Poprzednia część

 

 

Jules Verne

 

Le Volcan d'or

 

(Chapitre XV-XVIII)

 

 

Illustrations par George Roux. Nombreuses photographies

Douze grandes planches en chromotypographie

CollectionHetzel, 1906

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© Andrzej Zydorczak

 

seconde partie

 

 

Chapitre XV

Ou Jane Edgerton, Summy Skim et Ben Raddle n’y comprennent plus rien.

 

ui, cet or si âprement poursuivi par Hunter, le destin implacable ne le lui donnait qu’avec la mort. Quelle n’avait pas été sa soif du précieux et malfaisant métal! Que de crimes commis, combien plus encore projetés pour arriver à en posséder des parcelles! Et, par un ironique retour du sort, c’était l’or même qui broyait ce cerveau où s’étaient formés tant de rêves criminels!

Ben Raddle avait machinalement mesuré de l’œil l’étonnant projectile qui venait de le débarrasser de son ennemi, et il n’en estimait pas la valeur à moins d’une centaine de mille francs. Cette masse, devenue son incontestable propriété, suffirait donc amplement à couvrir les frais de l’expédition, et permettrait même d’allouer une modeste prime à chacun des audacieux mais malheureux explorateurs.

Quel dénouement à côté de celui sur lequel tous avaient compté! Des incalculables trésors du volcan, on n’emporterait que cet unique échantillon!

Sans doute, l’hostilité des Texiens avait contrarié les plans de Ben Raddle. Pour la défense de sa caravane, il avait dû précipiter le dénouement. Mais, en somme, quand même il eût été libre de choisir son jour et son heure, l’or que renfermait le cratère n’en aurait pas moins été perdu pour lui, puisque c’était du côté de la mer que le Golden Mount projetait ses matières éruptives.

«Tout le malheur, conclut le Scout, quand les esprits se furent un peu calmés, c’est que le cratère du volcan ait été inabordable quand nous sommes arrivés.

– En effet, approuva Summy Skim. Jacques Ledun l’avait cru éteint alors qu’il n’était qu’endormi. Il s’est réveillé quelques semaines trop tôt!

C’était, en effet, cette mauvaise chance qui avait fait perdre à Ben Raddle tous les bénéfices de sa campagne. Quoi qu’on pût lui dire, il ne parviendrait jamais à s’en consoler.

– Voyons, mon pauvre Ben, dit Summy Skim, un peu de courage et de philosophie!.. Renonce à tes rêves, et contente-toi d’être heureux dans notre cher pays dont nous sommes si loin depuis dix-huit mois!»

Ben Raddle serra la main de son cousin, et, chassant sa tristesse d’un énergique effort, reprit sur-le-champ la direction de la caravane.

Il y avait lieu de réédifier le camp, hors des atteintes du volcan, même dans le cas d’un changement de direction dans l’écoulement des laves. Ce camp n’aurait d’ailleurs qu’une existence éphémère, puisqu’on n’avait plus aucun motif de s’attarder dans ces régions hyperboréennes.

L’emplacement en ayant été choisi à deux kilomètres en amont sur la rive du Rubber, on se mit aussitôt à l’œuvre. Une dizaine d’hommes furent envoyés de l’autre côté du canal, avec mission de réunir tout ce qui pouvait être sauvé de l’ancien matériel. D’autres chargèrent du butin conquis les propres chariots des vaincus. Le reste de la caravane se lança à la poursuite des chevaux échappés, dont plusieurs furent assez facilement capturés.

Avant la fin du jour, le nouveau campement était installé d’une manière, en somme, suffisamment confortable.

La nuit fut tranquille. On veilla par prudence, afin de parer à un retour offensif des survivants de la bande dispersée, mais le calme ne fut troublé que par la grande voix de l’éruption.

Pendant les quelques heures d’obscurité, quel spectacle que celui de cette éruption dans sa première violence! La poudre d’or, chauffée à blanc et lancée par une formidable puissance, s’arrondissait en dôme au-dessus du cratère. Plus haut que cette voûte de feu, les flammes montaient en hurlant jusqu’à la zone des nuages, et éclairaient d’une lumière sinistre toute la contrée jusqu’aux limites de l’horizon.

Le canal continuait à s’écouler dans la terre irritée. Si rien ne venait combler la blessure faite au flanc de la montagne, pendant combien de semaines et de mois les eaux du vaste estuaire n’allaient-elles pas l’alimenter?

«Qui sait même, dit au matin le Scout à Summy Skim, si une telle inondation ne finira pas par éteindre le volcan?

– C’est bien possible, Bill, mais, pour l’amour de Dieu, ne dites pas cela à Ben! Il serait capable d’attendre!.. Et pourtant, il n’y a plus rien maintenant à récolter dans le cratère!»

Summy Skim avait tort de s’inquiéter. Le parti de Ben Raddle était pris et bien pris. Une fois de plus il s’inclinait devant la force des choses. Le claim 129 noyé sous les eaux, le Golden Mount vidé dans la mer, c’étaient là deux faits contre lesquels il ne pouvait rien et dont il était, par conséquent, décidé à ne pas encombrer son cerveau. Pour lui, ces deux déceptions, c’était déjà du passé, et résolument il se tournait vers l’avenir.

L’avenir, l’avenir le plus proche du moins, c’était Dawson City. Et Dieu sait pourquoi cette ville vers laquelle l’ingénieur dirigeait sa pensée se synthétisait pour lui en une chambre d’hôpital où une blonde jeune fille disait posément des choses douces et sensées. Affaire de contraste, sans doute. Au milieu du désordre général qui l’entourait, il évoquait involontairement, comme pour rétablir l’équilibre, l’image de ce calme limpide.

Le lendemain, dès cinq heures, il fit part à ses compagnons de sa décision de commencer, le jour même, à redescendre vers le Sud. Il s’attendait à des résistances. Il n’en rencontra pas. L’espoir était envolé et le courage avec lui. Tous poussèrent, au contraire, un soupir de soulagement en apprenant qu’on allait s’engager sur la route du retour.

Avant que ne fût donné le signal du départ, Ben Raddle et le Scout suivirent une dernière fois la base du volcan. L’éruption avait-elle lancé de ce côté quelques fragments de quartz aurifères?

Non. Le bloc qui, après avoir exécuté Hunter, était venu rouler aux pieds de l’ingénieur resterait le seul souvenir que l’on rapporterait du Haut-Dominion.

L’éruption n’avait pas dévié. Toutes les substances: pierres, scories, laves, cendres, projetées vers le Nord, ne cessaient de retomber dans la mer, parfois même à deux kilomètres du rivage. Quant à l’intensité du phénomène, elle n’avait subi aucune diminution, et il eût été radicalement impossible d’atteindre le sommet du Golden Mount.

Pendant que Ben Raddle et le Scout procédaient à cette exploration, Jane Edgerton s’approcha de Summy Skim, qui, assis dans l’herbe, fumait placidement sa pipe. Comme peu de temps auparavant, lors de la dernière ascension, la jeune fille avait une allure lasse, un peu brisée, qui la rendait plus charmante encore.

«Il faut me pardonner, monsieur Skim, dit-elle avec une sorte de trouble, si je ne vous ai pas remercié comme il convient, mais c’est ce matin seulement que j’ai appris combien de reconnaissance je vous dois une fois de plus.

– Quel est le bavard?.. commença Summy Skim irrité.

– Patrick m’a tout dit, interrompit Jane doucement. Je sais que, si je suis en vie, c’est à votre adresse et à votre sang-froid, d’abord, à votre courage ensuite, que j’en suis redevable… Un jour, ajouta-t-elle avec un timide et touchant sourire, j’ai eu l’outrecuidance de me dire quitte envers vous. Je reconnais aujourd’hui qu’il me sera impossible d’y parvenir.

– C’est Patrick qui vous a ainsi monté la tête, mademoiselle Jane? répondit indirectement Summy. Il est modeste, dans ce cas, car c’est lui qui a tout fait en réalité.

– Non, monsieur Skim, insista Jane avec plus de chaleur. Je sais quel rôle a joué Patrick, et je lui garde dans mon cœur la place à laquelle il a droit. Mais je sais aussi quel a été le vôtre.

– Le mien?.. se récria Summy. J’ai joué le rôle d’un chasseur, voilà tout. Un chasseur voit quelque chose qui se sauve devant lui… il tire. C’est bien simple…

Summy s’arrêta brusquement, et, simulant une vive colère:

«Et puis, en voilà assez là-dessus. Je ne veux plus que l’on me parle de cette affaire.

– Soit, accorda Jane Edgerton, on n’en parlera plus… Mais j’y penserai toujours.»

La caravane s’ébranla vers huit heures. L’ingénieur et Summy Skim prirent la tête, précédant Jane Edgerton installée dans la carriole conduite par Neluto. Les chariots, chargés du matériel de campement, suivaient sous la direction du Scout.

La nourriture était largement assurée, la chasse et la pêche ayant permis d’économiser les conserves durant les semaines passées au Golden Mount. D’ailleurs, tout en faisant route, les chasseurs ne manqueraient ni de perdrix, ni de canards, ni de gros gibier. Si Summy Skim avait la chance d’abattre enfin un de ces fameux orignals, peut-on aller jusqu’à dire qu’il ne regretterait pas son voyage?

Le temps était incertain, ce qui n’avait rien d’étonnant, la belle saison étant déjà très avancée. Il y avait lieu d’espérer, cependant, que la capitale du Klondike serait atteinte avant le mois de septembre, et qu’on n’aurait pas à souffrir du froid durant les haltes de nuit.

