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Jules Verne

 

le rayon-vert

 

 

(Chapitre XI-XV)

 

 

44 dessins et une carte, par L. Benett

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XI

Olivier Sinclair.

 

livier Sinclair était un «joli homme», pour employer l’expression jadis usitée en Écosse à l’égard des garçons braves, prompts et alertes; mais, si cette expression lui convenait au moral, il faut avouer qu’elle ne lui convenait pas moins au physique.

Dernier rejeton d’une honorable famille d’Édimbourg, ce jeune Athénien de l’Athènes du Nord était le fils d’un ancien conseiller de cette capitale du MidLothian. Sans père ni mère, élevé par son oncle, l’un des quatre baillis de l’administration municipale, il avait fait de bonnes études à l’Université; puis, à l’âge de vingt ans, un peu de fortune lui assurant au moins l’indépendance, curieux de voir le monde, il visita les principaux de États l’Europe, l’Inde, l’Amérique, et la célèbre Revue d’Édimbourg ne refusa pas, en quelques occasions, de publier ses notes de voyages. Peintre distingué, qui aurait pu vendre ses œuvres à haut prix, s’il l’eût voulu, poète à ses heures, – et qui ne le serait à un âge où toute l’existence vous sourit? – cœur chaud, nature artiste, il était pour plaire et plaisait sans pose ni fatuité.

Il est facile de se marier dans la capitale de la vieille Calédonie. En effet, les sexes y sont en proportion très inégale, et le faible, numériquement, l’emporte de beaucoup sur le fort. Aussi un jeune homme, instruit, aimable, comme il faut, fort bien fait de sa personne, ne peut-il manquer d’y trouver plus d’une héritière à son goût.

Et cependant, Olivier Sinclair, à vingt-six ans, ne semblait pas encore avoir éprouvé le besoin de vivre à deux. Le sentier de la vie lui paraissait-il donc trop étroit pour y marcher coude à coude? Non, sans doute, mais il est plus probable qu’il se trouvait mieux d’aller seul, de prendre par les chemins de traverse, de courir à sa fantaisie, surtout avec ses goûts d’artiste et de voyageur.

Pourtant, Olivier Sinclair était bien fait pour inspirer plus que de la sympathie à quelque jeune et blonde fille de l’Écosse. Sa taille élégante, sa physionomie ouverte, son air franc, sa mâle figure, énergique par les traits, douce par les yeux, la grâce de ses mouvements, la distinction de ses manières, sa parole facile et spirituelle, l’aisance de sa démarche, le sourire de son regard, tout cet ensemble était de nature à charmer. Lui ne s’en doutait guère n’étant point fat, ou n’y songeait pas n’étant point d’humeur à s’enchaîner. D’ailleurs, s’il donnait lieu à des appréciations flatteuses pour sa personne dans le clan féminin de l’Auld-Recky1, il ne plaisait pas moins à ses compagnons de jeunesse, à ses camarades de l’Université: suivant la jolie expression gaélique, il était de ceux «qui ne tournent jamais le dos ni à un ami, ni à un ennemi».

Eh bien, ce jour-là, il faut pourtant convenir qu’au moment de l’attaque, il tournait le dos à Miss Campbell. Miss Campbell, il est vrai, n’était ni son ennemie ni son amie. Aussi, dans cette attitude, n’avait-il pu voir venir la boule, si rudement poussée par le maillet de la jeune fille. De là, cet effet d’obus en pleine toile, et la culbute de tout son attirail de peintre.

Miss Campbell, du premier coup d’œil, avait reconnu son «héros» du Corryvrekan; mais le héros n’avait point reconnu la jeune passagère du Glengarry. C’est à peine si, pendant la fin de la traversée de l’île Scarba à Oban, il avait aperçu Miss Campbell à bord. Certes, s’il eût su quelle part personnelle lui revenait dans son sauvetage, ne fût-ce que par politesse, il l’aurait plus particulièrement remerciée; mais il l’ignorait encore, et probablement il devait l’ignorer toujours.

Et, en effet, ce jour même Miss Campbell défendait – c’est le mot –, défendait aussi bien à ses oncles qu’à dame Bess et à Partridge, de faire aucune allusion, devant ce jeune homme, à ce qui s’était passé à bord du Glengarry avant le sauvetage.

Cependant, après l’accident de la boule, les frères Melvill avaient rejoint leur nièce, plus décontenancés qu’elle, si c’est possible, et ils commençaient à présenter leurs excuses personnelles au jeune peintre, lorsque celui-ci les interrompit en disant:

«Mademoiselle… Messieurs… je vous en prie… croyez que cela n’en vaut pas la peine!

– Monsieur… dit le frère Sib, en insistant. Non!… nous sommes véritablement désolés!

– Et si le malheur est irréparable, comme cela est à craindre… ajouta le frère Sam.

– Ce n’est qu’un accident, ce n’est point un malheur! répondit en riant le jeune homme. Un barbouillage, rien de plus, et dont cette boule vengeresse a fait justice!»

Olivier Sinclair disait cela de si bonne humeur, que les frères Melvill lui auraient volontiers tendu la main, sans y mettre plus de cérémonie. En tout cas, ils crurent devoir se présenter réciproquement, comme il convient entre gentlemen.

«Monsieur Samuel Melvill, dit l’un.

– Monsieur Sébastien Melvill, dit l’autre.

– Et leur nièce, Miss Campbell», ajouta Helena, qui ne pensa pas manquer aux convenances en se présentant elle-même.

C’était à l’adresse du jeune homme une invitation de décliner ses noms et qualités.

«Miss Campbell, messieurs Melvill, dit-il avec le plus grand sérieux, je pourrais vous répondre que je m’appelle «fock», comme l’un des piquets de votre croquet, puisque j’ai été touché par la boule, mais je me nomme tout bonnement Olivier Sinclair.

– Monsieur Sinclair, répliqua Miss Campbell, qui ne savait trop comment elle devait prendre cette réponse, veuillez une dernière fois recevoir toutes mes excuses…

– Et les nôtres, ajoutèrent les frères Melvill.

– Miss Campbell, reprit Olivier Sinclair, je vous répète que cela n’en vaut pas la peine. Je cherchais à obtenir un effet de lames déferlantes, et il est probable que votre boule, comme l’éponge de je ne sais plus quel peintre de l’antiquité, jetée en travers de son tableau, aura produit l’effet que mon pinceau cherchait vainement à rendre!»

Cela fut dit d’un ton si aimable que Miss Campbell et les frères Melvill ne purent s’empêcher de sourire.

Quant à la toile qu’Olivier Sinclair ramassa, elle se trouvait hors d’usage, et c’était à recommencer.

Il est bon d’observer que Aristobulus Ursiclos n’était point venu prendre part à cet échange d’excuses et de politesses.

La partie terminée, le jeune savant, très vexé de n’avoir pu mettre ses connaissances théoriques d’accord avec ses aptitudes pratiques, s’était retiré pour rentrer à l’hôtel. On ne devait même pas le voir avant trois ou quatre jours, car il allait partir pour l’île Luing, une des petites Hébrides, située au sud de l’île de Seil, dont il voulait étudier, au point de vue géographique, les riches ardoisières.

L’entretien ne pouvait donc être gêné par les interventions explicatives qu’il n’eût point manqué de faire sur la tension des trajectoires ou autres questions relatives à l’accident.

Olivier Sinclair apprit alors qu’il n’était pas tout à fait un inconnu pour les hôtes de Caledonian Hotel, et il fut mis au courant des incidents de la traversée.

«Quoi, Miss Campbell, et vous messieurs, s’écria-t-il, vous étiez à bord du Glengarry, qui m’a repêché si à propos?

– Oui, monsieur Sinclair.

– Et vous nous avez bien effrayés, ajouta le frère Sib, lorsque nous avons aperçu, par le plus grand hasard, votre embarcation perdue dans le remous du Corryvrekan!

– Hasard providentiel, ajouta le frère Sam, et très probablement, sans l’intervention de…»

C’est ici que Miss Campbell fit comprendre d’un signe qu’elle n’entendait point être posée en libératrice. Ce rôle de Notre-Dame-des-Naufragés, elle ne voulait à aucun prix en accepter l’emploi.

«Mais, monsieur Sinclair, reprit alors le frère Sam, comment ce vieux pêcheur qui vous accompagnait a-t-il pu être assez imprudent pour s’aventurer dans ces courants…

– Dont il doit bien connaître les dangers, puisqu’il est du pays? ajouta le frère Sib.

– Il ne faut pas l’accuser, messieurs Melvill, répondit Olivier Sinclair. L’imprudence vient de moi, de moi seul, et j’ai cru un instant que j’aurais à me reprocher la mort de ce brave homme! Mais il y avait des couleurs si étonnantes à la surface de ces remous, où la mer ressemble à une immense guipure, jetée sur un fond de soie bleue! Aussi, sans m’inquiéter du reste, me voilà parti à la recherche de quelques nuances nouvelles au milieu de cette écume imprégnée de lumière. Et alors j’allais plus avant, toujours plus avant! Mon vieux pêcheur sentait bien le danger, il me faisait des remontrances, il voulait revenir du côté de l’île Jura, mais je ne l’écoutais guère, si bien que notre embarcation fut enfin prise dans un courant, puis irrésistiblement entraînée vers le gouffre! Nous voulûmes résister à cette attraction!… Un coup de mer blessa mon compagnon, qui ne put me venir en aide, et certainement, sans l’arrivée du Glengarry, sans le dévouement de son capitaine, sans l’humanité des passagers, nous serions passés à l’état légendaire, mon matelot et moi, et maintenant catalogués dans le nécrologe du Corryvrekan!»

