Jules Verne
L'île à hélice
Première partie
(XIII-XIV)
© Andrzej Zydorczak
Premièrepartie
’archipel de la Société ou de Taïti est compris entre le quinzième (15° 52’) degré et le dix-septième (17° 49’) degré de latitude méridionale, et entre le cent-cinquantième (150° 8’) degré et le cent-cinquante-sixième (156° 30’) de longitude à l’ouest du méridien de Paris. Il couvre deux mille deux cents kilomètres superficiels.
Deux groupes le constituent: 1° les îles du Vent, Taïti ou Tahiti-Tahaa, Tapamanoa, Eimeo ou Morea, Tetiaroa, Meetia, qui sont sous le protectorat de la France; 2° les îles Sous-le-Vent, Tubuai, Manu, Huahine, Raiatea-Thao, Bora-Bora, Moffy-Iti, Maupiti, Mapetia, Bellingshausen, Scilly, gouvernées par les souverains indigènes.
Les Anglais les nomment îles Géorgiennes, bien que Cook, leur découvreur, les ait baptisées du nom d’archipel de la Société, en l’honneur de la Société Royale de Londres. Situé à deux cent cinquante lieues marines des Marquises, ce groupe, d’après les divers recensements faits dans ces derniers temps, ne compte que quarante mille habitants étrangers ou indigènes.
En venant du nord-est, Taïti est la première des îles du Vent qui apparaisse aux regards des navigateurs. Et c’est elle que les vigies de l’observatoire signalent d’une grande distance, grâce au mont Maiao ou Diadème qui pointe à mille deux cent trente-neuf mètres au-dessus du niveau de la mer.
La traversée s’est accomplie sans incidents. Aidée par les vents alizés, Standard-Island a parcouru ces eaux admirables au-dessus desquelles le soleil se déplace en descendant vers le tropique du Capricorne. Encore deux mois et quelques jours, l’astre radieux l’aura atteint, il remontera vers la ligne équatoriale, l’île à hélice l’aura à son zénith pendant plusieurs semaines d’ardente chaleur; puis elle le suivra, comme un chien suit son maître, en s’en tenant à la distance réglementaire.
C’est la première fois que les Milliardais vont relâcher à Taïti. L’année précédente, leur campagne avait commencé trop tard. Ils n’étaient pas allés plus loin dans l’ouest, et, après avoir quitté les Pomotou, avaient remonté vers l’Équateur. Or, cet archipel de la Société, c’est le plus beau du Pacifique. En le parcourant, nos Parisiens ne pourraient qu’apprécier davantage tout ce qu’il y avait d’enchanteur dans ce déplacement d’un appareil libre de choisir ses relâches et son climat.
«Oui!… Mais nous verrons ce que sera la fin de cette absurde aventure! conclue invariablement Sébastien Zorn.
– Eh! que cela ne finisse jamais, c’est tout ce que je demande!» s’écrie Yvernès.
Standard-Island arrive en vue de Taïti dès l’aube du 17 octobre. L’île se présente par son littoral du nord. Pendant la nuit, on a relevé le phare de la pointe Vénus. La journée eût suffi à rallier la capitale Papeeté, située au nord-ouest, au delà de la pointe. Mais le conseil des trente notables s’est réuni sous la présidence du gouverneur. Comme tout conseil bien équilibré, il s’est scindé en deux camps. Les uns, avec Jem Tankerdon, se sont prononcés pour l’ouest; les autres, avec Nat Coverley, se sont prononcés pour l’est. Cyrus Bikerstaff, ayant voix prépondérante en cas de partage, a décide que l’on gagnera Papeeté en contournant l’île par le sud. Cette décision ne peut que satisfaire le quatuor, car elle lui permettra d’admirer dans toute sa beauté cette perle du Pacifique, la Nouvelle Cythère de Bougainville.
Taïti présente une superficie de cent-quatre mille deux cent quinze hectares, – neuf fois environ la surface de Paris. Sa population, qui en 1875 comprenait sept mille six cents indigènes, trois cents Français, onze cents étrangers, n’est plus que de sept mille habitants. En plan géométral, elle offre très exactement la forme d’une gourde renversée, le corps de la gourde étant l’île principale, réunie au goulot que dessine le presqu’île de Tatarapu par l’étranglement de l’isthme de Taravao.
C’est Frascolin qui a fait cette comparaison en étudiant la carte à grands points de l’archipel, et ses camarades la trouvent si juste qu’ils baptisent Taïti de ce nouveau nom: la Gourde des tropiques.
Administrativement, Taïti se partage en six divisions, morcelées en vingt et un districts, depuis l’établissement du protectorat du 9 septembre 1842. On n’a point oublié les difficultés qui survinrent entre l’amiral Dupetit-Thouars, la reine Pomaré et l’Angleterre, à l’instigation de cet abominable trafiquant de bibles et de cotonnades qui s’appelait Pritchard, si spirituellement caricaturé dans les Guêpes d’Alphonse Karr.
Mais ceci est de l’histoire ancienne, non moins tombée dans l’oubli que les faits et gestes du fameux apothicaire anglo-saxon.
Standard-Island peut se risquer sans danger à un mille des contours de la Gourde des tropiques. Cette gourde repose, en effet, sur une base coralligène, dont les assises descendent à pic dans les profondeurs de l’Océan. Mais, avant de l’approcher d’aussi près, la population milliardaise a pu contempler sa masse imposante, ses montagnes plus généreusement favorisées de la nature que celles des Sandwich, ses cimes verdoyantes, ses gorges boisées, ses pics qui se dressent comme les pinacles aigus d’une cathédrale gigantesque, la ceinture de ses cocotiers arrosée par l’écume blanche du ressac sur l’accore des brisants.
Durant cette journée, en prolongeant la côte occidentale, les curieux, placés aux environs de Tribord-Harbour, la lorgnette aux yeux, – et les Parisiens ont chacun la leur, – peuvent s’intéresser aux mille détails du littoral: le district de Papenoo, dont on aperçoit la rivière à travers sa large vallée depuis la base des montagnes et qui se jette dans l’Océan, à l’endroit où le récif manque sur un espace de plusieurs milles; Hitiaa, un port très sûr, et d’où l’on exporte pour San-Francisco des millions et des millions d’oranges; Mahaena, où la conquête de l’île ne se termina, en 1845, qu’au prix d’un terrible combat contre les indigènes.
Dans l’après-midi, on est arrivé par le travers de l’étroit isthme de Taravao. En contournant la presqu’île, le commodore Simcoë s’en approche assez pour que les fertiles campagnes du district de Tautira, les nombreux cours d’eau qui en font l’un des plus riches de l’archipel se laissent admirer dans toute leur splendeur. Tatarapu, reposant sur son assiette de corail, dresse majestueusement les âpres talus de ses cratères éteints.
Puis, le soleil déclinant sur l’horizon, les sommets s’empourprent une dernière fois, les tons s’adoucissent, les couleurs se fondent en une brume chaude et transparente. Ce n’est bientôt plus qu’une masse confuse dont les effluves, chargés de la senteur des orangers et des citronniers, se propagent avec la brise du soir. Après un très court crépuscule, la nuit est profonde.
Standard-Island double alors l’extrême pointe du sud-est de la presqu’île, et, le lendemain, elle évolue devant la côte occidentale de l’isthme à l’heure où se lève le jour.
