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Jules Verne

 

L'île à hélice

 

 

Seconde partie

(IV-VI)

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© Andrzej Zydorczak

 

 

Seconde partie

 

 

 IV

Ultimatum britannique

 

endant cette dernière semaine de l’année, consacrée aux joies du Christmas, de nombreuses invitations sont envoyées pour des dîners, des soirées, des réceptions officielles. Un banquet, offert par le gouverneur aux principaux personnages de Milliard-City, accepté par les notables bâbordais et tribordais, témoigne d’une certaine fusion entre les deux sections de la ville. Les Tankerdon et les Coverley se retrouvent à la même table. Le premier jour de l’an, il y aura échange de cartes entre l’hôtel de la Dix-neuvième Avenue et l’hôtel de la Quinzième. Walter Tankerdon reçoit même une invitation à l’un des concerts de Mrs Coverley. L’accueil que lui réserve la maîtresse de la maison paraît être de bon augure. Mais, de là à former des liens plus étroits, il y a loin encore, bien que Calistus Munbar, dans son emballement chronique, ne cesse de répéter à qui veut l’entendre:

«C’est fait, mes amis, c’est fait!»

Cependant, l’île à hélice continue sa paisible navigation, en se dirigeant vers l’archipel de Tonga-Tabou. Rien ne semblait même devoir la troubler, lorsque dans la nuit du 30 au 31 décembre se manifeste un phénomène météorologique assez inattendu.

Entre deux et trois heures du matin, des détonations éloignées se font entendre. Les vigies ne s’en préoccupent pas plus qu’il ne convient. On ne peut supposer qu’il s’agisse là d’un combat naval, à moins que ce ne soit entre navires de ces républiques de l’Amérique méridionale, qui sont fréquemment aux prises. Après tout, pourquoi s’en inquiéterait-on à Standard-Island, île indépendante, en paix avec les puissances des deux mondes?

D’ailleurs, ces détonations, qui viennent des parages occidentaux du Pacifique, se prolongent jusqu’au jour, et, certainement, ne sauraient être confondues avec le grondement plein et régulier d’une artillerie lointaine.

Le commodore Simcoë, avisé par un de ses officiers, est venu observer l’horizon du haut de la tour de l’observatoire. Aucune lueur ne se montre à la surface du large segment de mer qui s’étend devant ses yeux. Toutefois, le ciel ne présente pas son aspect habituel. Des reflets de flammes le colorent jusqu’au zénith. L’atmosphère paraît embrumée, bien que le temps soit beau, et le baromètre n’indique pas, par une baisse soudaine, quelque perturbation des courants de l’espace.

Au point du jour, les matineux de Milliard-City ont lieu d’éprouver une étrange surprise. Non seulement les détonations ne cessent d’éclater, mais l’air se mélange d’une brume rouge et noire, sorte de poussière impalpable, qui commence à tomber en pluie. On dirait une averse de molécules fuligineuses. En quelques instants, les rues de la ville, les toits des maisons sont recouverts d’une substance où se combinent les couleurs de carmin, de garance, de nacarat, de pourpre, avec des scories noirâtres.

Tous les habitants sont dehors, – nous excepterons Athanase Dorémus, qui n’est jamais levé avant onze heures, après s’être couché la veille à huit. Il va de soi que le quatuor s’est jeté hors de son lit, et il s’est rendu à l’observatoire, où le commodore, ses officiers, ses astronomes, sans oublier le nouveau fonctionnaire royal, cherchent à reconnaître la nature du phénomène.

«Il est regrettable, remarque Pinchinat, que cette matière rouge ne soit pas liquide, et que ce liquide ne soit pas une pluie de Pomard ou de Château-Lafitte!

– Soiffard!» répond Sébastien Zorn.

Au vrai, quelle est la cause du phénomène? On a de nombreux exemples de ces pluies de poussières rouges composées de silice, d’albumine, d’oxyde de chrome et d’oxyde de fer. Aucommencement du siècle, la Calabre, les Abruzzes furent inondées de ces averses où les superstitieux habitants voulaient voir des gouttes de sang, lorsque ce n’était, comme à Blancenberghe, en 1819, que du chlorure de cobalt. Il y a également des transports de ces molécules de suie ou de charbon, enlevées à des incendies lointains. N’a-t-on même pas vu tomber des pluies de soie, à Fernambouc en 1820, des pluies jaunes, à Orléans en 1829, et dans les Basses-Pyrénées en 1836, des pluies de pollen arraché aux sapins en fleurs?

Quelle origine attribuer à cette chute de poussières, mêlées de scories, dont l’espace semble chargé, et qui projette sur Standard-Island et sur la mer environnante ces grosses masses rougeâtres?

Le roi de Malécarlie émet l’opinion que ces matières doivent provenir de quelque volcan des îles de l’ouest. Ses collègues de l’observatoire se rangent à son opinion. On ramasse plusieurs poignées de ces scories dont la température est supérieure à celle de l’air ambiant, et que n’a pas refroidies leur passage à travers l’atmosphère. Une éruption de grande violence expliquerait les détonations irrégulières qui se font encore entendre. Or, ces parages sont semés de cratères, les uns en activité, les autres éteints, mais susceptibles de se rallumer sous une action infra-tellurique, sans parler de ceux qu’une poussée géologique relève parfois du fond de l’Océan, et dont la puissance de projection est souvent extraordinaire.

Et, précisément, au milieu de cet archipel des Tonga que rallie Standard-Island, est-ce que, quelques années auparavant, le piton Tufua n’a pas couvert une superficie de cent kilomètres de ses matières éruptives? Est-ce que, durant de longues heures, les détonations du volcan ne se propagèrent pas jusqu’à deux cents kilomètres de distance?

Et, au mois d’août de 1883, les éruptions du Krakatoa ne désolèrent-elles pas la partie des îles de Java et de Sumatra, voisines du détroit de la Sonde, détruisant des villages entiers, faisant de nombreuses victimes, provoquant des tremblements de terre, souillant le sol d’une boue compacte, soulevant les eaux en remous formidables, infectant l’atmosphère de vapeurs sulfureuses, mettant les navires en perdition?…

C’est à se demander, vraiment, si l’île à hélice n’est pas menacée d’un danger de ce genre…

Le commodore Simcoë ne laisse pas d’être assez inquiet, car la navigation menace de devenir très difficile. Après l’ordre qu’il donne de modérer sa vitesse, Standard-Island ne se déplace plus qu’avec une extrême lenteur.

Une certaine frayeur s’empare de la population milliardaise. Est-ce que les fâcheux pronostics de Sébastien Zorn touchant l’issue de la campagne seraient sur le point de se réaliser?…

Vers midi, l’obscurité est profonde. Les habitants ont quitté leurs maisons qui ne résisteraient pas, si la coque métallique se soulevait sous les forces plutoniennes. Péril non moins à craindre en cas où la mer passerait par-dessus les armatures du littoral, et précipiterait ses trombes d’eau sur la campagne!

Le gouverneur Cyrus Bikerstaff et le commodore Simcoë se rendent à la batterie de l’Éperon, suivis d’une partie de la population. Des officiers sont envoyés aux deux ports, avec ordre de s’y tenir en permanence. Les mécaniciens sont prêts à faire évoluer l’île à hélice, s’il devient nécessaire de fuir dans une direction opposée. Le malheur est que la navigation soit de plus en plus difficile à mesure que le ciel s’emplit d’épaisses ténèbres.

Vers trois heures du soir, on ne voit guère à dix pas de soi. Il n’y a pas trace de lumière diffuse, tant la masse des cendres absorbe les rayons solaires. Ce qui est surtout à redouter, c’est que Standard-Island, surchargée par le poids des scories tombées à sa surface, ne parvienne pas à conserver sa ligne de flottaison au-dessus du niveau de l’Océan.

Elle n’est pas un navire que l’on puisse alléger en jetant les marchandises à la mer, en le débarrassant de son lest!… Que faire, si ce n’est d’attendre en se fiant à la solidité de l’appareil.

Le soir arrive, ou plutôt la nuit, et encore ne peut-on le constater que par l’heure des horloges. L’obscurité est complète. Sous l’averse des scories, il est impossible de maintenir en l’air les lunes électriques que l’on ramène au sol. Il va sans dire que l’éclairage des habitations et des rues, qui a fonctionné toute la journée, sera continué tant que se prolongera ce phénomène.

La nuit venue, cette situation no se modifie pas. Il semble cependant que les détonations sont moins fréquentes et aussi moins violentes. Les fureurs de l’éruption tendent à diminuer, et la pluie de cendres, emportée vers le sud par une assez forte brise, commence à s’apaiser.

Les Milliardais, un peu rassures, se décident à réintégrer leurs habitations, avec l’espoir que le lendemain Standard-Island se retrouvera dans des conditions normales. Il n’y aura plus qu’à procéder à un complet et long nettoyage de l’île à hélice.

N’importe! quel triste premier jour de l’an pour le Joyau du Pacifique, et de combien peu s’en est fallu que Milliard-City ait eu le sort de Pompéi ou d’Herculanum! Bien qu’elle ne soit pas située au pied d’un Vésuve, sa navigation ne l’expose-t-elle pas à rencontrer nombre décès volcans dont sont hérissées les régions sous-marines du Pacifique?

