cinquante ans, possédait l’énergie qu’exigeaient ses difficiles fonctions, impitoyable lorsqu’il fallait l’être, mais juste et bon envers les misérables qui méritaient sa justice et sa bonté. S’il punissait avec la dernière rigueur les fautes graves contre la discipline, il ne tolérait pas l’abus de la force chez les agents soumis à son autorité. Les sévérités du règlement qu’il appliquait aux déportés, il les appliquait également aux constables chargés de leur surveillance.

Le capitaine Skirtle résidait à Port-Arthur depuis une dizaine d’années déjà avec Mme Skirtle, sa femme, âgée de quarante ans, son fils William et sa fille Belly, dans leur quatorzième et leur douzième année. Habitant la villa dont il a été question, Mme Skirtle et ses enfants n’avaient jamais aucun rapport avec le personnel des pénitenciers. Seul le capitaine arrivait chaque matin, pour la plus grande partie de la journée, et ne revenait à la villa que le soir. Chaque mois, il faisait quelques tournées d’inspection à l’intérieur de la presqu’île jusqu’à l’isthme d’Eagle-Hawk-Neck, visitant les différents postes, passant en revue les escouades employées au travail des routes. Quant à sa famille, en outre des promenades effectuées autour de Port-Arthur, à travers les admirables forêts environnantes, l’aviso les transportait à Hobart-Town, quand elle le désirait, et ses relations n’étaient pas interrompues avec la capitale tasmanienne.

Dès son arrivée au pénitencier de Point-Puer, le commandant se faisait amener les enfants qui avaient commis quelque méfait la veille, il les admonestait, il leur appliquait les peines réglementaires. Et que l’on juge du degré de perversion auquel atteignaient parfois ces petits monstres! L’un deux, qui en voulait à un constable, répondait, lorsqu’on lui faisait entrevoir la potence dans un prochain avenir s’il ne s’amendait pas: «Eh bien! mon père et ma mère m’auront montré le chemin, et, ayant d’être pendu, je tuerai ce constable!»

Après la visite à Point-Puer, M. Skirtle se rendait au pénitencier des hommes, et ce fut là, le matin du 5 avril, que Karl et Pieter Kip comparurent devant lui.

Le capitaine était au courant de ce procès dont le retentissement avait été considérable, – procès terminé par la condamnation à mort des accusés. Que la Reine leur eût fait grâce de la vie, le crime d’assassinat, et dans des conditions qui le rendaient plus odieux encore, n’en pesait pas moins sur eux. Ils devraient donc être traités avec une sévérité extrême, et aucun adoucissement ne saurait être apporté à leur situation.

Et, cependant, le commandant ne put qu’être frappé de l’attitude que les deux frères eurent en sa présence. Après avoir répondu aux questions qui leur furent posées, Karl Kip ajouta d’une voix ferme:

«La justice des hommes nous a condamnés, monsieur le commandant, mais nous sommes innocents de l’assassinat dont le capitaine Gibson a été victime!»

Ils s’étaient encore pris par la main, comme ils l’avaient fait devant la Cour criminelle, et ce fut la dernière fois qu’ils purent ainsi échanger une fraternelle étreinte.

Les agents les emmenèrent séparément, ordre ayant été donné de ne plus les laisser l’un avec l’autre. Incorporés chacun dans une escouade, avec l’impossibilité de jamais se parler, ils auraient à peine l’occasion de s’entrevoir.

Alors commença pour eux, puis se poursuivit cette épouvantable existence du forçat, sous l’accoutrement jaune, spécial au pénitencier de Port-Arthur. Ils n’étaient pas accouplés, ainsi que cela se fait en d’autres pays, à un compagnon dont ils eussent partagé la chaîne. A l’honneur de la Grande-Bretagne, cette torture, plus morale que physique, n’a jamais été imposée dans les colonies anglaises. Mais une chaîne longue de trois pieds environ entrave les jambes du condamné, et, pour marcher, il lui faut la relever jusqu’à la ceinture. Cependant, si l’accouplement continu n’existe pas à Port-Arthur, quelquefois, par mesure disciplinaire, les forçats d’une même escouade sont rattachés ensemble et travaillent ainsi au transport des fardeaux.

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Les frères Kip ne furent point soumis à cette horrible peine de la «chain-gang». Durant de longs mois, sans avoir pu, même une seule fois, s’adresser la parole, ils s’occupèrent, dans des escouades séparées, à l’établissement des routes que le gouvernement faisait ouvrir à travers la presqu’île de Tasman.

La plupart du temps, la journée faite, ils rentraient dans les dortoirs du pénitencier, où les convicts sont enfermés par bandes de quarante. Ah! quel adoucissement à tant de misères, si, à ce moment, il leur eût été permis de se rencontrer, de reposer l’un près de l’autre, ou même sur les chantiers, lorsqu’ils y passaient toute la nuit en plein air!