Miss Campbell écoutait sans dire un mot, et levait parfois ses beaux yeux sur le jeune homme, qui ne cherchait point à la gêner de ses regards. Elle ne put s’empêcher de sourire, lorsqu’il parla de sa chasse ou plutôt de sa pêche aux nuances marines. Est-ce qu’elle aussi n’était pas en quête de pareille aventure, un peu moins périlleuse, toutefois, la chasse aux nuances célestes, la chasse au Rayon-Vert?

Et les frères Melvill ne purent se retenir d’en faire la remarque, en parlant du motif qui les avait amenés à Oban, c’est-à-dire l’observation d’un phénomène physique dont ils firent connaître la nature au jeune peintre.

«Le Rayon-Vert! s’écria Olivier Sinclair.

– L’auriez-vous déjà vu, monsieur? demanda vivement la jeune fille, l’auriez-vous déjà vu?

– Non, Miss Campbell, répondit Olivier Sinclair. Savais-je seulement qu’il y eût quelque part un Rayon-Vert! Non! En vérité! Eh bien, moi aussi, je veux le voir! Le soleil ne disparaîtra plus sous l’horizon sans qu’il ne m’ait pour témoin de son coucher! Et, par saint Dunstan, je ne peindrai plus jamais qu’avec le vert de son dernier rayon!»

Il était difficile de savoir si Olivier Sinclair ne parlait pas avec une légère pointe d’ironie, ou s’il se laissait entraîner par le côté artiste de sa nature. Toutefois, un certain pressentiment dit à Miss Campbell que le jeune homme ne plaisantait pas.

«Monsieur Sinclair, reprit-elle, le Rayon-Vert n’est pas ma propriété! Il luit pour tout le monde! Il ne perd rien de sa valeur, parce qu’il se montre à plusieurs curieux à la fois! Nous pourrons donc, si vous le voulez, essayer de le voir ensemble.

– Très volontiers, Miss Campbell.

– Mais il faut y mettre beaucoup de patience.

– Nous en mettrons…

– Et ne pas craindre de se faire mal aux yeux, dit le frère Sam.

– Le Rayon-Vert vaut bien la peine qu’on risque cela pour lui, répliqua Olivier Sinclair, et je ne quitterai pas Oban sans l’avoir aperçu, je vous le promets.

– Une fois déjà, dit Miss Campbell, nous nous sommes rendus à l’île Seil pour observer ce rayon, mais un petit nuage est venu voiler l’horizon, juste au moment où le soleil se couchait.

– Voilà une fatalité!

– Une véritable fatalité, monsieur Sinclair, car depuis ce jour nous n’avons jamais revu un ciel suffisamment net.

– Cela se retrouvera, Miss Campbell! L’été n’a pas encore dit son dernier mot, et, avant le retour de la mauvaise saison, croyez-moi, le soleil nous aura fait l’aumône du Rayon-Vert.

– Pour tout vous avouer, monsieur Sinclair, reprit Miss Campbell, nous l’aurions certainement aperçu, dans la soirée du 2 août, à l’horizon même de la passe du Corryvrekan, si notre attention n’eût été détournée par un certain sauvetage…

– Quoi, Miss Campbell, répondit Olivier Sinclair, j’aurais été assez maladroit pour distraire vos regards en un pareil moment! Mon imprudence vous aurait coûté le Rayon‑Vert. Alors, c’est moi qui vous dois des excuses, et je vous exprime ici tous mes regrets pour mon inopportune intervention. Cela ne m’arrivera plus!»

Et l’on causa ainsi de choses et d’autres en reprenant le chemin de Caledonian Hotel, où précisément Olivier Sinclair était descendu la veille, à son retour d’une excursion aux environs de Dalmaly. Ce jeune homme, dont les manières franches, la communicative gaieté ne déplaisaient point aux deux frères – loin de là – fut alors amené à parler d’Édimbourg et de son oncle le bailli Patrick Oldimer. Il se trouva que les frères Melvill avaient été liés avec le bailli Oldimer pendant quelques années. Entre ces deux familles s’étaient autrefois établies des relations du monde, que l’éloignement seul avait suspendues. On se retrouvait donc en parfaite connaissance. Aussi Olivier Sinclair fut-il invité à renouer avec les Melvill, et, comme il n’y avait aucune raison pour qu’il plantât sa tente d’artiste plutôt ailleurs qu’à Oban, il se déclara plus que jamais résolu à y rester, afin de participer aux recherches du fameux rayon.

Miss Campbell, les frères Melvill et lui se rencontrèrent donc fréquemment sur les plages d’Oban pendant les jours qui suivirent. Ils observaient ensemble si les conditions atmosphériques tendaient à se modifier. Dix fois par jour, ils interrogeaient le baromètre, qui laissait voir quelques velléités de hausse. Et, en effet, l’aimable instrument dépassa trente pouces sept dixièmes dans la matinée du 14 août.

Avec quelle satisfaction, ce jour-là, Olivier Sinclair apporta la bonne nouvelle à Miss Campbell! Un ciel pur comme l’œil d’une madone! Un azur qui allait en dégradant peu à peu ses nuances depuis l’indigo jusqu’à l’outremer! Pas une vapeur de nature hydrométrique dans l’espace! La perspective d’une soirée splendide et d’un coucher de soleil à émerveiller les astronomes d’un observatoire!

«Si nous ne voyons pas notre rayon au coucher du soleil, dit Olivier Sinclair, c’est que nous serons devenus aveugles!

– Mes oncles, répondit Miss Campbell, vous entendez bien, c’est pour ce soir!»

Il fut donc convenu que l’on partirait, avant dîner, pour l’île Seil. C’est ce qui fut fait dès cinq heures.

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La calèche entraîna sur la pittoresque route de Glachan Miss Campbell radieuse, Olivier Sinclair rayonnant, et les frères Melvill, qui prenaient leur part de ce rayonnement et de cette irradiation. On eût dit, vraiment, qu’ils emportaient le soleil avec eux sur le siège de leur voiture, et que les quatre chevaux du rapide équipage étaient les hippogryphes du char d’Apollon, dieu du jour!

Arrivés à l’île Seil, les observateurs, enthousiasmés d’avance, se trouvèrent en face d’un horizon dont aucun obstacle n’altérait les lignes. Ils allèrent prendre place à l’extrémité d’un cap étroit, qui séparait deux criques du littoral et pointait d’un mille en mer. Rien ne pouvait gêner la vue, dans l’ouest, sur un quart de l’horizon.

«Nous allons donc enfin l’observer, ce capricieux rayon, qui met tant de mauvaise grâce à se laisser voir! dit Olivier Sinclair.

– Je le crois, répondit le frère Sam.

– J’en suis sûr, ajouta le frère Sib.

– Et moi, je l’espère», répondit Miss Campbell, en regardant la mer déserte et le ciel sans tache.

En vérité, tout faisait prévoir que le phénomène, au coucher du soleil, se montrerait dans toute sa splendeur.

Déjà l’astre radieux, s’abaissant par une ligne oblique, n’était plus qu’à quelques degrés au-dessus de l’horizon. Son disque rouge teignait d’une couleur uniforme l’arrière-plan du ciel, et jetait une longue traînée éblouissante sur les eaux endormies du large.

Tous, muets, dans l’attente de l’apparition, un peu émus devant cette fin d’un beau jour, observaient le soleil, qui s’enfonçait peu à peu, semblable à un énorme bolide. Soudain, un cri involontaire échappa à Miss Campbell. Il fut suivi d’une anxieuse exclamation que ni les frères Melvill ni Olivier Sinclair ne purent retenir.

Une chaloupe débordait alors l’îlot d’Easdale, échoué au pied de Seil, et s’avançait lentement vers l’ouest. Sa voile tendue comme un écran, dépassait la ligne d’horizon. Allait-elle donc cacher le soleil au moment où il s’éteindrait dans les flots?

C’était une question de secondes. Revenir sur ses pas, se jeter d’un côté ou de l’autre, afin de se retrouver en face du point de contact, on n’en avait plus le temps; l’étroitesse du cap ne permettait pas de s’écarter sous un angle suffisant pour se remettre dans l’axe du soleil.

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Miss Campbell, désespérée de ce contretemps, allait et venait sur les roches. Olivier Sinclair faisait des gestes immenses à cette embarcation, et lui criait d’amener sa voile.

Vains efforts! On ne le voyait pas, on ne pouvait l’entendre. La chaloupe, sous une légère brise, continuait à remonter vers l’ouest avec le flot qui portait.

Au moment où le bord supérieur du disque solaire allait disparaître, la voile passa devant lui et le cacha derrière son trapèze opaque.

Déception! Cette fois, Rayon-Vert avait été lancé du pied de cet horizon sans brumes, mais il s’était heurté à la voile, avant d’avoir atteint le promontoire, sur lequel tant de regards le guettaient avidement.

Miss Campbell, Olivier Sinclair, les frères Melvill, absolument désappointés, plus irrités peut-être que ne le comportait cette malchance, restaient pétrifiés à leur place, oubliant même de s’en aller, maudissant l’embarcation et ceux qui la montaient.

Cependant la chaloupe venait d’accoster une petite anse de l’île Seil, à la base même du promontoire.

