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Jules Verne

 

NORD CONTRE SUD

 

(Chapitre VII-IX)

 

 

85 dessins par Benett et une carte

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

Première partie

 

 

Chapitre VII

Quand même!

 

i ce n’était pas encore le coup de foudre, c’était, du moins, l’éclair qui le précède.

James Burbank n’en fut pas ébranlé, mais quelles inquiétudes éprouva toute la famille! Pourquoi le propriétaire de Camdless-Bay était-il mandé à Jacksonville? C’était bien un ordre, non une invitation, de comparaître devant les autorités. Que lui voulait-on? Cette mesure venait-elle à la suite d’une proposition d’enquête qui allait être commencée contre lui? Était-ce sa liberté, sinon sa vie, que menaçait cette décision? S’il obéissait, s’il quittait Castle-House, l’y laisserait-on revenir? S’il n’obéissait pas, emploierait-on la force pour le contraindre? Et, dans ce cas, à quels périls, à quelles violences, les siens seraient-ils exposés? «Tu n’iras pas, James!» C’était Mme Burbank qui venait de parler ainsi, et, on le sentait bien, au nom de tous.

«Non, monsieur Burbank! ajouta miss Alice. Vous ne pouvez pas songer à nous quitter…

– Et pour aller te mettre à la merci de pareilles gens!» ajouta Edward Carrol.

James Burbank n’avait pas répondu. Tout d’abord, devant cette injonction brutale, son indignation s’était soulevée, et c’est à peine s’il avait pu la maîtriser.

Mais qu’y avait-il donc de nouveau qui rendît ces magistrats si audacieux? Les compagnons et partisans de Texar étaient-ils devenus les maîtres? Avaient-ils renversé les autorités qui conservaient encore quelque modération, et détenaient-ils le pouvoir à leur place? Non! Le régisseur Perry, revenu dans l’après-midi de Jacksonville, n’avait rapporté aucune nouvelle de ce genre.

«Ne serait-ce pas, dit M. Stannard, quelque récent fait de guerre, à l’avantage des sudistes, qui pousserait les Floridiens à exercer des violences contre nous?

– Je crains bien qu’il n’en soit ainsi! répondit Edward Carrol. Si le Nord a éprouvé quelque échec, ces malfaiteurs ne se croiront plus menacés par l’approche du commodore Dupont et ils sont capables de se porter à tous les excès!

– On disait que, dans le Texas, reprit M. Stannard, les troupes fédérales avaient dû se retirer devant les milices de Sibley et repasser le Rio-Grande, après avoir subi une défaite assez grave à Valverde. C’est du moins ce que m’a appris un homme de Jacksonville que j’ai rencontré, il y a une heure à peine.

– Évidemment, ajouta Edward Carrol, voilà ce qui aura rendu ces gens si hardis!

– L’armée de Sherman, la flottille de Dupont, n’arriveront donc pas! s’écria Mme Burbank.

– Nous ne sommes qu’au 26 février, répondit miss Alice, et, d’après la lettre de Gilbert, les bâtiments fédéraux ne doivent pas prendre la mer avant le 28.

– Et puis, il faut le temps de descendre jusqu’aux bouches du Saint-John, ajouta M. Stannard, le temps de forcer les passes, de franchir la barre, d’opérer une descente à Jacksonville. C’est dix jours encore…

– Dix jours? murmura Alice.

– Dix jours!… ajouta Mme Burbank. Et d’ici là, que de malheurs peuvent nous atteindre!»

James Burbank ne s’était point mêlé à cette conversation. Il réfléchissait. Devant l’injonction qui lui était faite, il se demandait quel parti prendre. Refuser d’obéir, n’était-ce pas risquer de voir toute la populace de Jacksonville, avec l’approbation ouverte ou tacite des autorités, se précipiter sur Camdless-Bay? Quels dangers courrait alors sa famille? Non! Il valait mieux n’exposer que sa personne. Dût sa vie ou sa liberté être en péril, il pouvait espérer que ce péril ne menacerait que lui seul.

Mme Burbank regardait son mari avec la plus vive inquiétude. Elle sentait qu’un combat se livrait en lui. Elle hésitait à l’interroger. Ni miss Alice, ni M. Stannard, ni Edward Carrol, n’osaient lui demander quelle réponse il comptait faire à cet ordre envoyé de Jacksonville.

Ce fut la petite Dy qui, inconsciemment sans doute, se fit l’interprète de toute la famille. Elle était allée près de son père, qui l’avait mise sur ses genoux.

«Père? dit-elle.

– Que veux-tu, ma chérie?