Un seul jour de la semaine, le dimanche, Karl et Pieter Kip avaient cette joie de s’entrevoir, lorsque les forçats se réunissaient dans la chapelle que desservait un ministre méthodiste. Et que devaient-ils penser de la justice des hommes, eux innocents, dans la promiscuité de ces criminels dont les chaînes bruissaient lamentablement entre les chants et les prières?…

Ce qui brisait le cœur de Karl Kip, ce qui provoquait en lui des mouvements de révolte dont les conséquences eussent été graves, c’était que son frère fût assujetti à de si pénibles besognes. Lui, d’une santé de fer, d’une vigueur exceptionnelle, il aurait la force de les supporter, bien que la ration du bagne suffît à peine à le nourrir: trois quarts de livre de viande fraîche ou huit onces de viande salée, une demi-livre de pain ou quatre onces de farine, une demi-livre de pommes de terre. Mais Pieter, de constitution moins forte, n’y succomberait-il pas?… Après les dernières chaleurs d’un climat presque tropical, uniquement vêtus de la mauvaise défroque jaune du bagne, ils allaient souffrir de la bise intense, des froids, des rafales glaciales et des neiges épaisses. Le travail, il faudrait le continuer sous les menaces des constables, sous le fouet des gardes-chiourme. Aucun repos, si ce n’est aux courts instants du repas vers le milieu de la journée, en attendant le retour au pénitencier. Puis, à la moindre velléité de résistance, les punitions disciplinaires de s’abattre sur ces malheureux, l’emprisonnement dans les cachots, le supplice de la «chain-gang», enfin, le plus terrible de tous après la mort et qui l’amenait quelquefois, la fustigation du coupable, déchiré par les lanières du cat!

Certes, une telle existence devait faire naître chez les convicts le furieux, l’irrésistible désir de s’évader. Aussi quelques-uns l’essayaient-ils, bien qu’ils eussent, avec tant de dangers à braver, si peu de chances d’y réussir. Et lorsque les fugitifs étaient repris dans les forêts de la presqu’île, c’était ce cat qui les châtiait devant tout le personnel du pénitencier. Le fouet à neuf branches, manié par un bras vigoureux, cinglait les reins du patient mis à nu, et sillonnait de zébrures les chairs transformées en une sorte de boue sanglante.

Cependant, si Karl Kip était parfois sur le point de se révolter contre les rigueurs de la discipline, son frère Pieter se soumettait, espérant que la vérité aurait raison un jour, qu’un fait, un incident, une découverte ferait éclater leur innocence. Il acceptait donc, si pénible, si déshonorante qu’elle fût, cette vie du bagne, et, s’il ne possédait pas la vigueur physique de son frère, du moins son énergie morale lui permettait-elle de la supporter, soutenu d’ailleurs par son entière confiance en Dieu. Ce qui le tourmentait surtout, c’était cette crainte que Karl ne parvînt pas à se maîtriser, qu’il ne s’abandonnât à quelque violence. Assurément, Karl ne chercherait point à s’enfuir, il ne voudrait pas le laisser seul dans le pénitencier, d’où tous deux ne sortiraient qu’ensemble!.. Mais, dans une heure de désespoir, Karl ne s’emporterait-il pas, alors que lui, Pieter, n’était pas là pour le calmer, pour le retenir?…

Aussi, dévoré par ces inquiétudes, Pieter crut-il devoir tenter une démarche, et, un jour, pendant l’inspection du capitaine-commandant, se hasarda-t-il à lui adresser la parole. Et, ce qu’il demanda d’une voix suppliante, ce fut, non point d’être réuni à son frère, de travailler dans la même escouade, mais la faveur de passer quelques moments auprès de lui.

Le capitaine Skirtle laissa parler Pieter Kip, l’observant non sans une vive attention, dans laquelle perçait peut-être un certain intérêt. Est-ce donc parce que Karl et Pieter Kip appartenaient à une classe sociale où se recrutent rarement les hôtes d’un bagne?… Est-ce donc que M. Hawkins, avec l’appui du gouverneur, avait poursuivi ses démarches en leur faveur?… Est-ce donc qu’après la commutation de peine obtenue par lui, cet excellent homme continuait ses démarches afin d’obtenir pour eux quelque adoucissement au régime du bagne?…

D’ailleurs, M. Skirtle ne laissa rien voir de ce qu’il pensait. Les frères Kip n’étaient et ne pouvaient être à ses yeux que deux hommes condamnés pour crime d’assassinat. C’était déjà beaucoup que la pitié de la Reine leur eût épargné le dernier supplice. Plus tard, il pourrait peut-être faire droit à la demande de Pieter Kip, mais il n’y avait pas encore lieu d’y accéder.

Pieter Kip, le cœur gonflé, étouffé par les sanglots, n’aurait pas eu la force d’insister. Il comprit que ce serait inutile, et il rentra dans le rang.

Près de six mois s’étaient écoulés depuis l’arrivée des deux frères au pénitencier de Port-Arthur. La fin de l’hiver approchait. Il avait été dur pour ces malheureux, et comment eussent-ils entrevu la possibilité qu’un changement quelconque pût modifier leur situation?… C’est ce qui se produisit, pourtant, et voici dans quelles circonstances.