A ce moment, un passager en débarquait, laissant à bord les deux marins qui l’avaient amené de l’île Luing par la route du large; puis, il contournait la grève et escaladait les premières roches, de manière à atteindre à l’extrémité du cap.

Très certainement, cet importun devait avoir reconnu le groupe des observateurs postés sur le plateau, car il les salua d’un geste empreint d’une certaine familiarité.

«Monsieur Ursiclos! s’écria Miss Campbell.

– Lui! c’était lui! répondirent les deux frères.

– Quel peut-être ce monsieur?» se dit Olivier Sinclair.

C’était bien Aristobulus Ursiclos, en personne, qui revenait après une scientifique tournée de quelques jours à l’île Luing.

Comment il fut reçu de ceux qu’il venait de troubler dans la réalisation de leur plus cher désir, il est inutile d’y insister.

Le frère Sam et le frère Sib, oubliant toutes les convenances, ne songèrent même pas à présenter l’un à l’autre Olivier Sinclair et Aristobulus Ursiclos. Devant le mécontentement d’Helena, ils baissèrent les yeux pour ne pas voir le prétendant de leur choix.

Miss Campbell, ses petites mains fermées, ses bras croisés sur la poitrine, ses yeux fulgurants, le regardait sans mot dire. Puis, enfin, ces paroles s’échappèrent de sa bouche:

«Monsieur Ursiclos, vous auriez mieux fait de ne pas arriver si à propos pour commettre une maladresse!»

 

 

Chapitre XII

Nouveaux projets.

 

e retour à Oban se fit dans des conditions beaucoup moins agréables que l’aller à l’île Seil. On avait cru partir pour un succès, et on revenait avec une défaite.

Si la déception éprouvée par Miss Campbell pouvait être atténuée en quelque chose, c’était parce que Aristobulus Ursiclos en était la cause. Elle avait le droit de l’accabler, ce grand coupable, de charger sa tête de malédictions. Elle ne s’en fit faute. Les frères Melvill auraient été mal venus à essayer de le défendre. Non! il avait fallu que l’embarcation de ce maladroit, auquel on ne pensait guère, fût arrivée juste à point pour cacher l’horizon, au moment où le soleil lançait son dernier trait lumineux. Ce sont là de ces choses qui ne sauraient se pardonner.

Il va sans dire qu’après cette algarade, Aristobulus Ursiclos, qui, pour s’excuser, s’était en outre permis de plaisanter le Rayon-Vert, avait regagné la chaloupe afin de revenir à Oban. Il avait sagement fait, car, très probablement, on ne lui aurait pas offert une place dans la calèche, ni même sur le siège de derrière.

Ainsi donc, par deux fois déjà, le coucher du soleil s’était fait dans des conditions où il eût été possible d’observer le phénomène, et, par deux fois, l’œil ardent de Miss Campbell s’était vainement exposé aux rutilantes caresses de l’astre, qui lui laissaient la vue trouble pendant quelques heures! D’abord, le sauvetage d’Olivier Sinclair, ensuite le passage d’Aristobulus Ursiclos, avaient fait manquer des occasions qui ne se représenteraient pas de longtemps peut-être! Dans les deux cas, il est vrai, les circonstances n’avaient pas été les mêmes, et autant Miss Campbell excusait l’un, autant elle accablait l’autre. Qui aurait pu l’accuser de partialité?

Le lendemain, Olivier Sinclair, assez rêveur, se promenait sur les grèves d’Oban.

Qu’était donc ce monsieur Aristobulus Ursiclos? Un parent de Miss Campbell et des frères Melvill, ou simplement un ami? C’était, à tout le moins, un familier de la maison, rien qu’à la façon dont Miss Campbell s’était laissée aller à lui reprocher sa maladresse. Eh bien, que lui importait, à Olivier Sinclair? S’il voulait savoir à quoi s’en tenir, il n’avait qu’à interroger le frère Sam ou le frère Sib… et c’est précisément ce qu’il se défendait de faire, ce qu’il ne fit point.

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Cependant les occasions ne lui manquèrent pas. Chaque jour, Olivier Sinclair rencontrait, tantôt les frères Melvill se promenant ensemble – qui aurait pu se flatter de les avoir jamais vus l’un sans l’autre? – tantôt accompagnant leur nièce sur le bord de la mer. On causait de mille choses, et plus particulièrement du temps, – ce qui, dans l’espèce, n’était point une manière de parler pour ne rien dire. Retrouverait-on jamais une de ces soirées sereines, dont on guettait le retour pour revenir à l’île Seil? On pouvait en douter. En effet, depuis ces deux admirables embellies du 2 et du 14 août, ce n’était plus que ciel incertain, nuages orageux, horizons sillonnés d’éclairs de chaleur, brumes crépusculaires, enfin de quoi désespérer un élève astronome, accroché à l’objectif de sa lunette et poursuivant la révision d’un coin de la carte céleste!

Pourquoi ne pas avouer que le jeune peintre était maintenant épris du Rayon-Vert, tout autant que Miss Campbell? Il avait enfourché ce dada en compagnie de la belle jeune fille. Il courait avec elle les champs de l’espace. Il chevauchait cette fantaisie avec non moins d’ardeur, pour ne pas dire non moins d’impatience que sa jeune compagne. Ah! il n’était pas un Aristobulus Ursiclos, lui, la tête perdue dans les nuages de la haute science, plein de dédain pour un simple phénomène d’optique! Tous deux se comprenaient et tous deux voulaient être de ces rares privilégiés que le Rayon-Vert aurait honorés de son apparition!

«Nous le verrons, Miss Campbell, répétait Olivier Sinclair, nous le verrons, quand je devrais aller l’allumer moi-même! En somme, c’est par ma faute qu’il vous a échappé une première fois, et je suis aussi coupable que ce M. Ursiclos… votre parent… je crois?

– Non… mon fiancé… paraît-il…» répondit ce jour-là Miss Campbell, en s’éloignant avec quelque hâte pour aller rejoindre ses oncles, qui marchaient en avant et s’offraient une prise

Son fiancé! Il fut singulier, l’effet que produisit sur Olivier Sinclair cette simple réponse, et surtout le ton dont elle avait été faite! Après tout, pourquoi ce jeune pédant ne serait-il pas un fiancé? Au moins, dans ces conditions, sa présence à Oban s’expliquait! De ce qu’il avait été assez mal avisé pour s’interposer entre le soleil couchant et Miss Campbell, il ne s’ensuivait pas… Qu’est-ce qui ne s’ensuivait pas? Olivier Sinclair eût peut-être été fort embarrassé de le dire.

D’ailleurs, après deux jours d’absence, Aristobulus Ursiclos avait reparu. Olivier Sinclair l’aperçut, plusieurs fois, en compagnie des frères Melvill, qui n’auraient pu lui tenir rigueur. Il semblait être dans les meilleurs termes avec eux. Le jeune savant et le jeune artiste, à diverses reprises, s’étaient aussi rencontrés, soit sur la plage, soit dans les salons de Caledonian Hotel. Les deux oncles avaient cru devoir les présenter l’un à l’autre.

«Monsieur Aristobulus Ursiclos, de Dumfries!

– Monsieur Olivier Sinclair d’Édimbourg!»

Cela avait coûté à chacun de ces jeunes gens un salut médiocre, une simple inclinaison de tête, à laquelle le corps, raidi outre mesure, n’avait point pris part. Évidemment il n’y aurait jamais sympathie entre ces deux caractères. L’un courait le ciel pour y décrocher les étoiles, l’autre pour en calculer les éléments; l’un, artiste, ne cherchait point à poser sur le piédestal de l’art; l’autre, savant, se faisait de la science un piédestal, sur lequel il prenait des attitudes.

Quant à Miss Campbell, elle boudait absolument Aristobulus Ursiclos. S’il était là, elle ne semblait plus s’apercevoir de sa présence; s’il venait à passer, elle se détournait visiblement. En un mot, ainsi qu’il a été expliqué plus haut, elle le «coupait» avec toute la netteté du formalisme britannique. Les frères Melvill avaient quelque peine à en rassembler les morceaux. Quoi qu’il en soit, dans leur opinion, tout cela s’arrangerait, surtout si ce capricieux rayon voulait enfin paraître.

En attendant, Aristobulus Ursiclos observait Olivier Sinclair par-dessus ses lunettes, – manœuvre familière à tous les myopes, qui veulent regarder sans en avoir l’air. Et ce qu’il voyait: l’assiduité du jeune homme près de Miss Campbell, l’aimable accueil que la jeune fille lui faisait en toute occasion, n’était sans doute pas pour lui plaire. Mais, sûr de lui-même, il se tint sur la réserve.

Cependant, devant ce ciel incertain, devant ce baromètre dont la mobile aiguille ne parvenait pas à se fixer, tous sentaient leur patience mise à une bien longue épreuve. Avec l’espoir de trouver un horizon dégagé de brumes, ne fût-ce que quelques instants au coucher du soleil, on fit encore deux ou trois excursions à l’île Seil, auxquelles Aristobulus Ursiclos ne crut pas devoir prendre part. Peine inutile! Le 23 août arriva, sans que le phénomène eût daigné apparaître.