– Est-ce que tu iras chez ces méchants qui veulent nous faire tant de peine?

– Oui… j’irai!…

– James!… s’écria Mme Burbank.

– Il le faut!… C’est mon devoir!… J’irai!»

James Burbank avait si résolument parlé qu’il eût été inutile de vouloir combattre ce dessein, dont il avait évidemment calculé toutes les conséquences. Sa femme était venue se placer près de lui, elle l’embrassait, elle le serrait dans ses bras, mais elle ne disait plus rien. Et qu’aurait-elle pu dire?

«Mes amis, dit James Burbank, il est possible, après tout, que nous exagérions singulièrement la portée de cet acte d’arbitraire. Que peut-on me reprocher? Rien en fait, on le sait bien! Incriminer mes opinions, soit! Mes opinions m’appartiennent! Je ne les ai jamais cachées à mes adversaires, et, ce que j’ai pensé toute ma vie, je n’hésiterai pas, s’il le faut, à le leur dire en face!

– Nous t’accompagnerons, James, dit Edward Carrol.

– Oui, ajouta M. Stannard. Nous ne vous laisserons pas aller sans nous à Jacksonville.

– Non, mes amis, répondit James Burbank. A moi seul il est enjoint de me rendre devant les magistrats de Court-Justice, et j’irai seul. Il se pourrait, d’ailleurs, que je fusse retenu quelques jours. Il faut donc que vous restiez tous les deux à Camdless-Bay. C’est à vous que je dois maintenant confier toute notre famille pendant mon absence.

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– Ainsi tu vas nous quitter, père? s’écria la petite Dy.

– Oui, fillette, répondit M. Burbank d’un ton enjoué. Mais si, demain, je ne déjeune pas avec vous, tu peux compter que je serai revenu pour dîner, et nous passerons la soirée tous ensemble. – Ah! dis-moi! si peu de temps que je reste à Jacksonville, j’en aurai toujours assez pour t’acheter quelque chose!… Qu’est-ce qui pourrait te faire plaisir? Que veux-tu que je te rapporte?

– Toi… père… toi!…» répondit l’enfant.

Et sur ce mot qui exprimait si bien le désir de tous, la famille se sépara, après que James Burbank eut fait prendre les mesures de sécurité qu’exigeaient les circonstances.

La nuit se passa sans alerte. Le lendemain, James Burbank, levé dès l’aube, prit l’avenue de bambous qui conduit au petit port. Là, il donna ses ordres pour qu’une embarcation fût prête à huit heures, afin de le transporter de l’autre côté du fleuve.

Comme il se dirigeait vers Castle-House, en revenant du pier, il fut accosté par Zermah.

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«Maître, lui dit-elle, votre décision est bien prise? Vous allez partir pour Jacksonville?

– Sans doute, Zermah, et je dois le faire dans notre intérêt à tous. Tu me comprends, n’est-ce pas?

– Oui, maître. Un refus de votre part pourrait attirer les bandes de Texar sur Camdless-Bay…

– Et ce danger, qui est le plus grave, il faut l’éviter à tout prix! répondit M. Burbank.

– Voulez-vous que je vous accompagne?

– Je veux, au contraire, que tu restes à la plantation, Zermah. Il faut que tu sois là, près de ma femme, près de ma fille, au cas où quelque péril les menacerait avant mon retour.

– Je ne les quitterai pas, maître.

– Tu n’as rien su de nouveau?

– Non! Il est certain que des gens suspects rôdent autour de la plantation. On dirait qu’ils la surveillent. Cette nuit, deux ou trois barques ont encore croisé sur le fleuve. Est-ce que l’on se douterait que monsieur Gilbert est parti pour prendre du service dans l’armée fédérale, qu’il est sous les ordres du commodore Dupont, qu’il peut être tenté de venir secrètement à Camdless-Bay?

– Mon brave fils! répondit M. Burbank. Non! Il a assez de raison pour ne pas commettre une pareille imprudence!

– Je crains que Texar n’ait quelque soupçon à ce sujet, reprit Zermah. On dit que son influence grandit chaque jour. Quand vous serez à Jacksonville, défiez-vous de Texar, maître…

– Oui, Zermah, comme d’un reptile venimeux! Mais je suis sur mes gardes. Pendant mon absence, s’il tentait quelque coup contre Castle-House…

– Ne craignez que pour vous, maître, pour vous seul, et ne craignez rien pour nous. Vos esclaves sauraient défendre la plantation, et s’il le fallait, se faire tuer jusqu’au dernier. Ils vous sont tous dévoués. Ils vous aiment. Je sais ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent, je sais ce qu’ils feraient. On est venu des autres plantations pour les pousser à la révolte… Ils n’ont rien voulu entendre. Tous ne font qu’une grande famille, qui se confond avec la vôtre. Vous pouvez compter sur eux.