Le district de Taravao, très cultivé, très peuplé, montre ses belles routes, entre les bois d’orangers, qui le rattachent au district de Papeari. Au point culminant se dessine un fort, commandant les deux côtés de l’isthme, défendu par quelques canons dont la volée se penche hors des embrasures comme des gargouilles de bronze. Au fond se cache le port Phaéton.
«Pourquoi le nom de ce présomptueux cocher du char solaire rayonne-t-il sur cet isthme?» se demande Yvernès.
La journée, sous lente allure, s’emploie à suivre les contours, plus accentués de la substruction coralligène, qui marque l’ouest de Taïti. De nouveaux districts développent leurs sites variés, – Papéiri aux plaines marécageuses par endroits, Mataiea, excellent port de Papeuriri, puis une large vallée parcourue par la rivière Vaihiria, et, au fond, cette montagne de cinq cents mètres, sorte de pied de lavabo, supportant une cuvette d’un demi-kilomètre de circonférence. Cet ancien cratère, sans doute plein d’eau douce, ne paraît avoir aucune communication avec la mer.
Après le district d’Ahauraono, adonné aux vastes cultures du coton sur une grande échelle, après le district de Papara, qui est surtout livré aux exploitations agricoles, Standard-Island, au delà de la pointe Mara, prolonge la grande vallée de Paruvia, détachée du Diadème, et arrosée par le Punarûn. Plus loin que Taapuna, la pointe Tatao et l’embouchure de la Faà, le commodore Simcoë incline légèrement vers le nord-est, évite adroitement l’îlot de Motu-Uta, et, à six heures du soir, vient s’arrêter devant la coupure qui donne accès dans la baie de Papeeté.
A l’entrée se dessine, en sinuosités capricieuses à travers le récif de corail, le chenal que balisent jusqu’à la pointe de Farente des canoas hors d’usage. Il va de soi que Ethel Simcoë, grâce à ses cartes, n’a pas besoin de recourir aux pilotes dont les baleinières croisent à l’ouvert du chenal. Une embarcation sort cependant, ayant un pavillon jaune à sa poupe. C’est «la santé» qui vient prendre langue au pied de Tribord-Harbour. On est sévère à Taïti, et personne ne peut débarquer avant que le médecin sanitaire, accompagné de l’officier de port, n’ait donné libre pratique.
Aussitôt rendu à Tribord-Harbour, ce médecin se met en rapport avec les autorités. Il n’y a là qu’une simple formalité. De malades, on n’en compte guère à Milliard-City ni aux environs. Dans tous les cas, les maladies épidémiques, choléra, influenza, fièvre jaune, y sont absolument inconnues. La patente nette est donc délivrée selon l’usage. Mais, comme la nuit, précédé de quelques ébauches crépusculaires, tombe rapidement, le débarquement est remis au lendemain, et Standard-Island s’endort en attendant le lever du jour.
Dès l’aube, des détonations retentissent. C’est la batterie de l’Éperon qui salue de vingt et un coups de canon le groupe des îles Sous-le-Vent, et Taïti, la capitale du protectorat français. En même temps, sur la tour de l’observatoire, le pavillon rouge à soleil d’or monte et descend trois fois.
Une salve identique est rendue coup pour coup par la batterie de l’Embuscade, à la pointe de la grande passe de Taïti.
Tribord-Harbour est encombré des les premières heures. Les trams y amènent une affluence considérable de touristes pour la capitale de l’archipel. Ne doutez pas que Sébastien Zorn et ses amis soient des plus impatients. Comme les embarcations ne pourraient suffire à transporter ce monde de curieux, les indigènes s’empressent d’offrir leurs services pour franchir la distance de six encablures qui sépare Tribord-Harbour du port.
Toutefois, il est convenable de laisser le gouverneur débarquer le premier. Il s’agit de l’entrevue d’usage avec les autorités civiles et militaires de Taïti, et de la visite non moins officielle qu’il doit rendre à la reine.
Donc, vers neuf heures, Cyrus Bikerstaff, ses adjoints Barthélémy Ruge et Hubert Harcourt, tous trois en grande tenue, les principaux notables des deux sections, entre autres Nat Coverley et Jem Tankerdon, le commodore Simcoë et ses officiers en uniformes brillants, le colonel Stewart et son escorte, prennent place dans les chaloupes de gala, et se dirigent vers le port de Papeeté.
Sébastien Zorn, Frascolin, Yvernès, Pinchinat, Athanase Dorémus, Calistus Munbar, occupent une autre embarcation avec un certain nombre de fonctionnaires.
Des canots, des pirogues indigènes font cortège au monde officiel de Milliard-City, dignement représentée par son gouverneur, ses autorités, ses notables, dont les deux principaux seraient assez riches pour acheter Taïti tout entière, – et même l’archipel de la Société, y compris sa souveraine.
C’est un port excellent, ce port de Papeeté, et d’une telle profondeur que les bâtiments de fort tonnage peuvent y prendre leur mouillage. Trois passes le desservent: la grande passe au nord, large de soixante-dix mètres, longue de quatre-vingts, que rétrécit an petit banc balisé, la passe de Tanoa à l’est, la passe de Tapuna à l’ouest.
Les chaloupes électriques longent majestueusement la plage, toute meublée de villas et de maisons de plaisance, les quais près desquels sont amarrés les navires. Le débarquement s’opère au pied d’une fontaine élégante qui sert d’aiguade, et qu’approvisionnant les divers rios d’eaux vives des montagnes voisines, dont l’une porte l’appareil sémaphorique.
Cyrus Bikerstaff et sa suite descendent au milieu d’un grand concours de population française, indigène, étrangère, acclamant ce Joyau du Pacifique, comme la plus extraordinaire des merveilles créées par le génie de l’homme.
Après les premiers enthousiasmes du débarquement, le cortège se dirige vers le palais du gouverneur de Taïti.
Calistus Munbar, superbe sous le costume d’apparat qu’il ne revêt qu’aux jours de cérémonie, invite le quatuor à le suivre, et le quatuor s’empresse d’obtempérer à l’invitation du surintendant.
Le protectorat français embrasse non seulement l’île de Taïti et l’île Moorea, mais aussi les groupes environnants. Le chef est un commandant-commissaire, ayant sous ses ordres un ordonnateur, qui dirige les diverses parties du service des troupes, de la marine, des finances coloniales et locales, et l’administration judiciaire. Le secrétaire général du commissaire a dans ses attributions les affaires civiles du pays. Divers résidents sont établis dans les îles, à Moorea, à Fakarava des Pomotou, à Taio-Haë de Nouka-Hiva, et un juge de paix qui appartient au ressort des Marquises. Depuis 1861 fonctionne un comité consultatif pour l’agriculture et le commerce, lequel siège une fois par an à Papeeté. Là aussi résident la direction de l’artillerie et la chefferie du génie. Quant à la garnison, elle comprend des détachements de gendarmerie coloniale, d’artillerie et d’infanterie de marine. Un curé et un vicaire, appointés du gouvernement, et neuf missionnaires, répartis sur les quelques groupes, assurent l’exercice du culte catholique. En vérité, des Parisiens peuvent se croire en France, dans un port français, et cela n’est pas pour leur déplaire.