Alors, cette fantaisie devint une idée fixe, qui ne laissa plus place à aucune autre. Cela tournait à l’état d’obsession. On en rêvait nuit et jour, à faire craindre quelque nouveau genre de monomanie, – à une époque où il n’y a plus à les compter. Sous cette contention d’esprit, les couleurs se transformaient en une couleur unique: le ciel bleu était vert, les routes étaient vertes, les grèves étaient vertes, les roches étaient vertes, l’eau et le vin étaient verts comme de l’absinthe. Les frères Melvill s’imaginaient être vêtus de vert et se prenaient pour deux grands perroquets, qui prenaient du tabac vert dans une tabatière verte! En un mot, c’était la folie du vert! Tous étaient frappés d’une sorte de daltonisme, et les professeurs d’oculistique auraient eu là de quoi publier d’intéressants mémoires dans leurs revues d’ophtalmologie. Cela ne pouvait durer plus longtemps.

Heureusement, Olivier Sinclair eut une idée.

«Miss Campbell, dit-il ce jour-là, et vous, messieurs Melvill, il me semble que, tout bien considéré, nous sommes fort mal à Oban pour observer le phénomène en question.

– Et à qui la faute? répondit Miss Campbell, en regardant bien en face les deux coupables qui baissèrent la tête.

– Ici, pas d’horizon de mer! reprit le jeune peintre. De là, obligation d’aller en chercher un jusqu’à l’île Seil, au risque de ne point s’y trouver au moment où il y faudrait être!

– C’est évident! répondit Miss Campbell. En vérité, je ne sais pas pourquoi mes oncles ont été choisir précisément cet horrible endroit pour notre expérience!

– Chère Helena! répondit le frère Sam, ne sachant trop que dire, nous avions pensé…

– Oui… pensé… la même chose… ajouta le frère Sib, pour lui venir en aide.

– Que le soleil ne dédaignait pas de se coucher chaque soir sur l’horizon d’Oban…

– Puisque Oban est situé au bord de la mer!

– Et vous aviez mal pensé, mes oncles, répondit Miss Campbell, très mal pensé, puisqu’il ne s’y couche pas!

– En effet, reprit le frère Sam. Il y a ces malencontreuses îles, qui nous cachent la vue du large!

– Vous n’avez pas, sans doute, la prétention de les faire sauter?… demanda Miss Campbell.

– Ce serait déjà fait, si c’était possible, répondit le frère Sib d’un ton décidé.

– Nous ne pouvons pourtant pas aller camper sur l’île Seil! fit observer le frère Sam.

– Et pourquoi pas?

– Chère Helena, si tu le veux absolument…

– Absolument.

– Partons donc!» répondirent le frère Sib et le frère Sam d’un ton résigné.

Et ces deux êtres, si soumis, se déclarèrent prêts à quitter immédiatement Oban.

Olivier Sinclair intervint.

«Miss Campbell, dit-il, pour peu que vous le vouliez bien, je pense qu’il y aurait mieux à faire que d’aller s’installer sur l’île Seil.

– Parlez, monsieur Sinclair, et si votre avis est meilleur, mes oncles ne se refuseront pas à le suivre!»

Les frères Melvill s’inclinèrent par un mouvement d’automates tellement identique, que jamais peut-être ils ne s’étaient plus ressemblés.

«L’île Seil, reprit Olivier Sinclair, n’est vraiment pas faite pour que l’on puisse y demeurer, ne fût-ce que quelques jours. Si vous avez à exercer votre patience, Miss Campbell, il ne faut point que ce soit au détriment de votre bien-être. J’ai observé d’ailleurs qu’à Seil la vue de la mer est assez bornée par la configuration des côtes. Si, par malheur, il nous fallait attendre plus longtemps que nous ne le pensons, si notre séjour devait s’y prolonger pendant quelques semaines, il pourrait arriver que le soleil, qui rétrograde maintenant vers l’ouest, finît par se coucher derrière l’île Colonsay, ou l’île Oronsay, ou même la grande Islay, et notre observation manquerait encore, faute d’un horizon suffisant.

– En vérité, répondit Miss Campbell, ce serait là le dernier coup de la mauvaise fortune…

– Que nous pouvons peut-être éviter en cherchant une station située plus en dehors de cet archipel des Hébrides, et devant laquelle s’ouvre tout l’infini de l’Atlantique.

– En connaîtriez-vous une, monsieur Sinclair?» demanda vivement Miss Campbell.

Les frères Melvill étaient attachés aux lèvres du jeune homme. Qu’allait-il répondre? Où diable la fantaisie de leur nièce allait-elle finalement les entraîner? Sur quelle limite extrême des continents de l’ancien monde devraient-ils se fixer pour satisfaire à son désir?

La réponse d’Olivier Sinclair eut pour effet de les rassurer tout d’abord.

«Miss Campbell, dit-il, non loin d’ici, il y a une station, qui me paraît présenter toutes les conditions favorables. Elle est située derrière ces hauteurs de Mull, qui ferment l’horizon dans l’ouest d’Oban. C’est l’une des petites Hébrides les plus avancées à la lisière de l’Atlantique, c’est la charmante île d’Iona.

– Iona! s’écria Miss Campbell, Iona, mes oncles! Et nous n’y sommes pas encore?

– Nous y serons demain, répondit le frère Sib.

– Demain, avant le coucher du soleil, ajouta le frère Sam.

– Partons donc, reprit Miss Campbell, et si, à Iona, nous ne trouvons pas un espace largement découvert, sachez-le, mes oncles, nous chercherons un autre point du littoral, depuis John O’Groats, à l’extrémité nord de l’Écosse, jusqu’au Land’s End, à la pointe sud de l’Angleterre, et si cela ne suffit pas encore…

– C’est bien simple, répondit Olivier Sinclair, nous ferons le tour du monde!»

 

 

Chapitre XIII

Les magnificences de la mer.

 

ui se montra désespéré en apprenant la résolution prise par ses hôtes? ce fut l’hôtelier de Caledonian Hotel. Comme maître Mac-Fyne eût fait sauter, s’il l’avait pu, toutes ces îles et tous ces îlots, qui masquent la vue d’Oban du côté de la mer. Il se consola, d’ailleurs, dès qu’elle fut partie, en exprimant tous ses regrets d’avoir hébergé une pareille famille de monomanes.

A huit heures du matin, les frères Melvill, Miss Campbell, dame Bess et Partridge s’embarquaient sur le «swift steamer Pioneer» – ainsi disaient les prospectus – qui fait le tour de l’île de Mull avec escales à Iona, à Staffa, puis revient le soir même à Oban.

Olivier Sinclair avait précédé ses compagnons au quai d’embarquement, à l’appontement de l’estacade, et il les attendait sur la passerelle, jetée d’un tambour à l’autre du bateau à vapeur.

D’Aristobulus Ursiclos, il n’était pas question pour ce voyage. Les frères Melvill avaient cependant cru devoir le prévenir de ce départ précipité. La plus simple politesse exigeait cette démarche, et ils étaient les gens les plus polis du monde.

Aristobulus Ursiclos avait assez froidement reçu la communication des deux oncles, et s’était simplement contenté de les remercier, sans rien dire de ses projets.

Les frères Melvill s’étaient donc retirés, en se répétant que, si leur protégé se tenait sur une extrême réserve, et que si Miss Campbell l’avait quelque peu pris en aversion, cela passerait à la suite d’une belle soirée d’automne, après un de ces beaux couchers de soleil dont l’île Iona ne se montrerait pas avare. Du moins, c’était leur opinion.

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Tous les passagers étant à bord, les amarres furent larguées à la troisième éructation du sifflet à vapeur, et le Pioneer évolua de manière à sortir de la baie pour prendre, au sud, le détroit de Kerrera.

Il y avait à bord un certain nombre de ces touristes qu’attire, deux ou trois fois par semaine, cette charmante excursion de douze heures autour de l’île de Mull; mais Miss Campbell et ses compagnons devaient les abandonner à la première escale.

En vérité, il leur tardait d’arriver à Iona, ce nouveau champ ouvert à leurs observations. Le temps était superbe, la mer calme comme un lac. La traversée serait belle. Si ce soir-là n’amenait pas la réalisation de leur vœu, eh bien, ils attendraient patiemment, après s’être installés sur l’île. Là le rideau serait levé, du moins, le décor serait toujours en place. Il n’y aurait relâche que pour cause de mauvais temps.

Bref, avant midi, le but du voyage allait être atteint. Le rapide Pioneer descendit le détroit de Kerrera, doubla la pointe méridionale de l’île, se lança à travers le large évasement du Firth of Lorn, laissa sur la gauche Colonsay et sa vieille abbaye que fondèrent au quatorzième siècle les célèbres Lords des Îles, et vint ranger la côte méridionale de Mull, échouée en pleine mer, comme un immense crabe, dont la pince inférieure se courbe légèrement vers le sud-ouest. Un instant, le Ben More se montra à une hauteur de trois mille cinq cents pieds au-dessus de lointaines collines, âpres et ardues, dont les bruyères forment le vêtement naturel, et sa cime arrondie domina ces pâturages, tachetés de ruminants, que la pointe d’Ardanalish coupe brusquement de son imposant massif.

La pittoresque Iona se détacha alors vers le nord-ouest, presque à l’extrémité de la pince méridionale de Mull. La mer Atlantique, immense, infinie, s’étendait au-delà.

«Vous aimez l’Océan, monsieur Sinclair? demanda Miss Campbell à son jeune compagnon, qui, assis près d’elle sur la passerelle du Pioneer, contemplait ce beau spectacle.

– Si je l’aime, Miss Campbell! répondit-il. Oui, et je ne suis pas de ces indignes qui en trouvent la vue monotone! A mes yeux, rien n’est plus changeant que son aspect, mais il faut savoir l’observer sous ses phases diverses. En vérité, la mer est faite de tant de nuances si merveilleusement fondues les unes aux autres, qu’il est peut-être plus difficile à un peintre d’en reproduire l’ensemble, uniforme et varié tout à la fois, que de peindre un visage, si mobile qu’en soit la physionomie.