– Je le sais, Zermah, et j’y compte.»

James Burbank revint à l’habitation. Le moment arrivé, il dit adieu à sa femme, à sa fille, à miss Alice. Il leur promit de se contenir devant ces magistrats, quels qu’ils fussent, qui le mandaient à leur tribunal, de ne rien, faire qui pût provoquer des violences à son égard. Très certainement, il serait de retour le jour même. Puis, il prit congé de tous les siens et partit. Sans doute, James Burbank avait lieu de craindre pour lui-même. Mais il était bien autrement inquiet pour cette famille, exposée à tant de dangers, qu’il laissait à Castle-House.

Walter Stannard et Edward Carrol l’accompagnèrent jusqu’au petit port, à l’extrémité de l’avenue. Là, il fit ses dernières recommandations, et, sous une jolie brise du sud-est, l’embarcation s’éloigna rapidement du pier de Camdless-Bay.

Une heure après, vers dix heures, James Burbank débarquait sur le quai de Jacksonville.

Ce quai était presque désert, alors. Il s’y trouvait seulement quelques matelots étrangers, occupés au déchargement des dogres. James Burbank ne fut donc point reconnu à son arrivée, et, sans avoir été signalé, il put se rendre chez un de ses correspondants, M. Harvey, qui demeurait à l’autre extrémité du port.

M. Harvey fut surpris et très inquiet de le voir. Il ne croyait pas que M. Burbank aurait obéi à l’injonction qui lui avait été faite de se présenter à Court-Justice. Dans la ville, on ne le croyait pas non plus. Quant à ce qui avait motivé cet ordre laconique de paraître devant les magistrats, M. Harvey ne le pouvait dire. Très probablement, dans le but de satisfaire l’opinion publique, on voulait demander à James Burbank des explications sur son attitude depuis le début de la guerre, sur ses idées bien connues à propos de l’esclavage. Peut-être songeait-on même à s’assurer de sa personne, à retenir comme otage le plus riche colon nordiste de la Floride? N’eût-il pas mieux fait de rester à Camdless-Bay? C’est ce que pensait M. Harvey. Ne pouvait-il y retourner, puisque personne ne savait encore qu’il venait de débarquer à Jacksonville?

James Burbank n’était point venu pour s’en aller. Il voulait savoir à quoi s’en tenir. Il le saurait.

Quelques questions très intéressantes, étant donnée la situation où il se trouvait, furent alors posées par lui à son correspondant.

Les autorités avaient-elles été renversées au profit des meneurs de Jacksonville?

Pas encore, mais leur position était de plus en plus menacée. A la première émeute, leur renversement était probable sous la poussée des événements.

L’Espagnol Texar n’avait-il pas la main dans le mouvement populaire qui se préparait?

Oui! On le considérait comme le chef du parti avancé des esclavagistes de la Floride. Ses compagnons et lui, sans doute, seraient bientôt les maîtres de la ville.

Les derniers faits de guerre, dont le bruit commençait à se répandre dans toute la Floride, étaient-ils confirmés?

Ils l’étaient maintenant. L’organisation des États du Sud venait d’être complétée. Le 22 février, le gouvernement, définitivement installé, avait Jefferson Davis pour président et Stéphens pour vice-président, tous deux investis du pouvoir durant une période de six années. Au Congrès, composé de deux chambres, réuni à Richmond, Jefferson Davis avait, trois jours après, réclamé le service obligatoire. Depuis cette époque, les confédérés venaient de remporter quelques succès partiels, sans grande importance en somme. D’ailleurs, à la date du 24, une notable portion de l’armée du général Mac Clellan, disait-on, s’était lancée au-delà du haut Potomac, ce qui avait amené l’évacuation de Columbus par les sudistes. Une grande bataille était donc imminente sur le Mississipi, et elle mettrait en contact l’armée séparatiste avec l’armée du général Grant.

Et l’escadre que le commodore Dupont devait conduire aux bouches du Saint-John?

Le bruit courait que, sous une dizaine de jours, elle essaierait de forcer les passes. Si Texar et ses partisans voulaient tenter quelque coup qui mît la ville entre leurs mains et leur permît de satisfaire leurs vengeances personnelles, ils ne pouvaient tarder à le faire.

Tel était l’état des choses à Jacksonville, et qui sait si l’incident Burbank n’allait pas en hâter le dénouement?

