Jules Verne Forum

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A propos de Frritt Flacc...

From: Lionel Dupuy <dupuy.lionel1~at~voila.fr>
Date: Tue, 15 Feb 2005 23:27:27 +0100 (CET)
To: jvf~at~Gilead.org.il


Bonjour à toutes et à tous,
Je viens de relire Frritt Flacc dans le cadre de l&#8217;édition commentée par Jean-Pierre Picot : Maître Zacharius et autres récits (éditions José Corti). J&#8217;aimerais vous faire partager quelques réflexions, issues de ma lecture à la fois du récit de Verne mais aussi de l&#8217;analyse de Jean-Pierre Picot. Je n&#8217;ai pas l&#8217;intention de réfuter l&#8217;analyse de ce dernier, bien au contraire, je voudrais apporter simplement quelques remarques personnelles. Dites-moi ce que vous en pensez, merci d&#8217;avance.
J&#8217;ai parcouru ainsi le Forum Jules Verne afin de savoir si une étude détaillée de ce récit existait. A priori non, tellement ce dernier est difficile à analyser, Jules Verne nous faisant voyager dans un univers a priori bien différent de celui auquel nous avons l&#8217;habitude. Pour autant, et partant de l&#8217;analyse de JP Picot qui décrit Frritt Flacc comme le « négatif » de Mathias Sandorf, je pense qu&#8217;en réalité nous avons bien affaire à un négatif, avec tout ce que cela implique, mais pas de Mathias Sandorf. Je pense plutôt au Voyage au centre de la terre, publié 20 ans exactement plus tôt. Pourquoi ?
Plusieurs éléments me font penser à ce roman&#8230; A ce titre, je vais me référer à l&#8217;analyse présente dans mon site internet, dans laquelle je montre que nous avons affaire à un voyage dans le temps qui met en scène une forme d&#8217;ubiquité temporelle qui renforce la dimension imaginaire d&#8217;un récit déjà à l&#8217;origine purement imaginaire. Frritt Flacc procède de la même logique, à mon avis.
L&#8217;espace, le territoire décrit dans Frritt Flacc est inconnu, Jules Verne insistant d&#8217;ailleurs beaucoup sur ce point : nous avons affaire à un territoire purement imaginaire (comme dans Voyage au centre de la terre), une sorte de 4° dimension, à la fois de l&#8217;espace et du temps&#8230; Tout n&#8217;est qu&#8217;affaire de « positif » et de « négatif », pour reprendre la terminologie de JP Picot : Frritt (le vent qui souffle) est le négatif de Flacc (la pluie qui tombe), ou autrement dit, l&#8217;air contre l&#8217;eau. Il nous manque 2 éléments : la terre et le feu : la terre, c&#8217;est ce territoire inconnu (l&#8217;imaginaire géographique), et le volcan en arrière-plan représente bien sûr le feu. Tous les éléments « physiques » du Voyage au centre de la terre sont ainsi réunis, mais ils sont sur terre, et non pas sous terre (=> « négatif »).
A l&#8217;image d&#8217;une représentation de théâtre, l&#8217;acteur principal décide enfin à se montrer après le troisième coup de bâton : après la fille, la femme, c&#8217;est au tour de la mère (= la mer qui est autour) de frapper trois fois (froc froc froc !), ce qui décide enfin le docteur Trifulgas (= trois fois le gars) à se lever et aller soigner ce pauvre homme, contre cent vingt fretzers&#8230;
La lumière s&#8217;allume enfin dans cet univers si obscur (!) : car l&#8217;unité de mesure retenue pour calculer les distances est la « kerste ». En allemand, « kerze » = bougie, chandelle, cierge&#8230; La distance à parcourir se mesure donc en « unité de lumière », autrement dit « le positif » de ce qui se passait avant, là où tout va changer pour le docteur, là où il va partir doucement vers sa propre mort&#8230; car au fond du tunnel il y a toujours une lumière qui vous guide pour un passage vers l&#8217;au-delà. C&#8217;est à partir de là qu&#8217;il y a une inversion dialectique, comme dans Voyage au centre de la terre).
Remarquez d&#8217;autre part que le volcan est toujours en arrière-plan, qu&#8217;il domine la situation, qu&#8217;il donne le chemin à suivre (pensez toujours au Voyage au centre de la terre&#8230;). JP Picot propose pour « kerstes » la déformation de « verstes », présents dans Michel Strogoff (c&#8217;est une ancienne unité de distance utilisée en Russie). Personnellement je ne suis pas convaincu, sans vouloir manquer de respect à Mr Picot, bien sûr. Je pense plus à cette idée de lumière (au bout du chemin&#8230;). Mais de toute façon, on peut en dire autant de mes propositions !!!