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Lorsque la caravane s’arrêta pour le déjeuner, le Golden Mount était encore visible à l’horizon. Ben Raddle s’était retourné, il ne pouvait détacher ses regards des tourbillons de fumée qui s’élevaient de sa cime.

«Allons, Ben, allons, lui dit Summy Skim, l’or s’en va en fumée, comme tant de choses en ce bas monde. N’y pensons plus. Ce n’est pas de ce côté qu’il faut regarder, c’est par là.»

Et la main de Summy se tendait vers le Sud-Est, dans la direction approximative du cher et lointain Montréal.

D’un commun accord, Ben Raddle et le Scout avaient adopté pour le retour un nouvel itinéraire. Au lieu de faire un crochet dans l’Est, de manière à passer par Fort Mac Pherson, on marcherait au Sud en ligne droite. Ainsi la route serait sensiblement raccourcie. Quant à l’eau, on n’avait pas à craindre d’en manquer dans cette région sillonnée de creeks, surtout quand on serait à proximité des sources de la Porcupine River.

Vers la fin du premier jour de marche, l’attention clés conducteurs fut attirée par de nombreuses crevasses dont la terre était couturée. Il fallait faire d’incessants détours qui diminuèrent dans une notable proportion le chemin utile parcouru. Si cet inconvénient persistait, on serait dans l’obligation d’obliquer à droite ou à gauche jusqu’à ce qu’on eût trouvé un sol plus propice au roulage.

Heureusement, après quelques kilomètres, la situation se modifia favorablement. Les sillons plus profonds se firent en même temps plus rares. Ils semblaient se réunir par degrés, les uns aux autres, de telle sorte qu’il ne resta bientôt qu’un petit nombre de crevasses agrandies dont chacune totalisait celles qui avaient contribué à la former.

Cette loi se poursuivit jusqu’au bout avec une rigueur mathématique. A soixante kilomètres du Golden Mount, il n’en existait plus qu’une seule, mais d’une telle taille que le nom de ravin lui eût mieux convenu. Cette cassure, profonde de quinze mètres, large de soixante, aux bords déchiquetés comme à la suite d’un violent arrachement, courait du Nord au Sud avec quelques degrés de déviation vers l’Ouest. Elle paraissait donc se diriger presque exactement vers Dawson City, et la caravane n’eut qu’à suivre son bord oriental pour ne pas s’écarter d’une droite géométrique.

Cette circonstance singulière était naturellement l’objet des conversations de tous. L’énorme fossé s’en allait à perte de vue, implacablement rectiligne. A ses pentes que n’égayait pas la plus petite touffe d’herbe, à la netteté des fragments d’humus que nulle pluie n’avait encore lavés, on reconnaissait qu’il devait être de création récente. Quelle force avait pu accomplir d’un seul coup une œuvre aussi gigantesque?

«Le Golden Mount, répondit Ben Raddle à Summy Skim qui l’interrogeait à ce sujet. C’est une réaction secondaire du volcan. Avant l’éruption proprement dite, nous avons ressenti, si tu t’en souviens, une violente secousse sismique, et l’horizon du Sud a été pendant un certain temps tout empâté de poussière. Tu connais maintenant l’origine de cette poussière.

– A une telle distance de la montagne! se récria Summy Skim.

– Cela n’a rien de surprenant, affirma l’ingénieur. Les volcans, avant d’entrer en éruption, causent souvent des désordres à une distance infiniment plus grande. Mais tout s’apaise, dès que la pression intérieure réussit à se frayer une issue suffisante par le cratère. C’est bien ce qui s’est passé ici.»

On ne franchit le cercle polaire que le 12 août. La route, plus courte, était aussi plus mauvaise, et l’on ne parvenait pas à dépasser une moyenne de douze à quinze kilomètres par jour. Le Scout regrettait vivement de n’avoir pas refait en sens inverse la route de Fort Mac Pherson.

Par bonheur, la santé générale se maintenait dans un état satisfaisant. Ces vigoureux Canadiens, rompus aux fatigues, restaient valides en dépit des pires épreuves.

La vaste crevasse ouverte par l’effort volcanique accompagnait toujours la caravane dans son exode vers le Sud. Cependant, cent kilomètres au delà du cercle polaire, elle parut perdre de son importance première. Les bords se rapprochaient, le fond se comblait. Cette modification, toutefois, ne s’opérait que très lentement, et l’on pouvait encore aisément discerner cette fidèle compagne de route, quand, cinquante kilomètres plus loin, elle obliqua plus fortement sur la droite, et, d’abîme devenue simple fêlure, alla se perdre dans l’horizon de l’Ouest.

Les hauteurs qui encadrent la capitale du Klondike apparurent le 3 septembre. Quelques instants après midi, on s’arrêtait enfin devant la porte de Northern Hôtel.

Ce fut le signal de la dislocation. Patrick et Neluto se dirigèrent vers la maison du faubourg où ils comptaient bien retrouver leur ami Lorique. Le Scout conduisit ses hommes et son matériel augmente de celui de Hunter à son dépôt de Dawson. Quant aux anciens mineurs du 129, ils se répandirent dans la ville, et se mirent en quête de logements.

Pendant ce temps, Jane Edgerton, Summy Skim et Ben Raddle, auxquels les épreuves endurées n’avaient pu faire perdre le souvenir des raffinements de la civilisation, se livraient avec délice à une exagération de toilette. En dépit des prix excessifs de Dawson, tout y passa: bain, coiffeur, tailleur et couturière, lingère et chemisier. Vers trois heures, ils se retrouvaient tous trois, reposés, ragaillardis, transformés, dans le hall de Northern Hôtel.

Tandis que Jane, impatiente d’embrasser sa cousine, se dirigeait en hâte vers l’hôpital, Ben et Summy se rendirent aux bureaux de l’Anglo-American Transportation and Trading Company, où, avant de partir, ils avaient déposé ce qui leur restait de fonds. Il fallait penser à la question d’argent. Quelle que fût la valeur de la masse d’or projetée par le Golden Mount, ils étaient pour l’instant fort dépourvus d’espèces monnayées.

Ce fut Summy qui présenta au guichet un chèque que le préposé reçut d’un air nonchalant, qui se transforma instantanément en un air effaré dès qu’il eut jeté les yeux sur les noms dont ce chèque était signé. Le guichet se referma aussitôt d’un coup sec, puis, derrière le grillage, il y eut un bruit de remue-ménage dont les deux cousins furent très intrigués.

En attendant que fussent accomplies, à l’abri des regards profanes, les formalités prescrites pour le payement d’un chèque, les deux cousins se transportèrent à un autre guichet où ils remirent le bloc d’or envoyé par le Golden Mount dans de si dramatiques circonstances. Le préposé aux matières précieuses, en recevant cette pépite phénoménale, ne montra pas la superbe indifférence de son collègue des comptes courants. Il manifesta, au contraire, par la vivacité de ses gestes, la surprise que lui causait ce merveilleux échantillon des richesses minières. Le bloc était splendide, en effet. Nettoyé, frotté, débarrassé de la moindre parcelle de matière étrangère, il étincelait dans sa robe jaune et réfléchissait la lumière du jour par ses mille facettes.

Quand le représentant de la Trading Company eut suffisamment exprimé son admiration, il procéda à la pesée que suivit un rapide calcul.

«Vingt mille six cent trente-deux dollars, cinquante cents,1 annonça-t-il.

Ben Raddle acquiesça du geste.

«Au crédit de messieurs?.. interrogea le préposé, la plume en suspens.

– Summy Skim et Ben Raddle,» compléta l’ingénieur.

Comme précédemment, le guichet se ferma d’un coup sec, et il y eut derrière le grillage ce même remue-ménage qui avait déjà excité la curiosité des deux cousins.

Quelques minutes s’écoulèrent. Ben Raddle, peu patient de son naturel, commençait à se demander tout haut si l’on ne se moquait pas de lui, lorsqu’un employé paraissant d’un grade élevé vint, à travers la salle, prier MM. Summy Skim et Ben Raddle de bien vouloir prendre la peine de le suivre, M. William Broll désirant leur parler.

Ceux-ci, quel que fût leur étonnement, obéirent à la courtoise invitation et se trouvèrent en peu d’instants en présence du sous-directeur, qui était pour eux une vieille connaissance.

«Je vous prie de m’excuser, messieurs, si je vous ai dérangés, dit-il. Mais j’avais donné l’ordre de me prévenir la première lois que l’un de vous se présenterait dans nos bureaux. Je me félicite de vous y recevoir tous les deux en même temps.

Summy Skim et Ben Raddle saluèrent, sans exprimer autrement leur surprise de l’honneur qui leur était fait.

«Je ne pouvais, vous le comprendrez, continua le sous-directeur, laisser partir, sans les avoir priés d’agréer nos compliments, les plus importants clients de notre maison.

Les deux cousins, d’un même mouvement, relevèrent les yeux sur leur interlocuteur. M. William Broll était-il atteint de folie subite? Ou bien l’Anglo-American Transportation and Trading Company en était-elle réduite à cet excès de misère que leur médiocre crédit eût une telle importance dans ses livres?