Lorsque l’heure de comparaître fut venue, James Burbank quitta la maison de son correspondant et se dirigea vers la place où s’élève le bâtiment de Court-Justice. Il y avait une extrême animation dans les rues. La population se portait en foule de ce côté. On sentait que, de cette affaire, peu importante en elle-même, pouvait sortir une émeute dont les conséquences seraient déplorables.

La place était pleine de gens de toutes sortes, petits blancs, métis, nègres, et naturellement très tumultueuse. Si le nombre de ceux qui avaient pu entrer dans la salle de Court-Justice était assez restreint, néanmoins, il s’y trouvait surtout des partisans de Texar, confondus avec une certaine quantité de gens honnêtes, opposés à tout acte d’injustice. Toutefois, il leur serait difficile de résister à cette partie de la population qui poussait au renversement des autorités de Jacksonville.

Lorsque James Burbank parut sur la place, il fut aussitôt reconnu. Des cris violents éclatèrent. Ils ne lui étaient rien moins que favorables. Quelques courageux citoyens l’entourèrent. Ils ne voulaient pas qu’un homme honorable, estimé comme l’était le colon de Camdless-Bay, fût exposé sans défense aux brutalités de la foule. En obéissant à l’ordre qu’il avait reçu, James Burbank faisait preuve à la fois de dignité et de résolution. On devait lui en savoir gré.

James Burbank put donc se frayer un passage à travers la place. Il arriva sur le seuil de la porte de Court-Justice, il entra, il s’arrêta devant la barre où il était traduit contre tout droit.

Le premier magistrat de la ville et ses adjoints occupaient déjà leurs sièges. C’étaient des hommes modérés, qui jouissaient d’une juste considération. A quelles récriminations, à quelles menaces ils avaient été en butte depuis le début de la guerre de sécession, il est trop facile de l’imaginer. Quel courage ne leur fallait-il pas pour demeurer à leur poste, et quelle énergie pour s’y maintenir? S’ils avaient pu résister jusqu’alors à toutes les attaques du parti de l’émeute, c’est que la question de l’esclavage en Floride, on le sait, n’y surexcitait que médiocrement les esprits, tandis qu’elle passionnait les autres États du Sud. Cependant les idées séparatistes gagnaient peu à peu du terrain. Avec elles, l’influence des gens de coups de mains, des aventuriers, des nomades répandus dans le comté, grandissait chaque jour. Et même c’était pour donner une certaine satisfaction à l’opinion publique, sous la pression du parti des violents, que les magistrats avaient décidé de traduire devant eux James Burbank, sur la dénonciation de l’un des chefs de ce parti, l’Espagnol Texar.

Le murmure, approbatif d’une part, réprobatif de l’autre, qui avait accueilli le propriétaire de Camdless-Bay à son entrée dans la salle se calma bientôt. James Burbank, debout à la barre, le regard assuré de l’homme qui n’a jamais faibli, la voix ferme, n’attendit pas que le magistrat lui posât les questions d’usage.

«Vous avez fait demander James Burbank, dit-il. James Burbank est devant vous!»

Après les premières formalités de l’interrogatoire auxquelles il se conforma, James Burbank répondit très simplement et très brièvement. Puis:

«De quoi m’accuse-t-on? demanda-t-il.

– De faire opposition par paroles et par actes peut-être, répondit le magistrat, aux idées comme aux espérances qui doivent avoir maintenant cours en Floride!

– Et qui m’accuse? demanda James Burbank.

– Moi!»

C’était Texar. James Burbank avait reconnu sa voix. Il ne tourna même pas la tête de son côté. Il se contenta de hausser les épaules en signe de dédain pour le vil accusateur qui le prenait à parti.

Cependant les compagnons, les partisans de Texar encourageaient leur chef de la voix et du geste.

«Et tout d’abord, dit-il, je jetterai à la face de James Burbank sa qualité de nordiste! Sa présence à Jacksonville est une insulte permanente au milieu d’un État confédéré! Puisqu’il est avec les nordistes de cœur et d’origine, que n’est-il retourné dans le Nord!

– Je suis en Floride parce qu’il me convient d’y être,répondit James Burbank. Depuis vingt ans, j’habite le comté. Si je n’y suis pas né, on sait du moins d’où je viens. Que cela soit dit pour ceux dont on ignore le passé, qui se refusent à vivre au grand jour, et dont l’existence privée mérite d’être incriminée à plus juste titre que la mienne!»

Texar, directement attaqué par cette réponse, ne se démonta pas.

«Après? dit James Burbank.