De la même manière, je ne considère pas le volcan ici comme l&#8217;autoreprésentation de JV qui domine la scène : je pense plutôt, au contraire, à une référence commune aux deux romans, reliés tous les deux par un conduit volcanique qui doit nous éclairer sur l&#8217;analyse que nous pouvons faire de ces deux romans (a fortiori si nous les mettons en relations !).
« Tout à coup, le Vanglor détone, secoué jusque dans les contreforts de sa base. » : c&#8217;est à partir de là que la dialectique de l&#8217;espace et du temps s&#8217;inverse donc. Rappelez-vous mon analyse sur le Voyage au centre de la terre, où, à partir d&#8217;un relevé minutieux de l&#8217;itinéraire et de la chronologie du voyage j&#8217;ai montré que les héros reviennent sur leurs pas, et que pour autant ils se retrouvent sous le Stromboli. La même chose arrive au docteur Trifulgas : « A mesure qu&#8217;il s&#8217;avance, la maison se dessine mieux, étant isolée au milieu de la lande. Il est singulier d&#8217;observer à quel point elle ressemble à celle du docteur, aux Six-Quatre de Luktrop. »
Ce « Six-Quatre », qu&#8217;est-ce donc ? Tout simplement le compte à rebours de cette mort qui avance, alors qu&#8217;au contraire, dans le Voyage au centre de la terre, elle recule, et toujours grâce à une inversion de cette dialectique de l&#8217;espace et du temps&#8230; Pourtant il est bien « au Val Karniou » ! Comme dans le Voyage au centre de la terre : pourtant ils sont bien sous le Stromboli ! Jules Verne nous dit d&#8217;ailleurs « Puis, une fenêtre à guillotine s&#8217;ouvre au-dessus de la porte du Six-Quatre » : l&#8217;allégorie de la mort ne peut être plus explicite !
D&#8217;autre part, l&#8217;idée développée par JP Picot selon laquelle les trois femmes qui se succèdent n&#8217;en forment qu&#8217;une, mais une vieillissante à mesure que la mort approche, renforce notre idée de ce temps qui avance alors que dans le Voyage au centre de la terre nos héros remonte justement le cours du temps pour arriver aux origines de l&#8217;homme&#8230;
Frritt Flacc met donc en scène 3 femmes (fille, femme, mère), un homme (le docteur) : Voyage au centre de la terre met en scène 3 hommes (Axel, Lidenbrock et Hans) et une femme principale (Grauben, en écartant volontairement Marthe). Ces 3 femmes (de Frritt Flacc) sont les négatifs des 3 hommes du Voyage au centre de la terre. Grauben est le positif du docteur Trifulgas, ce dernier qui va mourir alors que Grauben, en pouvant enfin se marier, va pouvoir vivre réellement&#8230; On peut aussi associer ce docteur qui va mourir a Saknussemm (le savant qui est mort&#8230;).
Si je ne me trompe pas, dans ce même forum, JM Margot proposait d&#8217;analyser « Six Quatre » par rapport à la musique et surtout à la gestion du temps en musique. Cette remarque me fait penser, non pas à Chopin, comme le souligne JP Picot (mais je suis quand même d&#8217;accord avec lui), mais en réalité à Bach : depuis tout petit je joue du piano, et en particulier du Bach et du Mozart (je ne suis pas aussi doué que je le voudrais&#8230;). Pour autant, cela me permet de faire une autre référence : JS Bach, compositeur allemand (cf ma traduction de « bougie ») est le spécialiste de ce que l&#8217;on appelle « le contrepoint »&#8230; Jules Verne nous propose ainsi une partition de musique composée de deux pièces qui se jouent évidemment en contrepoint, en négatif (ou en positif) l&#8217;une par rapport à l&#8217;autre avec en filigrane l&#8217;allégorie de la mort qui plane au-dessus (dans Frritt Flacc) ou au-dessous de nous (dans le plus profond centre de la terre, là où repose la dépouille de Saknussemm)&#8230; Telle est la mesure du temps qui avance inéluctablement&#8230; Le titre « Frritt Flacc » avec le redoublement systématique du « r », du « t » et du « c » est là pour nous indiquer que la lecture de cette courte nouvelle doit être double mais aussi inversée&#8230; Enfin, telle est mon analyse. Faites-moi part maintenant de vos remarques et critiques. Merci d&#8217;avance.
Cordialement, lionel
Lionel Dupuy
33 chemin de Bernès
64230 Sauvagnon
http://perso.wanadoo.fr/jules-verne
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Received on Wed 16 Feb 2005 - 00:27:34 IST

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