«Ah! reprenait pendant ce temps le sous-directeur, vous devez, souvent vous moquer de nous, et il faut avouer que vous en avez le droit. Avons-nous assez manqué de flair! Quand je pense que nous nous sommes laissés arrêter par une misérable question de frontière! Quand je pense que nous avions estimé à cinq mille dollars, – oui, à cinq mille dollars! – votre propriété!.. Enfin, il n’y a pas à craindre que vous nous reprochiez notre aveuglement, puisque c’est à lui que vous devez d’être les heureux propriétaires du 129.

– Du 129? répétèrent ensemble Summy Skim et Ben Raddle littéralement ahuris.

– Du merveilleux, de l’extraordinaire, du prodigieux 129!

Et si le prolixe sous-directeur s’en tenait à ces trois épithètes, c’est, évidemment, qu’il n’en trouvait pas d’autres!

– Pardon, mais… commença Summy Skim suffoqué.

Ben Raddle, qui n’était jamais bien long à retrouver le Nord dans toutes les circonstances de la vie, lui coupa la parole.

– Que voulez-vous, monsieur le sous-directeur, en affaire tout n’est qu’heur et malheur, dit-il en affectant le ton le plus naturel. Vous retrouverez une autre occasion.

– Jamais comme celle-là, affirma énergiquement William Broll. II n’existe pas au Klondike, ni ailleurs, de gisement comparable au vôtre. Certes, je conçois que vous en ayez douté longtemps. Pendant un an vous avez dû tâtonner, lutter de toutes les manières, et nous n’avons eu, à notre grand regret, que des rapports trop rares. Mais vous êtes, maintenant, royalement payés do vos peines, ainsi que le prouvent les envois que vous nous faites tous les jours depuis un mois.

– Tous les jours? balbutia Summy Skim.

– Ou presque tous, du moins.

– Depuis un mois, vous croyez? insinua Ben Raddle d’une voix plus assurée.

Le sous-directeur parut chercher dans ses souvenirs.

– Mon Dieu, oui, dit-il, il y a près d’un mois que nous avons reçu le premier de vos envois actuels.

– Vraiment! fit Ben Raddle d’un ton bonasse.

– Du reste, ajouta M. William Broll, si vous avez besoin de connaître la date exacte de ce premier envoi, nous la trouverons sur nos livres.

Il appuya sur un timbre. Un employé parut aussitôt.

«Faites-moi monter, lui dit le sous-directeur, le compte-courant de MM. Summy Skim et Ben Raddle, propriétaires du claim 129.

L’employé disparut.

«Cela me permettra de vous donner votre solde exact par la même occasion. Voilà qui ne manquera pas non plus d’un certain intérêt, s’écria M. William Broll, en riant largement.

On apportait le registre. Le sous-directeur l’ouvrit devant lui.

«Voyez vous-mêmes, messieurs, dit-il. Je ne me trompais guère. Nous sommes aujourd’hui le 3 septembre et votre premier envoi est du 5 août…

– Le 5 août!.. se disait en lui-même Summy Skim. Un an, jour pour jour, après l’inondation du claim 129!..

– Quant à votre solde… continuait le sous-directeur en suivant de l’œil les longues colonnes de chiffres. Voyons!.. Ah! le voici… Voulez-vous prendre note?

Ben Raddle s’empara d’un crayon et écrivit sous la dictée d’une main ferme:

«Trois millions trois cent huit mille quatre cent trente et un dollars quatre-vingt-dix cents2… Et encore sans y comprendre votre livraison d’aujourd’hui, qui porte le total général à trois millions trois cent vingt-neuf mille soixante-quatre dollars quarante cents3.

L’ingénieur avait écrit avec soin ces chiffres vertigineux. Si Summy Skim, ému de pitié pour sa propre cervelle, avait simplement pris le parti de ne plus penser, il réfléchissait, lui, pendant que William Broll continuait sur le mode dithyrambique:

«Ah! votre envoi d’aujourd’hui!.. C’est le plus merveilleux de tous, non par la somme assurément, mais par la beauté extraordinaire de l’échantillon!.. Quelle pépite, by God!.. Je la crois vraiment unique au monde, et le 129 seul pouvait en donner une de cette taille!..

Ben Raddle avait terminé ses réflexions. Que le sous-directeur fût fou et fou à lier, cela ne faisait aucun doute. Il y avait en tous cas un moyen bien simple de s’en assurer. Il expliqua d’un air détaché:

– Nous étions venus, mon cousin et moi, dans l’intention de toucher un petit chèque de mille dollars; mais, puisque nous sommes de passage à Dawson, je réfléchis que nous ferions bien de prendre une somme plus importante.

– A vos ordres, messieurs, répondit M. Broll. Quelle somme désirez-vous?

– Cent mille dollars4, dit Ben Raddle froidement.

On allait bien voir. Si le sous-directeur était fou, il n’était pas croyable que tous les employés le fussent devenus en même temps. La plaisanterie prendrait fin, lorsqu’il faudrait effectivement verser une pareille somme.

– A vos ordres, messieurs, répéta M. Broll à la demande formulée par Ben Raddle. Le temps de compter ces cent mille dollars et on les portera à votre hôtel en même temps que le reçu.»

«Nous pouvons les attendre longtemps,» se disait Ben Raddle, en prenant congé du sous-directeur qui reconduisit ses deux visiteurs jusqu’à la porte en manifestant la plus grande amabilité.

Summy s’était levé en même temps que son cousin, et l’avait suivi avec la docilité d’un petit enfant.

«Qu’est-ce que tu penses de ça, Ben? bégaya-t-il, dès qu’ils furent dans la rue.

– Rien,» répondit Ben Raddle plus troublé qu’il ne voulait le paraître.

Le reste de la route se fît en silence et les deux cousins arrivèrent à Northern Hôtel sans échanger d’autre parole.

En entrant dans le hall, ils y trouvèrent Jane Edgerton qui semblait les attendre impatiemment. La jeune fille avait dû éprouver, elle aussi, sa part d’émotion. Ses traits bouleversés exprimaient une cruelle inquiétude et son visage était baigné de larmes.

A cette vue, Summy Skim oublia sa fantastique entrevue avec le sous-directeur de l’Anglo-American Transportation and Trading Company. Il courut vers Jane Edgerton, lui prit affectueusement les mains.

«Qu’avez-vous, mademoiselle Jane? interrogea-t-il. Que se passe-t-il?

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– Ma cousine a disparu, répondit Jane Edgerton en s’efforçant vainement de retenir ses sanglots.

Ce fut au tour de Ben Raddle d’être ému.

– Miss Edith est disparue? dit-il d’une voix troublée. C’est impossible!

– Rien n’est plus certain, cependant, affirma Jane Edgerton. En vous quittant, je suis allée à l’hôpital où j’ai trouvé le docteur Pilcox. C’est de lui que je tiens la nouvelle.

– Et le docteur Pilcox ne vous a donné aucun détail?

– Il m’a dit qu’Edith l’avait quitté à l’improviste, sans aucun avertissement préalable, le 25 juillet dernier, à la première heure.

– Sans donner la raison de son départ?

– Non.

– Sans dire où elle allait?

– Pas davantage. Elle s’est bornée à annoncer qu’elle comptait être de retour au début de l’hiver.

– Et le docteur ne sait pas où elle est allée?

– Il l’ignore.

– Voilà une aventure, par exemple! s’écria l’ingénieur qui semblait en proie à une violente émotion.

A ce moment, un domestique pénétra dans le hall et annonça qu’un visiteur désirait parler à MM. Summy Skim et Ben Raddle.

«Faites entrer, répondit machinalement l’ingénieur.

Le nouveau venu portait à la main une sacoche assez volumineuse.

– Je suis chargé, dit-il, par notre sous-directeur, M. William Broll, d’apporter à ces messieurs les cent mille dollars qu’ils ont demandés, et de les prier de bien vouloir m’en donner reçu.

Tout en parlant, l’employé de la Transportation and Trading Company avait extrait de la sacoche des liasses de banknotes qu’il empilait au fur et à mesure sur la table.

– Si ces messieurs veulent bien vérifier? suggéra-t-il.

Ben Raddle, dominant son trouble, compta méthodiquement les billets.

– D’accord, dit-il.

– Ces messieurs auront donc l’obligeance de signer mon reçu?»

Ben Raddle prit la plume et apposa son nom d’une main ferme. Quant à Summy, il dut lui indiquer la place et presque lui guider la main. Summy vivait en plein rêve et n’était plus de ce monde.

Ce fut Ben Raddle qui reconduisit l’employé de la banque jusqu’à la porte. Puis il revint vers Jane Edgerton et son cousin.

Il les retrouva face à face, considérant le tas de banknotes qui recouvrait la table.

Summy Skim avait toujours son air désorienté. Jane Edgerton continuait à pleurer; mais, à travers ses larmes, son regard quêteur interrogeait.

Ben Raddle n’était pas d’humeur à s’embarquer en de longues dissertations en vue d’éclaircir ce qu’il ne comprenait pas lui-même. Il s’était dominé jusque-là, mais la réaction se produisait maintenant et la force commençait à lui manquer. D’un geste las, il remit toute explication à plus tard.

Un instant, ils demeurèrent tous trois, debout, au milieu du hall. Puis, d’un même mouvement, ils se laissèrent tomber au fond de fauteuils qui ouvraient des bras accueillants, et leurs têtes se renversèrent sur de confortables dossiers. Longtemps ils restèrent ainsi, l’esprit tendu, Œdipes impuissants à deviner les énigmes du Sphinx, tandis qu’au dehors, sur la cité où le bruit de la vie s’apaisait, descendaient peu à peu les ombres du crépuscule.