Quant aux villages des diverses îles, ils sont administrés par une sorte de conseil municipal indigène, présidé par un tavana, assisté d’un juge, d’un chef mutoï et de deux conseillers élus par les habitants.
Sous l’ombrage de beaux arbres, le cortège marche vers le palais du gouvernement. Partout des cocotiers d’une venue superbe, des miros au feuillage rosé, des bancouliers, des massifs d’orangers, de goyaviers, de caoutchoucs, etc. Le palais s’élève au milieu de cette verdure que dépasse à peine son large toit, égayé de charmantes lucarnes en mansarde. Il offre un aspect assez élégant avec sa façade que se partagent un rez-de-chaussée et un premier étage. Les principaux fonctionnaires français y sont réunis, et la gendarmerie coloniale fait les honneurs.
Le commandant-commissaire reçoit Cyrus Bikerstaff avec une infinie bonne grâce, que celui-ci n’eût certes pas rencontrée dans les archipels anglais de ces parages. Il le remercie d’avoir amené Standard-Island dans les eaux de l’archipel. Il espère que cette visite se renouvellera chaque année, tout en regrettant que Taïti ne puisse pas la lui rendre. L’entrevue dure une demi-heure, et il est convenu que Cyrus Bikerstaff attendra les autorités le lendemain à l’hôtel de ville.
«Comptez-vous rester quelque temps à la relâche de Papeeté? demande le commandant-commissaire.
– Une quinzaine de jours, répond le gouverneur.
– Alors vous aurez le plaisir de voir la division navale française, qui doit arriver vers la fin de la semaine.
– Nous serons heureux, monsieur le commissaire, de lui faire les honneurs de notre île.»
Cyrus Bikerstaff présente les personnes de sa suite, ses adjoints, le commodore Ethel Simcoë, le commandant de la milice, les divers fonctionnaires, le surintendant des beaux-arts, et les artistes du Quatuor Concertant, qui furent accueillis comme ils devaient l’être par un compatriote.
Puis, il y eut un léger embarras à propos des délégués des sections de Milliard-City. Comment ménager l’amour-propre de Jem Tankerdon et de Nat Coverley, ces deux irritants personnages, qui avaient le droit…
«De marcher l’un et l’autre à la fois,» fait observer Pinchinat, en parodiant le fameux vers de Scribe.
La difficulté est tranchée par le commandant-commissaire lui-même. Connaissant la rivalité des deux célèbres milliardaires, il est si parfait de tact, si pétri de correction officielle, il agit avec tant d adresse diplomatique que les choses se passent comme si elles eussent été réglées par le décret de messidor. Nul doute qu’en pareille occasion, le chef d’un protectorat anglais n’eût mis le feu aux poudres dans le but de servir la politique du Royaume-Uni. Il n’arrive rien de semblable au palais du commandant-commissaire, et Cyrus Bikerstaff, enchanté de l’accueil fait à lui-même, se retire, suivi de son cortège.
Inutile de dire que Sébastien Zorn, Yvernès, Pinchinat et Frascolin avaient l’intention de laisser Athanase Dorémus, époumoné déjà, regagner sa maison de la Vingt-cinquième Avenue. Eux comptent, en effet, passer à Papeeté le plus de temps possible, visiter les environs, faire des excursions dans les principaux districts, parcourir les régions de la presqu’île de Tatarapu, enfin épuiser jusqu’à la dernière goutte cette Gourde du Pacifique.
Ce projet est donc bien arrêté, et lorsqu’ils le communiquent à Calistus Munbar, le surintendant ne peut que donner son entière approbation.
«Mais, leur dit-il, vous ferez bien d’attendre quarante-huit heures avant de vous mettre en voyage.
– Pourquoi pas dès aujourd’hui?… demande Yvernès, impatient de prendre le bâton du touriste.
– Parce que les autorités de Standard-Island vont offrir leurs hommages à la reine, et il convient que vous soyez présentés à Sa Majesté ainsi qu’à sa cour.
– Et demain?… dit Frascolin.
– Demain, le commandant-commissaire de l’archipel viendra rendre aux autorités de Standard-Island la visite qu’il a reçue, et il convient…
– Que nous soyons là, répond Pinchinat. Eh bien, nous y serons, monsieur le surintendant, nous y serons.»
En quittant le palais du gouvernement, Cyrus Bikerstaff et son cortège se dirigent vers le palais de Sa Majesté. Une simple promenade sous les arbres, qui n’a pas exigé plus d’un quart d’heure de marche.
La royale demeure est très agréablement située au milieu des massifs verdoyants. C’est un quadrilatère à deux étages, dont la toiture, à l’imitation des chalets, surplombe deux rangées de vérandas superposées. Des fenêtres supérieures, la vue peut embrasser les larges plantations, qui s’étendent jusqu’à la ville, et au delà se développe un large secteur de mer. En somme, charmante habitation, pas luxueuse mais confortable.
La reine n’a donc rien perdu de son prestige à passer sous le régime du protectorat français. Si le drapeau de la France se déploie à la mâture des bâtiments amarrés dans le port de Papeeté ou mouillés en rade, sur les édifices civils et militaires de la cité, du moins le pavillon de la souveraine balance-t-il au-dessus de son palais les anciennes couleurs de l’archipel, – une étamine à bandes rouges et blanches transversales, frappées, à l’angle, du yacht tricolore.
Ce fut en 1706, que Quiros prit connaissance de l’île de Taïti, à laquelle il donna le nom de Sagittaria. Après lui, Wallis en 1767, Bougainville en 1768, complétèrent l’exploration du groupe. Au début de la découverte régnait la reine Obéréa, et c’est après le décès de cette souveraine qu’apparut, dans l’histoire de l’Océanie, la célèbre dynastie des Pomarés.
Pomaré I (1762-1780), ayant régné sous le nom d’Otoo, le Héron-Noir, le quitta pour prendre celui de Pomaré.
Son fils Pomaré II (1780-1819) accueillit favorablement en 1797 les premiers missionnaires anglais, et se convertit à la religion chrétienne dix ans plus tard. Ce fut une époque de dissensions, de luttes à main armée, et la population de l’archipel tomba graduellement de cent mille à seize mille.
Pomaré III, fils du précédent, régna de 1819 à 1827, et sa sœur Aimata, la célèbre Pomaré, la protégée de l’horrible Pritchard, née en 1812, devint reine de Taïti et des îles voisines. N’ayant pas eu d’enfants de Tapoa, son premier mari, elle le répudia pour épouser Ariifaaite. De cette union naquit, en 1840, Arione, héritier présomptif, mort à l’âge de trente-cinq ans. A partir de l’année suivante, la reine donna quatre enfants à son mari, qui était le plus bel homme du groupe, une fille, Teriimaevarna, princesse de l’île Bora-Bora depuis 1860, le prince Tamatoa, né en 1842, roi de l’île Raiatea, que renversèrent ses sujets révoltés contre sa brutalité, le prince Teriitapunui, né en 1846, affligé d’une disgracieuse claudication, et enfin le prince Tuavira, né en 1848, qui vint faire son éducation en France.
