Jules Verne Forum

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Re: A propos de Frritt Flacc...

From: Jean-Pierre Boutin <boutin~at~versailles.inra.fr>
Date: Wed, 16 Feb 2005 18:42:18 +0100
To: Jules Verne Forum <jvf~at~gilead.org.il>


Cher Lionel,
Très intéressante analyse littéraire ... mais cette nouvelle, qui frise
la perfection, a-t-elle besoin d'analyses pour être ressentie et
appréciée?... Les analyses publiées à son sujet la dépassent de loin
... du moins par la seule longueur de leurs textes cumulés.
Je vois cependant dans votre analyse, comme dans celle de J-P Picot, de
nombreuses imperfections.
Par exemple si j'étais chinois, je vous dirais que les deux éléments
déchaînés de la nature, le vent et l'eau, qui dominent Frritt Flacc me
font penser au feng shui ... que JV a dû connaître dans une autre vie.
Le long repliement de l'espace et du temps que l'on trouve dans Frritt
Flacc, c.a.d. cette longue agonie de Trifulgas, dont il est sans le
savoir, le témoin ... tout cela me fait penser aux trous noirs, à "2001
Odyssée de l'espace" ... encore des prédictions non répertoriées de JV
...
Six-Quatre me font penser à Six-Four (je pense que cela a déjà été dit
sur ce Forum) situé dans la presqu'île de Gien, pas très loin de
l'endroit ou il allait voir Hetzel et d'Ennery (pour l'adaptation de
ses VE au théâtre pour ce dernier). Séjours jamais heureux selon sa
correspondance ... ne pensez vous pas que l'un ou l'autre de ses hôtes
pourraient bien être de bons candidats pour ... le personnage Trifulgas
?
Enfin, pourquoi écarter Marthe plutôt que Grauben ... et surtout
pourquoi en écarter une...? Quatre ne font pas une trinité ... sauf
dans les "Trois mousquetaires" ... encore une référence oubliée.

Evidemment tout cela c'est mon délire ... mais je me suis bien amusé
... j'espère que vous aussi en faisant votre analyse et en lisant cette
réponse qui n'est qu'humoristique ... oui je sais mon humour est
parfois mal perçu sur ce forum ... mais je prends le risque et surtout
je préviens .... Remercions Jules Verne qui, dans Frritt Flacc, nous a
étonné ... au fait était-il conscient qu'il écrivait un petit chef
d'oeuvre en rédigeant Frritt Flacc?

Amicalement,
Jean-pierre


Le mardi, 15 fév 2005, à 23:27 Europe/Paris, Lionel Dupuy a écrit :