Le 15 septembre, par une belle matinée, M. Skirtle, sa femme, son fils et sa fille, venaient de faire une longue excursion à travers la forêt. Arrivés à l’isthme d’Eagle-Hawk-Neck, ils étaient descendus de voiture.

En cet endroit, quelques convicts s’occupaient à creuser un canal d’irrigation, et le capitaine-commandant avait voulu inspecter ces aménagements.

Or, les escouades auxquelles appartenaient Karl et Pieter Kip y travaillaient ensemble, mais à une certaine distance l’une de l’autre. Les deux frères n’avaient pas même eu cette consolation de s’apercevoir, tant les arbres formaient une épaisse lisière à l’amorce même de Eagle-Hawk-Neck.

Sa visite achevée, M. Skirtle et sa famille se disposaient à remonter en voiture, lorsque des cris éclatèrent dans la direction de la palissade qui fermait l’isthme. Presque aussitôt s’y joignirent des aboiements furieux.

Ces aboiements étaient ceux des chiens attachés aux poteaux de la grève, à moins de trois cents pas de la lisière.

L’un de ces animaux, ayant rompu sa chaîne, s’était élancé du côté de la forêt, au milieu des cris des constables, et des hurlements de toute la bande. On eût dit que le dogue voulait se jeter sur les convicts dont le costume lui était bien connu. Mais, épouvanté de leurs vociférations, ce fut vers la forêt qu’il bondit avant que les gardiens eussent pu le reprendre.

Ce que le capitaine avait à faire, c’était de remonter en voiture et de quitter la place avant que l’animal eût effrayé les chevaux. Par malheur, ceux-ci prirent peur, et, malgré les efforts du cocher, s’enfuirent en direction de Port-Arthur.

«Venez… venez!…» cria M. Skirtle à sa femme et à ses enfants, qu’il entraînait vers un fourré où ils espéraient trouver refuge.

Soudain, le chien parut, la gueule écumante, les yeux enflammés. Il poussait des rugissements de bête fauve, et, d’un bond, il se précipita sur le jeune Skirtle qu’il renversa, après lui avoir sauté à la gorge.

Les cris des constables, qui accouraient de la lisière, se faisaient entendre.

M. Skirtle, à la vue du danger que courait son fils, allait se jeter sur l’animal, lorsqu’il fut saisi par deux bras vigoureux qui le repoussèrent.

Un instant après, le jeune Skirtle était sauvé, et le chien se débattait contre son sauveur dont il avait pris le bras gauche entre ses crocs sanglants, et qu’il déchirait avec rage…

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Cet homme tenait à la main un fer de pioche, et il le plongea dans le corps du dogue qui retomba pantelant sur le sol.

Mme Skirtle tenait son fils dans ses bras et le couvrait de caresses, tandis que le capitaine se retournait vers l’homme, – un galérien dans son costume jaune.

C’était Karl Kip. Il travaillait à cent pas de là, il avait entendu les cris des constables, il avait aperçu le chien lâché à travers la forêt. Et alors, sans songer au danger, il s’était précipité sur les traces de l’animal.

Le commandant reconnut cet homme, dont le sang coulait d’une horrible blessure. Il allait s’avancer vers lui pour le remercier, pour lui faire donner des soins, lorsqu’il fut devancé par Pieter Kip.

Aux cris poussés en deçà de la lisière, les escouades s’étaient portées de ce côté en même temps que les constables.

Les derniers arbres dépassés, Pieter Kip, voyant son frère étendu près du corps de l’animal, courut à lui en criant:

«Karl… Karl!…»

En vain les gardiens auraient-ils voulu le retenir. D’ailleurs, sur un signe du capitaine vers qui Mme Skirtle tendait les mains et dont le fils implorait la pitié pour son sauveur, il fit signe aux constables de s’écarter. Et, pour la première fois, depuis sept longs mois de séparation, de misères, de désespoir, Karl et Pieter Kip pleuraient dans les bras l’un de l’autre.

 

 

Chapitre IX

Ensemble

 

arl Kip, après avoir été transporté dans la voiture du capitaine-commandant au pénitencier de Port-Arthur, fut déposé dans une des salles de l’infirmerie où son frère, autorisé à rester près de lui, ne tarda pas à le rejoindre.

De quels sentiments de reconnaissance envers cet homme devaient être pénétrés M. et Mme Skirtle! Grâce à son courage, la plus horrible des morts avait été épargnée à leur fils! Au premier moment, dans un irrésistible élan de cœur, le jeune garçon s’était jeté aux genoux de son père, répétant d’une voix coupée de sanglots:

«Grâce pour lui… père… grâce pour lui!»

Mme Skirtle s’était unie à son fils, et tous deux suppliaient le capitaine, comme s’il eût pu faire droit à leur demande, comme s’il eût été le maître de rendre la liberté à Karl Kip!