Le règne de la reine Pomaré ne fut pas absolument tranquille. En 1835, les missionnaires catholiques entrèrent en lutte avec les missionnaires protestants. Renvoyés d’abord, ils furent ramenés par une expédition française en 1838. Quatre ans après, le protectorat de la France était accepté par cinq chefs de l’île. Pomaré protesta, les Anglais protestèrent. L’amiral Dupetit-Thouars proclama la déchéance de la reine en 1843, et expulsa le Pritchard, événements qui provoquèrent les engagements meurtriers de Mahaéna et de Rapepa. Mais l’amiral ayant été à peu près désavoué, comme on sait, Pritchard reçut une indemnité de vingt-cinq mille francs, et l’amiral Bruat eut mission de mener ces affaires à bonne fin.
Taïti se soumit en 1846, et Pomaré accepta le traité de protectorat du 19 juin 1847, en conservant la souveraineté sur les îles Raiatea, Huahine et Bora-Bora. Il y eut bien encore quelques troubles. En 1852, une émeute renversa la reine, et la république fut même proclamée. Enfin le gouvernement français rétablit la souveraine, laquelle abandonna trois de ses couronnes: en faveur de son fils aîné celle de Raiatea et de Tahaa, en faveur de son second fils celle de Huahine, en faveur de sa fille celle de Bora-Bora.
Actuellement, c’est une de ses descendantes, Pomaré VI, qui occupe le trône de l’archipel.
Le complaisant Frascolin ne cesse de justifier la qualification de Larousse du Pacifique, dont l’a gratifié Pinchinat. Ces détails historiques et biographiques, il les donne à ses camarades, affirmant qu’il vaut toujours mieux connaître les gens chez qui l’on va et à qui l’on parle. Yvernès et Pinchinat lui répondent qu’il a eu raison de les édifier sur la généalogie des Pomaré, laissant Sébastien Zorn répliquer que «cela lui était parfaitement égal».
Quant au vibrant Yvernès, il s’imprègne tout entier du charme de cette poétique nature taïtienne. En ses souvenirs reviennent les récits enchanteurs des voyages de Bougainville et de Dumont d’Urville. Il ne cache pas son émotion à la pensée qu’il va se trouver en présence de cette souveraine de la Nouvelle Cythère, d’une reine Pomaré authentique, dont le nom seul…
«Signifie «nuit de la toux», lui répond Frascolin.
– Bon! s’écrie Pinchinat, comme qui dirait la déesse du rhume, l’impératrice du coryza! Attrape, Yvernès, et n’oublie pas ton mouchoir!»
Yvernès est furieux de l’intempestive répartie de ce mauvais plaisant; mais les autres rient de si bon cœur que le premier violon finit par partager l’hilarité commune.
La réception du gouverneur de Standard-Island, des autorités et de la délégation des notables, s’est faite avec apparat. Les honneurs sont rendus par le mutoï, chef de la gendarmerie, auquel se sont joints les auxiliaires indigènes.
La reine Pomaré VI est âgée d’une quarantaine d’années. Elle porte, comme sa famille qui l’entoure, un costume de cérémonie rosé pâle, couleur préférée de la population taïtienne. Elle reçoit les compliments de Cyrus Bikerstaff avec une affable dignité, si l’on peut s’exprimer de la sorte, et que n’eût point désavouée une Majesté européenne. Elle répond gracieusement, en un français très correct, car notre langue est courante dans l’archipel de la Société. Elle avait, d’ailleurs, le plus vif désir de connaître cette Standard-Island, dont on parle tant dans les régions du Pacifique, et espère que cette relâche ne sera pas la dernière. Jem Tankerdon est de sa part l’objet d’un accueil particulier, – ce qui ne laisse pas de froisser l’amour-propre de Nat Coverley. Cela s’explique, cependant, parce que la famille royale appartient au protestantisme, et que Jem Tankerdon est le plus notoire personnage de la section protestante de Milliard-City.
Le Quatuor Concertant n’est point oublié dans les présentations, La reine daigne affirmer à ses membres qu’elle serait charmée de les entendre et de les applaudir. Ils s’inclinent respectueusement, affirmant qu’ils sont aux ordres de Sa Majesté, et le surintendant prendra des mesures pour que la souveraine soit satisfaite.
Après l’audience, qui s’est prolongée pendant une demi-heure, les honneurs, décernés au cortège à son entrée au palais royal, lui sont de nouveau rendus à sa sortie.
On redescend vers Papeeté. Une halte est faite au cercle militaire, où les officiers ont préparé un lunch en l’honneur du gouverneur et de l’élite de la population milliardaise. Le champagne coule à pleins bords, les toasts se succèdent, et il est six heures, lorsque les embarcations débordent des quais de Papeeté pour rentrer à Tribord-Harbour.
Et, le soir, lorsque les artistes parisiens se retrouvent dans la salle du casino:
«Nous avons un concert en perspective, dit Frascolin. Que jouerons-nous à cette Majesté?… Comprendra-t-elle le Mozart ou le Beethoven?…
– On lui jouera de l’Offenbach, du Varney, du Lecoq ou de l’Audran! répond Sébastien Zorn.
– Non pas!… La bamboula est tout indiquée!» réplique Pinchinat, qui s’abandonne aux déhanchements caractéristiques de cette danse nègre.
’île de Taïti est destinée à devenir un lieu de relâche pour Standard-Island. Chaque année, avant de poursuivre sa route vers le tropique du Capricorne, ses habitants séjourneront dans les parages de Papeeté. Reçus avec sympathie par les autorités françaises comme par les indigènes, ils s’en montrent reconnaissants en ouvrant largement leurs portes ou plutôt leurs ports. Militaires et civils de Papeeté affluent donc, parcourant la campagne, le parc, les avenues, et jamais aucun incident ne viendra, sans doute, altérer ces excellentes relations. Au départ, il est vrai, la police du gouverneur doit s’assurer que la population ne s’est point frauduleusement accrue par l’intrusion de quelques Taïtiens non autorisés à élire domicile sur son domaine flottant.
Il suit de là que, par réciprocité, toute latitude est donnée aux Milliardais de visiter les îles du groupe, lorsque le commodore Simcoë fera escale à l’une ou à l’autre.
En vue de cette relâche, quelques riches familles ont eu la pensée de louer des villas aux environs de Papeeté et les ont retenues d’avance par dépêche. Elles comptent s’y installer comme des Parisiens s’installent dans le voisinage de Paris, avec leurs domestiques et leurs attelages, afin d’y vivre de la vie des grands propriétaires, en touristes, en excursionnistes, en chasseurs même, pour peu qu’elles aient le goût de la chasse. Bref, on fera de la villégiature, sans avoir rien à craindre de ce climat salubre dont la température varie de quatorze à trente degrés entre avril et décembre, les autres mois de l’année constituant l’hiver de l’hémisphère méridional.
Au nombre des notables qui abandonnent leurs hôtels pour les confortables habitations de la campagne taïtienne, il faut citer les Tankerdon et les Coverley. M. et Mrs Tankerdon, leurs fils et leurs filles se transportent dès le lendemain dans un chalet pittoresque, situé sur les hauteurs de la pointe de Tatao. M. et Mrs Coverley, miss Diana et ses sœurs remplacent également leur palais de la Quinzième Avenue par une délicieuse villa, perdue sous les grands arbres de la pointe Vénus. Il existe entre ces habitations une distance de plusieurs milles, que Walter Tankerdon estime peut-être un peu longue. Mais il n’est pas en- son pouvoir de rapprocher ces deux pointes du littoral taïtien. Du reste, des routes carossables, convenablement entretenues les mettent en communication directe avec Papeeté.