– En effet, dit Miss Campbell, elle se modifie incessamment sous le moindre souffle qui passe, et, suivant la lumière dont elle s’imprègne, change à toutes les heures du jour.

– Regardez-la en ce moment, Miss Campbell! reprit Olivier Sinclair. Elle est absolument calme! Ne dirait-on pas d’un beau visage endormi, dont rien n’altère l’admirable pureté? Elle n’a pas une ride, elle est jeune, elle est belle! Ce n’est qu’un immense miroir, si l’on veut, mais un miroir qui réfléchit le ciel, et dans lequel Dieu peut se voir!

– Miroir que ternit trop souvent le souffle des tempêtes! ajouta Miss Campbell.

– Eh! répondit Olivier Sinclair, c’est ce qui fait la grande variété d’aspects de l’Océan! Qu’un peu de vent se lève, le visage changera, il se ridera, la houle lui mettra des cheveux blancs, il vieillira en un instant, il aura cent années de plus, mais il restera toujours superbe avec ses phosphorescences capricieuses et ses broderies d’écume!

– Croyez-vous, monsieur Sinclair, demanda Miss Campbell, qu’aucun peintre, si grand qu’il soit, puisse jamais reproduire sur une toile toutes les beautés de la mer?

– Je ne le pense pas, Miss Campbell, et comment le pourrait-il? La mer n’a véritablement pas de couleur propre. Elle n’est qu’une vaste réverbération du ciel! Est-elle bleue? ce n’est pas avec du bleu qu’on peut la peindre. Est-elle verte? ce n’est pas avec du vert! On la saisirait plutôt dans ses fureurs, quand elle est sombre, livide, méchante, lorsqu’il semble que le ciel y mélange tous les nuages qu’il tient en suspension au-dessus d’elle! Ah! Miss Campbell, plus je le vois, plus je le trouve sublime, cet Océan! Océan! ce mot dit tout! c’est l’immensité! Il recouvre à des profondeurs insondables des prairies sans bornes, et près desquelles les nôtres sont désertes! a dit Darwin. Que sont, en face de lui, les plus vastes continents? de simples îles qu’il entoure de ses eaux! Il couvre les quatre cinquièmes du globe! Par une sorte de circulation incessante – comme une créature vivante, dont le cœur battrait à la ligne équatoriale –, il se nourrit lui-même avec les vapeurs qu’il émet, dont il alimente les sources, qui lui reviennent par les fleuves, ou qu’il reprend directement par les pluies sorties de son sein! Oui! l’Océan, c’est l’infini, infini qu’on ne voit pas, mais qu’on sent, suivant l’expression d’un poète, infini comme l’espace qu’il reflète dans ses eaux!

– J’aime à vous entendre parler avec cet enthousiasme, monsieur Sinclair, répondit Miss Campbell, et cet enthousiasme, je le partage! Oui! j’aime la mer comme vous pouvez l’aimer!

– Et vous ne craindriez pas d’en affronter les périls? demanda Olivier Sinclair.

– Non, en vérité, je n’aurais pas peur. Peut-on craindre ce qu’on admire?

– Vous auriez été une hardie voyageuse?

– Peut-être, monsieur Sinclair, répondit Miss Campbell. En tout cas, de tous les voyages dont j’ai lu le récit, je préfère ceux qui ont eu pour but la découverte des mers lointaines. Que de fois je les ai parcourues avec les grands navigateurs! Que de fois je me suis lancée dans le profond inconnu, – par la pensée seulement, il est vrai; mais je ne sais rien de plus enviable que la destinée des héros qui ont accompli de si grandes choses!

– Oui, Miss Campbell, dans l’histoire de l’humanité, quoi de plus beau que ces découvertes! Traverser pour la première fois l’Atlantique avec Colomb, le Pacifique avec Magellan, les mers polaires avec Parry, Franklin, d’Urville et tant d’autres, quels rêves! Je ne peux voir partir un navire, vaisseau de guerre, bâtiment de commerce ou simple chaloupe de pêche, sans que tout mon être ne s’embarque à son bord! Je pense que j’étais fait pour être marin, et si cette carrière n’a pas été la mienne depuis mon enfance, je le regrette chaque jour!

– Mais vous avez au moins voyagé sur mer? demanda Miss Campbell.

– Autant que je l’ai pu, répondit Olivier Sinclair. J’ai visité un peu la Méditerranée depuis Gibraltar jusqu’aux échelles du Levant, un peu l’Atlantique jusqu’à l’Amérique du Nord, puis les mers septentrionales de l’Europe, et je connais toutes ces eaux que la nature a prodiguées à l’Angleterre comme à l’Écosse si libéralement…

– Et si magnifiquement, monsieur Sinclair!

– Oui, Miss Campbell, et je ne sais rien de comparable à ces parages de nos Hébrides, sur lesquels ce steamer nous emporte! C’est un véritable archipel, avec un ciel moins bleu que celui de l’Orient, mais avec plus de poésie, peut-être, dans l’ensemble de ses roches sauvages et de ses horizons embrumés. L’archipel grec a donné naissance à toute une société de dieux et de déesses. Soit! Mais vous remarquerez que c’étaient des divinités très bourgeoises, très positives, douées surtout d’une vie matérielle, faisant leurs petites affaires et tenant leurs comptes de dépenses. A mon sens, l’Olympe apparaît comme un salon plus ou moins bien composé, où se réunissaient des dieux, qui ressemblaient un peu trop à ces hommes, dont ils partageaient toutes les faiblesses! Il n’en est pas ainsi de nos Hébrides. C’est le séjour des êtres surnaturels! Les déités scandinaves, immatérielles, éthérées, sont des formes insaisissables, non des corps! C’est Odin, c’est Ossian, c’est Fingal, c’est toute l’envolée de ces poétiques fantômes, échappés aux livres des Sagas! Qu’elles sont belles, ces figures, dont notre souvenir peut évoquer l’apparition au milieu des brumes des mers arctiques, à travers les neiges des régions hyperboréennes! Voilà un Olympe autrement divin que l’Olympe grec! Celui-là n’a rien de terrestre, et, s’il fallait lui assigner un emplacement digne de ses hôtes, ce serait dans nos mers des Hébrides! Oui, Miss Campbell, c’est ici même que j’irais adorer nos divinités, et, en véritable enfant de cette antique Calédonie, je ne changerais pas notre archipel, avec ses deux cents îles, son ciel chargé de vapeurs, ses marées vibrantes, réchauffées par les courants du Gulf-Stream, pour tous les archipels des mers de l’Orient!

– Et il est bien à nous, Écossais des Highlands! répondit Miss Campbell, tout enflammée aux ardentes paroles de son jeune compagnon, à nous, Écossais du comté d’Argyle! Ah! monsieur Sinclair je suis, comme vous, passionnée pour notre archipel calédonien! Il est superbe, et je l’aime jusque dans ses fureurs!

– Elles sont sublimes, en effet, répondit Olivier Sinclair. Rien n’arrête la violence des bourrasques qui s’y jettent, après un parcours de trois mille milles! C’est à la côte américaine que fait face la côte écossaise! Si là, de l’autre côté de l’Atlantique, prennent naissance les grandes tempêtes de l’Océan, ici se déchaînent les premiers assauts des lames et des vents, lancés sur l’Europe occidentale! Mais que peuvent-elles contre nos Hébrides, plus audacieuses que cet homme dont parle Livingstone, qui ne craignait pas les lions, mais qui avait peur de l’Océan, ces îles solides sur leur base granitique, se riant des violences de l’ouragan et de la mer!…

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– La mer!… Une combinaison chimique d’hydrogène et d’oxygène, avec deux et demi pour cent de chlorure de sodium! Rien de beau, en effet, comme les fureurs du chlorure de sodium!»

Miss Campbell et Olivier s’étaient retournés, en entendant ces paroles, évidemment dites à leur intention, et prononcées comme une réponse à leur enthousiasme.

Aristobulus Ursiclos était là, sur la passerelle.

L’importun n’avait pu résister au désir de quitter Oban en même temps que Miss Campbell, sachant qu’Olivier Sinclair l’accompagnait à Iona. Aussi, embarqué avant eux, après s’être tenu dans le salon du Pioneer pendant toute la traversée, il venait de remonter en vue de l’île.

Les fureurs du chlorure de sodium! Quel coup de poing dans le rêve d’Olivier Sinclair et de Miss Campbell!

 

 

Chapitre XIV

La vie à Iona.

 

ependant, Iona – de son vieux nom l’île des Vagues –, dressant sa colline de l’Abbé à une altitude qui ne dépasse pas quatre cents pieds au-dessus du niveau de la mer, émergeait de plus en plus, et le steamer s’en rapprochait rapidement.

Vers midi, le Pioneer vint accoster le long d’une petite jetée faite de roches à peine équarries, toutes verdies par les eaux. Les passagers débarquèrent, les uns, en grand nombre, pour reprendre la mer une heure après et revenir à Oban par le détroit de Mull, les autres, en petit nombre – on sait lesquels –, avec l’intention de séjourner à Iona.

L’île n’a pas de port proprement dit. Un quai de pierre en protège une des criques contre les lames du large. Rien de plus. C’est là que s’abritent, pendant la belle saison, quelques yachts de plaisance et les chaloupes de pêche, qui exploitent ces parages.