Et, d’ailleurs, pouvait-on oublier pour quel crime les deux frères, après une peine capitale, étaient enfermés à perpétuité dans le bagne de Port-Arthur?… Ne sachant rien des manœuvres de Flig Balt et de Vin Mod, comment M. Skirtle eût-il mis en doute la culpabilité des condamnés?… De ce que l’un d’eux venait, en risquant sa vie, de sauver celle du jeune garçon, n’en étaient-ils pas moins les assassins d’Harry Gibson et châtiés comme tels?… Cet acte de dévouement, si beau qu’il fût, pouvait-il racheter un aussi épouvantable forfait?…

«Mon ami, dit Mme Skirtle, dès que son mari fut rentré à la villa, après avoir remis le blessé entre les mains du médecin, que sera-t-il possible de faire pour ce malheureux?…

– Rien… répondit le capitaine, rien si ce n’est de le recommander à la bienveillance de l’administration, afin qu’il bénéficie à l’avenir d’un régime moins sévère… qu’il soit exempt des travaux de force…

– Eh bien! il faut informer dès aujourd’hui le gouverneur de ce qui s’est passé…

– Il le saura avant ce soir, répondit M. Skirtle. Mais tout se bornera à obtenir un adoucissement et non une diminution de la peine. Karl Kip et son frère ont été déjà l’objet d’une faveur, – et quelle faveur! – puisqu’il leur a été fait grâce de la vie…

– Et j’en remercie le Ciel, comme je le remercie, l’infortuné, puisqu’il a sauvé notre pauvre enfant…

– Ma chère amie, répondit le capitaine, je ferai tout ce qui sera possible par reconnaissance pour Karl Kip. D’ailleurs, depuis que les deux frères sont arrivés à Port-Arthur, leur conduite a été irréprochable, et ils n’ont jamais eu à encourir les sévérités du règlement. Peut-être, je le répète, obtiendrai-je de l’administration supérieure qu’ils ne soient plus astreints aux travaux du dehors, plus pénibles encore pour des hommes de leur condition, et de les occuper dans les bureaux du pénitencier… Ce serait un grand soulagement dans leur situation de convicts… Mais tu sais pour quel crime ils ont été traduits devant la Cour, et sur quelles indiscutables preuves s’est fondée la conviction du jury…

– Mon ami, s’écria Mme Skirtle, comment celui qui a été capable d’un tel acte pourrait-il être un meurtrier?…

– Et, cependant… il n’y a aucun doute à ce sujet… Jamais les frères Kip n’ont pu établir leur innocence…

– Tu n’ignores pas, mon ami, insista Mme Skirtle, quelle est l’opinion de M. Hawkins…

– Je la connais… Cet excellent homme ne les croit pas coupables, mais il est influencé par ses souvenirs, et il n’a rien pu obtenir pour eux, si ce n’est une commutation de peine par l’intermédiaire du gouverneur…

– Songe donc, reprit Mme Skirtle, combien cette condamnation lui paraîtra plus injuste encore, lorsqu’il apprendra ce que vient de faire Karl Kip…»

Le capitaine ne répondit pas, car il avait été déjà très impressionné de ce que lui avait déclaré M. Hawkins relativement aux deux frères. Mais, à la réflexion, en présence des preuves matérielles, les papiers d’Harry Gibson en la possession de Karl et de Pieter Kip, le kriss, instrument du crime, découvert dans la valise, était-il permis de douter?…

«Dans tous les cas, mon ami, reprit Mme Skirtle, j’ai une grâce à te demander… une grâce qui ne dépend que de toi, et que tu ne me refuseras pas…

– Cette grâce, c’est que les deux frères ne soient plus séparés l’un de l’autre désormais?…

– Oui… tu m’as comprise!… Dès aujourd’hui, tu autoriseras Pieter Kip à rester près de son frère… à lui donner ses soins…

– Je le ferai assurément, déclara M. Skirtle.

– Et moi aussi, je le visiterai, reprit Mme Skirtle. Je veillerai à ce que ce malheureux ne manque de rien… Et qui sait… plus tard?…»

En attendant, le vœu des deux frères allait être comblé, et, ce qu’ils avaient désiré avec le plus d’ardeur, ils ne seraient point séparés.

Donc, à partir de ce jour, Karl et Pieter Kip se virent à toute heure. Puis, à trois semaines de là, lorsque, sa blessure presque cicatrisée, Karl Kip eut pu quitter l’infirmerie, tous deux se promenaient dans la cour du pénitencier. Ils occupaient maintenant la même salle, ils couchaient dans le même dortoir, ils travaillaient dans la même escouade. Enfin, ils furent employés à des travaux de l’intérieur, avec l’espoir d’être bientôt affectés aux bureaux de Port-Arthur.

On imaginera aisément tout ce que les deux frères avaient à se dire, quel sujet de conversation revenait sans cesse entre eux, et comment ils envisageaient l’avenir.