 

 

Chapitre XVI

Ex abysso resurgit.

 

a dépression de Ben Raddle aurait-elle duré longtemps? C’est peu probable, étant donné le tempérament de l’ingénieur. En tous cas, les événements ne permirent pas que la réaction se fit d’une manière spontanée.

Au moment où l’électricité s’allumait dans les rues de Dawson, un domestique vint annoncer pour la deuxième fois qu’un étranger demandait à parler à M. Summy Skim.

Le visiteur n’était autre que Neluto. Il n’apportait aucune nouvelle de bien grande importance. Il avait cru simplement devoir avertir M. Skim que Patrick et lui se trouvaient dans l’impossibilité d’habiter la maison du faubourg, cette maison étant fermée et Lorique l’ayant quittée depuis plus d’un mois.

Le départ de Lorique ne pouvait étonner Ben Raddle. Il était à croire que le contre-maître canadien avait découvert une bonne occasion d’employer son activité. Peut-être même était-il à l’heure actuelle en train de prospecter pour le compte de son ancien patron.

Mais l’intervention de Neluto suffit à rompre le charme. Ben Raddle se redressa, de nouveau prêt aux décisions promptes, à l’action énergique.

«Neluto! appela-t-il au moment où, sa confidence faite, celui-ci allait se retirer.

– Monsieur Raddle?

– Neluto, nous partons demain pour le claim 129.

– Pour le 129! répéta l’Indien surpris.

– Oui. La fermeture de la maison du faubourg n’a donc aucune importance, puisqu’il te faut renoncer à dormir cette nuit.

Ben Raddle prit sur la table une poignée de banknotes.

«Voici deux mille dollars, dit-il. Je t’en donnerai d’autres, autant qu’il le faudra. N’épargne donc pas l’argent, et que demain, à la première heure, nous ayons devant la porte une voiture capable de nous contenir tous.

– Demain matin! se récria Neluto. Mais il fait nuit, monsieur Raddle!

– Insiste, prie, menace, et surtout sème les dollars à pleines mains. C’est encore le meilleur moyen. D’ailleurs, conclut l’ingénieur, arrange-toi comme tu voudras, pourvu que la voiture soit prête à l’heure dite.

Neluto soupira.

– On essayera, monsieur Raddle,» dit-il en s’élançant au dehors.

L’Indien à peine parti, ce fut le docteur Pilcox, qui, averti par la visite de Jane du retour des deux cousins, vint, toujours empressé, toujours jovial, leur prodiguer les témoignages de la plus vive amitié.

En sa qualité de médecin, c’est de la santé qu’il s’enquit tout d’abord.

«Bien portants?.. demanda-t-il.

– Comme vous voyez, répondit Summy Skim.

– Et contents?..

– Vous pensez!

– Je crois bien, s’écria le docteur. Un si beau voyage!

– Vous n’y êtes pas. Contents… d’être revenus!

Le docteur Pilcox fut alors mis au courant des péripéties de l’expédition. Il en connut tous les déboires. On lui raconta l’arrivée des Texiens, leurs attaques, l’éruption du volcan provoquée par l’ingénieur, et comment tant d’efforts demeuraient inutiles, puisque, à l’exception d’une seule, les pépites du Golden Mount gisaient maintenant dans les profondeurs de la mer Polaire.

– Voyez-vous, dit le docteur, ce volcan qui n’a même pas su vomir du bon côté!.. Vraiment, c’était bien la peine de lui administrer de l’émétique!

Et, par émétique, le docteur entendait la dérivation du Rio Rubber qui avait précipité ses torrents d’eau dans l’estomac du Golden Mount.

Pour toute consolation, il ne put que répéter avec quelques variantes d’ordre médical ce que, déjà, Summy Skim avait dit à Ben Raddle:

«Soyez philosophes! La philosophie, c’est tout ce qu’il y a de plus hygiénique au monde. Or, l’hygiène, c’est la santé. Et la santé, c’est encore la plus merveilleuse des pépites!»

Ben Raddle ne laissa pas partir le docteur sans le questionner au sujet d’Edith Edgerton. Il n’en put rien obtenir. Le docteur avait dit à Jane tout ce qu’il savait, et cela se réduisait d’ailleurs à peu de chose.

Un beau jour, Edith était partie brusquement, en se bornant à promettre qu’elle serait revenue avant l’hiver. Le docteur avait dû se contenter de cette assurance, et force fut à Ben Raddle de l’imiter en soupirant.

Le lendemain matin, le jour n’était pas levé, quand la voiture s’arrêta devant la porte de l’hôtel. Neluto s’était surpassé. Provisions, armes, bagages, rien ne manquait, sans compter que le véhicule, des plus confortables, était attelé de deux vigoureux chevaux. On partit aux premières lueurs do l’aube.

Mais, si l’argent semé à pleines mains avait pu improviser des moyens de transport, il était impuissant à diminuer le nombre des kilomètres. Il avait fallu trois jours, l’année précédente, pour arriver au claim 129; il n’en fallut guère moins pour franchir de nouveau la même distance, d’ailleurs légèrement accrue.

A Fort Cudahy, on avait dû, en effet, passer le Forty Miles Creek près de son confluent. D’après les renseignements donnés par les gens du pays, la rive droite était, depuis plus d’un mois, devenue absolument impraticable à proximité de la frontière.

Conformément à ces avis autorisés, les quatre voyageurs prirent le parti de traverser la rivière et d’en remonter la rive gauche.

Tout le long de la route, et plus spécialement à Fort Cudahy, les gens du pays ne parlaient, d’ailleurs, que des claims situés sur le haut cours du Forty Miles. A les en croire, d’extraordinaires découvertes avaient été faites depuis peu, et l’on se trouvait en présence de gisements d’une richesse prodigieuse, comme aucun mineur n’en avait jamais vu.

C’est en vain que Ben Raddle bouillait d’impatience en entendant ces merveilleux récits: les chevaux, indifférents à son impatience, n’en faisaient pas un pas de plus, et ce fut seulement le 6 septembre, vers une heure de l’après-midi, qu’on arriva à proximité de la frontière.

Le pays était méconnaissable.

Pendant la plus grande partie du parcours, les voyageurs n’avaient remarqué aucun changement notable. Les sites qu’ils avaient contemplés, jusque-là, seulement de la rive droite, et qu’ils apercevaient maintenant de la rive gauche, ne paraissaient pas avoir subi d’autres modifications que celles résultant de cette différence d’orientation. Tout était à la même place qu’avant la catastrophe du 5 août.

Mais, en arrivant à la hauteur dû claim 127 bis jadis exploité sur la rive droite par Jane Edgerton, et lorsque, ayant franchi la crête des hauteurs, dont la chaîne venue du Nord-Ouest s’infléchissait en face de ce claim et courait vers l’aval du rio de manière à en former, à partir de ce point, la rive gauche, la voiture commença à descendre la pente, il n’en fut plus ainsi. Alors qu’ils auraient dû trouver à leurs pieds le creek élargi aux dépens du claim 129, ils avaient devant eux un vaste espace de terre ferme, étendu de part et d’autre de la frontière sur une longueur totale d’environ un kilomètre, et sur lequel grouillait tout un peuple de travailleurs.

La nappe liquide ne commençait qu’au Sud de cet espace de terre ferme et paraissait être désormais tout entière contenue dans les limites Nord et Sud de l’ancien claim 129, au-dessus duquel le creek dévié s’écoulait bruyamment. La colline qui séparait jadis la propriété des deux cousins de celle de Jane Edgerton ne pouvait plus faire obstacle au courant. Son extrême pointe avait disparu. A sa place, le creek suivait son cours, et, arrivé à la barrière rocheuse qui séparait autrefois en deux parties le claim 127 bis, tombait en cascade de l’étage supérieur à l’étage inférieur, pour aller, une centaine de mètres plus loin, retrouver son ancien lit, qu’il ne quittait plus jusqu’à sa rencontre avec le Yukon.

Les changements survenus paraissaient donc n’avoir intéressé qu’une zone très restreinte, s’étendant de part et d’autre de la frontière, zone dont la partie du Forty Miles Creek qui était auparavant en bordure du claim de l’oncle Josias occupait sensiblement le centre.

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La voiture continuait à descendre la route en lacets, et ses occupants considéraient avec surprise l’extraordinaire spectacle qui leur était offert. Était-ce donc le claim 129? Mais la surface en exploitation excédait de beaucoup les limites communément admises pour un claim. D’autre part, si c’était bien là le fameux 129, dont, mieux que quiconque, ils connaissaient les merveilleux rendements, à qui appartenait-il, et comment pouvait-il se faire que ses produits eussent été versés au crédit de Summy Skim et Raddle? Par qui et pourquoi ces versements avaient-ils été opérés? Qui avait recruté, qui dirigeait ce peuple de travailleurs? Ces questions se pressaient tumultueusement dans leur esprit.

A mesure qu’ils approchaient du bas de la pente, les objets se précisaient. Ben Raddle discerna bientôt quatre rockers installés en deux groupes distants l’un de l’autre de trois cents mètres environ et alimentés par une pompe à vapeur fonctionnant en contre-bas. Occupés au service de ces rockers, piochant ou lavant au plat ou à l’écuelle, deux cent cinquante ouvriers environ s’activaient au travail sans même paraître remarquer l’arrivée des nouveaux venus.