Toutefois le gouverneur, ses adjoints et le conseil des notables restent en permanence à l’hôtel de ville. Les vigies de la tour guettent tout changement qui se produirait à l’horizon ou au zénith. Afin de maintenir sa direction vers le sud-ouest, l’île à hélice n’a cessé de marcher, mais à la vitesse de deux ou trois milles à l’heure seulement. Lorsque le jour reviendra – ou du moins dès que les ténèbres seront dissipées, – elle remettra le cap sur l’archipel des Tonga. Là, sans doute, on apprendra laquelle des îles de cette portion de l’océan a été le théâtre d’une telle éruption.

Dans tous les cas, il est manifeste, avec la nuit qui s’avance, que le phénomène tend à s’amoindrir.

Vers trois heures du matin, nouvel incident, qui provoque un nouvel effroi chez les habitants de Milliard-City.

Standard-Island vient de recevoir un choc, dont le contre-coup s’est propagé à travers les compartiments de sa coque. Il est vrai, la secousse n’a pas eu assez de force pour provoquer l’ébranlement des habitations ou le détraquement des machines. Les hélices ne se sont pas arrêtées dans leur mouvement propulsif. Néanmoins, à n’en pas douter, il y a eu collision à l’avant.

Que s’est-il passé?… Standard-Island a-t-elle heurté quelque haut-fond?… Non, puisqu’elle continue à se déplacer… A-t-elle donc donné contre un écueil?… Au milieu de cette obscurité si profonde, s’est-il produit un abordage avec un navire croisant sa route et qui n’a pu apercevoir ses feux?… De cette collision est-il résulté de graves avaries, sinon de nature à compromettre sa sécurité, du moins à nécessiter d’importantes réparations à la prochaine relâche?…

Cyrus Bikerstaff et le commodore Simcoë se transportent, non sans peine en foulant cette épaisse couche de scories et de cendres, à la batterie de l’Éperon.

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Là, les douaniers leur apprennent que le choc est effectivement dû à une collision. Un navire de fort tonnage, un steamer courant de l’ouest à l’est, a été heurté par l’éperon de Standard-Island. Que ce choc ait été sans gravité pour l’île à hélice, peut-être n’en a-t-il pas été de même pour le steamer?… On n’a entrevu sa masse qu’au moment de l’abordage… Des cris se sont fait entendre, mais n’ont duré que quelques instants… Le chef du poste et ses hommes, accourus à la pointe de la batterie, n’ont plus rien vu ni rien entendu… Le bâtiment a-t-il sombré sur place?… Cette hypothèse n’est, par malheur, que trop admissible.

Quant à Standard-Island, on constate que cette collision ne lui a occasionné aucun dommage sérieux. Sa masse est telle qu’il lui suffirait, même à petite vitesse, de frôler un bâtiment, si puissant qu’il soit, fût-ce un cuirassé de premier rang, pour que celui-ci fût menacé de se perdre corps et biens. C’est là ce qui est arrivé, sans doute.

Quant à la nationalité de ce navire, le chef du poste croit avoir entendu des ordres jetés d’une voix rude, – un dé ces rugissements particuliers aux commandements de la marine anglaise. Il ne saurait cependant l’affirmer d’une façon formelle.

Cas très grave et qui peut avoir des conséquences non moins graves. Que dira le Royaume-Uni?… Un bâtiment anglais, c’est un morceau de l’Angleterre, et l’on sait que la Grande-Bretagne ne se laisse pas impunément amputer… A quelles réclamations et responsabilités Standard-Island ne doit-elle pas s’attendre?…

Ainsi débute la nouvelle année. Ce jour-là, jusqu’à dix heures du matin, le commodore Simcoë n’est point en mesure d’entreprendre des recherches au large. L’espace est encore encrassé de vapeurs, bien que le vent qui fraîchit commence à dissiper la pluie de cendres. Enfin le soleil perce les brumes de l’horizon.

Dans quel état se trouvent Milliard-City, le parc, la campagne, les fabriques, les ports! Quel travail de nettoyage! Après tout, cela regarde les bureaux de la voirie. Simple question de temps et d’argent. Ni l’un ni l’autre ne manquent.

On va au plus pressé. Tout d’abord, les ingénieurs gagnent la batterie de l’Éperon, sur le côté du littoral où s’est produit l’abordage. Dommages insignifiants de ce chef. La solide coque d’acier n’a pas plus souffert que le coin qui s’enfonce dans le morceau de bois, – en l’espèce, le navire abordé.

Au large, ni débris ni épaves. Du haut de la tour de l’observatoire, les plus puissantes lunettes ne laissent rien apercevoir, bien que, depuis la collision, Standard-Island ne se soit pas déplacée de deux milles.

Il convient de prolonger les investigations au nom de l’humanité.

Le gouverneur confère avec le commodore Simcoë. Ordre est donné aux mécaniciens de stopper les machines, et aux embarcations électriques des deux ports de prendre la mer.

Les recherches, qui s’étendent sur un rayon de cinq à six milles, ne donnent aucun résultat. Cela n’est que trop certain, le bâtiment, crevé dans ses œuvres vives, a dû sombrer, sans laisser trace de sa disparition.

Le commodore Simcoë fait alors reprendre la vitesse réglementaire. A midi, l’observation indique que Standard-Island se trouve à cent cinquante milles dans le sud-ouest des Samoa.

Entre temps, les vigies sont chargées de veiller avec un soin extrême.

Vers cinq heures du soir, on signale d’épaisses fumées qui se déroulent vers le sud-est. Ces fumées sont-elles dues aux dernières poussées du volcan, dont l’éruption a si profondément troublé ces parages? Ce n’est guère présumable, car les cartes n’indiquent ni île ni îlot à proximité. Un nouveau cratère est-il donc sorti du fond océanien?…

Non, et il est manifeste que les fumées se rapprochent de Standard-Island.

Une heure après, trois bâtiments, marchant de conserve, gagnent rapidement en forçant de vapeur.

Une demi-heure plus tard, on reconnaît que ce sont des navires de guerre. A une heure de là, on ne peut avoir aucun doute sur leur nationalité. C’est la division de l’escadre britannique qui, cinq semaines auparavant, s’est refusée à saluer les couleurs de Standard-Island.

A la nuit tombante, ces navires ne sont pas à quatre milles de la batterie de l’Éperon. Vont-ils passer au large et poursuivre leur route? Ce n’est pas probable, et en relevant leurs feux de positions, il y a lieu de reconnaître qu’ils demeurent stationnaires.

«Ces bâtiments ont sans doute l’intention de communiquer avec nous, dit le commodore Simcoë au gouverneur.

– Attendons,» réplique Cyrus Bikerstaff.

Mais de quelle façon le gouverneur répondra-t-il au commandant de la division, si celui-ci vient réclamer à propos du récent abordage? Il est possible, en effet, que tel soit son dessein, et peut-être l’équipage du navire abordé a-t-il été recueilli, a-t-il pu se sauver sur ses chaloupes? Au reste, il sera temps de prendre imparti, lorsqu’on saura de quoi il s’agit.

On le sait, le lendemain, dès la première heure.

Au soleil levant, le pavillon de contre-amiral flotte au mât d artimon du croiseur de tête, qui se tient sous petite vapeur à deux milles de Bâbord-Harbour. Une embarcation en déborde et se dirige vers le port.

Un quart d’heure après, le commodore Simcoë reçoit cette dépêche.

«Le capitaine Turner, du croiseur l’Herald, chef d’état-major de l’amiral sir Edward Collinson, demande à être conduit immédiatement près du gouverneur de Standard-Island.»

Cyrus Bikerstaff, prévenu, autorise l’officier du port à laisser le débarquement s’effectuer et répond qu’il attend le capitaine Turner à l’hôtel de ville.

Dix minutes après, un car, mis à la disposition du chef d’état-major qui est accompagné d’un lieutenant de vaisseau, dépose ces deux personnages devant le palais municipal.

Le gouverneur les reçoit aussitôt dans le salon attenant à son cabinet.

Les salutations d’usage sont alors échangées – très raides de part et d’autre.

Puis, posément, en ponctuant ses paroles, comme s’il récitait un morceau de littérature courante, le capitaine Turner s’exprime ainsi, rien qu’en une seule et interminable phrase:

«J’ai l’honneur de porter à la connaissance de Son Excellence le gouverneur de Standard-Island, en ce moment par cent soixante-dix-sept degrés et treize minutes à l’est du méridien de Greenwich, et par seize degrés cinquante-quatre minutes de latitude sud, que, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, le steamer Glen, du port de Glasgow, jaugeant trois mille cinq cents tonneaux, chargé de blé, d’indigo, de riz, de vins, cargaison de considérable valeur, a été abordé par Standard-Island, appartenant à Standard-Island Company limited, dont le siège social est à Madeleine-bay, Basse-Californie, États-Unis d’Amérique, bien que ce steamer eût ses feux réglementaires, feu blanc au mât de misaine, feux de position vert à tribord et rouge à bâbord, et que, s’étant dégagé après la collision, il a été rencontré le lendemain à trente-cinq milles du théâtre de la catastrophe, prêt à couler bas par suite d’une voie d’eau dans sa hanche de bâbord, et qu’il a effectivement sombré, après avoir pu heureusement mettre son capitaine, ses officiers et son équipage à bord du Herald, croiseur de première classe de Sa Majesté Britannique naviguant sous le pavillon du contre-amiral sir Edward Collinson, lequel dénonce le fait à Son Excellence le gouverneur Cyrus Bikerstaff en lui demandant de reconnaître la responsabilité de la Standard-Island Company limited, sous la garantie des habitants de ladite Standard-Island envers les armateurs du dit Glen, dont la valeur en coque, machines et cargaison s’élève à la somme de douze cent mille livres sterling,1 soit six millions de dollars, laquelle somme devra être versée entre les mains dudit amiral sir Edward Collinson, faute de quoi il sera procédé même par la force contre ladite Standard-Island.»