Frascolin fait remarquer à Calistus Munbar que, puisqu’elles sont parties, les deux familles ne pourront assister à la visite du commandant-commissaire au gouverneur.
«Eh! tout est pour le mieux! répond le surintendant, dont l’œil s’allume de finesse diplomatique. Cela évitera les conflits d’amour-propre. Si le représentant de la France venait d’abord chez les Coverley, que diraient les Tankerdon, et si c’était chez les Tankerdon, que diraient les Coverley? Cyrus Bikerstaff ne peut que s’applaudir de ce double départ.
– N’y a-t-il donc pas lieu d’espérer que la rivalité de ces familles prendra fin?… demande Frascolin.
– Qui sait? répond Calistus Munbar. Cela ne tient peut-être qu’à l’aimable Walter et à la charmante Diana…
– Il ne semble pas, cependant, que jusqu’ici cet héritier et cette héritière… observe Yvernès.
– Bon!… bon!… réplique le surintendant, il suffit d’une occasion, et, si le hasard ne la fait pas naître, nous nous chargerons de remplacer le hasard… pour le profit de notre île bien aimée!»
Et Calistus Munbar exécute sur ses talons une pirouette qu’eut applaudie Athanase Dorémus, et que n’aurait pas désavouée un marquis du grand siècle.
Dans l’après-midi du 20 octobre, le commandant-commissaire, l’ordonnateur, le secrétaire général, les principaux fonctionnaires du protectorat débarquent au quai de Tribord-Harbour. Ils sont reçus par le gouverneur avec les honneurs dus à leur rang. Des détonations éclatent aux batteries de l’Éperon et de la Poupe. Des cars, pavoises aux couleurs françaises et milliardaises, conduisent le cortège à la capitale, où les salons de réception de l’hôtel de ville sont préparés pour cette entrevue. Sur le parcours, accueil flatteur de la population, et, devant le perron du palais municipal, échange de quelques discours officiels qui se tiennent dans une durée acceptable.
Puis, visite au temple, à la cathédrale, à l’observatoire, aux deux fabriques d’énergie électrique, aux deux ports, au parc, et enfin promenade circulaire sur les trams qui desservent le littoral. Un lunch est servi au retour dans la grande salle du casino. Il est six heures, lorsque le commandant-commissaire et sa suite se rembarquent pour Papeeté aux tonnerres de l’artillerie de Standard-Island, emportant un excellent souvenir de cette réception.
Le lendemain matin, 21 octobre, les quatre Parisiens se font débarquer à Papeeté. Ils n’ont invité personne à les accompagner, pas même le professeur de maintien, dont les jambes ne suffiraient plus à d’aussi longues pérégrinations. Ils sont libres comme l’air, – des écoliers en vacances, heureux de fouler sous leurs pieds un vrai sol de roches et de terre végétale.
En premier lieu, il s’agit de visiter Papeeté. La capitale de l’archipel est incontestablement une jolie ville. Le quatuor prend un réel plaisir à muser, à baguenauder sous les beaux arbres qui ombragent les maisons de la plage, les magasins de la marine, la manutention, et les principaux établissements de commerce établis au fond du port. Puis, remontant une des rues qui s’amorce au quai où fonctionne un railway de système américain, nos artistes s’aventurent à l’intérieur de la cité.
Là, les rues sont larges, aussi bien tracées au cordeau et à l’équerre que les avenues de Milliard-City, entre des jardins en pleine verdure et pleine fraîcheur. Même, à cette heure matinale, incessant va-et-vient des Européens et des indigènes, – et cette animation qui sera plus grande après huit heures du soir, se prolongera toute la nuit. Vous comprenez bien que les nuits des tropiques, et spécialement les nuits taïtiennes, ne sont pas faites pour qu’on les passe dans un lit, bien que les lits de Papeeté se composent d’un treillis en cordes filées avec la bourre de coco, d’une paillasse en feuilles de bananier, d’un matelas en houppes de fromager, sans parler des moustiquaires qui défendent le dormeur contre l’agaçante attaque des moustiques.
Quant aux maisons, il est facile de distinguer celles qui sont européennes de celles qui sont taïtiennes. Les premières, construites presque toutes en bois, surélevées de quelques pieds sur des blocs de maçonnerie, ne laissent rien à désirer en confort. Les secondes, assez rares dans la ville, semées avec fantaisie sous les ombrages, sont formées de bambous jointifs et tapissées de nattes, ce qui les rend propres, aérées et agréables.
Mais les indigènes?…
«Les indigènes?… dit Frascolin à ses camarades. Pas plus ici qu’aux Sandwich, nous ne retrouverons ces braves sauvages, qui, avant la conquête, dînaient volontiers d’une côtelette humaine et réservaient à leur souverain les yeux d’un guerrier vaincu, rôti suivant la recette de la cuisine taïtienne!
– Ab ça! il n’y a donc plus de cannibales en Océanie! s’écrie Pinchinat. Comment, nous aurons fait des milliers de milles sans en rencontrer un seul!
– Patience! répond le violoncelliste, en battant l’air de sa main droite comme le Rodin des Mystères de Paris, patience! Nous en trouverons peut-être plus qu’il n’en faudra pour satisfaire ta sotte curiosité!»
Il ne savait pas si bien dire!
Les Taïtiens sont d’origine malaise, très probablement, et de cette race qu’ils désignent sous le nom de Maori. Raiatea, l’île Sainte, aurait été le berceau de leurs rois, – un berceau charmant que baignent les eaux limpides du Pacifique dans le groupe des îles Sous-le-Vent.
Avant l’arrivée des missionnaires, la société taïtienne comprenait trois classes: celle des princes, personnages privilégiés, auxquels on reconnaissait le don de faire des miracles; les chefs ou propriétaires du sol, assez peu considérés, et asservis par les princes; puis, le menu peuple, ne possédant rien foncièrement, ou, quand il possédait, n’ayant jamais au delà de l’usufruit de sa terre.
Tout cela s’est modifié depuis la conquête, et même avant, sous l’influence des missionnaires anglicans et catholiques. Mais ce qui n’a pas changé, c’est l’intelligence de ces indigènes, leur parole vive, leur esprit enjoué, leur courage à toute épreuve, la beauté de leur type. Les Parisiens ne furent point sans l’admirer dans la ville comme dans la campagne.
«Tudieu, les beaux garçons! disait l’un.
– Et quelles belles filles!» disait l’autre.
Oui! des hommes d’une taille au-dessus de la moyenne, le teint cuivré, comme imprégné par l’ardeur du sang, des formes admirables, telles que les a conservées la statuaire antique, une physionomie douce et avenante. Ils sont vraiment superbes, les Maoris, avec leurs grands yeux vifs, leurs lèvres un peu fortes, finement dessinées. Maintenant le tatouage de guerre tend à disparaître avec les occasions qui le nécessitaient autrefois.
Sans doute, les plus riches de l’île s’habillent à l’européenne, et ils ont encore bon air avec la chemise échancrée, le veston en étoffe rosé pâle, le pantalon qui retombe sur la bottine. Mais ceux-là ne sont pas pour attirer l’attention du quatuor. Non! Au pantalon do coupe moderne, nos touristes préfèrent le paréo dont la cotonnade coloriée et bariolée se drape depuis la ceinture jusqu’à la cheville, et, au lieu du chapeau de haute forme et même du panama, cette coiffure commune aux deux sexes, le hei, qui se compose de feuillage et de fleurs.