L’un d’eux, cependant, quitta sa besogne, lorsque la voiture pénétra sur la surface en exploitation, et demanda poliment aux visiteurs ce qu’ils désiraient.

«Parler à votre maître, répondit Ben Raddle an nom de tous.

– Veuillez me suivre, messieurs,» dit l’ouvrier.

Summy Skim, Ben Raddle et Jane Edgerton mirent pied à terre et commencèrent, sous la conduite de leur guide, à remonter la pente de la nouvelle rive du Forty Miles Creek.

Au bout de cinq cents pas, celui-ci s’arrêta devant une maisonnette construite au pied du versant occidental des hauteurs que la voiture venait de franchir, et, du poing, il en heurta la porte.

Celle-ci s’ouvrit aussitôt. Sur le seuil parut une jeune femme qui fut saluée par des exclamations de surprise.

«Edith! s’écria Jane, en la reconnaissant et en s’élançant dans ses bras.

Tout en rendant à sa cousine caresses pour caresses, le regard d’Edith Edgerton courut en dessous jusqu’à Ben Raddle qui s’avançait le premier.

– Mademoiselle Edith! s’écriait aussi l’ingénieur au comble de l’étonnement.

– Monsieur Raddle! fit Edith sur le même ton.

Et, pour tout observateur suffisamment clairvoyant, il eût été indubitable qu’une sorte de trouble avait passé dans le clair regard de la jeune fille et que son frais visage s’était coloré – oh! si peu! – comme du reflet d’une fugitive rougeur. Mais c’étaient là nuances impalpables qui devaient passer et passèrent inaperçues.

Quand on se fut abondamment manifesté le plaisir réciproque qu’on éprouvait à se retrouver, quand des sakehands eurent été échangés au milieu d’un bruit confus, car tout le monde parlait à la fois:

– Nous expliquerez-vous?.. commença Ben Raddle.

– A l’instant, interrompit Edith. Mais prenez la peine d’entrer auparavant. Je crois que je trouverai assez de sièges pour vous recevoir décemment.

On pénétra dans la maisonnette garnie d’un mobilier dont la simplicité méritait largement l’épithète de Spartiate. Un coffre servant d’armoire, un matelas d’herbes sèches, une table et des chaises, l’œil le plus perspicace n’aurait pu y découvrir autre chose. Mais ce rudiment de mobilier étincelait d’une si méticuleuse propreté qu’il en paraissait presque luxueux.

«Mon explication sera la plus simple du monde, dit Edith dès qu’on se fut assis. Le soir du 24 juillet dernier, Lorique apprit par le plus grand des hasards que le haut Forty Miles Creek venait d’être le théâtre d’un bouleversement plus grand encore que celui de l’année dernière. On disait notamment que la plupart des claims inondés à cette époque avaient reparu au jour. Comment la nouvelle s’était-elle transmise avec cette rapidité? Comment avait-elle franchi en vingt-quatre heures une distance que l’on ne peut parcourir en moins de trois jours, en employant les plus rapides moyens de transport? Je ne sais. Elle avait volé de bouche en bouche, s’étalant comme une tache d’huile sur la mer. Quelques heures après que Lorique en eût été informé, tout le monde à Dawson était aussi bien renseigné que lui-même.

– Que fit alors Lorique? interrogea Ben Raddle.

– Il vint le soir même, répondit Edith, me mettre au courant de ces faits. Mon parti fut pris sur-le-champ. Puisque M. Raddle et M. Skim étaient absents, il convenait de les suppléer, et de faire ce qu’ils auraient fait s’ils avaient été là. Je le pouvais d’autant mieux, que, pendant l’été, il n’y a presque pas de malades à l’hôpital.

«Après nous être munis de fonds, grâce à la procuration que M. Raddle avait laissée à Lorique, nous partîmes donc tous les deux à la première heure le lendemain, en cachant à tous, par prudence, le but de notre voyage.

– Vous êtes ici depuis ce moment?

– Oui, depuis le 27 juillet. Nous y avons trouvé les choses comme vous les voyez. Le bruit public avait dit la vérité, mais en la dénaturant quelque peu. Ainsi que vous pouvez le constater, les anciens claims ne sont nullement revenus au jour. Au contraire, inondés une première fois par l’exhaussement du lit du Forty Miles Creek, ils l’ont été plus fortement encore par une nouvelle surélévation du sol. Nous travaillons aujourd’hui dans le lit même du Forty Miles Creek, qui, définitivement dévié, coule uniquement désormais sur l’emplacement des anciens claims.

– Dans ce cas, fit observer Ben Raddle, je m’explique de moins en moins…

– Attendez, répliqua Edith. Vous comprendrez tout à l’heure. Quand nous sommes arrivés ici, personne ne nous avait encore devancés. Comme vous le savez, la concession d’un claim de rivière comporte le droit d’exploitation dans le cours d’eau en bordure. La partie de l’ancien lit du creek soulevée au jour appartenait donc en droit aux concessionnaires riverains. Ces prescriptions légales, qui sont connues de toute la région, avaient été cause de l’abstention générale. Nous fûmes moins scrupuleux, et notre premier soin fut de planter des piquets qui englobaient à la fois les parties dépendant des claims 127 bis et 129 et celles dépendant, à l’Est, du claim 127 et, à l’Ouest, de l’autre côté de la frontière, du claim 131. Cela fait, nous procédâmes à quelques recherches sur ce terrain vierge jusque-là de toute prospection.

– Je connais déjà le résultat de ces recherches, interrompit Ben Raddle. Il y a de quoi confondre l’imagination.

– Je vous fais grâce du détail, reprit Edith Edgerton, et passe tout de suite à la conclusion de l’examen rapide que nous finies à ce moment. Nous reconnûmes immédiatement que toute la surface, la veille encore, recouverte par les eaux du Forty Miles Creek, était d’une richesse étonnante, bien qu’inégale. Si, depuis des siècles, l’or s’était partout déposé à dose massive, il s’en fallait que le dépôt eût été fait d’une manière uniforme. Il nous fut aisé de constater, et l’exploitation n’a fait que confirmer cette conclusion de la première heure, que la teneur, d’ailleurs toujours très remarquable, des sables aurifères allait néanmoins en s’amoindrissant du centre aux extrémités de la surface délimitée par nos piquets. Au centre même, c’est-à-dire exactement en face de l’ancien claim 129, nous fûmes littéralement éblouis par nos premiers essais. Que s’est-il passé en cet endroit? Je ne suis pas assez savante pour le dire. Peut-être une dépression du sol a-t-elle causé dans le cours du Forty Miles des tourbillons favorables au dépôt séculaire de l’or en suspension? Je ne sais. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’en ce point nous nous trouvâmes en présence d’un amas de poudre d’or presque pure, amas qui affecte la forme d’une ellipse de trente-cinq yards sur vingt et un environ, et dont la profondeur, que je crois être relativement considérable, demeure tout à fait inconnue.

Les auditeurs d’Edith Edgerton écoutaient comme dans un rêve ce féerique récit qui tenait plus du roman que de la réalité. Ils n’auraient pu dire ce qui les étonnait le plus, de ce caprice de la nature ou de la clairvoyance et de l’énergie de celle qui en avait si bien tiré parti. Ils n’étaient pas au bout de leurs étonnements.

«En présence d’une telle découverte, reprit Edith, je ne perdis pas une heure pour consolider le droit d’exploitation. Un claim lût enregistré au nom de M. Raddle, un autre au nom de M. Skim, d’autres au nom de ma cousine, de Lorique et au mien. Que, pour obtenir ces concessions, la plupart aux noms d’absents, je n’aie pas été amenée à commettre quelques… incorrections, je n’oserais pas le soutenir. Mais, en ces sortes de choses, l’essentiel est de réussir.

– A coup sûr! approuva Ben Raddle.

– Il est inutile d’ajouter que pas un instant je n’ai perdu de vue la situation réelle. C’est avec les capitaux de M. Summy Skim et de M. Ben Raddle que ces claims ont pu être mis en exploitation. C’est donc à eux qu’ils appartiennent. Je ne me suis jamais considérée que comme leur mandataire, et j’ai agi en conséquence. Aujourd’hui, tout est en règle. J’ai reçu, pour le claim situé en territoire américain, le dernier document dûment paraphé.

Edith, tout en parlant, s’était dirigée vers le coffre qui occupait un coin de la pièce. Elle en retira une liasse de papiers.

«Voici les titres de propriété, et voici les contre-lettres de Lorique et de moi-même garantissant les véritables propriétaires contre toute réclamation de notre part. Il ne manque plus que celle de Jane, mais je crois pouvoir garantir qu’elle ne la refusera pas.

Pour toute réponse, Jane embrassa sa cousine.

Quant à Ben Raddle, il était tout simplement écrasé d’admiration par une telle virtuosité. «Prodigieux! prodigieux!» répétait-il entre ses dents.

Edith se leva.

«Si maintenant, dit-elle, vous voulez faire le tour du propriétaire, je vais vous servir de guide, et par la même occasion M. Raddle pourra dire bonjour à Lorique.

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On sortit de la maisonnette et l’on parcourut en tous sens l’exploitation. Il y régnait une activité générale à laquelle l’ingénieur fut encore plus sensible qu’aux prouesses diplomatiques dont il venait d’entendre le récit.

Tout marchait avec une régularité de chronomètre.