Rien qu’une phrase de trois cent sept mots, coupée de virgules, sans un seul point! Mais comme elle dit tout, et comme elle ne laisse place à aucune échappatoire! Oui ou non, le gouverneur se résout-il à admettre la réclamation faite par sir Edward Collinson et accepte-t-il son dire touchant: 1° la responsabilité encourue par la Compagnie; 2° la valeur estimative de douze cent mille livres, attribuée au steamer Glen de Glasgow?

Cyrus Bikerstaff répond par les arguments d’usage en matière de collision:

Le temps était très obscur en raison d’une éruption volcanique qui avait dû se produire dans les parages de l’ouest. Si le Glen avait ses feux, Standard-Island avait les siens. De part et d’autre, il était impossible de les apercevoir. On se trouve donc dans le cas de force majeure. Or, d’après les règlements maritimes, chacun doit garder ses avaries pour compte, et il ne peut y avoir matière ni à réclamation ni à responsabilité.

Réponse du capitaine Turner:

Son Excellence le gouverneur aurait sans doute raison dans le cas où il s’agirait de deux bâtiments naviguant dans des conditions ordinaires. Si le Glen remplissait ces conditions, il est manifeste que Standard-Island ne les remplit pas, qu’elle ne saurait être assimilée à un navire, qu’elle constitue un danger permanent en mouvant son énorme masse à travers les routes maritimes, qu’elle équivaut à une île, à un îlot, à un écueil qui se déplacerait sans que son gisement pût être porté d’une façon définitive sur les cartes, que l’Angleterre a toujours protesté contre cet obstacle impossible à fixer par des relèvements hydrographiques, et que Standard-Island doit toujours être tenue pour responsable des accidents qui proviendront de sa nature, etc., etc.

Il est évident que les arguments du capitaine Turner ne manquent pas d’une certaine logique. Au fond, Cyrus Bikerstaff en sent la justesse. Mais il ne saurait de lui-même prendre une décision. La cause sera portée devant qui de droit, et il ne peut que donner acte à l’amiral sir Edward Collinson de sa réclamation. Très heureusement, il n’y a pas eu mort d’hommes…

«Très heureusement, répond le capitaine Turner, mais il y a eu mort de navire, et des millions ont été engloutis par la faute de Standard-Island. Le gouverneur consent-il dores et déjà à verser entre les mains de l’amiral sir Edward Collinson la somme représentant la valeur attribuée au Glen et à sa cargaison?»

Comment le gouverneur consentirait-il à faire ce versement?… Après tout, Standard-Island offre des garanties suffisantes… Elle est là pour répondre des dommages encourus, si les tribunaux jugent qu’elle soit responsable, après expertise, tant sur les causes de l’accident que sur l’importance de la perte causée.

«C’est le dernier mot de Votre Excellence?… demande le capitaine Turner.

– C’est mon dernier mot, répond Cyrus Bikerstaff, car je n’ai pas qualité pour engager la responsabilité de la Compagnie.»

Nouveaux saluts plus raides encore, échangés entre le gouverneur et le capitaine anglais. Départ de celui-ci par le car, qui le ramène à Bâbord-Harbour, et retour à l’Herald par la chaloupe à vapeur, qui le transporte à bord du croiseur.

Lorsque la réponse de Cyrus Bikerstaff est connue du conseil des notables, elle reçoit son approbation pleine et entière, et, après le conseil, celle de toute la population de Standard-Island. On ne peut se soumettre à l’insolente et impérieuse mise en demeure des représentants de Sa Majesté Britannique.

Ceci bien établi, le commodore Simcoë donne des ordres pour quo l’île à hélice reprenne sa route à toute vitesse.

Or, si la division de l’amiral Collinson s’entête, sera-t-il possible d’échapper à ses poursuites? Ses bâtiments n’ont-ils pas une marche très supérieure? Et s’il appuie sa réclamation de quelques obus à la mélinite, sera-t-il possible de résister? Sans doute, les batteries de l’île sont capables de répondre aux Armstrongs, dont les croiseurs de la division sont armés. Mais le champ offert au tir anglais est infiniment plus vaste… Que deviendront les femmes, les enfants, dans l’impossibilité de trouver un abri?… Tous les coups porteront, tandis que les batteries de l’Éperon et de la Poupe perdront au moins cinquante pour cent de leurs projectiles sur un but restreint et mobile!…

Il faut donc attendre ce que va décider l’amiral sir Edward Collinson.

On n’attend pas longtemps.

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A neuf heures quarante-cinq, un premier coup à blanc part de la tourelle centrale du Herald en même temps que le pavillon du Royaume-Uni monte en tête de mât.

Sous la présidence du gouverneur et de ses adjoints, le conseil des notables discute dans la salle des séances à l’hôtel de ville. Cette fois, Jem Tankerdon et Nat Coverley sont du même avis. Ces Américains, en gens pratiques, ne songent point à essayer d’une résistance qui pourrait entraîner la perte corps et biens de Standard-Island.

Un second coup de canon retentit. Cette fois, un obus passe en sifflant, dirigé de manière à tomber à une demi-encablure en mer, où il éclate avec une formidable violence, en soulevant d’énormes masses d’eau.

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Sur l’ordre du gouverneur, le commodore Simcoë fait amener le pavillon qui a été hissé en réponse à celui du Herald. Le capitaine Turner revient à Bâbord-Harbour. Là, il reçoit des valeurs, signées de Cyrus Bikerstaff et endossées par les principaux notables pour une somme de douze cent mille livres.

Trois heures plus tard, les dernières fumées de la division s’effacent dans l’est, et Standard-Island continue sa marche vers l’archipel des Tonga.

 

 

 

V

Le Tabou à Tonga-Tabou

 

t alors, dit Yvernès, nous relâcherons aux principales îles de Tonga-Tabou?

– Oui, mon excellent bon! répond Calistus Munbar. Vous aurez le loisir de faire connaissance avec cet archipel, que vous avez le droit d’appeler archipel d’Hapaï, et même archipel des Amis, ainsi que l’a nommé le capitaine Cook, en reconnaissance du bon accueil qu’il y avait reçu.

– Et nous y serons sans doute mieux traités que nous ne l’avons été aux îles de Cook?… demande Pinchinat.

– C’est probable.

– Est-ce que nous visiterons toutes les îles de ce groupe?… interroge Frascolin.

– Non certes, attendu qu’on n’en compte pas moins de cent cinquante…

– Et après?… s’informe Yvernès.

– Après, nous irons aux Fidji, puis aux Nouvelles-Hébrides, puis, dès que nous, aurons rapatrié les Malais, nous reviendrons à Madeleine-bay où se terminera notre campagne.

– Standard-Island doit-elle relâcher sur plusieurs points des Tonga?… reprend Frascolin.

– A Vavao et à Tonga-Tabou seulement, répond le surintendant, et ce n’est point encore là que vous trouverez les vrais sauvages de vos rêves, mon cher Pinchinat!

– Décidément, il n’y en a plus, même dans l’ouest du Pacifique! réplique Son Altesse.

– Pardonnez-moi… il en existe un nombre respectable du côté des Nouvelles-Hébrides et des Salomon. Mais, à Tonga, les sujets du roi Georges Ier sont à peu près civilisés, et j’ajoute que ses sujettes sont charmantes. Je ne vous conseillerais point cependant d’épouser une de ces, ravissantes Tongiennes.

– Pour quelle raison?…

– Parce que les mariages entre étrangers et indigènes ne passent point pour être heureux. Il y a généralement incompatibilité d’humeur!

– Bon! s’écrie Pinchinat, et ce vieux ménétrier de Zorn qui comptait se marier à Tonga-Tabou!

– Moi! riposte le violoncelliste en haussant les épaules. Ni à Tonga-Tabou, ni ailleurs, entends-tu bien, mauvais plaisant!

– Décidément, notre chef d’orchestre est un sage, répond Pinchinat. Voyez-vous, mon cher Calistus – et même permettez-moi de vous appeler Eucalistus, tant vous m’inspirez de sympathie…

– Je vous le permets, Pinchinat!

– Eh bien, mon cher Eucalistus, on n’a pas raclé pendant quarante ans des cordes de violoncelle sans être devenu philosophe, et la philosophie enseigne que l’unique moyen d’être heureux en mariage, c’est de n’être point marié.»

Dans la matinée du 6 janvier, apparaissent à l’horizon les hauteurs de Vavao, la plus importante du groupe septentrional. Ce groupe est très différent, par sa formation volcanique, des deux autres, Hapaï et Tonga-Tabou. Tous les trois sont compris entre le dix-septième et le vingt-deuxième degré sud, et le cent soixante-seizième et le cent soixante-dix-huitième degré ouest, – une aire de deux mille cinq cents kilomètres carrés sur laquelle se répartissent cent cinquante îles peuplées de soixante mille habitants.

Là se promenèrent les navires de Tasman en 1643, et les navires de Cook en 1773, pendant son deuxième voyage de découvertes à travers le Pacifique. Après le renversement de la dynastie des Finare-Finare et la fondation d’un état fédératif en 1797, une guerre civile décima la population de l’archipel. C’est l’époque où débarquèrent lès missionnaires méthodistes, qui firent triompher cette ambitieuse secte de la religion anglicane. Actuellement, le roi Georges Ier est le souverain non contesté de ce royaume, sous le protectorat de l’Angleterre, en attendant que… Ces quelques points ont pour but de réserver l’avenir, tel que le fait trop souvent la protection britannique à ses protégés d’outre-mer.