Et, lorsque le plus jeune voyait son aîné s’abandonner à la crainte que la vérité ne fût jamais reconnue, il lui répétait:

«Ne pas espérer, frère, ce serait manquer à Dieu!… Puis vie a été épargnée, c’est que la Providence veut que les assassins soient découverts un jour… que notre réhabilitation soit proclamée publiquement…

– Le Ciel t’entende, Pieter, répondait Karl Kip, et je t’envie d’avoir cette confiance!… Mais, enfin, quels peuvent être les meurtriers du capitaine Gibson?… Évidemment des indigènes de Kerawara ou de l’île d’York; peut-être même de quelque autre île de l’archipel Bismarck!… Et comment les découvrir au milieu de cette population mélanésienne, dispersée sur tous les points du territoire?…»

Ce serait difficile, Pieter Kip en convenait. N’importe! il avait la foi… Quelque fait inattendu se produirait… M. Zieger, M. Hamburg obtiendraient de nouvelles informations…

«Et, d’ailleurs, dit-il un jour, en voyant son frère en proie au désespoir, est-il sûr que les assassins soient des indigènes?…»

Karl Kip lui avait saisi les mains et s’écriait en le regardant les yeux dans les yeux:

«Que veux-tu dire?… Explique-toi!… Penses-tu donc que quelque colon… quelque employé des factoreries aurait pu commettre ce crime?…

– Non… frère… non!

– Alors… qui?… Des matelots?… Oui!… Plusieurs navires se trouvaient dans le port de Kerawara…

– Et il y avait aussi notre brick, le James-Cook…, répondit Pieter.

– Le James-Cook!…»

Et Karl Kip, répétant ce nom, interrogeait son frère.

Alors, Pieter lui fit connaître les soupçons dont son esprit était hanté. Est-ce que l’équipage du brick ne comptait pas des hommes très suspects, entre autres ces matelots recrutés à Dunedin et qui prirent part à la révolte soulevée par Flig Balt?… Est-ce que, parmi ces hommes, Len Cannon – pour en citer un – n’a pu savoir que le capitaine Gibson emportait, non seulement des papiers du bord, mais aussi une somme de plusieurs milliers de piastres à l’habitation de M. Hamburg?… Précisément, dans cet après-midi, Len Cannon et ses camarades étaient descendus à terre… N’avaient-ils pu épier Harry Gibson, le suivre à travers la forêt de Kerawara, l’attaquer, l’assassiner, le dévaliser?…

Karl écoutait son frère avec une anxieuse et dévorante attention. Il semblait que toute une révélation se fît dans son esprit. Jamais il ne lui était venu à la pensée d’expliquer l’assassinat autrement que par l’intervention des indigènes… Et voici que Pieter lui signalait, comme pouvant être les coupables, ce Len Cannon ou autres recrues du bord!…

Après quelques moments de réflexion, il reprit:

«Mais, en admettant que les meurtriers doivent être recherchés parmi ces hommes, il n’en est pas moins certain que le capitaine Gibson a été frappé avec un poignard malais…

– Oui… Karl… et j’ajoute avec le nôtre…

– Le nôtre?…

– Cela n’est que trop certain, affirma Pieter Kip, et c’est bien le nôtre dont on a retrouvé la virole dans le bois de Kerawara…

– Et comment ce poignard aurait-il pu être en la possession des meurtriers?…

– Parce qu’il a été volé, Karl…

– Volé?…

– Oui… sur l’épave de la Wilhelmina… pendant que nous la visitions…

– Volé… par qui?…

– Par l’un des matelots qui conduisaient le canot et qui, comme nous, ont pris pied sur l’épave…

– Mais quels étaient ces matelots?… Te le rappelles-tu, Pieter?… Leurs noms?…

– Assez vaguement, frère… Il y avait d’abord Nat Gibson, qui avait voulu nous accompagner… Quant aux hommes désignés par le capitaine, je ne me souviens plus…

– Est-ce que le maître d’équipage n’était pas avec eux?… demanda Karl Kip.

– Non, frère… Je crois pouvoir assurer que Flig Balt était resté à bord.

– Et Len Cannon?…

– Oui… je crois bien… Il me semble encore le voir sur l’épave. Peut-être… mais je ne suis pas sûr… Enfin, lui ou un autre a pu entrer dans notre cabine, et, même après nous, y découvrir le kriss que nous n’aurions pas aperçu en quelque coin… Et plus tard, lorsque ces misérables ont eu la pensée du crime, ils se sont servis de cette arme pour le commettre, puis ils l’ont replacée dans notre valise…

– Mais nous l’y aurions trouvée, Pieter!

– Non… s’ils ne l’y ont mise qu’au dernier moment!»

On voit à quel point Pieter Kip se rapprochait de la vérité. Seulement, il faisait erreur en ce qui concernait les véritables assassins. Si ses soupçons se portaient sur Len Cannon ou quelque autre des recrues, très capables d’être soupçonnés, ils n’atteignaient ni Flig Balt ni Vin Mod. Ce qui était sûr, d’ailleurs, c’est que le maître d’équipage n’avait point embarqué dans le canot pour se rendre à l’épave; mais ce qui ne l’était pas moins, c’est que Vin Mod s’y trouvait, – ce dont Karl ni Pieter Kip ne se souvenaient plus. On sait comment le fourbe avait opéré, et avec assez d’adresse et d’astuce pour n’avoir jamais été l’objet d’aucune suspicion.