Miss Campbell et ses compagnons, laissant les touristes à la merci d’un programme qui les oblige à voir l’île en deux heures, s’occupèrent de chercher une habitation convenable.

Il ne fallait pas s’attendre à trouver à Iona le confort des riches villes de bains du Royaume-Uni.

En effet, Iona ne mesure pas plus de trois milles de long sur un mille de large, et compte à peine cinq cents habitants. Le duc d’Argyle, à qui elle appartient, n’en retire qu’un revenu de quelques centaines de livres. Là, point de ville proprement dite, ni même de bourgade, ni même de village. Quelques maisons éparses, pour la plupart simples masures, pittoresques si l’on veut, mais rudimentaires, presque toutes sans fenêtres, éclairées seulement par la porte, sans cheminée, avec un trou dans le toit, n’ayant que des murs de paillis et de galets, des chaumes de roseaux et de bruyères, reliés par de gros filaments de varech.

Qui pourrait croire, cependant, que Iona a été le berceau de la religion des Druides, aux premiers temps de l’histoire scandinave? Qui s’imaginerait qu’après eux, au VIe siècle, saint Columban – l’Irlandais dont elle porte aussi le nom – y fonda, pour enseigner la nouvelle religion du Christ, le premier monastère de toute l’Écosse, et que des moines de Cluny vinrent l’habiter jusqu’à la Réforme! Où chercher maintenant les vastes bâtiments, qui furent comme le séminaire des évêques et des grands abbés du Royaume-Uni? Où retrouver, au milieu des débris, la bibliothèque, riche en archives du passé, en manuscrits relatifs à l’histoire romaine, et dans laquelle venaient utilement puiser les érudits de l’époque? Non! à l’heure présente, rien que des ruines, là où la civilisation, qui devait si profondément modifier le nord de l’Europe, avait pris naissance. De la Sainte-Columba d’autrefois, il ne reste que la Iona actuelle, avec quelques rudes paysans, qui arrachent péniblement à sa terre sablonneuse une médiocre récolte d’orge, de pommes de terre et de blé, avec les rares pêcheurs, dont les chaloupes vivent des eaux poissonneuses des petites Hébrides!

«Miss Campbell, dit Aristobulus Ursiclos d’un ton dédaigneux, au premier aspect, trouvez-vous que cela vaille Oban?

– Cela vaut mieux!» répondit Miss Campbell, bien qu’elle pensât, sans doute, qu’il allait y avoir un habitant de trop dans l’île.

Cependant, à défaut de casino ou d’hôtel, les frères Melvill découvrirent une sorte d’auberge, presque passable, où descendent les touristes qui ne se contentent pas du temps que le bateau leur laisse pour visiter les ruines druidiques et chrétiennes d’Iona. Ils purent donc s’installer le jour même aux Armes de Duncan, tandis qu’Olivier Sinclair et Aristobulus Ursiclos se logeaient, tant bien que mal, chacun dans une cabane de pêcheur.

Mais telle était la disposition d’esprit de Miss Campbell, qu’en sa petite chambre, devant sa fenêtre ouverte à l’ouest sur la mer, elle se trouvait aussi bien que sur la terrasse de la haute tour d’Helensburgh, mieux, à coup sûr, que dans le salon de Caledonian Hotel. De là, l’horizon se développait sous ses yeux, sans qu’aucun îlot en rompît la ligne circulaire, et avec un peu d’imagination, elle aurait pu apercevoir, à trois mille milles, la côte américaine, de l’autre côté de l’Atlantique. Vraiment, le soleil avait là un beau théâtre pour s’y coucher dans toute sa splendeur!

La vie commune s’organisa donc facilement et simplement. Les repas se prenaient en commun dans la salle basse de l’auberge. Suivant l’ancienne coutume, dame Bess et Partridge s’asseyaient à la table de leurs maîtres. Peut-être Aristobulus Ursiclos en marqua-t-il quelque surprise, mais Olivier Sinclair n’y trouva rien à redire. Il s’était déjà pris d’une sorte d’affection pour ces deux serviteurs, qui le lui rendaient bien.

Ce fut alors que la famille mena l’antique existence écossaise dans toute sa simplicité. Après les promenades sur l’île, après les conversations sur les choses du vieux temps, dans lesquelles Aristobulus Ursiclos ne manquait jamais de jeter inopportunément sa note moderne, on se réunissait au dîner de midi et au souper de huit heures du soir. Puis, le coucher du soleil, Miss Campbell venait l’observer par tous les temps, même les temps couverts. Qui sait! Une trouée pouvait se faire dans la basse zone des nuages, une fente, un hiatus, de quoi laisser passer le dernier rayon!

Et quels repas! Les plus Calédoniens des convives de Walter Scott, à un dîner de Fergus Mac-Gregor, à un souper d’Oldbuck l’Antiquaire, n’auraient rien trouvé à reprendre aux mets apprêtés suivant la mode de la vieille Écosse. Dame Bess et Partridge, reportés à un siècle en arrière, se sentaient heureux comme s’ils eussent vécu au temps de leurs ancêtres. Le frère Sam et le frère Sib accueillaient avec un évident plaisir les combinaisons culinaires en usage autrefois dans la famille Melvill.

Et voici les propos qui couraient dans la salle basse, transformée en salle à manger.

«Un peu de ces «cakes» de farine d’avoine, bien autrement savoureux que les moelleux gâteaux de Glasgow!

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– Un peu de ce «sowens», dont les montagnards se régalent encore dans les Highlands!

– Encore de ce «haggis», que notre grand poète Burns a dignement célébré dans ses vers comme le premier, le meilleur, le plus national des puddings écossais!

– Encore de ce «cockylecky!». Si le coq en est un peu dur, les poireaux dont on l’accommode sont excellents!

– Et pour la troisième fois de ce «hotchpotch», plus réussi que n’importe quel potage de la cuisinière d’Helensburgh!»

Ah! l’on mangeait bien aux Armes de Duncan, à la condition de s’approvisionner tous les jours à l’office des steamers, qui font le service des petites Hébrides! Et l’on buvait bien aussi!

Il fallait voir les frères Melvill se faire raison, le verre en main, se porter santé avec ces grandes pintes, qui ne contiennent pas moins de quatre pintes anglaises, et dans lesquelles écumait l’«usquebaugh», la bière nationale par excellence, ou le meilleur «hummok», brassé tout exprès pour eux! Et le whisky, tiré de l’orge, dont la fermentation semble se continuer encore dans l’estomac des buveurs! Et si la forte bière eût manqué, ne se seraient-ils pas contentés du simple «mum», distillé du froment, fût-ce même de ce «two-penny» qu’on pouvait toujours agrémenter d’un petit verre de gin! En vérité, ils ne pensaient guère a regretter le sherry et le porto des caves d’Helensburgh et de Glasgow.

Si Aristobulus Ursiclos, habitué au confort moderne, ne laissait pas de se plaindre plus souvent qu’il ne convenait, personne ne faisait attention à ses plaintes.

S’il trouvait le temps long, dans cette île, le temps passait vite pour les autres, et Miss Campbell ne récriminait plus contre les vapeurs qui embrumaient chaque soir l’horizon.

Certes, Iona n’est pas grande, mais à qui aime à se promener en bon air faut-il de si vastes espaces? Les immensités d’un parc royal ne peuvent-elles tenir dans un bout de jardin? On se promenait donc. Olivier Sinclair prenait çà et là quelques sites. Miss Campbell le regardait peindre, et le temps s’écoulait ainsi.

Les 26, 27, 28, 29 août se suivirent sans un instant d’ennui. Cette vie sauvage convenait à cette île sauvage, dont la mer battait sans relâche les roches désolées.

Miss Campbell, heureuse d’avoir fui le monde curieux, bavard, inquisiteur, des villes de bains, sortait, ainsi qu’elle eût fait dans le parc d’Helensburgh, avec le «rokelay» qui l’enveloppait comme une mantille, coiffée de l’unique «snod», ce ruban mêlé aux cheveux, qui va si bien aux jeunes Écossaises. Olivier Sinclair ne se lassait pas d’admirer sa grâce, le charme de sa personne, cette attirance, qui produisait sur lui un effet dont il se rendait très bien compte, d’ailleurs. Souvent tous deux allaient errer, causant, regardant, rêvant, jusqu’aux extrêmes grèves de l’île, et foulaient les varechs du dernier relais de la mer. Devant eux s’enlevaient, par bandes, ces plongeons écossais, ces «tamnienories», dont ils troublaient la solitude, ces «pictarnies» à l’affût des petits poissons apportés par les remous du ressac, et ces fous de Bassan, noirs de plumage, blancs du bout des ailes, jaunes de la tête et du cou, qui représentent plus spécialement la classe des palmipèdes dans l’ornithologie des Hébrides.

Puis, le soir venu, après le coucher de ce soleil que quelques brumes voilaient toujours, quel charme pour Miss Campbell et les siens de passer ensemble, sur quelque grève déserte, les premières heures de la nuit! Les étoiles se levaient à l’horizon, et avec elles revenaient tous les souvenirs des poèmes d’Ossian. Au milieu du profond silence, Miss Campbell et Olivier Sinclair entendaient les deux frères réciter alternativement les strophes du vieux barde, l’infortuné fils de Fingal2.

«Étoile, compagne de la nuit, dont la tête sort brillante des nuages du couchant, et qui imprimes tes pas majestueux sur l’azur du firmament, que regardes-tu dans la plaine?