> Bonjour à toutes et à tous,
>
> Je viens de relire Frritt Flacc dans le cadre de l’édition commentée
> par Jean-Pierre Picot : Maître Zacharius et autres récits (éditions
> José Corti). J’aimerais vous faire partager quelques réflexions,
> issues de ma lecture à la fois du récit de Verne mais aussi de
> l’analyse de Jean-Pierre Picot. Je n’ai pas l’intention de réfuter
> l’analyse de ce dernier, bien au contraire, je voudrais apporter
> simplement quelques remarques personnelles. Dites-moi ce que vous en
> pensez, merci d’avance.
>
> J’ai parcouru ainsi le Forum Jules Verne afin de savoir si une étude
> détaillée de ce récit existait. A priori non, tellement ce dernier est
> difficile à analyser, Jules Verne nous faisant voyager dans un univers
> a priori bien différent de celui auquel nous avons l’habitude. Pour
> autant, et partant de l’analyse de JP Picot qui décrit Frritt Flacc
> comme le « négatif » de Mathias Sandorf, je pense qu’en réalité nous
> avons bien affaire à un négatif, avec tout ce que cela implique, mais
> pas de Mathias Sandorf. Je pense plutôt au Voyage au centre de la
> terre, publié 20 ans exactement plus tôt. Pourquoi ?
>
> Plusieurs éléments me font penser à ce roman… A ce titre, je vais me
> référer à l’analyse présente dans mon site internet, dans laquelle je
> montre que nous avons affaire à un voyage dans le temps qui met en
> scène une forme d’ubiquité temporelle qui renforce la dimension
> imaginaire d’un récit déjà à l’origine purement imaginaire. Frritt
> Flacc procède de la même logique, à mon avis.
>
> L’espace, le territoire décrit dans Frritt Flacc est inconnu, Jules
> Verne insistant d’ailleurs beaucoup sur ce point : nous avons affaire
> à un territoire purement imaginaire (comme dans Voyage au centre de la
> terre), une sorte de 4° dimension, à la fois de l’espace et du temps…
> Tout n’est qu’affaire de « positif » et de « négatif », pour reprendre
> la terminologie de JP Picot : Frritt (le vent qui souffle) est le
> négatif de Flacc (la pluie qui tombe), ou autrement dit, l’air contre
> l’eau. Il nous manque 2 éléments : la terre et le feu : la terre,
> c’est ce territoire inconnu (l’imaginaire géographique), et le volcan
> en arrière-plan représente bien sûr le feu. Tous les éléments
> « physiques » du Voyage au centre de la terre sont ainsi réunis, mais
> ils sont sur terre, et non pas sous terre (=> « négatif »).
>
> A l’image d’une représentation de théâtre, l’acteur principal décide
> enfin à se montrer après le troisième coup de bâton : après la fille,
> la femme, c’est au tour de la mère (= la mer qui est autour) de
> frapper trois fois (froc froc froc !), ce qui décide enfin le docteur
> Trifulgas (= trois fois le gars) à se lever et aller soigner ce pauvre
> homme, contre cent vingt fretzers…
>
> La lumière s’allume enfin dans cet univers si obscur (!) : car l’unité
> de mesure retenue pour calculer les distances est la « kerste ». En
> allemand, « kerze » = bougie, chandelle, cierge… La distance à
> parcourir se mesure donc en « unité de lumière », autrement dit « le
> positif » de ce qui se passait avant, là où tout va changer pour le
> docteur, là où il va partir doucement vers sa propre mort… car au fond
> du tunnel il y a toujours une lumière qui vous guide pour un passage
> vers l’au-delà. C’est à partir de là qu’il y a une inversion
> dialectique, comme dans Voyage au centre de la terre).
>
> Remarquez d’autre part que le volcan est toujours en arrière-plan,
> qu’il domine la situation, qu’il donne le chemin à suivre (pensez
> toujours au Voyage au centre de la terre…). JP Picot propose pour
> « kerstes » la déformation de « verstes », présents dans Michel
> Strogoff (c’est une ancienne unité de distance utilisée en Russie).
> Personnellement je ne suis pas convaincu, sans vouloir manquer de
> respect à Mr Picot, bien sûr. Je pense plus à cette idée de lumière
> (au bout du chemin…). Mais de toute façon, on peut en dire autant de
> mes propositions !!!
>
> De la même manière, je ne considère pas le volcan ici comme
> l’autoreprésentation de JV qui domine la scène : je pense plutôt, au