Quant aux femmes, ce sont encore les poétiques et gracieuses otaïtiennes de Bougainville, soit que les pétales blancs du tiare, sorte de gardénia, se mêlent aux nattes noires déroulées sur leurs épaules, soit que leur tête se coiffe de ce léger chapeau fait avec l’épiderme d’un bourgeon de cocotier, et «dont le nom suave de revareva semble venir d’un rêve,» déclame Yvernès. Ajoutez au charme de ce costume, dont les couleurs, comme celles d’un kaléidoscope, se modifient au moindre mouvement, la grâce de la démarche, la nonchalance des attitudes, la douceur du sourire, la pénétration du regard, l’harmonieuse sonorité de la voix, et l’on comprendra pourquoi, dès que l’un répète:
«Tudieu, les beaux garçons!» les autres répondent en chœur «Et quelles belles filles!»
Lorsque le Créateur a façonné de si merveilleux types, aurait-il été possible qu’il n’eût pas songé à leur donner un cadre digne d’eux? Et qu’eût-il pu imaginer de plus délicieux que ces paysages taïtiens, dont la végétation est si intense sous l’influence des eaux courantes et de l’abondante rosée des nuits?
Pendant leurs excursions à travers l’île et les districts voisins de Papeeté, les Parisiens ne cessent d’admirer ce monde de merveilles végétales. Laissant les bords de la mer, plus favorables à la culture, où les forêts sont remplacées par des plantations de citronniers, d’orangers, d’arrow-root, de cannes à sucre, de caféiers, de cotonniers, par des champs d’ignames, de manioc, d’indigo, de sorgho, de tabac, ils s’aventurent sous ces épais massifs de l’intérieur, à la base des montagnes, dont les cimes pointent au-dessus du dôme des frondaisons. Partout d’élégants cocotiers d’une venue magnifique, des miros ou bois de rosé, des casuarinas ou bois de fer, des tiairi ou bancouliers, des puraus, des tamanas, des ahis ou santals, des goyaviers, des manguiers, des taccas, dont les racines sont comestibles, et aussi le superbe taro, ce précieux arbre à pain, haut de tronc, lisse et blanc, avec ses larges feuilles d’un vert foncé, entre lesquelles se groupent de gros fruits à l’écorce comme ciselée, et dont la pulpe blanche forme la principale nourriture des indigènes.
L’arbre le plus commun avec le cocotier, c’est 4e goyavier, qui pousse jusqu’au sommet des montagnes ou peu s’en faut, et dont le nom est tuava en langue taïtienne. Il se masse en épaisses forêts, tandis que les puraus forment de sombres fourrés dont on sort à grand’peine, lorsqu’on a l’imprudence de s’engager au milieu de leurs inextricables fouillis.
Du reste, point d’animaux dangereux. Le seul quadrupède indigène est une sorte de porc, d’une espèce moyenne entre le cochon et le sanglier. Quant aux chevaux et aux bœufs, ils ont été importés dans l’île, où prospèrent aussi les brebis et les chèvres. La faune est donc beaucoup moins riche que la flore, même sous le rapport des oiseaux. Des colombes et des salanganes comme aux Sandwich. Pas de reptiles, sauf le cent-pieds et le scorpion. En fait d’insectes, des guêpes et des moustiques.
Les productions de Taïti se réduisent au colon, à la canne à sucre, dont la culture s’est largement développée au détriment du tabac et du café, puis à l’huile de coco, à l’arrow-root, aux oranges, à la nacre et aux perles.
Cependant, cela suffît pour alimenter un commerce important avec l’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, avec la Chine en Asie, avec la France et l’Angleterre en Europe, soit une valeur de trois millions deux cent mille francs à l’importation, contrebalancée par quatre millions et demi à l’exportation.
Les excursions du quatuor se sont étendues jusqu’à la presqu’îlede Tabaratu. Une visite rendue au fort Phaéton le met en rapport avec un détachement de soldats de marine, enchantés de recevoir des compatriotes.
Dans une auberge du port, tenue par un colon, Frascolin fait convenablement les choses. Aux indigènes des environs, au mutoï du district, on sert des vins français dont le digne aubergiste consent à se défaire à bon prix. En revanche, les gens de l’endroit offrent à leurs hôtes les productions du pays, des régimes venant de cette espèce de bananier, nommé feï, de belle couleur jaune, des ignames apprêtés de façon succulente, du maïore qui est le fruit de l’arbre à pain cuit à l’étouffée dans un trou empli de cailloux brûlants, et enfin une certaine confiture, à saveur aigrelette, provenant de la noix râpée du cocotier, et qui, sous le nom de taïero, se conserve dans des tiges de bambou.
Ce luncheon est très gai. Les convives fumèrent plusieurs centaines de ces cigarettes faites d’une feuille de tabac séchée au feu enroulée d’une feuille de pandanus. Seulement, au lieu d’imiter les Taïtiens et les Taïtiennes qui se les passaient de bouche en bouche, après en avoir tiré quelques bouffées, les Français se contentèrent de les fumer à la française. Et lorsque le mutoï lui offrit la sienne, Pinchinat le remercia d’un «mea maitaï», c’est-à-dire d’un très bien! dont l’intonation cocasse mit en belle humeur toute l’assistance.
Au cours de ces excursions, il va sans dire que les excursionnistes ne pouvaient songer à rentrer chaque soir à Papeeté ou à Standard-Island. Partout, d’ailleurs, dans les villages, dans les habitations éparses, chez les colons, chez les indigènes, ils sont reçus avec autant de sympathie que de confort.
Pour occuper la journée du 7 novembre, ils ont formé le projet de visiter la pointe Vénus, excursion à laquelle ne saurait se soustraire un touriste digne de ce nom.
On part dès le petit jour, d’un pied léger. On traverse sur un pont la jolie rivière de Fantahua. On remonte la vallée jusqu’à cette retentissante cascade, double de celle du Niagara en hauteur, mais infiniment moins large, qui tombe de soixante-quinze mètres avec un tumulte superbe. On arrive ainsi, en suivant la route accrochée au flanc de la colline Taharahi, sur le bord de la mer, à ce morne auquel Cook donna le nom de cap de l’Arbre, – nom justifié à cette époque par la présence d’un arbre isolé, actuellement mort de vieillesse. Une avenue, plantée de magnifiques essences, conduit, à partir du village de Taharahi, au phare qui se dresse à l’extrême pointe de l’île.
C’est en cet endroit, à mi-côte d’une colline verdoyante, que la famille Coverley a fixé sa résidence. Il n’y a donc aucun motif sérieux pour que Walter Tankerdon dont la villa s’élève loin, bien loin, au delà de Papeeté, pousse ses promenades du côté de la Pointe Vénus. Les Parisiens l’aperçoivent, cependant. Le jeune homme s’est transporté à cheval, aux environs du cottage Coverley. Il échange un salut avec les touristes français, et leur demande s’ils comptent regagner Papeeté le soir même.
«Non, monsieur Tankerdon, répond Frascolin. Nous avons reçu une invitation de mistress Coverley, et il est probable que nous passerons la soirée à la villa.