«Les vents orageux du jour se taisent; les vagues apaisées rampent au pied du rocher; les moucherons du soir, rapidement portés sur leurs ailes légères, remplissent de leur bourdonnement le silence des cieux.

«Étoile brillante, que regardes-tu dans la plaine? Mais déjà je te vois t’abaisser en souriant sur les bords de l’horizon. Adieu, adieu, étoile silencieuse!»

Puis, le frère Sam et le frère Sib se taisaient, et tous regagnaient leur petite chambre d’auberge.

Cependant, si peu clairvoyants que fussent les frères Melvill, ils comprenaient bien qu’Aristobulus Ursiclos perdait exactement ce que gagnait Olivier Sinclair dans l’esprit de Miss Campbell. Les deux jeunes gens s’évitaient le plus possible. Aussi les deux oncles s’occupaient-ils, non sans peine, à réunir tout ce petit monde, à provoquer des rapprochements, au risque de quelque boutade de leur nièce. Oui, ils eussent été heureux de voir Ursiclos et Sinclair se rechercher au lieu de se fuir, au lieu de garder une retenue dédaigneuse l’un vis-à-vis de l’autre. Se figuraient-ils donc que tous les hommes sont frères, et frères à la façon dont ils l’étaient eux-mêmes?

Enfin, ils manœuvrèrent si adroitement, que, le 30 août, il fut convenu qu’on s’en irait de compagnie visiter les ruines de l’église, du monastère et du cimetière, situés au nord-est et au sud de la colline de l’Abbé. Cette promenade, qui prend à peine deux heures aux touristes, n’avait pas encore été faite par les nouveaux hôtes d’Iona. C’était là un manque de convenance envers les ombres légendaires de ces moines ermites, qui habitaient jadis les huttes du littoral, un manque d’égards pour ces grands morts des familles royales, depuis Fergus II jusqu’à Macbeth.

 

 

Chapitre XV

Les ruines d’Iona.

 

e jour-là, Miss Campbell, les frères Melvill, les deux jeunes gens partirent donc après déjeuner. Il faisait un beau temps d’automne. A chaque moment, quelque échappée de lumière filtrait à travers la déchirure des nuages peu épais. Sous ces intermittences, les ruines qui couronnent cette partie de l’île, les roches heureusement groupées du littoral, les maisons éparses sur le terrain mouvementé d’Iona; la mer, striée au loin par les caresses d’une jolie brise, semblaient renouveler leur aspect un peu triste et s’égayer sous des effets de soleil.

Ce n’était point le jour des visiteurs. Le steamer en avait débarqué une cinquantaine la veille; il en débarquerait sans doute autant le lendemain; mais, aujourd’hui, l’île d’Iona appartenait tout entière à ses nouveaux habitants. Les ruines seraient donc absolument désertes, lorsque les promeneurs y arriveraient.

La route se fit gaiement. La bonne humeur du frère Sam et du frère Sib avait gagné leurs compagnons. Ils causaient, allaient et venaient, s’éloignaient à travers les petits sentiers rocailleux, entre de basses murailles de pierres sèches.

Tout était donc pour le mieux, lorsqu’on s’arrêta d’abord en face du calvaire de Mac-Lean. Ce beau monolithe de granit rouge, haut de quatorze pieds, qui domine la chaussée de Main Street, est l’unique reste des trois cent soixante croix dont l’île fut hérissée jusqu’à l’époque de la Réforme, vers le milieu du XVIe siècle.

Olivier Sinclair voulut, avec raison, prendre un croquis de ce monument, qui est d’un bon travail et produit un bel effet au milieu d’une aride plaine, tapissée d’herbe grisonnante.

Miss Campbell, les frères Melvill et lui se groupèrent donc à une cinquantaine de pas du calvaire, afin d’en avoir une vue d’ensemble. Olivier Sinclair s’assit sur le coin d’un petit mur, et commença à dessiner les premiers plans du terrain, sur lequel se dresse la croix de Mac-Lean.

Quelques instants après, il leur sembla à tous qu’une forme humaine s’essayait à gravir les premières assises de ce calvaire.

«Bon! dit Olivier, que vient faire ici cet intrus? Si encore il était habillé en moine, il ne ferait pas tache, et je pourrais le prosterner au pied de cette vieille croix!

– C’est un simple curieux qui va bien vous gêner, monsieur Sinclair, répondit Miss Campbell.

– Mais n’est-ce point Aristobulus Ursiclos, qui nous a devancés? dit le frère Sam.

– C’est bien lui!» ajouta le frère Sib.

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C’était Aristobulus Ursiclos, en effet. Monté sur le soubassement du calvaire, il l’attaquait à coups de marteau.

Miss Campbell, outrée de ce sans-gêne de minéralogiste, se dirigea aussitôt vers lui:

«Que faites-vous là, monsieur? demanda-t-elle.

– Vous le voyez, Miss Campbell, répondit Aristobulus Ursiclos, je cherche à détacher un morceau de granit.

– Mais à quoi bon ces manies? Je croyais que le temps des iconoclastes était passé!

– Je ne suis point un iconoclaste, répondit Aristobulus Ursiclos, mais je suis un géologue, et, comme tel, je tiens à savoir quelle est la nature de cette pierre.»

Un violent coup de marteau avait fini l’œuvre de dégradation: une pierre du soubassement venait de rouler sur le sol.

Aristobulus Ursiclos la ramassa, et, doublant le pouvoir optique de ses lunettes d’une grosse loupe de naturaliste, qu’il tira de son étui, il l’approcha du bout de son nez.

«C’est bien ce que je pensais, dit-il. Voilà un granit rouge, d’un grain très serré, très résistant, qui a dû être tiré de l’îlot des Nonnes, en tout semblable à celui dont les architectes du XIIe siècle se sont servis pour construire la cathédrale d’Iona.»

Et Aristobulus Ursiclos ne perdit pas une si belle occasion de se lancer dans une dissertation archéologique, que les frères Melvill – ils venaient de le rejoindre – crurent devoir écouter.

Miss Campbell, sans plus de cérémonie, était revenue vers Olivier Sinclair, et, lorsque le dessin fut achevé, tous se retrouvèrent au parvis de la cathédrale.

Ce monument est un édifice complexe, fait de deux églises accouplées, dont les murs, épais comme des courtines, les piliers, solides comme des roches, ont bravé les injures de ce climat depuis treize cents ans.

Pendant quelques minutes, les visiteurs se promenèrent dans la première église, qui est romane par le cintre de ses voûtes et la courbe de ses arcades, puis dans la seconde, édifice gothique du XIIe siècle, formant la nef et les transepts de la première. Ils allaient ainsi, à travers ces ruines, d’une époque à une autre, foulant les grandes dalles carrées, dont les jointures laissaient poindre le sol. Ici c’étaient des couvercles de tombes; là, quelques pierres funéraires, dressées dans les coins, avec leurs figures sculptées, qui semblaient attendre l’aumône du passant.

Tout cet ensemble, lourd, sévère, silencieux, respirait la poésie des temps passés.

Miss Campbell, Olivier Sinclair et les frères Melvill, ne s’apercevant pas que leur trop savant compagnon restait en arrière, pénétrèrent alors sous l’épaisse voûte de la tour carrée, – voûte qui dominait autrefois le portail de la première église, et se dressa plus tard au point d’intersection des deux édifices.

Quelques instants après, des pas mesurés, appliqués sur le pavé sonore, se firent entendre. On eût pu croire qu’une statue de pierre, animée au souffle de quelque génie, marchait pesamment, comme le Commandeur dans le salon de don Juan.

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C’était Aristobulus Ursiclos, qui, de ses enjambées métriques, mesurait les dimensions de la cathédrale:

«Cent soixante pieds de l’est à l’ouest, dit-il, en notant ce chiffre sur son carnet, au moment où il entrait dans la seconde église.

– Ah! c’est vous, monsieur Ursiclos! dit ironiquement Miss Campbell. Après le minéralogiste, le géomètre?

– Et soixante-dix pieds seulement au croisement des transepts, répondit Aristobulus Ursiclos.

– Et combien de pouces?» demanda Olivier Sinclair.

Aristobulus Ursiclos regarda Olivier Sinclair, en homme qui ne sait s’il doit ou non se fâcher. Mais les frères Melvill, intervenant à propos, entraînèrent Miss Campbell et les deux jeunes gens à la visite du monastère.

Cet édifice n’offre que des restes méconnaissables, bien qu’il ait survécu aux dégradations de la Réforme. Après cette époque, il servit même de communauté à quelques religieuses chanoinesses de Saint-Augustin, auxquelles l’État y donna asile. Ce ne sont plus maintenant que les lamentables ruines d’un couvent, dévasté par les tempêtes, qui n’avait ni voûte en plein cintre, ni piliers romans, pour pouvoir impunément résister aux intempéries d’un climat hyperboréen.

Cependant les visiteurs, après avoir exploré ce qui restait de ce monastère, si florissant autrefois, purent encore admirer la chapelle, mieux conservée, dont Aristobulus Ursiclos ne crut pas devoir mesurer les dimensions intérieures. A cette chapelle, moins anciennement ou plus solidement construite que les réfectoires ou les cloîtres du couvent, le toit seul manquait; mais le chœur, qui est presque intact, est un morceau d’architecture très goûté des antiquaires.

C’est dans la partie ouest que s’élève le tombeau de celle qui fut la dernière abbesse de la communauté. Sur sa dalle de marbre noir apparaît une figure de vierge, sculptée entre deux anges, et, au-dessus, une madone tenant l’Enfant Jésus dans ses bras.