La navigation est assez difficile au milieu de ce dédale d’îlots et d’îles, plantés de cocotiers, et qu’il est nécessaire de suivre pour atteindre Nu-Ofa, la capitale du groupe des Vavao.

Vavao est volcanique, et, comme telle, exposée aux tremblements de terre. Aussi s’en est-on préoccupé en élevant des habitations, dont la construction ne comporte pas un seul clou. Des joncs tressés forment les murs avec des lattes de bois de cocotier, et sur des piliers ou troncs d’arbres repose une toiture ovale. Le tout est très frais et très propre. Cet ensemble attire plus particulièrement l’attention de nos artistes, postés à la batterie de l’Éperon, alors que Standard-Island passe à travers les canaux bordés de villages kanaques. Çà et là, quelques maisons européennes déploient les pavillons de l’Allemagne et de l’Angleterre.

Mais si cette partie de l’archipel est volcanique, ce n’est pas à l’un de ses volcans qu’il convient d’attribuer le formidable épanchement, éruption de scories et de cendres, vomi sur ces parages. Les Tongiens n’ont pas même été plongés dans des ténèbres de quarante-huit heures, les brises de l’ouest ayant chassé les nuages de matières éruptives vers l’horizon opposé. Très vraisemblablement, le cratère qui les a expectorées appartient à quelque île isolée dans l’est, à moins que ce ne soit un volcan de formation récente entre les Samoa et les Tonga.

La relâche de Standard-Island à Vavao n’a duré que huit jours. Cette île mérite d’être visitée, bien que, plusieurs années auparavant, elle ait été ravagée par un terrible cyclone qui renversa la petite église des Maristes français et détruisit quantité d’habitations indigènes. Néanmoins, la campagne est restée très attrayante, avec ses nombreux villages, enclos de ceintures d’orangers, ses plaines fertiles, ses champs de canne à sucre, d’ignames, ses massifs de bananiers, de mûriers, d’arbres à pain, de sandals. En fait d’animaux domestiques, rien que des porcs et des volailles. En fait d’oiseaux, rien que des pigeons par milliers et des perroquets aux joyeuses couleurs et au bruyant caquetage. En fait de reptiles, quelques serpents inoffensifs et de jolis lézards verts, que l’on prendrait pour des feuilles tombées des arbres.

Le surintendant n’a point exagéré la beauté du type indigène – commun, du reste, à cette race malaise des divers archipels du Pacifique central. Des hommes superbes, hauts de taille, un peu obèses peut-être, mais d’une admirable structure et de noble attitude, regard fier, teint qui se nuance depuis le cuivre foncé jusqu’à l’olive. Des femmes gracieuses et bien proportionnées, les mains et les pieds d’une délicatesse de forme et d’une petitesse qui font commettre plus d’un péché d’envie aux Allemandes et aux Anglaises de la colonie européenne. On ne s’occupe, d’ailleurs, dans l’indigénat féminin, que de la fabrique des nattes, des paniers, des étoffes semblables à celles de Taïti, et les doigts ne se déforment pas à ces travaux manuels. Et puis, il est aisé de pouvoir de visu juger des perfections de la beauté tongienne. Ni l’abominable pantalon, ni la ridicule robe à traîne n’ont encore été adoptés par les modes du pays. Un simple pagne ou une ceinture pour les hommes, le caraco et la jupe courte avec des ornements en fines écorces sèches pour les femmes, qui sont à la fois réservées et coquettes. Chez les deux sexes, une chevelure toujours soignée, que les jeunes filles relèvent coquettement sur leur front, et dont elles maintiennent l’édifice avec un treillis de fibres de cocotier en guise de peigne.

Et pourtant, ces avantages n’ont point le don de faire revenir de ses préventions le rébarbatif Sébastien Zorn. Il ne se mariera pas plus à Vavao, à Tonga-Tabou que n’importe en quel pays de ce monde sublunaire.

C’est toujours une vive satisfaction, pour ses camarades et lui, de débarquer sur ces archipels. Certes, Standard-Island leur plaît; mais enfin, de mettre le pied en terre ferme n’est pas non plus pour leur déplaire. De vraies montagnes, de vraies campagnes, de vrais cours d’eau, cela repose des rivières factices et des littoraux artificiels. Il faut être un Calistus Munbar pour donner à son Joyau du Pacifique la supériorité sur les œuvres de la nature.

Bien que Vavao ne soit pas la résidence ordinaire du roi Georges, il possède à Nu-Ofa un palais, disons un joli cottage, qu’il habite assez fréquemment. Mais c’est sur l’île de Tonga-Tabou que s’élèvent le palais royal et les établissements des résidents anglais.

Standard-Island va faire là sa dernière relâche, presque à la limite du tropique du Capricorne, point extrême qui aura été atteint par elle au cours de sa campagne à travers l’hémisphère méridional.

Après avoir quitté Vavao, les Milliardais ont joui, pendant deux jours, d’une navigation très variée. On ne perd de vue une île que pour en relever une autre. Toutes, présentant le même caractère volcanique, sont dues à l’action de la puissance plutonienne. Il en est, à cet égard, du groupe septentrional comme du groupe central des Hapaï. Les cartes hydrographiques de ces parages, établies avec une extrême précision, permettent au commodore Simcoë de s’aventurer sans danger entre les canaux de ce dédale, depuis Hapaï jusqu’à Tonga-Tabou. Du reste, les pilotes ne lui manqueraient pas, s’il avait à requérir leurs services. Nombre d’embarcations circulent le long des îles; – pour la plupart des goélettes sous pavillon allemand employées au cabotage, tandis que les navires de commerce exportent le coton, le coprah, le café, le maïs,, principales productions de l’archipel. Non seulement les pilotes se seraient empressés de venir, si Ethel Simcoë les eût fait demander, mais aussi les équipages de ces pirogues doubles à balanciers, réunies par une plate-forme et pouvant contenir jusqu’à deux cents hommes. Oui! des centaines d’indigènes seraient accourus au premier signal, et quelle aubaine pour peu que le prix du pilotage eût été calculé sur le tonnage de Standard-Island! Deux cent cinquante-neuf millions de tonnes! Mais le commodore Simcoë, à qui tous ces parages sont familiers, n’a pas besoin de leurs bons offices. Il n’a confiance qu’en lui seul, et compte sur le mérite des officiers qui exécutent ses ordres avec une absolue précision.

Tonga-Tabou est aperçue dans la matinée du 9 janvier, alors que Standard-Island n’en est pas à plus de trois à quatre milles. Très basse, sa formation n’étant pas due à un effort géologique, elle n’est pas montée du fond sous-marin, comme tant d’autres îles immobilisées après être venues respirer à la surface de ces eaux. Ce sont les infusoires qui l’ont peu à peu construite en édifiant leurs étages madréporiques.

Et quel travail! Cent kilomètres de circonférence, une aire de sept à huit cents kilomètres superficiels, sur lesquels vivent vingt mille habitants!

Le commodore Simcoë s’arrête en face du port de Maofuga. Des rapports s’établissent immédiatement entre l’île sédentaire et l’île mouvante, une sœur de cette Latone de mythologique souvenir! Quelle différence offre cet archipel avec les Marquises, les Pomotou, l’archipel de la Société! L’influence anglaise y domine, et, soumis à cette domination, le roi Georges Ier ne s’empressera pas de faire bon accueil à ces Milliardais d’origine américaine.

Cependant, à Maofuga, le quatuor rencontre un petit centre français. Là réside l’évêque de l’Océanie, qui faisait alors une tournée pastorale dans les divers groupes. Là s’élèvent la mission catholique, la maison des religieuses, les écoles de garçons et de filles. Inutile de dire que les Parisiens sont reçus avec cordialité par leurs compatriotes. Le supérieur de la Mission leur offre l’hospitalité, ce qui les dispense de recourir à la «Maison des Étrangers». Quant à leurs excursions, elles ne doivent les conduire qu’à deux autres points importants, Nakualofa, la capitale des états du roi Georges, et le village de Mua, dont les quatre cents habitants professent la religion catholique.

Lorsque Tasman découvrit Tonga-Tabou, il lui donna le nom d’Amsterdam, – nom que ne justifieraient guère ses maisons en feuilles de pandanus et fibres de cocotier. Il est vrai, les habitations à l’européenne ne manquent point; mais le nom indigène s’approprie mieux à cette île.

Le port de Maofuga est situé sur la côte septentrionale. Si Standard-Island eût pris son poste de relâche plus à l’ouest de quelques milles, Nakualofa, ses jardins royaux et son palais royal se fussent offerts aux regards. Si, au contraire, le commodore Simcoë se fût dirigé plus à l’est, il aurait trouvé une baie qui entaille assez profondément le littoral, et dont le fond est occupé par le village de Mua. Il ne l’a pas fait, parce que son appareil aurait couru des risques d’échouage au milieu de ces centaines d’îlots, dont les passes ne donnent accès qu’à des navires de médiocre tonnage. L’île à hélice doit donc rester devant Maofuga pendant toute la durée de la relâche.

Si un certain nombre de Milliardais débarquent dans ce port, ils sont assez rares ceux qui songent à parcourir l’intérieur de l’île. Elle est charmante, pourtant, et mérite les louanges dont Élisée Reclus l’a comblée. Sans doute, la chaleur est très forte, l’atmosphère orageuse, quelques pluies d’une violence extrême sont de nature à calmer l’ardeur des excursionnistes, et il faut être pris de la folie du tourisme pour courir le pays. C’est néanmoins ce que font Frascolin, Pinchinat, Yvernès, car il est impossible de décider le violoncelliste à quitter sa confortable chambre du casino avant le soir, alors que la brise de mer rafraîchit les grèves de Maofuga. Le surintendant lui-même s’excuse de ne pouvoir accompagner les trois enragés.