Telle est donc la conversation qu’auraient déjà eue les deux frères, sans doute, s’ils n’eussent été toujours séparés, d’abord dans la prison d’Hobart-Town, ensuite dans le pénitencier de Port-Arthur.

Il est vrai, ce qui se faisait certitude pour eux, puisqu’ils n’étaient pas les auteurs du crime, ne serait que présomption pour toute autre personne. Comment parviendraient-ils à établir avec preuves évidentes que le kriss avait été pris sur l’épave par un des matelots du James-Cook, puis que ce matelot s’en était servi pour frapper le capitaine Gibson?… On en conviendra, – ils le comprenaient, – les apparences étaient contre eux. Que les hypothèses de Pieter Kip fussent logiques, d’accord; mais elles ne pouvaient être admises que par eux, qui se savaient innocents… Et voilà bien ce qui les désespérait, et plus particulièrement Karl Kip, – désespoir contre lequel Pieter, soutenu par sa foi inébranlable en la justice divine, avait tant de peine à réagir!

Entre-temps, après les démarches faites par le capitaine Skirtle, le gouverneur et l’administration pénale du Royaume-Uni avaient autorisé l’admission des frères Kip dans les bureaux de Port-Arthur. Ce fut un grand adoucissement au régime qui leur avait été imposé jusqu’alors. Ils n’appartenaient plus aux escouades affectées à la construction des routes ou au creusement des canaux. Ils étaient occupés à la comptabilité, ou même, sous la surveillance des agents, à la préparation des travaux sur les divers points de la presqu’île. Toutefois, – mesure bien pénible, – la nuit venue, ils devaient rentrer dans les dortoirs communs, sans pouvoir se soustraire à l’horrible promiscuité du bagne.

Or, il arriva que cette situation nouvelle excita de furieuses jalousies. Des assassins, des condamnés à mort, dont la peine avait été commuée, et qui jouissaient de pareilles faveurs!… Est-ce que le service rendu par Karl Kip à la famille du capitaine-commandant valait cela?… S’être jeté sur un chien au risque de quelques morsures, qui n’en eût fait autant?… Les frères Kip eurent donc à se défendre contre ces brutes, et il ne fallut pas moins que la vigueur de Karl pour les mettre à la raison.

Cependant, au milieu de ce ramassis de galériens avec lesquels ils vivaient dans les salles communes, deux convicts avaient pris fait et cause pour eux, et les défendaient contre les violences de leurs compagnons.

C’étaient deux hommes de trente-cinq à quarante ans, deux Irlandais, nommés l’un O’Brien, l’autre Macarthy. Pour quel crime ils avaient été condamnés, jamais ils ne s’étaient expliqués là-dessus. Autant que possible, ils se tenaient toujours à l’écart, et, doués d’une force exceptionnelle, ils avaient su imposer le respect pour leur personne. Assurément, ce n’étaient point de vulgaires condamnés, et ils avaient reçu une instruction supérieure à celle des hôtes ordinaires des bagnes. Aussi, révoltés sans doute de voir leurs compagnons se mettre une vingtaine contre les frères Kip, ils les avaient aidés à se protéger contre leurs odieuses brutalités.

Il était donc à prévoir, bien que ces Irlandais fussent très sombres, très farouches, d’un caractère peu communicatif, qu’une certaine intimité se serait établie entre eux et les frères Kip, lorsqu’une nouvelle décision de l’administration ne leur laissa plus que de rares occasions de se rencontrer dans la vie courante de Port-Arthur.

En effet, M. Skirtle n’avait pas tardé à connaître la conduite de quelques-uns des convicts, et des plus intraitables. Il sut que Karl et Pieter Kip avaient été l’objet d’attaques personnelles, et qu’ils étaient exposés aux pires traitements, lorsque la nuit les réunissait dans les mêmes dortoirs que leurs compagnons de bagne.

D’autre part, Mme Skirtle, qui n’avait point cessé de s’intéresser aux deux frères, faisait tout ce qui dépendait d’elle pour adoucir leur sort. Après avoir maintes fois parlé d’eux lorsqu’elle visitait M. et Mme Hawkins à Hobart-Town, elle se sentait prise de certains doutes, et, sans aller jusqu’à admettre qu’ils pussent être innocents du crime de Kerawara, du moins les preuves de leur culpabilité ne lui semblaient pas absolument décisives. Et puis, comment eût-elle oublié ce qu’elle devait au courage de Karl Kip?… C’est pourquoi cette reconnaissante femme, poursuivant ses instantes démarches près du gouverneur de la Tasmanie, finit-elle par obtenir que, la nuit, les deux frères occuperaient une cellule particulière.

Avant d’être installés dans cette cellule, Karl et Pieter Kip voulurent une dernière fois remercier O’Brien et Macarthy de leurs bons offices.

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Les Irlandais ne répondirent que froidement à cette démarche. Ils n’avaient fait que leur devoir, après tout, en défendant les deux frères contre des forcenés. Et, lorsque ceux-ci leur tendirent la main, au moment de se séparer, ils ne la prirent pas.