– Alors, messieurs, je vous dis au revoir,» réplique Walter Tankerdon.
Et il semble que la physionomie du jeune homme s’est obscurcie, bien qu’aucun nuage n’ait voilé en cet instant le soleil.
Puis, il pique des deux, et s’éloigne au petit trot, après avoir jeté un dernier regard sur la villa toute blanche entre les arbres. Mais aussi, pourquoi l’ancien négociant a-t-il reparu sous le richissime Tankerdon, et risque-t-il de semer la dissension dans cette Standard-Island qui n’a point été créée pour le souci des affaires!
«Eh! dit Pinchinat, peut-être aurait-il voulu nous accompagner, ce charmant cavalier?…
– Oui, ajoute Frascolin, et il est évident que notre ami Munbar pourrait bien avoir raison! Il s’en va tout malheureux de n’avoir pu rencontrer miss Dy Coverley…
– Ce qui prouve que le milliard ne fait pas le bonheur?» réplique ce grand philosophe d’Yvernès.
Pendant l’après-midi et la soirée, heures délicieuses passées au cottage avec les Coverley. Le quatuor retrouve dans la villa le même accueil qu’à l’hôtel de la Quinzième Avenue. Sympathique réunion, à laquelle l’art se mêle fort agréablement. On fait d’excellente musique, au piano s’entend. Mrs Coverley déchiffre quelques partitions nouvelles. Miss Dy chante en véritable artiste, et Yvernès, qui est doué d’une jolie voix, mêle son ténor au soprano de la jeune fille.
On ne sait trop pourquoi, – peut-être l’a-t-il fait à dessein, – Pinchinat glisse dans la conversation que ses camarades et lui ont aperçu Walter Tankerdon qui se promenait aux environs de la villa. Est-ce très adroit de sa part, et n’eût-il pas mieux valu se taire?… Non, et si le surintendant eût été là, il n’aurait pu qu’approuver Son Altesse. Un léger sourire, presque imperceptible, s’est ébauché sur les lèvres de miss Dy, ses jolis yeux ont brillé d’un vif éclat, et lorsqu’elle s’est remise à chanter, il semble que sa voix est devenue plus pénétrante.
Mrs Coverley la regarde un instant, se contentant de dire, tandis que M. Coverley fronce le sourcil:
«Tu n’es pas fatiguée, mon enfant?…
– Non, ma mère.
– Et vous, monsieur Yvernès?…
– Pas le moins du monde, madame. Avant ma naissance, j’ai dû être enfant de chœur dans une des chapelles du Paradis!»
La soirée s’achève, et il est près de minuit, lorsque M. Coverley juge l’heure venue de prendre quelque repos.
Le lendemain, enchanté de cette si simple et si cordiale réception, le quatuor redescend le chemin vers Papeeté.
La relâche à Taïti ne doit plus durer qu’une semaine. Suivant son itinéraire réglé d’avance, Standard-Island se remettra en route au sud-ouest. Et, sans doute, rien n’eût signalé cette dernière semaine pendant laquelle les quatre touristes ont complété leurs excursions, si un très heureux incident ne se fût produit à la date du 11 novembre.
La division de l’escadre française du Pacifique vient d’être signalée dans la matinée par le sémaphore de la colline qui s’élève en arrière de Papeeté.
A onze heures, un croiseur de première classe, le Paris, escorté de deux croiseurs de deuxième classe et d’une mouche, mouille sur rade.
Les saluts réglementaires sont échangés de part et d’autre, et le contre-amiral, dont le guidon flotte sur le Paris, descend à terre avec ses officiers.
Après les coups de canon officiels, auxquels les batteries de l’Éperon et de la Poupe joignent leurs tonnerres sympathiques, le contre-amiral et le commandant-commissaire des îles de la Société s’empressent de se rendre successivement visite.
C’est une bonne fortune pour les navires de la division, leurs officiers, leurs équipages, d’être arrivés sur la rade de Taïti, pendant que Standard-Island y séjourne encore. Nouvelles occasions de réceptions et de fêtes. Le Joyau du Pacifique est ouvert aux marins français, qui s’empressent d’en venir admirer les merveilles. Pendant quarante-huit heures, les uniformes de notre marine se mêlent aux costumes milliardais.
Cyrus Bikerstaff fait les honneurs de l’observatoire, le surintendant fait les honneurs du casino et autres établissements sous sa dépendance.
C’est dans ces circonstances qu’il est venu une idée à cet étonnant Calistus Munbar, une idée géniale dont la réalisation doit laisser d’inoubliables souvenirs. Et cette idée, il la communique au gouverneur, et le gouverneur l’adopte, sur avis du conseil des notables.
Oui! Une grande fête est décidée pour le 15 novembre. Son programme comprendra un dîner d’apparat et un bal donnés dans les salons de l’hôtel de ville. A cette époque les Milliardais en villégiature seront rentrés, puisque le départ doit s’effectuer deux jours après.
Les hauts personnages des deux sections ne manqueront donc point à ce festival en l’honneur de la reine Pomaré VI, des Taïtiens européens ou indigènes et de l’escadre française.
Calistus Munbar est chargé d’organiser cette fête, et l’on peut s’en rapporter à son imagination comme à son zèle. Le quatuor se met à sa disposition, et il est convenu qu’un concert figurera parmi les plus attractifs numéros du programme.
Quant aux invitations, c’est au gouverneur qu’incombé la mission de les répartir.
En premier lieu, Cyrus Bikerstaff va en personne prier la reine Pomaré, les princes et les princesses de sa cour d’assister à cette fête, et la reine daigne répondre par une acceptation. Mêmes remerciements de la part du commandant-commissaire et des hauts fonctionnaires français, du contre-amiral et de ses officiers, qui se montrent très sensibles à cette gracieuseté.
En somme, mille invitations sont lancées. Bien entendu, les mille invités ne doivent pas s’asseoir à la table municipale. Non! une centaine seulement: les personnes royales, les officiers de la division, les autorités du protectorat, les premiers fonctionnaires, le conseil des notables et le haut clergé de Standard-Island. Mais il y aura, dans le parc, banquets, jeux, feux d’artifice, – de quoi satisfaire la population.
Le roi et la reine de Malécarlie n’ont point été oubliés, cela va sans dire. Mais Leurs Majestés, ennemies de tout apparat, vivant à l’écart dans leur modeste habitation de la Trente-deuxième Avenue, remercièrent le gouverneur d’une invitation qu’ils regrettaient de ne pouvoir accepter.
«Pauvres souverains!» dit Yvernès.
Le grand jour arrivé, l’île se pavoise des couleurs françaises et taïtiennes, mêlées aux couleurs milliardaises.
La reine Pomaré et sa cour, en costumes de gala, sont reçues à Tribord-Harbour aux détonations de la double batterie de l’île, A ces détonations répondent les canons de Papeeté et les canons de la division navale.
Vers six heures du soir, après une promenade à travers le parc, tout ce beau monde a gagné le palais municipal superbement décoré.
Quel coup d’œil offre l’escalier monumental dont chaque marche n’a pas coûté moins de dix mille francs, comme celui de l’hôtel Vanderbilt à New-York! Et dans la splendide salle à manger, les convives vont s’asseoir aux tables du festin.