«Je fondrais en route! leur dit-il.

– Eh bien, nous vous rapporterions en bouteille!» répond Son Altesse.

Cette perspective engageante ne peut convaincre Calistus Munbar, qui préfère se conserver à l’état solide.

Très heureusement pour les Milliardais, depuis trois semaines déjà le soleil remonte vers l’hémisphère septentrional, et Standard-Island saura se tenir à distance de ce foyer incandescent, de manière à conserver une température normale.

Donc, dès le lendemain, les trois amis quittent Maofuga à l’aube naissante, et se dirigent vers la capitale de l’île. Certainement, il fait chaud; mais cette chaleur est supportable sous le couvert des cocotiers, des leki-leki, des toui-touis qui sont les arbres à chandelles, les cocas, dont les haies rouges et noires se forment en grappes d’éblouissantes gemmes.

Il est à peu près midi lorsque la capitale se montre dans, toute sa splendide floraison, – expression qui ne manque pas de justesse à cette époque de l’année. Le palais du roi semble sortir d’un gigantesque bouquet de verdure. Il existe un contraste frappant entre les cases indigènes, toutes fleuries, et les habitations, très britanniques d’aspect, – citons celle qui appartient aux missionnaires protestants. Du reste, l’influence de ces ministres wesleyens a été considérable, et, après en avoir massacré un certain nombre, les Tongiens ont fini par adopter leurs croyances. Observons, cependant, qu’ils n’ont point entièrement renoncé aux pratiques de leur mythologie kanaque. Pour eux le grand-prêtre est supérieur au roi. Dans les enseignements de leur bizarre cosmogonie, les bons et les mauvais génies jouent un rôle important. Le christianisme ne déracinera pas aisément le tabou, qui est toujours en honneur, et, lorsqu’il s’agit de le rompre, cela ne se fait pas sans cérémonies expiatoires, dans lesquelles la vie humaine est quelquefois sacrifiée…

Il faut mentionner, d’après les récits des explorateurs – particulièrement M. Aylie Marin dans ses voyages de 1882, – que Nakualofa n’est encore qu’un centre à demi civilisé.

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Frascolin, Pinchinat, Yvernès, n’ont aucunement éprouvé le désir d’aller déposer leurs hommages aux pieds du roi Georges. Cela n’est point à prendre dans le sens métaphorique, puisque la coutume est de baiser les pieds de ce souverain. Et nos Parisiens s’en félicitent lorsque, sur la place de Nakualofa, ils aperçoivent le «tui», comme on appelle Sa Majesté, vêtu d’une sorte de chemise blanche et d’une petite jupe en étoffe du pays, attachée autour de ses reins. Ce baisement des pieds eût certes compté parmi les plus désagréables souvenirs de leur voyage.

«On voit, fait observer Pinchinat, que les cours d’eau sont peu abondants dans le pays!»

En effet, à Tonga-Tabou, à Vavao, comme dans les autres îles de l’archipel, l’hydrographie ne comporte ni un ruisseau ni un lagon. L’eau de pluie, recueillie dans les citernes, voilà tout ce que la nature offre aux indigènes, et ce dont les sujets de Georges Ier se montrent aussi ménagers que leur souverain.

Le jour même, les trois touristes, très fatigués, sont revenus au port de Maofuga, et retrouvent avec grande satisfaction leur appartement du casino. Devant l’incrédule Sébastien Zorn, ils affirment que leur excursion a été des plus intéressantes. Mais les poétiques incitations d’Yvernès ne peuvent décider le violoncelliste à se rendre, le lendemain, au village de Mua.

Ce voyage doit être assez long et très fatigant. On s’épargnerait aisément cette fatigue, en utilisant l’une des chaloupes électriques que Cyrus Bikerstaff mettrait volontiers à la disposition des excursionnistes. Mais, d’explorer l’intérieur de ce curieux pays, c’est une considération de quelque valeur, et les touristes partent pédestrement pour la baie de Mua, en contournant un littoral de corail que bordent des îlots, où semblent s’être donné rendez-vous tous les cocotiers de l’Océanie.

L’arrivée à Mua n’a pu s’effectuer que dans l’après-midi. Il y aura donc lieu d’y coucher. Un endroit est tout indiqué pour recevoir des Français. C’est la résidence des missionnaires catholiques. Le supérieur montre, en accueillant ses hôtes, une joie touchante – ce qui leur rappelle la façon dont ils ont été reçus par les Maristes de Samoa. Quelle excellente soirée, quelle intéressante causerie, où il a été plutôt question de la France que de la colonie tongienne! Ces litigieux ne songent pas sans quelque regret à leur terre natale si éloignée! Il est vrai, ces regrets ne sont-ils pas compensés par tout le bien qu’ils font dans ces îles? N’est-ce point une consolation de se voir respectés de ce petit monde qu’ils ont soustrait à l’influence des ministres anglicans et convertis à la foi catholique? Tel est même leur succès que les méthodistes ont dû fonder une sorte d’annexé au village de Mua, afin de pourvoir aux intérêts du prosélytisme wesleyen.

C’est avec un certain orgueil que le supérieur fait admirer à ses hôtes les établissements de la Mission, la maison qui fut construite gratuitement par les indigènes de Mua, et cette jolie église, due aux architectes tongiens, que ne désavoueraient pas leurs confrères de France.

Pendant la soirée, on se promène aux environs du village, on se porte jusqu’aux anciennes tombes de Tui-Tonga, où le schiste et le corail s’entremêlent dans un art primitif et charmant. On visite même cette antique plantation de méas, banians ou figuiers monstrueux à racines entrelacées comme des serpents, et dont la circonférence dépasse parfois soixante mètres. Frascolin tient à les mesurer; puis, ayant inscrit ce chiffre sur son carnet, il le fait certifier exact par le supérieur. Allez donc, après cela, mettre en doute l’existence d’un pareil phénomène végétal!

Bon souper, bonne nuit dans les meilleures chambres de la Mission. Après quoi, bon déjeuner, bons adieux des missionnaires qui résident à Mua, et retour à Standard-Island, au moment où cinq heures sonnent au beffroi de l’hôtel de ville. Cette fois, les trois excursionnistes n’ont point à recourir aux amplifications métaphoriques pour assurer à Sébastien Zorn que ce voyage leur laissera d’inoubliables souvenirs.

Le lendemain, Cyrus Bikerstaff reçoit la visite du capitaine Sarol; voici à quel propos:

Un certain nombre de Malais – une centaine environ, – avaient été recrutés aux Nouvelles-Hébrides, et conduits à Tonga-Tabou pour des travaux de défrichement, – recrutement indispensable eu égard à l’indifférence, disons la paresse native des Tongiens qui vivent au jour le jour. Or, ces travaux étant achevés depuis peu, ces Malais attendaient l’occasion de retourner dans leur archipel. Le gouverneur voudrait-il leur permettre de prendre passage sur Standard-Island? C’est cette permission que vient demander le capitaine Sarol. Dans cinq ou six semaines, on arrivera à Erromango, et le transport de ces indigènes n’aura pas été une grosse charge pour le budget municipal. Il n’eût pas été généreux de refuser à ces braves gens un service si facile à rendre. Aussi le gouverneur accorde-t-il l’autorisation, – ce qui lui vaut les remerciements du capitaine Sarol, et aussi ceux des Maristes de Tonga-Tabou, pour lesquels ces Malais avaient été recrutés.

Qui aurait pu se douter que le capitaine Sarol s’adjoignait ainsi des complices, que ces Néo-Hébridiens lui viendraient en aide, lorsqu’il en serait temps, et n’avait-il pas lieu de se féliciter de les avoir rencontrés à Tonga-Tabou, de les avoir introduits à Standard-Island?…

Ce jour est le dernier que les Milliardais doivent passer dans l’archipel, le départ étant fixé au lendemain.

L’après-midi, ils vont pouvoir assister à l’une de ces fêtes mi-civiles mi-religieuses auxquelles les indigènes prennent part avec un extraordinaire entrain.

Le programme de ces fêtes, dont les Tongiens sont aussi friands que leurs congénères des Samoa et des Marquises, comprend plusieurs numéros de danses variées. Comme cela est de nature à intéresser nos Parisiens, ceux-ci se rendent à terre vers trois heures.

Le surintendant les accompagne, et, cette fois, Athanase Dorémus avoulu se joindre à eux. La présence d’un professeur de grâces et de maintien n’est-elle pas tout indiquée dans une cérémonie de ce genre? Sébastien Zorn s’est décidé à suivre ses camarades, plus désireux sans doute d’entendre la musique tongienne que d’assister aux ébats chorégraphiques de la population.

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Quand ils arrivèrent sur la place, la fête battait son plein. La liqueur de kava, extraite de la racine desséchée du poivrier, circule dans les gourdes et s’écoule à travers les gosiers d’une centaine de danseurs, hommes et femmes, jeunes gens et jeunes filles, ces dernières coquettement ornées de leurs longs cheveux qu’elles doivent porter tels jusqu’au jour du mariage.

L’orchestre est des plus simples. Pour instruments, cette flûte nasale nommée fanghu-fanghu, plus une douzaine de nafas, qui sont des tambours sur lesquels on frappe à coups redoublés, – et même en mesure, ainsi que le fait remarquer Pinchinat.