Et, quand ils se retrouvèrent seuls, Karl Kip de s’écrier:

«Je ne sais pour quel crime ces deux hommes ont été condamnés, mais ce n’est pas pour assassinat, puisqu’ils ont refusé de toucher la main des deux assassins que nous sommes!…»

Et, la colère l’emportant, il ajouta:

«Nous… nous… des meurtriers!… Et rien… rien… pour prouver que nous ne le sommes pas!…

– Espère, mon pauvre Karl…, répondit Pieter. Justice nous sera rendue un jour!»

Au mois de mars 1887, un an s’était écoulé depuis que les deux frères avaient été déportés à Port-Arthur. Qu’auraient-ils pu obtenir de plus que l’adoucissement en leur faveur du régime du pénitencier?… Aussi, quelle que fût la confiance de Pieter Kip dans l’avenir, ne devaient-ils pas craindre de rester à jamais les victimes de cette erreur judiciaire?… Et, cependant, ils n’étaient pas si abandonnés qu’ils devaient le croire. Au dehors, sinon des amis, du moins des protecteurs, n’avaient cessé de prendre le plus sérieux intérêt à leur situation. Que Nat Gibson, égaré par son chagrin, se refusât à admettre qu’il y eût des présomptions en leur faveur, M. Hawkins, lui, continuait ses démarches relatives à cette malheureuse affaire. Il entretenait une correspondance fréquente avec M. Zieger à Port-Praslin, et avec M. Hamburg à Kerawara. Il les pressait de poursuivre l’enquête, d’étendre leurs informations à la Nouvelle-Irlande comme à la Nouvelle-Bretagne. S’ils ne parvenaient à constater que le crime eût été commis par les indigènes, n’avait-il pas des étrangers pour auteurs, – quelques ouvriers des factoreries, quelques matelots des bâtiments qui se trouvaient à cette époque dans les ports de l’archipel?…

Engagé dans cette voie, M. Hawkins en venait à se demander s’il ne fallait pas chercher les meurtriers jusque dans l’équipage du James-Cook, ainsi que le faisaient Karl et Pieter Kip… N’y avait-il pas lieu de suspecter Len Cannon et ses camarades… d’autres peut-être?… Et, parfois, le nom de Flig Balt traversait son esprit… Mais, il faut en convenir, ce n’étaient là que de pures hypothèses que n’appuyaient ni les dépositions des témoins entendus dans l’affaire, ni les preuves matérielles produites aux débats.

M. Hawkins eut alors la pensée de se rendre à Port-Arthur. Ce fut comme un irrésistible besoin qu’il éprouva de revoir ses protégés, une sorte de pressentiment instinctif, qui le conduisit à l’établissement pénitentiaire.

On imaginera sans peine l’extrême surprise et aussi l’indicible émotion dont furent saisis les frères Kip, ^lorsque, dans la matinée du 19 mars, appelés au bureau du capitaine-commandant, ils se trouvèrent en présence de l’armateur.

Celui-ci ne fut pas moins ému à revoir les naufragés de la Wilhelmina sous leur accoutrement de galériens. Dans un premier mouvement, Karl Kip allait s’élancer vers son bienfaiteur… Son frère le retint. Et comme M. Hawkins – il s’imposait une réserve que l’on comprendra – ne fit aucun pas vers eux, ils restèrent immobiles et muets, en attendant qu’on leur adressât la parole.

M. Skirtle se tenait à l’écart, indifférent en apparence. Il voulait laisser M. Hawkins libre de donner à cette entrevue le caractère qu’il jugerait convenable, et à cet entretien le cours qu’il devait avoir.

«Messieurs…» dit l’armateur.

Et ce mot fut comme le relèvement moral de ces deux malheureux qui n’étaient plus que des numéros de bagne!

«Messieurs Kip, je suis venu à Port-Arthur pour vous mettre au courant de choses qui vous intéressent et dont je me suis occupé…»

Les deux frères eurent la pensée que cette déclaration devait se rapporter à l’affaire de Kerawara… Ils se trompaient. Ce n’était pas la preuve de leur innocence qu’apportait M. Hawkins, qui continua en ces termes:

«Il s’agit de votre maison de commerce de Groningue. J’ai voulu entrer en correspondance avec divers négociants de cette ville où, je dois vous le dire, il semble bien que l’opinion publique vous ait toujours été favorable…

– Nous sommes innocents!… s’écria Karl Kip, incapable de retenir la révolte de son cœur.

– Mais, reprit M. Hawkins, qui avait quelque peine à garder sa réserve, vous n’étiez pas en situation de pouvoir mettre ordre à vos affaires… Elles souffraient déjà de votre absence… Il importait que la liquidation fût rapidement menée, et j’ai pris vos intérêts en main…

– Monsieur Hawkins, répondit Pieter Kip, nous vous remercions, et c’est un bienfait ajouté à tant d’autres!

– Je désirais donc vous apprendre, poursuivit l’armateur, que cette liquidation s’est faite dans des conditions plus avantageuses qu’on ne l’espérait… Les cours étaient en hausse, et les marchandises ont trouvé preneur à de hauts prix… Il s’en est suivi que le bilan présente une balance de compte à votre profit.»