Le code des préséances a été observé par le gouverneur avec un tact parfait. Il n’y aura pas matière à conflit entre les grandes familles rivales des deux sections. Chacun est heureux de la place qui lui est attribuée, – entre autres miss Dy Coverley, qui se trouve en face de Walter Tankerdon. Cela suffit au jeune homme et à la jeune fille, et mieux valait ne pas les rapprocher davantage.
Il n’est pas besoin de dire que les artistes français n’ont point à se plaindre. On leur a donné, en les mettant à la table d’honneur, une nouvelle preuve d’estime et de sympathie pour leur talent et leurs personnes.
Quant au menu de ce mémorable repas, étudié, médité, composé par le surintendant, il prouve que, même au point de vue des ressources culinaires, Milliard-City n’a rien à envier à la vieille Europe.
Qu’on en juge, d’après ce menu, imprimé en or sur vélin par les soins de Calistus Munbar.
Le potage à la d’Orléans,
La crème comtesse,
Le turbot à la Mornay,
Le filet de bœuf à la Napolitaine,
Les quenelles de volaille à la Viennoise,
Les mousses de foie gras à la Trévise.
Sorbets.
Les cailles rôties sur canapé,
La salade provençale,
Les petits pois à l’anglaise,
Bombe, macédoine, fruits,
Gâteaux variés,
Grissins au parmesan.
Vins:
Château d’Yquem. – Château-Margaux.
Chambertin. – Champagne.
Liqueurs variées
A la table de la reine d’Angleterre, de l’empereur de Russie, de l’empereur allemand ou du président de la République française, a-t-on jamais trouvé des combinaisons supérieures pour un menu officiel, et eussent-ils pu mieux faire les chefs de cuisine les plus en vogue des deux continents?
A neuf heures, les invités se rendent dans les salons du casino pour le concert. Le programme comporte quatre morceaux de choix., – quatre, pas davantage:
Cinquième quatuor en la majeur: Op. 18 de Beethoven;
Deuxième quatuor en ré mineur: Op. 10 de Mozart;
Deuxième quatuor en ré majeur: Op. 64 (deuxième partie) d’Haydn;
Douzième quatuor en mi bémol d’Onslow.
Ce concert est un nouveau triomphe pour les exécutants parisiens, si heureusement embarqués, – quoi qu’en pût penser le récalcitrant violoncelliste, – à bord de Standard-Island!
Entre temps, Européens et étrangers prennent part aux divers jeux installés dans le parc. Des bals champêtres s’organisent sur les pelouses, et, pourquoi ne pas l’avouer, on danse au son des accordéons qui sont des instruments très en vogue chez les naturels des îles de la Société. Or, les marins français ont un faible pour cet appareil pneumatique, et comme les permissionnaires du Paris et autres navires de la division ont débarqué en grand nombre, les orchestres se trouvent au complet et les accordéons font rage. Les voix s’en mêlent aussi, et les chansons de bord répondent aux himerre, qui sont les airs populaires et favoris des populations océaniennes.
Au reste, les indigènes de Taïti, hommes et femmes, ont un goût prononcé pour le chant et pour la danse, où ils excellent. Ce soir-là, à plusieurs reprises, ils exécutent les figures de la répauipa, qui peut être considérée comme une danse nationale, et dont la mesure est marquée par le battement du tambour. Puis les chorégraphes de toute origine, indigènes ou étrangers, s’en donnent à cœur joie, grâce à l’excitation des rafraîchissements de toutes sortes offerts par la municipalité.
En même temps, des bals, d’une ordonnance et d’une composition plus sélect, réunissent, sous la direction d’Athanase Dorémus, les familles dans les salons de l’hôtel de ville. Les dames milliardaises et taïtiennes ont fait assaut de toilettes. On ne s’étonnera pas que les premières, clientes fidèles des couturiers parisiens, éclipsent sans peine, même les plus élégantes européennes de la colonie. Les diamants ruissellent sur leurs têtes, sur leurs épaules, à leur poitrine, et c’est entre elles seules que la lutte peut présenter quelque intérêt. Mais qui eût osé se prononcer pour Mrs Coverley ou Mrs Tankerdon, éblouissantes toutes les deux? Ce n’est certes pas Cyrus Bikerstaff, toujours si soucieux de maintenir un parfait équilibre entre les deux sections de l’île.
Dans le quadrille d’honneur ont figuré la souveraine de Taïti et son auguste époux, Cyrus Bikerstaff et Mrs Coverley, le contre-amiral et Mrs Tankerdon, le commodore Simcoë et la première dame d’honneur de la reine. En même temps, d’autres quadrilles sont formés, où les couples se mélangent, en ne consultant que leur goût ou leurs sympathies. Tout cet ensemble est charmant. Et, pourtant, Sébastien Zorn se tient à l’écart, dans une attitude sinon de protestation, du moins de dédain, comme les deux Romains grognons du fameux tableau de la Décadence. Mais Yvernès, Pinchinat, Frascolin, valsent, polkent, mazurkent avec les plus jolies Taïtiennes et les plus délicieuses jeunes filles de Standard-Island. Et qui sait si, ce soir-là, bien des mariages ne furent pas décidés fin de bal, – ce qui occasionnerait sans doute un supplément de travail aux employés de l’état civil?…
D’ailleurs, quelle n’a pas été la surprise générale, lorsque le hasard a donné Walter Tankerdon pour cavalier à miss Coverley dans un quadrille? Est-ce le hasard, et ce fin diplomate de surintendant ne l’a-t-il pas aidé par quelque combinaison savante? Dans tous les cas, c’est là l’événement du jour, gros peut-être de conséquences, s’il marque un premier pas vers la réconciliation des deux puissantes familles.
Après le feu d’artifice qui est tiré sur la grande pelouse, les danses reprennent dans le parc, à l’hôtel de ville, et se prolongent jusqu’au jour.
Telle est cette mémorable fête, dont le souvenir se perpétuera à travers la longue et heureuse série d’âges que l’avenir – il faut l’espérer, – réserve à Standard-Island.
Le surlendemain, la relâche étant terminée, le commodore Simcoë transmet dès l’aube ses ordres d’appareillage. Des détonations d’artillerie saluent le départ de l’île à hélice, comme elles ont salué son arrivée, et elle rend les saluts coups pour coups à Taïti et à la division navale.
La direction est nord-ouest, de manière à passer en revue les autres îles de l’archipel, le groupe Sous-le-Vent après le groupe du Vent.
On longe ainsi les pittoresques contours de Moorea, hérissée de pics superbes, dont la pointe centrale est percée à jour, Raiatea, l’île Sainte, qui futile berceau delà royauté indigène, Bora-Bora, dominée par une montagne de mille mètres, puis les îlots Motu-Iti, Mapéta, Tubuai, Manu, anneaux de la chaîne taïtienne tendue à travers ces parages.
Le 19 novembre, à l’heure où le soleil décline à l’horizon, disparaissent les derniers sommets de l’archipel.
Standard-Island met alors le cap au sud-ouest, – orientation que les appareils télégraphiques indiquent sur les cartes disposées aux vitrines du casino.
Et qui observerait, en ce moment, le capitaine Sarol, serait frappé du feu sombre de ses regards, de la farouche expression de sa physionomie, lorsque, d’une main menaçante, il montre à ses Malais la route des Nouvelles-Hébrides, situées à douze cents lieues dans l’ouest!
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.