Évidemment, le «très comme il faut» Athanase Dorémus ne peut qu’éprouver le plus parfait dédain pour des danses qui ne rentrent pas dans la catégorie des quadrilles, polkas, mazurkas et valses de l’école française. Aussi ne se gêne-t-il pas de hausser les épaules, à l’encontre d’Yvernès, auquel ces danses paraissent empreintes d’une véritable originalité.

Et d’abord, exécution des danses assises, qui ne se composent que d’attitudes, de gestes de pantomimes, de balancements de corps, sur un rythme lent et triste d’un étrange effet.

A ce balancement succèdent les danses debout, dans lesquelles Tongiens et Tongiennes s’abandonnent à toute la fougue de leur tempérament, figurant tantôt des passes gracieuses, tantôt reproduisant, dans leurs poses, les furies du guerrier courant les sentiers de la guerre.

Le quatuor regarde ce spectacle en artiste, se demandant à quel degré arriveraient ces indigènes, s’ils étaient surexcités par la musique enlevante des bals parisiens.

Et alors, Pinchinat, – l’idée est bien de lui, – fait cette proposition à ses camarades: envoyer chercher leurs instruments au casino, et servir à ces ballerins et ballerines, les plus enragés six-huit et les plus formidables deux-quatre des répertoires de Lecoq, d’Audran et d’Offenbach.

La proposition est acceptée, et Calistus Munbar ne doute pas que l’effet doive être prodigieux.

Une demi-heure après, les instruments ont été apportés, et le bal de commencer aussitôt.

Extrême surprise des indigènes, mais aussi extrême plaisir qu’ils témoignent d’entendre cevioloncelle et ces trois violons, maniés à plein archet, d’où s’échappe une musique ultra-française.

Croyez bien qu’ils ne sont pas insensibles à de tels effets, ces indigènes, et il est prouvé jusqu’à l’évidence que ces danses caractéristiques des bals musettes sont instinctives, qu’elles s’apprennent sans maîtres, – quoi qu’en puisse penser Athanase Dorémus. Tongiens et Tongiennes rivalisent dans les écarts, les déhanchements et les voltes, lorsque Sébastien Zorn, Yvernès, Frascolin et Pinchinat attaquent les rythmes endiablés d’Orphée aux Enfers. Le surintendant lui-même ne se possède plus, et le voilà s’abandonnant dans un quadrille échevelé aux inspirations du cavalier seul, tandis que le professeur de grâces et de maintien se voile la face devant de pareilles horreurs. Au plus fort de cette cacophonie, à laquelle se mêlent les flûtes nasales et les tambours sonores, la furie des danseurs atteint son maximum d’intensité, et l’on ne sait où cela se serait arrêté, s’il ne fût survenu un incident qui mit fin à cette chorégraphie infernale.

Un Tongien, – grand et fort gaillard, – émerveillé des sons que tire le violoncelliste de son instrument, vient de se précipiter sur le violoncelle, l’arrache, l’emporte et s’enfuit, criant:

«Tabou… tabou!…»

Ce violoncelle est taboué! On ne peut plus y toucher sans sacrilège! Les grands-prêtres, le roi Georges, les dignitaires de sa cour, toute la population de l’île se soulèverait, si l’on violait cette coutume sacrée…

Sébastien Zorn ne l’entend pas ainsi. Il tient à ce chef-d’œuvre de Gand et Benardel. Aussi le voilà-t-il qui se lance sur les traces du voleur. A l’instant ses camarades se jettent à sa suite. Les indigènes s’en mêlent. De là, débandade générale.

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Mais le Tongien détale avec une telle rapidité qu’il faut renoncer à le rejoindre. En quelques minutes, il est loin… très loin!

Sébastien Zorn et les autres, n’en pouvant plus, reviennent retrouver Calistus Munbar qui, lui, est resté époumoné. Dire que le violoncelliste est dans un état d’indescriptible fureur, ce ne serait pas suffisant. Il écume, il suffoque! Taboué ou non, qu’on lui rende son instrument! Dût Standard-Island déclarer la guerre à Tonga-Tabou, – et n’a-t-on pas vu des guerres éclater pour des motifs moins sérieux? – le violoncelle doit être restitué à son propriétaire.

Très heureusement les autorités de l’île sont intervenues dans l’affaire. Une heure plus tard, on a pu saisir l’indigène, et l’obliger à rapporter l’instrument. Cette restitution ne s’est pas effectuée sans peine, et le moment n’était pas éloigné où l’ultimatum du gouverneur Cyrus Bikerstaff allait, à propos d’une question de tabou, soulever peut-être les passions religieuses de tout l’archipel.

D’ailleurs, la rupture du tabou a dû s’opérer régulièrement, conformément aux cérémonies cultuelles du fata en usage dans ces circonstances. Suivant la coutume, un nombre considérable de porcs sont égorgés, cuits à l’étouffée dans un trou rempli de pierres brûlantes, de patates douces, de taros et de fruits du macoré, puis mangés à l’extrême satisfaction des estomacs tongiens.

Quant à son violoncelle, un peu détendu dans la bagarre, Sébastien Zorn n’eut plus qu’à le remettre au diapason, après avoir constaté qu’il n’avait rien perdu de ses qualités par suite des incantations indigènes.

 

 

 

VI

Une collection de fauves

 

n quittant Tonga-Tabou, Standard-Island met le cap au nord-ouest, vers l’archipel des Fidji. Elle commence à s’éloigner du tropique à la suite du soleil qui remonte vers l’Équateur. Il n’est pas nécessaire qu’elle se hâte. Deux cents lieues seulement la séparent du groupe fidgien, et le commodore Simcoë se maintient à l’allure de promenade.

La brise est variable, mais qu’importé la brise pour ce puissant appareil marin? Si, parfois, de violents orages éclatent sur cette limite du vingt-troisième parallèle, le Joyau du Pacifique ne songe même pas à s’en inquiéter. L’électricité, qui sature l’atmosphère, est soutirée par les nombreuses tiges dont ses édifices et ses habitations sont armés. Quant aux pluies, même torrentielles, que lui versent ces nuages orageux, elles sont les bienvenues. Le parc et la campagne verdoient sous ces douches, rares d’ailleurs. L’existence s’écoule donc dans les conditions les plus heureuses, au milieu des fêtes, des concerts, des réceptions. A présent, les relations sont fréquentes d’une section à l’autre, et il semble que rien ne puisse désormais menacer la sécurité de l’avenir.

Cyrus Bikerstaff n’a point à se repentir d’avoir accordé le passage aux Néo-Hébridiens embarqués sur la demande du capitaine Sarol. Ces indigènes cherchent à se rendre utiles. Ils s’occupent aux travaux des champs, ainsi qu’ils le faisaient dans la campagne tongienne. Sarol et ses Malais ne les quittent guère pendant la journée, et, le soir venu, ils regagnent les deux ports où la municipalité les a répartis. Nulle plainte ne s’élève contre eux. Peut-être était-ce là une occasion de chercher à convertir ces braves gens. Ils n’ont point jusqu’alors adopté les croyances du christianisme, auquel une grande partie de la population néo-hébridienne se montre réfractaire en dépit des efforts des missionnaires anglicans et catholiques. Le clergé de Standard-Island y a bien songé, mais le gouverneur n’a voulu autoriser aucune tentative en ce genre.

Ces Néo-Hébridiens, dont l’âge varie de vingt à quarante ans, sont de taille moyenne. Plus foncés de teint que les Malais, s’ils offrent de moins beaux types que les naturels des Tonga ou des Samoa, ils paraissent doués d’une extrême endurance. Le peu d’argent qu’ils ont gagné au service des Maristes de Tonga-Tabou, ils le gardent précieusement, et ne songent point à le dépenser en boissons alcooliques, qui ne leur seraient vendues d’ailleurs qu’avec une extrême réserve. Au surplus, défrayés de tout, jamais, sans doute, ils n’ont été si heureux dans leur sauvage archipel.

Et, pourtant, grâce au capitaine Sarol, ces indigènes, unis à leurs compatriotes des Nouvelles-Hébrides, vont conniver à l’œuvre de destruction dont l’heure approche. C’est alors que reparaîtra toute leur férocité native. Ne sont-ils pas les descendants des massacreurs qui ont fait une si redoutable réputation aux populations de cette partie du Pacifique?

En attendant, les Milliardais vivent dans la pensée que rien no saurait compromettre une existence où tout est si logiquement prévu, si sagement organisé. Le quatuor obtient toujours les mêmes succès. On ne se fatigue ni de l’entendre ni de l’applaudir. L’œuvre de Mozart, de Beethoven, d’Haydn, de Mendelssohn, y passera en entier. Sans parler des concerts réguliers du casino, Mrs Coverley donne des soirées musicales, qui sont très suivies. Le roi et la reine de Malécarlie les ont plusieurs fois honorées de leur présence. Si les Tankerdon n’ont pas encore rendu visite à l’hôtel de la Quinzième Avenue, du moins Walter est-il devenu un assidu de ses concerts. Il est impossible que son mariage avec miss Dy ne s’accomplisse pas un jour ou l’autre… On en parle ouvertement dans les salons tribordais et bâbordais… On désigne même les témoins des futurs fiancés… Il ne manque que l’autorisation des chefs de famille… Ne surgira-t-il donc pas une circonstance qui obligera Jem Tankerdon et Nat Coverley à se prononcer?…

Cette circonstance, si impatiemment attendue, n’a pas tardé à se produire. Mais au prix de quels dangers, et combien fut menacée la sécurité de Standard-Island!