> contraire, à une référence commune aux deux romans, reliés tous les
> deux par un conduit volcanique qui doit nous éclairer sur l’analyse
> que nous pouvons faire de ces deux romans (a fortiori si nous les
> mettons en relations !).
>
> « Tout à coup, le Vanglor détone, secoué jusque dans les contreforts
> de sa base. » : c’est à partir de là que la dialectique de l’espace et
> du temps s’inverse donc. Rappelez-vous mon analyse sur le Voyage au
> centre de la terre, où, à partir d’un relevé minutieux de l’itinéraire
> et de la chronologie du voyage j’ai montré que les héros reviennent
> sur leurs pas, et que pour autant ils se retrouvent sous le Stromboli.
> La même chose arrive au docteur Trifulgas : « A mesure qu’il s’avance,
> la maison se dessine mieux, étant isolée au milieu de la lande. Il est
> singulier d’observer à quel point elle ressemble à celle du docteur,
> aux Six-Quatre de Luktrop. »
>
> Ce « Six-Quatre », qu’est-ce donc ? Tout simplement le compte à
> rebours de cette mort qui avance, alors qu’au contraire, dans le
> Voyage au centre de la terre, elle recule, et toujours grâce à une
> inversion de cette dialectique de l’espace et du temps… Pourtant il
> est bien « au Val Karniou » ! Comme dans le Voyage au centre de la
> terre : pourtant ils sont bien sous le Stromboli ! Jules Verne nous
> dit d’ailleurs « Puis, une fenêtre à guillotine s’ouvre au-dessus de
> la porte du Six-Quatre » : l’allégorie de la mort ne peut être plus
> explicite !
>
> D’autre part, l’idée développée par JP Picot selon laquelle les trois
> femmes qui se succèdent n’en forment qu’une, mais une vieillissante à
> mesure que la mort approche, renforce notre idée de ce temps qui
> avance alors que dans le Voyage au centre de la terre nos héros
> remonte justement le cours du temps pour arriver aux origines de
> l’homme…
>
> Frritt Flacc met donc en scène 3 femmes (fille, femme, mère), un homme
> (le docteur) : Voyage au centre de la terre met en scène 3 hommes
> (Axel, Lidenbrock et Hans) et une femme principale (Grauben, en
> écartant volontairement Marthe). Ces 3 femmes (de Frritt Flacc) sont
> les négatifs des 3 hommes du Voyage au centre de la terre. Grauben est
> le positif du docteur Trifulgas, ce dernier qui va mourir alors que
> Grauben, en pouvant enfin se marier, va pouvoir vivre réellement… On
> peut aussi associer ce docteur qui va mourir a Saknussemm (le savant
> qui est mort…).
>
> Si je ne me trompe pas, dans ce même forum, JM Margot proposait
> d’analyser « Six Quatre » par rapport à la musique et surtout à la
> gestion du temps en musique. Cette remarque me fait penser, non pas à
> Chopin, comme le souligne JP Picot (mais je suis quand même d’accord
> avec lui), mais en réalité à Bach : depuis tout petit je joue du
> piano, et en particulier du Bach et du Mozart (je ne suis pas aussi
> doué que je le voudrais…). Pour autant, cela me permet de faire une
> autre référence : JS Bach, compositeur allemand (cf ma traduction de
> « bougie ») est le spécialiste de ce que l’on appelle « le
> contrepoint »… Jules Verne nous propose ainsi une partition de musique
> composée de deux pièces qui se jouent évidemment en contrepoint, en
> négatif (ou en positif) l’une par rapport à l’autre avec en filigrane
> l’allégorie de la mort qui plane au-dessus (dans Frritt Flacc) ou
> au-dessous de nous (dans le plus profond centre de la terre, là où
> repose la dépouille de Saknussemm)… Telle est la mesure du temps qui
> avance inéluctablement… Le titre « Frritt Flacc » avec le redoublement
> systématique du « r », du « t » et du « c » est là pour nous indiquer
> que la lecture de cette courte nouvelle doit être double mais aussi
> inversée… Enfin, telle est mon analyse. Faites-moi part maintenant de
> vos remarques et critiques. Merci d’avance.
>
> Cordialement, lionel
>
> Lionel Dupuy
> 33 chemin de Bernès
> 64230 Sauvagnon
> http://perso.wanadoo.fr/jules-verne
>
>  
>
>  
>
>
> ------------------------------------------
>
> Faites un voeu et puis Voila ! www.voila.fr
>
Received on Wed 16 Feb 2005 - 19:42:25 IST

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