A chaque extrémité de la bande de terrains aurifères, les uns en territoire canadien, les autres au delà de la frontière alaskienne, deux rockers fonctionnaient, alimentés par une petite pompe à vapeur placée près de la nouvelle rive du creek, presque en face de la partie centrale sur laquelle, travaillant, ceux-ci, au plat ou à l’écuelle, s’agitaient le plus grand nombre des ouvriers.

– Cette pompe ne m’a rien coûté, expliqua Edith. Je l’ai trouvée après le retrait des eaux, dans l’ancien lit de la rivière. Il est à croire qu’elle provient d’un claim situé en amont et abandonné lors de l’inondation de l’année dernière. Par un miracle extraordinaire, elle n’avait absolument rien de cassé. Il nous a suffi de la nettoyer, de l’installer et de nous procurer du charbon, ce qui, entre parenthèses, n’a pas été très facile.

Ben Raddle fut incapable de se contenir plus longtemps.

– Mais enfin, s’écria-t-il, me direz-vous qui a dirigé tout cela, qui a organisé le travail, procédé à ces installations?

– C’est moi, monsieur Raddle, avec l’aide de Lorique, répondit Edith d’un ton aussi éloigné de l’infatuation que d’une modestie déplacée.

– Vous! s’exclama l’ingénieur, qui, à partir de ce moment, parut plongé dans ses pensées.

Edith continuait ses explications. Elle entraîna ses compagnons jusqu’à la dernière concession située en territoire alaskien et enregistrée au nom de Lorique. Sur le claim dont il était officiellement propriétaire, on rencontra précisément le contre-maître, qui parut très ému de se retrouver en présence de Ben Raddle. Mais celui-ci, décidément très absorbé, répondit d’un air un peu étranger aux démonstrations d’amitié de ce fidèle serviteur.

Les promeneurs, en compagnie du contre-maître, revinrent vers le centre de l’exploitation.

– C’est ici la partie la plus riche, expliqua Edith.

– Où nous trouvons couramment des plats de mille dollars 1 ajouta le contre-maître avec orgueil.

Après avoir assisté à quelques lavages qui donnèrent effectivement le résultat annoncé, on se remit en marche pour retourner à la maisonnette.

Au moment d’en franchir la porte, Ben Raddle, frappé d’un pensée subite, arrêta Edith du geste.

– Ne m’avez-vous pas dit, tout à l’heure, demanda-t-il, que vous avez quitté Dawson le 25 juillet?

– En effet, répondit Edith.

– A quelle date s’était donc produit le soulèvement du Forty Miles Creek?

– Le 23 juillet.

– J’en étais sûr! s’écria Ben Raddle. C’est à notre volcan que nous devons cette fortune!

– Quel volcan? dit Edith d’un ton interrogatif.

Ben Raddle lui raconta alors les aventures de l’expédition partie à la recherche du Golden Mount. Quand il eut achevé son récit, personne ne mit en doute que l’éruption si audacieusement provoquée n’eût été la cause première du bouleversement dont cette partie du Klondike avait été le théâtre. Pour tous, il devint évident que l’ébranlement plutonique s’était transmis de proche en proche, en déterminant successivement une série de soulèvements et de dépressions symétriques.

Pendant des centaines de kilomètres la longue crevasse indiquait nettement la direction suivie par cette force, qui était venue mourir là. En ce point, déjà désagrégé par une convulsion antérieure, elle avait fini de s’épuiser en soulevant de deux mètres à peine, élévation compensée par un abaissement correspondant des anciens claims de la rive droite, une bande de terrain d’environ cinquante mètres de largeur sur un kilomètre de longueur.

Jane Edgerton fut particulièrement enthousiasmée par ces conclusions conformes à sa manière d’envisager la vie. Non, l’action n’est jamais inutile. Ce voyage en était un nouvel exemple. Alors qu’ils pensaient avoir lutté en vain, l’énergie déployée avait, à des centaines de kilomètres, des répercussions inattendues, et leur ménageait un retour triomphal.

Edith calma avec un sourire l’enthousiasme de sa cousine, et fit observer qu’il restait encore à examiner la comptabilité de l’exploitation.

Lorsque tout le monde fut entré dans la maisonnette, elle étala ses livres, en effet, et les commenta de manière à porter au comble l’admiration de Ben Raddle. Pour l’établissement de ses prix de revient et de ses frais, pour la surveillance des entrées et des sorties d’or, pour se garantir contre le vol dans une industrie où cet accident est tout particulièrement à craindre, elle avait inventé, à force de bon sens et de méthode, des procédés très simples mais d’une précision rigoureuse qui ne laissait place ni à l’erreur ni à la fraude.

«C’est de ce matin que j’ai terminé mon travail, dit-elle en forme de conclusion. Je comptais, si vous n’étiez pas arrivés, repartir pour Dawson, en emportant un double des livres. Lorique, qui restera ici, continuera à diriger jusqu’à l’hiver l’exploitation, que l’on peut, comme vous le voyez, surveiller parfaitement de loin.»

Sur ces mots, Ben Raddle quitta la maisonnette. Il étouffait. Cette petite fille lui donnait une leçon. Elle ne lui avait rien laissé à faire. Tout était au point, mieux qu’il n’aurait pu l’y mettre lui-même.

Summy Skim inquiet suivi son cousin au dehors. Pourquoi donc Ben Raddle était-il sorti si brusquement? Serait-il souffrant par hasard?

Non, Ben Raddle n’était pas souffrant. Les yeux perdus à l’horizon, il respirait l’air à pleins poumons comme quelqu’un qui se remettrait de quelque violente secousse.

«Eh bien! Ben, dit Summy en l’abordant, te voici arrivé à tes fins, et tu es content, je pense. Tu vas en avoir à remuer, des millions! D’autant plus que, cela va sans dire, je t’abandonne les miens, dont je me soucie comme de ça!..

Et Summy fit claquer son ongle entre ses dents solides.

Ben Raddle prit le bras de son cousin.

– Que penses-tu de Mlle Edith, Summy? lui demanda-t-il confidentiellement.

– Mais, qu’elle est charmante, tout à fait charmante, répondit Summy avec chaleur.

– N’est-ce pas?.. Mais ce n’est pas assez dire. C’est un prodige, cette jeune fille, Summy, un vrai prodige!» dit Ben Raddle d’un air rêveur.

 

 

Chapitre XVII

Un règlement de comptes.

 

près un court séjour au nouveau claim 129, les deux cousins et les deux cousines avaient regagné Dawson City, en laissant Lorique à la tête de l’exploitation. Tout était convenu avec lui. Il dirigerait le claim, jusqu’à son épuisement que rien ne faisait prévoir, et il enverrait les comptes chaque semaine à Montréal où Summy Skim et Ben Raddle allaient se hâter de revenir.

Le contre-maître, cela va de soi, serait intéressé dans les bénéfices réalisés. A cet égard, il s’en était remis à ses maîtres dont il connaissait la droiture et l’équité. Le jour encore lointain où les gisements du Forty Miles Creek seraient épuisés, Lorique serait donc riche lui aussi, et capable, soit d’entreprendre une exploitation pour son compte, soit d’aller chercher un repos bien gagné sous un ciel plus clément.

Assurément, les quatre voyageurs avaient été quelque peu tassés dans la voiture qui les emmenait, mais personne n’avait songé à s’en plaindre. Les nerfs encore secoués par cette série d’émotions heureuses, tous s’étaient montrés fort gais. Edith, elle-même, s’était départie de son calme un peu froid.

Les deux cousins s’étant en cours de route enquis des projets des jeunes filles, chacune d’elles avait énoncé les siens. Ils étaient bien simples. Puisque le sort n’avait pas favorisé les efforts de Jane, rien ne serait changé dans leur situation. Celle-ci continuerait à prospecter, tandis que sa cousine retournerait à ses malades.

Ben Raddle et Summy, sans s’indigner autrement, s’étaient bornés à demander aux jeunes filles si elles les prenaient pour des monstres d’ingratitude, et la conversation en était restée là.

Ce soir-là, il s’agissait de trancher la question. Sur la convocation de Ben Raddle, tous quatre étaient réunis dans un salon dont celui-ci s’était assuré l’exclusive possession.

L’ingénieur entra tout de suite dans le vif de la question.

«L’ordre du jour est de régler nos comptes, dit-il en ouvrant la séance.

Summy bâilla.

– Ça va être bien ennuyeux!.. fit-il remarquer. D’ailleurs, je te l’ai déjà dit, insatiable Ben, pour moi, pose zéro et retiens tout!

– Si nous commençons par des plaisanteries de ce genre, répondit Ben Raddle sévèrement, nous n’en finirons pas. Soyons sérieux, Summy, je t’en prie.

– Soyons donc sérieux! acquiesça Summy en soupirant. Mais que de temps perdu qu’on pourrait mieux employer!

Ben Raddle reprit:

– Le premier point dont il convient de tenir compte, c’est que l’exploitation du Forty Miles Creek est la conséquence, indirecte il est vrai, mais enfin la conséquence de la découverte du Golden Mount.

– D’accord! approuvèrent ses trois interlocuteurs.

– Par conséquent, les engagements pris en raison de ce voyage conservent toute leur valeur, et au premier rang celui qui concerne la mère de Jacques Ledun. Avez-vous une idée de ce qu’il serait juste selon vous de lui allouer?

– Une participation du quart?.. proposa Jane Edgerton.

– Ou même des quatre quarts, renchérit Summy. En ce qui me regarde, je n’y vois aucun inconvénient.

Ben Raddle haussa les épaules.