L’après-midi du 16 janvier, à peu près au centre de cette portion de mer qui sépare les Tonga des Fidji, un navire est signalé dans le sud-est. Il semble faire route sur Tribord-Harbour. Ce doit être un steamer de sept à huit cents tonneaux. Aucun pavillon ne flotte à sa corne, et il ne l’a pas même hissé lorsqu’il n’était plus qu’à un mille de distance.

Quelle est la nationalité de ce steamer? Les vigies de l’observatoire ne peuvent le reconnaître à sa construction. Comme il n’a point honoré d’un salut cette détestée Standard-Island, il ne serait pas impossible qu’il fût anglais.

Du reste, ledit bâtiment ne cherche point à gagner l’un des ports. Il semble vouloir passer au large, et, sans doute, il sera bientôt hors de vue.

La nuit vient, très obscure, sans lune. Le ciel est couvert de ces nuages élevés, semblables à ces étoffes pelucheuses, impropres au rayonnement, qui absorbent toute lumière. Pas de vent. Calme absolu des eaux et de l’air. Silence profond au milieu de ces épaisses ténèbres.

Vers onze heures, changement atmosphérique. Le temps devient très orageux. L’espace est sillonné d’éclairs jusqu’au delà de minuit, et les grondements de la foudre continuent, sans qu’il tombe une goutte de pluie.

Peut-être ces grondements, dus à quelque orage lointain, ont-ils empêché les douaniers en surveillance à la batterie de la Poupe d’entendre de singuliers sifflements, d’étranges hurlements qui ont troublé cette partie du littoral. Ce ne sont ni des sifflements d’éclairs, ni des hurlements de foudre. Ce phénomène, quelle qu’en ait été la cause, ne s’est produit qu’entre deux et trois heures du matin.

Le lendemain, nouvelle inquiétante qui se répand dans les quartiers excentriques de la ville. Les surveillants préposés à la garde des troupeaux en pâture sur la campagne, pris d’une soudaine panique, viennent de se disperser en toutes directions, les uns vers les ports, les autres vers la grille de Milliard-City.

Fait d’une bien autre gravité, une cinquantaine de moutons ont été à demi dévorés pendant la nuit, et leurs restes sanglants gisent aux environs de la batterie de la Poupe. Quelques douzaines de vaches, de biches, de daims, dans les enclos des herbages et du parc, une vingtaine de chevaux également, ont subi le même sort…

Nul doute que ces animaux aient été attaqués par des fauves… Quels fauves?… Des lions, des tigres, des panthères, des hyènes?… Est-ce que cela est admissible?… Est-ce que jamais un seul de ces redoutables carnassiers a paru sur Standard-Island?… Est-ce qu’il serait possible à ces animaux d’y arriver par mer?… Enfin est-ce que le Joyau du Pacifique se trouve dans le voisinage des Indes, de l’Afrique, de la Malaisie, dont la faune possède cette variété de bêtes féroces?…

Non! Standard-Island n’est pas, non plus, à proximité de l’embouchure de l’Amazone ni des bouches du Nil, et pourtant, vers sept heures du matin, deux femmes, qui viennent d’être recueillies dans le square de l’hôtel de ville, ont été poursuivies par un énorme alligator, lequel ayant regagné les bords de la Serpentine-river, a disparu sous les eaux. En même temps, le frétillement des herbes le long des rives indique que d’autres sauriens s’y débattent en ce moment.

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Que l’on juge de l’effet produit par ces incroyables nouvelles! Une heure après, les vigies ont constaté que plusieurs couples de tigres, de lions, de panthères, bondissent à travers la campagne. Plusieurs moutons, qui fuyaient du côté de la batterie de l’Éperon, sont étranglés par deux tigres de forte taille. De diverses directions, accourent les animaux domestiques, épouvantés par les hurlements des fauves. Il en est ainsi des gens que leurs occupations avaient appelés aux champs dès le matin. Le premier tram pour Bâbord-Harbour n’a que le temps de se remiser dans son garage. Trois lions l’ont pourchassé, et il ne s’en est fallu que d’une centaine de pas qu’ils aient pu l’atteindre.

Plus de doute, Standard-Island a été envahie pendant la nuit par une bande d’animaux féroces, et Milliard-City va l’être, si des précautions ne sont immédiatement prises.

C’est Athanase Dorémus qui a mis nos artistes au courant de la situation. Le professeur de grâces et de maintien, sorti plus tôt que d’habitude, n’a pas osé regagner son domicile, et il s’est réfugié au casino, dont aucune puissance humaine ne pourra plus l’arracher.

«Allons donc!… Vos lions et vos tigres sont des canards, s’écrie Pinchinat, et vos alligators des poissons d’avril!»

Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence. Aussi la municipalité a-t-elle donné l’ordre de fermer les grilles de la ville, puis de barrer l’entrée des deux ports et des postes de douane du littoral. En même temps, le service des trams est suspendu, et défense est faite de s’aventurer sur le parc ou dans la campagne, tant qu’on n’aura pas conjuré les dangers de cet inexplicable envahissement.

Or, au moment où les agents fermaient l’extrémité de la Unième Avenue, du côté du square de l’observatoire, voici qu’à cinquante pas de là, bondit un couple de tigres, l’œil en feu, la gueule sanglante. Quelques secondes de plus, et ces féroces animaux eussent franchi la grille.

Du côté de l’hôtel de ville, même précaution a pu être prise, et Milliard-City n’a rien à craindre d’une agression.

Quel événement, quelle matière à copie, que de faits-divers, de chroniques, pour le Starboard-Chronicle, le New-Herald et autres journaux de Standard-Island!

En réalité, la terreur est au comble. Hôtels et maisons se sont barricadés. Les magasins du quartier commerçant ont clos leurs devantures. Pas une seule porte n’est restée ouverte. Aux fenêtres des étages supérieurs apparaissent des têtes effarées. Il n’y a plus dans les rues que les escouades de la milice sous les ordres du colonel Stewart, et des détachements de la police dirigés par leurs officiers.

Cyrus Bikerstaff, ses adjoints Barthélémy Ruge et Hubley Harcourt, accourus dès la première heure, se tiennent en permanence dans la salle de l’administration. Par les appareils téléphoniques des deux ports, des batteries et des postes du littoral, la municipalité reçoit des nouvelles des plus inquiétantes. De ces fauves, il y en a un peu partout… des centaines à tout le moins, disent les télégrammes, où la peur a peut-être mis un zéro de trop… Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre de lions, de tigres, de panthères et de caïmans courent la campagne.

Que s’est-il donc passé?… Est-ce qu’une ménagerie en rupture de cage s’est réfugiée sur Standard-Island?… Mais d’où serait venue cette ménagerie?… Quel bâtiment la transportait?… Est-ce ce steamer aperçu la veille?… Si oui, qu’est devenu ce steamer?… A-t-il accosté pendant la nuit?… Est-ce que ces bêtes, après s’être échappées à la nage, ont pu prendre pied sur le littoral dans sa partie surbaissée qui sert à l’écoulement de la Serpentine-river?… Enfin, est-ce que le bâtiment a sombré ensuite?… Et pourtant, aussi loin que peut s’étendre la vue des vigies, aussi loin que porte la lunette du commodore Simcoë, aucun débris ne flotte à la surface de la mer, et le déplacement de Standard-Island a été presque nul depuis la veille!… En outre, si ce navire a sombré, comment son équipage n’aurait-il pas cherché refuge sur Standard-Island, puisque ces carnassiers ont pu le faire?…

Le téléphone de l’hôtel de ville interroge les divers postes à ce sujet, et les divers postes répondent qu’il n’y a eu ni collision ni naufrage. Cela n’aurait pu tromper leur attention, bien que l’obscurité ait été profonde. Décidément, de toutes les hypothèses, celle-là est encore la moins admissible.

«Mystère… mystère!…» ne cesse de répéter Yvernès.

Ses camarades et lui sont réunis au Casino, où Athanase Dorémus va partager leur déjeuner du matin, lequel sera suivi, s’il le faut, du déjeuner de midi et du dîner de six heures.

«Ma foi, répond Pinchinat, en grignotant son journal chocolaté qu’il trempe dans le bol fumant, ma foi, je donne ma langue aux chiens et même aux fauves… Quoi qu’il en soit, mangeons, monsieur Dorémus, en attendant d’être mangés…

– Qui sait?… réplique Sébastien Zorn. Et que ce soit par des lions, des tigres ou par des cannibales…

– J’aimerais mieux les cannibales! répond Son Altesse. Chacun son goût, n’est-ce pas?»

Il rit, cet infatigable blagueur, mais le professeur de grâces et de maintien ne rit pas, et Milliard-City, en proie à l’épouvante, n’a guère envie de se réjouir.

Dès huit heures du matin, le conseil des notables, convoqué à l’hôtel de ville, n’a pas hésité à se rendre près du gouverneur. Il n’y a plus personne dans les avenues ni dans les rues, si ce n’est les escouades de miliciens et des agents gagnant les postes qui leur sont assignés.

Le conseil, que préside Cyrus Bikerstaff, commence aussitôt sa délibération.

«Messieurs, dit le gouverneur, vous connaissez la cause de cette panique très justifiée qui s’est emparée de la population de Standard-Island. Cette nuit, notre île a été envahie par une bande de carnassiers et de sauriens. Le plus pressé est de procéder à la destruction de cette bande, et nous y arriverons, n’en doutez pas. Mais nos administrés devront se conformer aux mesures que nous avons dû prendre. Si la circulation est encore autorisée à Milliard-City dont les porter sont fermées, elle ne doit pas l’être à travers le parc et la campagne. Donc, jusqu’à nouvel ordre, les communications seront interdites entre la ville, les deux ports, les batteries de la Poupe et de l’Éperon.»