La plus vive satisfaction se peignit sur la pâle figure de Pieter Kip. Au milieu des tourments qui l’accablaient dans cette abominable existence du bagne, que de fois il songeait à ses affaires en souffrance, à sa maison de commerce réduite à la faillite, à cette nouvelle honte qui atteindrait le nom de leur père!… Et voici que M. Hawkins venait lui apprendre qu’une liquidation avait réglé heureusement leurs intérêts.

Karl Kip dit alors:

«Monsieur Hawkins, nous ne savons comment vous témoigner notre reconnaissance!… Après tout ce que vous aviez déjà fait pour nous, après l’estime que vous nous aviez montrée, dont nous étions dignes, dont nous sommes dignes encore, je le jure!… grâce à vous, honneur de notre maison est sauvé!… Et ce n’est pas nous qui l’aurons voué à l’infamie… Non… nous sommes innocents du crime pour lequel nous avons été condamnés!… Nous ne sommes pas les assassins du capitaine Gibson!»

Et, comme ils l’avaient fait devant la Cour, les deux frères, se tenant la main, attestaient le Ciel.

M. Skirtle les observait avec attention, avec émotion, et il se sentait pénétré par la dignité de leur attitude, par l’accent de sincérité dont leur voix était empreinte.

Et alors, M. Hawkins de s’abandonner, incapable de retenir tout ce qu’il avait sur le cœur… et il le fit avec une chaleur communicative. Non! il ne croyait pas à la culpabilité des frères Kip… il n’y avait jamais cru!… Par malheur, l’enquête poursuivie à Port-Praslin, à Kerawara, sur les autres îles de l’archipel Bismarck, n’avait point abouti… C’est vainement que la trace des meurtriers fut recherchée parmi les tribus indigènes!… Néanmoins, il ne désespérait pas de réussir, et d’arriver à la révision de l’affaire…

Révision!… Ce mot venait d’être prononcé pour la première fois devant les deux condamnés, qui n’espéraient plus l’entendre… la révision, qui les renverrait devant de nouveaux juges, qui permettrait d’apporter de nouvelles preuves!…

Mais, à ces nouveaux juges, à ces nouvelles preuves, il faudrait un fait nouveau indiscutable, laissant pressentir quelque erreur judiciaire, pour qu’un autre accusé pût être substitué à ceux qui avaient été condamnés pour lui!… Le véritable auteur du crime, parviendrait-on à le retrouver pour le mettre en face des deux frères devant le jury d’Hobart-Town?…

Alors M. Hawkins et eux reprirent les principaux points de l’accusation. Oui!… le capitaine Gibson fut frappé avec le poignard saisi dans la chambre des deux frères, et qui leur appartenait… Ils ne l’avaient pas retrouvé sur l’épave de la Wilhelmina… ils ne l’avaient point rapporté à bord du brick… S’il fut vu par Jim dans leur cabine, c’est qu’un autre l’y avait mis, et si on y trouva les papiers du capitaine, c’est qu’un autre les y avait déposés… Or, cet autre ne pouvait être que celui qui les avait volés avec l’argent d’Harry Gibson, après l’avoir assassiné dans la forêt de Kerawara!…

Oui!… cela était la vérité même, bien que les preuves fissent défaut!

Dans ces conditions, les soupçons ne devaient se porter que sur les matelots du James-Cook. L’un d’eux avait pu seul s’emparer du kriss dans la cabine de la Wilhelmina… un de ceux que le canot y avait amenés…

Aussitôt Karl Kip de s’écrier:

«Est-ce que Flig Balt se trouvait parmi eux?…

– Non… répondit Pieter, non!… Ma mémoire ne me trompe pas… Flig Balt n’a pas mis le pied sur l’épave…

– En effet… je me souviens… il n’avait pas quitté le bord…, déclara l’armateur.

– Quels étaient donc les hommes qui avaient pris place dans le canot?… demanda Karl Kip.

– Hobbes et Wickley, répondit M. Hawkins. J’ai eu l’occasion de les interroger sur ce point, et ils sont certains d’y avoir embarqué avec Nat Gibson et vous…

– Len Cannon n’y était pas?… reprit Pieter Kip.

– Ils m’ont affirmé que non.

– Je l’avais cru…

– Mais, reprit Karl Kip, Hobbes et Wickley ne peuvent être soupçonnés…

– Non assurément, répondit M. Hawkins. Ce sont d’honnêtes matelots… Mais un troisième était avec eux…

– Et qui donc, monsieur Hawkins?…

– Vin Mod…

– Vin Mod!… s’écria Karl Kip… Vin Mod… ce fourbe… ce coquin…

– Vin Mod, ajouta Pieter Kip, que j’ai toujours considéré comme l’âme damnée de Flig Balt !…»

A cette époque, ni le maître d’équipage ni Vin Mod n’étaient plus à Hobart-Town, et où aurait-on pu maintenant retrouver leurs traces?…

 

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1 Actuellement Port-Arthur est désaffecté et l’établissement pénal n’existe plus en Tasmanie.