– Il me semble, suggéra Edith de sa voix calme, qu’une rente serait préférable.

– Mademoiselle Edith a raison, comme toujours, dit l’ingénieur. Nous adopterons donc le principe d’une rente, dont nous fixerons le quantum ultérieurement, mais qui sera en tout cas largement calculée, cela va sans dire.

L’approbation fut unanime.

«Il faudra en outre, reprit Ben Raddle, désintéresser généreusement Lorique, le Scout et les hommes qui ont fait avec nous l’expédition du Golden Mount.

– C’est évident, dirent ensemble les deux cousines.

– Ce qui restera ensuite devra être, suivant nos conventions avec miss Jane, divisé en deux parties égales. Une pour elle, l’autre pour moi. Je ne pense pas que miss Jane refuse de partager à son tour avec sa cousine à qui nous devons le claim 129, tandis que, de mon côté, je partagerai avec Summy, en dépit de ses airs dégoûtés.

– Votre calcul n’est pas juste, objecta Jane. Puisque vous voulez, sans y être forcé, partager avec nous, il faut du moins appliquer toutes les conventions. Vous oubliez qu’un contrat antérieur vous donne droit à dix pour cent sur mes bénéfices au Klondike.

– C’est exact, reconnut Ben Raddle, d’un air sérieux.

Il prit un crayon et du papier.

«Chiffrons maintenant, annonça-t-il. Nous disons donc que j’ai droit à un dizième de votre moitié, soit à un vingtième de l’ensemble, ce qui fait au total onze vingtièmes pour moi et neuf vingtièmes pour vous.

– Si je compte bien, intervint Summy de l’air le plus sérieux du monde, il résulte des calculs que la part de Mlle Edith sera les sept cinquièmes des trois quarts des trente-huit quatre-vingt-neuvièmes… Quant à la mienne, on la trouvera en divisant la hauteur du Golden Mount par le rayon du cercle polaire et en multipliant le quotient par l’âge du Scout. On obtiendra ainsi une équation exponentielle, dont on extraira la racine, et qui, soumise à l’analyse algébrique et au calcul intégral ou différentiel, au choix…

– Ces plaisanteries sont de mauvais goût, prononça Ben Raddle sèchement, tandis que les deux cousines riaient aux éclats.

– Quel fatras! soupira Summy Skim, qui alla s’asseoir dans le coin le plus éloigné en manifestant une suprême indifférence.

Ben Raddle le suivit d’un regard courroucé, haussa de nouveau les épaules, et reprit:

– Or, comme notre crédit à la Transportation and Trading Company s’élève à…

Il fut interrompu par Jane Edgerton.

– Après tout, monsieur Raddle, dit-elle de l’air le plus naturel du monde, à quoi bon tous ces comptes?

– Cependant…

– Oui, à quoi bon?.. Puisqu’on va évidemment se marier.

Se cramponnant aux bras du fauteuil sur lequel il était mollement étendu, Summy Skim se releva d’un seul coup en poussant un véritable rugissement.

– Avec qui? s’écria-t-il, la voix étranglée.

Ramassé sur lui-même, le visage convulsé, les poings crispés, il ressemblait à une bête fauve prête à bondir.

Incapables de résister au comique intense de ce spectacle, ses amis partirent à l’unisson d’un homérique éclat de rire.

Il ne riait pas, Summy. Il venait de découvrir son propre cœur, et il en était littéralement bouleversé. Il aimait, lui, le célibataire endurci, si heureux de son célibat, il aimait à l’adoration, depuis longtemps, depuis toujours, depuis que pour la première fois, sur le pont du Foot Ball, lui était apparue cette petite fille qui riait là-bas à gorge déployée. C’est par elle et pour elle qu’il avait si allègrement supporté un absurde exil dans ces contrées baroques. Puisqu’il ne pouvait pas la décider à quitter le Klondike, c’est pour y rester avec elle qu’il s’était condamné à y vivre. Et la voilà maintenant qui parlait tranquillement de se marier! Avec Ben Raddle sans doute, plus jeune et plus séduisant que son malheureux cousin. Certes, s’il en était ainsi, Summy Skim saurait s’effacer… mais quelle douleur serait la sienne!

«Avec qui? répéta-t-il d’une voix si pleine de larmes que te rire de Jane en fut arrêté.

– Mais avec vous, monsieur Skim, dit-elle. Cela va de soi. A quoi bon?..

Elle n’eut pas le temps d’achever.

Summy s’était précipité. Il l’avait enlevée comme une plume dans ses grands bras, et maintenant, il l’emportait dans une sarabande effrénée, en l’embrassant de tout son cœur. Jane avait beau se débattre et se défendre. Summy, éperdu, ne sentait plus les coups. C’est seulement lorsque, hors d’haleine, il dut s’écrouler dans un fauteuil en soufflant comme un phoque, qu’il se résigna à lâcher son léger fardeau.

«Grand fou! fit Jane ni fâchée, ni rieuse, en rajustant sa coiffure dont l’harmonie était gravement compromise.

Sans paraître s’occuper de Ben Raddle qui regardait Edith en silence, ni de sa cousine dont les yeux restaient obstinément baissés, Jane reprit sa phrase interrompue par le délire de Summy:

«A quoi bon demander ce qu’on sait d’avance? Il est aussi clair que je me marie avec vous, monsieur Skim, que M. Raddle épouse ma cousine.

Les paupières d’Edith battirent légèrement.

– Confirmez-vous, miss Edith, ce que vient de dire votre cousine? demanda Ben Raddle d’une voix un peu tremblante.

Pour toute réponse, la jeune fille montra son clair regard et d’un geste loyal tendit la main.

L’enthousiasme de Summy Skim ne connut plus de bornes. Agité, trépidant, exhilarant, bousculant, renversant les meubles sur son passage, il se mit à parcourir la pièce en tous sens.

– Qu’est-ce que nous faisons là? disait-il. Puisque nous sommes d’accord, pourquoi perdre un temps précieux? Agissons, que diable! Agissons!»

On eut beaucoup de peine à lui faire comprendre qu’un mariage, et, a fortiori, deux mariages, ne pouvaient s’improviser au milieu de la nuit, et on ne parvint à le calmer qu’en s’engageant à réduire au minimum les indispensables délais.

On se hâta, en effet, et, quelques jours plus tard, le double mariage était célébré au temple de Dawson. Ce fut une belle cérémonie. Les aventures des deux couples rendaient ceux-ci légendaires. Toute la population, un peu raréfiée à vrai dire en cette saison par l’exploitation des gisements aurifères, faisait la haie sur le passage du cortège. La beauté impérieuse de Jane, la grâce fière d’Edith, l’air énergique de Ben Raddle et la superbe prestance de Summy Skim furent admirés par un nombreux public.

Ils étaient là, tous les compagnons de misère et de victoire, Lorique, le Scout et le personnel entier de l’expédition du Golden Mount. Edith donnait le bras au docteur Pilcox, plus joyeux et plus rond que jamais, et Jane était conduite à l’autel par le gigantesque Patrick aussi rutilant que le soleil dans la gloire de ses habits neufs. Jane avait voulu qu’il en fût ainsi, et l’Irlandais ne se montrait pas peu fier de l’honneur que lui faisait sa jeune maîtresse, qu’il s’entêtait ingénument à appeler «monsieur Jean», en dépit de sa robe blanche et de son bouquet de fleurs d’oranger.

«Donne-moi le bras, Patrick.

– Oui, monsieur Jean.

– Fais donc attention, Patrick. Tu marches sur la traîne de ma robe.

– Oui, monsieur Jean.»

Il n’en démordait pas. Jane riait de tout son cœur.

Les nouveaux époux quittèrent Dawson le soir même du mariage, sur l’un des steamers descendant le Yukon. Lorique et le Scout les saluèrent de la rive. Le premier, dès le lendemain, se mettrait en route pour reprendre la direction de ses claims. Quant au Scout, il allait retourner à Skagway par la région des lacs en emmenant son personnel; mais, s’il continuait ensuite le dur métier de guide, ce ne serait plus qu’en amateur volontaire. Le Scout, devenu riche, était bien forcé de convenir que la prospection peut quelquefois avoir du bon.

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Montréal vue générale.

Par contre, deux des personnages qui ont figuré dans ce récit descendaient eux aussi le Yukon et se dirigeaient sur Montréal en compagnie des jeunes mariés. Neluto, en effet, avait au dernier moment réussi à prendre une décision: celle de ne pas quitter un aussi déterminé chasseur que Summy Skim. Quant à Patrick, la mort seule aurait pu le séparer de «monsieur Jean».

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Peu à peu, les vivats qui saluaient le départ s’apaisèrent dans le lointain, les lumières de Dawson décrurent, s’éteignirent, et ce fut la nuit tout autour du grand steamer soufflant sans se lasser son halètement robuste. Il faisait beau. Du ciel rempli d’étoiles tombait une douce température, bien rare à cette époque de l’année.

A l’arrière du bateau, Summy Skim avait groupé quatre fauteuils et l’on goûtait paisiblement le charme de l’heure.

Mais bientôt Ben Raddle rompit l’heureux silence. Il n’était pas en son pouvoir d’arrêter le fonctionnement de son cerveau et, déjà, il échafaudait des projets. Appuyé sur une fortune colossale, il pouvait tout entreprendre, désormais. Aussi se laissait-il aller à des rêves qu’il exprimait tout haut. Agir, créer, produire… Transformer le tas d’or en de vastes entreprises, qui se changeraient en or à leur tour, lequel se muerait en entreprises plus vastes et plus nombreuses… Et ainsi de suite… toujours!