Ces mesures approuvées, le conseil passe à la discussion des moyens qui permettront de détruire les animaux redoutables qui infestent Standard-Island.

«Nos miliciens et nos marins, reprend le gouverneur, vont organiser des battues sur les divers points de l’île. Ceux de nous qui ont été chasseurs, nous les prions de se joindre à eux, de diriger leurs mouvements, de chercher à prévenir autant que possible toute catastrophe…

– Autrefois, dit Jem Tankerdon, j’ai chassé dans l’Inde et en Amérique, et je n’en suis plus à mon coup d’essai. Je suis prêt et mon fils aîné m’accompagnera…

– Nous remercions l’honorable M. Jem Tankerdon, répond Cyrus Bikerstaff, et, pour mon compte, je l’imiterai. En même temps que les miliciens du colonel Stewart, une escouade de marins opérera sous les ordres du commodore Simcoë, et leurs rangs vous sont ouverts, messieurs!»

Nat Coverley fait une proposition analogue à celle de Jem Tankerdon, et, finalement, tous ceux des notables auxquels leur âge le permet, s’empressent d’offrir leur concours. Les armes à tir rapide et à longue portée ne manquent point à Milliard-City. Il n’est donc pas douteux, grâce au dévouement et au courage de chacun, que Standard-Island ne soit bientôt débarrassée de cette redoutable engeance. Mais, ainsi que le répète Cyrus Bikerstaff, l’essentiel est de n’avoir à regretter la mort de personne.

«Quant à ces fauves, dont nous ne pouvons estimer le nombre, ajoute-t-il, il importe qu’ils soient détruits dans un bref délai. Leur laisser le temps de s’acclimater, de se multiplier, ce serait compromettre la sécurité de notre île.

– Il est probable, fait observer un des notables, que cette bande n’est pas considérable…

– En effet, elle n’a pu venir que d’un navire qui transportait une ménagerie, répond le gouverneur, un navire expédié de l’Inde, des Philippines ou des îles de la Sonde, pour le compte de quelque maison de Hambourg, où se fait spécialement le commerce de ces animaux.»

Là est le principal marché des fauves, dont les prix courants atteignent douze mille francs pour les éléphants, vingt-sept mille pour les girafes, vingt-cinq mille pour les hippopotames, cinq mille pour les lions, quatre mille pour les tigres, deux mille pour les jaguars, – d’assez beaux prix, on le voit, et qui tendent à s’élever, tandis qu’il y a baisse sur les serpents.

Et, à ce propos, un membre du conseil, ayant fait observer que la ménagerie en question possédait peut-être quelques représentants de la classe des ophidiens, le gouverneur répond qu’aucun reptile n’a encore été signalé. D’ailleurs, si des lions, des tigres, des alligators, ont pu s’introduire à la nage par l’embouchure de la Serpentine, cela n’eût pas été possible à des serpents.

C’est ce que fait observer Cyrus Bikerstaff.

«Je pense donc, dit-il, que nous n’avons point à redouter la présence de boas, corals, crotales, najas, vipères, et autres spécimens de l’espèce. Néanmoins, nous ferons tout ce qui sera nécessaire pour rassurer la population à ce sujet. Mais ne perdons pas de temps, messieurs, et, avant de rechercher quelle a été la cause de cet envahissement d’animaux féroces, occupons-nous de les détruire. Ils y sont, il ne faut pas qu’ils y restent.»

Rien de plus sensé, rien de mieux dit, on en conviendra. Le conseil des notables allait se séparer afin de prendre part aux battues avec l’aide des plus habiles chasseurs de Standard-Island, lorsque Hubley Harcourt demande la parole pour présenter une observation.

Elle lui est donnée, et voici ce que l’honorable adjoint croit devoir dire au conseil:

«Messieurs les notables, je ne veux pas retarder les opérations décidées. Le plus pressé, c’est de se mettre en chasse. Cependant permettez-moi de vous communiquer une idée qui m’est venue. Peut-être offre-t-elle une explication très plausible de la présence de ces fauves sur Standard-Island?»

Hubley Harcourt, d’une ancienne famille française des Antilles, américanisée pendant son séjour à la Louisiane, jouit d’une extrême considération à Milliard-City. C’est un esprit très sérieux, très réservé, ne s’engageant jamais à la légère, très économe de ses paroles, et l’on accorde grand crédit à son opinion. Aussi le gouverneur le prie-t-il de s’expliquer, et il le fait en quelques phrases d’une logique très serrée:

«Messieurs les notables, un navire a été signalé en vue de notre île dans l’après-midi d’hier. Ce navire n’a point fait connaître sa nationalité, tenant sans doute à ce qu’elle restât ignorée. Or, il n’est pas douteux, à mon avis, qu’il transportait cette cargaison de carnassiers…

– Cela est l’évidence même, répond Nat Coverley.

– Eh bien, messieurs les notables, si quelques-uns do vous pensent que l’envahissement de Standard-Island est dû à un accident de mer… moi… je ne le pense pas!

– Mais alors, s’écrie Jem Tankerdon, qui croit entrevoir la lumière à travers les paroles de Hubley Harcourt, ce serait volontairement… à dessein… avec préméditation?…

– Oh! fait le conseil.

– J’en ai la conviction, affirme l’adjoint d’une voix ferme, et cette machination n’a pu être que l’œuvre de notre éternel ennemi, de ce John Bull, à qui tous les moyens sont bons contre Standard-Island…

– Oh! fait encore le conseil.

– N’ayant pas le droit d’exiger la destruction de notre île, il a voulu la rendre inhabitable. De là, cette collection de lions, de jaguars, de tigres, de panthères, d’alligators, que le steamer a nuitamment jetée sur notre domaine!

– Oh!» fait une troisième fois le conseil.

Mais, de dubitatif, qu’il était d’abord, ce oh! est devenu affirmatif. Oui! ce doit être une vengeance de ces acharnés English, qui ne reculent devant rien quand il s’agit de maintenir leur souveraineté maritime! Oui! ce bâtiment a été affrété pour cette œuvre criminelle; puis, l’attentat commis, il a disparu! Oui! le gouvernement du Royaume-Uni n’a pas hésité à sacrifier quelques milliers de livres dans le but de rendre impossible à ses habitants le séjour de Standard-Island!

Et Hubley Harcourt d’ajouter:

«Si j’ai été amené à formuler cette observation, si les soupçons que j’avais conçus se sont changés en certitude, messieurs, c’est que ma mémoire m’a rappelé un fait identique, une machination perpétrée dans des circonstances à peu près analogues, et dont les Anglais n’ont jamais pu se laver…

– Ce n’est pourtant pas l’eau qui leur manque! observe l’un des notables.

– L’eau salée ne lave pas! répond un autre.

– Pas plus que la mer n’aurait pu effacer la tache de sang sur la main de lady Macbeth!» s’écrie un troisième.

Et notez que ces dignes conseillers ripostent de la sorte, avant même que Hubley Harcourt leur ait appris le fait auquel il vient de faire allusion:

«Messieurs les notables, reprend-il, lorsque l’Angleterre dut abandonner les Antilles françaises à la France, elle voulut y laisser une trace de son passage, et quelle trace! Jusqu’alors, il n’y avait jamais eu un seul serpent ni à la Guadeloupe ni à la Martinique, et, après le départ de la colonie anglo-saxonne, cette dernière île en fut infestée. C’était la vengeance de John Bull! Avant de déguerpir, il avait jeté des centaines de reptiles sur le domaine qui lui échappait, et depuis cette époque, ces venimeuses bêtes se sont multipliées à l’infini au grand dommage des colons français!»

Il est certain que cette accusation contre l’Angleterre, qui n’a jamais été démentie, rend assez plausible l’explication donnée par Hubley Harcourt. Mais, est-il permis de croire que John Bull ait voulu rendre inhabitable l’île à hélice, et même avait-il tenté de le faire pour l’une des Antilles françaises?… Ni l’un ni l’autre de ces faits n’ont jamais pu être prouvés. Néanmoins, en ce qui concerne Standard-Island, cela devait être tenu pour authentique par la population milliardaise.

«Eh bien! s’écrie Jem Tankerdon, si les Français ne sont pas parvenus à purger la Martinique des vipères que les Anglais y avaient mis à leur place…»

Tonnerre de hurrahs et de hips à cette comparaison du fougueux personnage.

«… Les Milliardais, eux, sauront débarrasser Standard-Island des fauves que l’Angleterre a lâchés sur elle!»

Nouveau tonnerre d’applaudissements, qui ne cessent que pour recommencer de plus belle, d’ailleurs, après que Jem Tankerdon a ajouté:

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«A notre poste, messieurs, et n’oublions pas qu’en traquant ces lions, ces jaguars, ces tigres, ces caïmans, c’est aux English que nous donnons la chasse!»

Et le conseil se sépare.

Une heure après, lorsque les principaux journaux publient le compte rendu sténographié de cette séance, quand on sait quelles mains ennemies ont ouvert les cages de cette ménagerie flottante, lorsqu’on apprend à qui l’on doit l’envahissement de ces légions do bêtes féroces, un cri d’indignation sort de toutes les poitrines, et l’Angleterre est maudite dans ses enfants et ses petits-enfants, en attendant que son nom détesté s’efface enfin des souvenirs du inonde!

 

                                                                                                                                                               Poprzednia częśćNastępna cześć

1 30 millions de francs.