«Ainsi que la Vierge à la Chaise et la Madone de Saint-Sixte, les seules vierges de Raphaël qui ne baissent pas leurs paupières, celle-ci regarde, et il semble que ses yeux sourient!»

Cette remarque fut très à propos faite par Miss Campbell, mais elle eut pour résultat d’amener sur les lèvres d’Aristobulus Ursiclos une moue assez ironique.

«Où avez-vous pris, Miss Campbell, dit-il, que des yeux puissent jamais sourire?»

Peut-être Miss Campbell eut-elle l’envie de lui répondre qu’en tout cas ce ne serait pas en le regardant que les siens auraient jamais cette expression, mais elle se tut.

«C’est une faute communément répandue, reprit Aristobulus Ursiclos, comme s’il eût professé ex cathedra, que de parler du sourire des yeux. Ces organes de la vue sont précisément dénués de toute expression, ainsi que nous l’apprend l’oculistique. Exemple: posez un masque sur un visage, regardez ses yeux à travers ce masque, et je vous mets au défi de reconnaître si ce visage est gai, triste ou colère.

– Ah? vraiment? répondit le frère Sam, qui parut s’intéresser à cette petite leçon.

– J’ignorais cela, ajouta le frère Sib.

– Il en est ainsi, cependant, reprit Aristobulus Ursiclos, et si j’avais un masque…»

Mais l’étonnant jeune homme n’avait pas de masque, et l’expérience ne put être faite, de manière à enlever tout doute à cet égard.

Au surplus, Miss Campbell et Olivier Sinclair avaient déjà quitté le cloître, et se dirigeaient vers le cimetière d’Iona.

Cet endroit porte le nom de «Reliquaire d’Oban», en souvenir de ce compagnon de saint Columban, auquel on doit l’édification de la chapelle dont les ruines s’élèvent au milieu de ce champ des morts.

C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques. Entre elles, couché sur la litière verte, s’allonge le granit du roi d’Écosse, ce Duncan illustré par la sombre tragédie de Macbeth. De ces pierres, les unes portent simplement des ornements d’un dessin géométrique; les autres, sculptées en ronde bosse, représentent quelques-uns de ces farouches rois celtiques, étendus là avec une rigidité de cadavre.

Que de souvenirs errent au-dessus de cette nécropole d’Iona! Quel recul l’imagination fait dans le passé, en fouillant le sol de ce Saint-Denis des Hébrides!

Et comment oublier la strophe d’Ossian, qui semble avoir été inspirée en ces lieux mêmes?

«Étranger, tu habites ici une terre couverte de héros. Chante quelquefois la gloire de ces morts célèbres. Que leurs ombres légères viennent se réjouir autour de toi!»

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Miss Campbell et ses compagnons regardaient en silence. Ils n’avaient point à subir l’ennui d’un guide assermenté, déchirant, pour quelques touristes, les incertitudes d’une histoire si lointaine. Il leur semblait revoir ces descendants du lord des îles, Angus Og, le compagnon de Robert Bruce, le frère d’armes de ce héros, qui lutta pour l’indépendance de son pays.

«J’aimerais à revenir ici à la nuit tombante, dit Miss Campbell. Il me semble que l’heure serait plus favorable pour rappeler ces souvenirs. Je verrais apporter le corps du malheureux Duncan. J’entendrais les propos des ensevelisseurs, le couchant dans la terre consacrée à ses ancêtres. En vérité, monsieur Sinclair, ne serait-ce pas l’instant propice pour évoquer ces lutins qui gardent le royal cimetière?

– Oui, Miss Campbell, et je pense qu’ils ne refuseraient pas d’apparaître à votre voix.

– Comment, Miss Campbell, vous croyez aux lutins? s’écria Aristobulus Ursiclos.

– J’y crois, monsieur, j’y crois en vraie Écossaise que je suis, répondit Miss Campbell.

– Mais, en réalité, vous savez bien que cela est imaginaire, que rien de tout ce fantastique n’existe!

– Et s’il me plaît d’y croire! répondit Miss Campbell, animée par cette inopportune contradiction. S’il me plaît de croire aux brownies domestiques, qui gardent le mobilier de la maison; aux sorcières, dont les incantations s’opèrent en déclamant des vers runiques; aux Valkyries, ces vierges fatales de la mythologie scandinave, qui emportent les guerriers tombés dans la bataille; à ces fées familières, chantées par notre poète Burns dans ces vers immortels qu’un véritable fils des Highlands ne saurait oublier:

«Cette nuit, les fées légères dansent sur Cassilis Dawnan’s ou se dirigent vers Golzean, à la pâle clarté de la lune, pour aller s’égarer dans les Coves, au milieu des rochers et des ruisseaux.»

– Eh, Miss Campbell, reprit le sot entêté, pensez-vous donc que les poètes ajoutent foi à ces rêves de leur imagination?

– Très certainement, monsieur, répondit Olivier Sinclair, ou bien leur poésie sonnerait faux comme toute œuvre qui ne naît pas d’une conviction profonde.

– Vous aussi, monsieur? répondit Aristobulus Ursiclos. Je vous savais peintre, je ne vous savais pas poète.

– C’est la même chose, dit Miss Campbell. L’art n’est qu’un, sous des formes diverses.

– Mais non… non!… c’est inadmissible!… Vous ne croyez pas à toute cette mythologie des vieux bardes, dont le cerveau troublé évoquait des divinités imaginaires!

– Ah! monsieur Ursiclos! s’écria le frère Sam, piqué au vif, ne traitez pas ainsi ceux de nos ancêtres qui ont chanté notre vieille Écosse!

– Et veuillez les entendre! dit le frère Sib, en revenant aux citations de leur poème favori. «J’aime les chants des bardes. Je me plais à écouter les récits du temps passé. Ils sont pour moi comme le calme du matin et la fraîcheur de la rosée qui humecte les collines…

– «Lorsque le soleil ne jette plus sur leurs penchants que des rayons alanguis, ajouta le frère Sam, et que le lac est tranquille et bleuâtre au fond du vallon!»

Sans doute, les deux oncles auraient indéfiniment continué à s’enivrer des poésies ossianesques, si Aristobulus Ursiclos ne les eut brusquement interrompus en disant:

«Messieurs, avez-vous jamais vu un seul de ces prétendus génies, dont vous parlez avec tant d’enthousiasme? Non! Et peut-on les voir? pas davantage, n’est-ce pas?

– C’est ce qui vous trompe, monsieur, et je vous plains de ne les avoir jamais aperçus, reprit Miss Campbell, qui n’aurait pas cédé à son contradicteur le cheveu d’un seul de ses lutins. On les voit apparaître dans toutes les hautes terres d’Écosse, se glissant le long des glens abandonnés, s’élevant du fond des ravins, voltigeant à la surface des lacs, s’ébattant dans les eaux paisibles de nos Hébrides, se jouant au milieu des tempêtes que leur jette l’hiver boréal. Et, tenez, ce Rayon-Vert, que je m’obstine à poursuivre, pourquoi ne serait-ce pas l’écharpe de quelque Valkyrie, dont la frange traîne dans les eaux de l’horizon?

– Ah non! s’écria Aristobulus Ursiclos, pour cela, non! Et je vais vous dire ce que c’est votre Rayon-Vert.

– Ne le dites pas, monsieur, s’écria Miss Campbell, je ne veux pas le savoir!

– Mais si, répondit Aristobulus Ursiclos, tout à fait monté par la discussion.

– Je vous défends bien…

– Je le dirai pourtant, Miss Campbell. Ce dernier rayon que lance le soleil au moment où le bord supérieur de son disque effleure l’horizon, s’il est vert, c’est, peut-être, parce qu’au moment où il traverse la mince couche d’eau il s’imprègne de sa couleur…

– Taisez-vous… monsieur Ursiclos!…

– A moins que ce vert ne succède tout naturellement au rouge du disque, subitement disparu, mais dont notre œil a conservé l’impression, parce que, en optique, le vert en est la couleur complémentaire!

– Ah! monsieur, vos raisonnements physiques…

– Mes raisonnements, Miss Campbell, sont d’accord avec la nature des choses, répondit Aristobulus Ursiclos, et, précisément, je me propose de publier un mémoire à ce sujet.

– Partons, mes oncles! s’écria Miss Campbell, véritablement irritée. M. Ursiclos, avec ses explications, finirait par me gâter mon Rayon-Vert!»

Olivier Sinclair intervint alors:

«Monsieur, dit-il, je pense que votre mémoire à propos du Rayon-Vert sera on ne peut plus curieux; mais permettez-moi de vous en proposer un autre sur un sujet peut-être plus intéressant encore.

– Et lequel, monsieur? demanda Aristobulus Ursiclos, en se dressant sur ses ergots.

– Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur, que quelques savants ont traité scientifiquement cette question si palpitante: De l’influence des queues de poisson sur les ondulations de la mer?

– Eh! monsieur…

– Eh bien, monsieur, en voici une autre que je recommande tout particulièrement à vos savantes méditations: De l’influence des instruments à vent sur la formation des tempêtes.»

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1 La Vieille Enfumée, surnom donné à Édimbourg.

2 Cette poésie a été admirablement refaite par Alfred de Musset dans l’évocation si connue:

Pâle étoile du soir, messagère lointaine,

Dont le front sort brillant des voiles du couchant…

Que regardes-tu dans la plaine?