Jane écoutait d’une oreille avide et donnait la réplique au frénétique rêveur. Peu à peu, leurs sièges se rapprochèrent l’un de l’autre, puis, las de l’immobilité, ils se levèrent d’un même mouvement et allèrent s’accouder côte à côte au garde-fou, l’un oubliant sa femme, l’autre son mari.

Summy soupira.

«Les voilà partis, tous les deux! dit-il à Edith restée près de lui.

– Il faut, répondit la petite épouse raisonnable, prendre les gens et les aimer comme ils sont.

– Vous avez raison, Edith, reconnut Summy d’un ton peu convaincu.

Mais il avait décidément un vrai chagrin. Un soupir plus gros que le précédent gonfla de nouveau sa poitrine.

«Oui, dit-il encore, les voilà partis. Jusqu’où iront-ils ainsi?

Edith souleva, puis laissa retomber sa main, acceptant du geste l’avenir quel qu’il fût.

«Je connais mon Ben, reprit Summy. Il ne sera pas à Montréal depuis huit jours qu’il aura la nostalgie des aventures. Il voudra repartir, et je crains bien qu’il n’entraîne votre cousine, déjà si peu disposée à voir la vie d’une manière raisonnable.

– S’ils partent, répondit Edith, ils finiront toujours par revenir. Nous les attendrons au logis.

– Ce n’est pas gai, ça, Edith.

– Mais c’est utile, Summy. Pendant qu’ils courront le monde, nous, nous garderons leur maison.

Summy eut un dernier soupir.

– Et nous élèverons leurs enfants,» dit-il, sans bien se rendre compte de ce que sa réponse contenait à la fois de profondeur comique et de sublime abnégation.

 

 

Chapitre XVIII

Dans les délices de Green Valley.

 

’est l’été. Pas un nuage dans l’azur du ciel. Le soleil de midi tombe librement sur la campagne ardente.

Guêtre de cuir, Summy Skim, revenu de la chasse avec Neluto, fume paisiblement sa pipe à l’ombre des grands arbres, devant la maison de Green Valley. A quelques mètres de lui, presque à ses pieds, trois petits enfants – trois ans, cinq ans, six ans –jouent sous la surveillance d’une bonne à l’aspect rassurant. Elle n’a pas moins de six pieds, cette bonne, et sa barbe grisonnante ferait honte à un sapeur. Elle répond, d’ailleurs, au nom de Patrick Richardson, peu à peu transformé en nourrice sèche par la confiance de monsieur Jean.

Si Patrick a vieilli, sa force est restée prodigieuse; mais, cette force, qu’il n’emploie plus à boxer les ours, est maintenant la propriété exclusive des fils de Jane et de Summy. On ne rencontre plus le géant sans les trois bambins, un juché sur l’épaule, un autre assis sur la paume de la main comme sur un fauteuil dont le pouce serait le dossier, le dernier parfois niché dans une poche, car Patrick a cousu lui-même à sa veste des poches spéciales à cet usage. Ils peuvent l’escalader comme une montagne, le piétiner, lui tirer la barbe et les cheveux ou lui enfoncer les doigts dans les yeux. Patrick se laisse faire avec un air béat. C’est un fameux joujou, que Patrick Richardson, pour les petits enfants.

Les douze coups de midi vont sonner quand une jeune femme arrive au trot allongé d’un bon cheval. Summy se lève et court aider l’écuyère qu’il serre dans ses grands bras, comme jadis dans le salon de Northern Hôtel. Un peu plus, Summy danserait comme il le fit alors. Mais Summy Skim ne danse plus depuis qu’il a commencé, disons-le tout bas, à bedonner légèrement. Quant à Jane Edgerton, elle n’a pas changé en devenant Jane Skim. Elle est toujours aussi petite, aussi frêle, aussi jolie.

«A table! s’écrie Summy d’une voix joyeuse.

Aussitôt les trois enfants montent à l’assaut de Patrick. L’aîné s’installe sur l’épaule, le cadet dans le creux de la main, le plus petit au fond de la poche.

– Ils ont été sages, Patrick? demande Jane.

– Très sages, monsieur Jean, affirme l’Irlandais.

Au moment où l’on va pénétrer dans la maison, une autre jeune femme apparaît sur le seuil. Celle-ci est blonde. Comment, en effet, Edith Raddle ne serait-elle pas blonde comme l’était Edith Edgerton? Edith tient encore à la main son outil de travail, la plume agile dont elle sait faire si bon usage.

– Ben n’est pas arrivé? interroge Jane.

– Non, répond Edith. Il ne sera pas ici avant trois heures.»

On entre. On se met à table. Tout, dans la demeure, comme au dehors, a gardé la simplicité d’autrefois. Une aile, simplement, a été ajoutée à la vieille bâtisse pour loger les nouveaux habitants.

On cause tout en déjeunant. Les paroles sont calmes et bienveillantes. Cette journée n’a rien de particulier. C’est la longue chaîne des jours heureux et pareils qui continue à dérouler ses maillons.

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Le bonheur plane sur la maison paisible.

Des années ont coulé, depuis les aventures du Golden Mount et le retour à Montréal, sans atténuer le double amour né sous le ciel glacé du Klondike. Jane et Summy, Edith et Ben ne font qu’un seul être, et chacun d’eux sent quatre cœurs battre dans sa poitrine.

Les craintes de Summy ne se sont pas réalisées. Aidé en cela par Edith; il a été assez diplomate pour canaliser le besoin d’action de sa femme. C’est chose faite aujourd’hui, et il va repris confiance dans la solidité d’un lien que la naissance des enfants est d’ailleurs venue consolider.

Puisque la question d’argent ne comptait plus pour lui, il en a profité pour agrandir ses terres. Maintenant c’est de tout un pays qu’il est le roi incontesté. Jane y a trouvé l’aliment nécessaire à son activité. Elle s’est passionnée pour l’exploitation agricole de ces vastes espaces, et ses hangars sont remplis de machines perfectionnées que son cerveau ingénieux améliore sans cesse.

Edith est l’administrateur delà communauté. C’est elle qui tient les comptes. Elle examine, juge et décide en dernier ressort, tous s’inclinant devant son infaillible bon sens. Lorsque Jane se laisse emporter par son imagination, et menace de s’engager sur une voie hasardeuse, sa cousine est là pour crier «casse cou!» et pour remettre les choses en équilibre.

Il n’y a que Summy qui soit capable de troubler sa gestion. Ce détestable propriétaire, sous prétexte qu’il est trop riche, s’obstine à rendre en cachette la majeure partie des loyers que lui versent ses fermiers. Edith gronde pour la forme, car, après tout, c’est vrai qu’on est trop riche.

Summy a beau donner, en effet, il ne peut arriver à dépenser l’argent aussi vite que Ben Raddle le gagne.

Avant d’être définitivement épuisés, les claims du Forty Miles ont produit vingt fois leur première récolte, et, cet or, Ben Raddle n’en a pas thésaurisé une parcelle. Il l’a répandu dans tous les coins du monde, d’où il s’obstine sans cesse à revenir décuplé, pour repartir sans cesse en de nouveaux voyages.

L’ingénieur, appuyé sur une si formidable puissance, a réalisé son rêve. Il a fait de tout, il s’est intéressé à tout, donnant, pour son plaisir, sa vie entière à un travail acharné. Le jour est proche où il fera partie de la tribu des milliardaires, ce qui lui sera un motif de travailler davantage. Tout lui réussit. Il a spéculé avec le même bonheur sur les cotons, les laines, les sucres et les cuirs, et l’argent gagné est allé travailler lui aussi dans les entreprises les plus disparates. Aujourd’hui, il possède des mines de cuivre et de charbon, des lignes de chemin de fer dans l’Amérique du Sud et dans les Balkans, des puits de pétrole au Texas et en Roumanie, des stations centrales électriques et beaucoup d’autres choses encore. Hier, il vient de fonder le trust de l’étain. Il fondera demain celui du nickel.

Au milieu de ces multiples affaires, Ben Raddle ne s’y reconnaîtrait pas, si Edith n’était pas là pour administrer son œuvre. Jour par jour, heure par heure, il est tenu au courant de sa situation. Il n’a à s’occuper de rien, et, sans souci, il peut créer.

Ben Raddle est un homme heureux.

Mais cet homme heureux n’est jamais là, et c’est le seul point noir dans la vie de Summy. Toujours par monts et par vaux, il passe et disparaît comme l’éclair. Au passage, il embrasse affectueusement sa femme qui l’accueille en souriant et le laisse repartir sans une observation. Edith, avec son calme accoutumé, attend son heure qu’à des signes certains elle sait être désormais prochaine.

Summy Skim est moins patient, et il ne se gêne pas pour accabler Ben Raddle des plus vifs reproches. Celui-ci le laisse dire d’abord, puis il se fâche, ce qui a pour effet de couper court à la morale.

Summy, quand son cousin est reparti pour une nouvelle tournée, est le premier, d’ailleurs, à l’excuser.

«Il ne faut pas en vouloir à mon pauvre Ben, a-t-il coutume de dire à Edith, s’il est toujours prêt à faire éruption. Après tout, quand on a eu un volcan dans sa vie, il vous en reste toujours quelque chose.»

FIN.

Poprzednia część

 

1 100.876 fr. 35.

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