– Après?… répondit l’Espagnol. Au moment où le pays va se soulever pour le maintien de l’esclavage, prêt à verser son sang pour repousser les troupes fédérales, j’accuse James Burbank d’être anti-esclavagiste et de faire de la propagande anti-esclavagiste!

– James Burbank, dit le magistrat, dans les circonstances où nous sommes, vous comprendrez que cette accusation est d’une gravité exceptionnelle. Je vous prierai donc d’y répondre.

– Monsieur, répondit James Burbank, ma réponse sera très simple. Je n’ai jamais fait aucune propagande ni n’en veux faire. Cette accusation porte à faux. Quant à mes opinions sur l’esclavage, qu’il me soit permis de les rappeler ici. Oui! Je suis abolitionniste! Oui! Je déplore la lutte que le Sud soutient contre le Nord! Oui! Je crains que le Sud ne marche à des désastres qu’il aurait pu éviter, et c’est dans son intérêt même que j’aurais voulu le voir suivre une autre voie, au lieu de s’engager dans une guerre contre la raison, contre la conscience universelle. Vous reconnaîtrez un jour que ceux qui vous parlent, comme je le fais aujourd’hui, n’avaient pas tort. Quand l’heure d’une transformation, d’un progrès moral a sonné, c’est folie de s’y opposer.

En outre, la séparation du Nord et du Sud serait un crime contre la patrie américaine. Ni la raison, ni la justice, ni la force, ne sont de votre côté, et ce crime ne s’accomplira pas.»

Ces paroles furent d’abord accueillies par quelques approbations que de plus violentes clameurs couvrirent aussitôt. La majorité de ce public de gens sans foi ni loi ne pouvait les accepter.

Lorsque le magistrat fut parvenu à rétablir le silence dans le prétoire, James Burbank reprit la parole.

«Et maintenant, dit-il, j’attends qu’il se produise des accusations plus précises sur des faits, non sur des idées, et j’y répondrai, quand on me les aura fait connaître.»

Devant cette attitude si digne, les magistrats ne pouvaient être que très embarrassés. Ils ne connaissaient aucun fait qui pût être reproché à M. Burbank. Leur rôle devait donc se borner à laisser les accusations se produire, avec preuves à l’appui, s’il en existait toutefois.

Texar sentit qu’il était mis en demeure de s’expliquer plus catégoriquement, ou bien il n’atteindrait pas son but.

«Soit, dit-il! Ce n’est pas mon avis qu’on puisse invoquer la liberté des opinions en matière d’esclavage, lorsqu’un pays se lève tout entier pour soutenir cette cause. Mais si James Burbank a le droit de penser comme il lui plaît sur cette question, s’il est vrai qu’il s’abstienne de chercher des partisans à ses idées, du moins ne s’abstient-il pas d’entretenir des intelligences avec un ennemi qui est aux portes de la Floride!»

Cette accusation de complicité avec les fédéraux était très grave dans les conjonctures actuelles. Cela se comprit bien au frémissement qui courut à travers le public. Toutefois, elle était vague encore, et il fallait l’appuyer sur des faits.

«Vous prétendez que j’ai des intelligences avec l’ennemi? répondit James Burbank.

– Oui, affirma Texar.

– Précisez!… Je le veux!

– Soit! reprit Texar. Il y a trois semaines environ, un émissaire, envoyé vers JamesBurbank, a quitté l’armée fédérale ou tout au moins la flottille du commodore Dupont. Cet homme est venu à Camdless-Bay, et il a été suivi depuis le moment où il a traversé la plantation jusqu’à la frontière de la Floride. – Le nierez-vous?»

Il s’agissait évidemment là du messager qui avait apporté la lettre du jeune lieutenant. Les espions de Texar ne s’y étaient point trompés. Cette fois, l’accusation était précise, et l’on attendait, non sans inquiétude, quelle serait la réponse de James Burbank.

Celui-ci n’hésita pas à faire connaître ce qui n’était, en somme, que la stricte vérité.

«En effet, dit-il, à cette époque, un homme est venu à Camdless-Bay. Mais cet homme n’était qu’un messager. Il n’appartenait point à l’armée fédérale, et apportait simplement une lettre de mon fils…

– De votre fils, s’écria Texar, de votre fils qui, si nous sommes bien informés, a pris du service dans l’armée unioniste, de votre fils, qui est peut-être au premier rang des envahisseurs en marche maintenant sur la Floride!»

La véhémence avec laquelle Texar prononça ces paroles ne manqua pas d’impressionner vivement le public. Si James Burbank, après avoir avoué qu’il avait reçu une lettre de son fils, convenait que Gilbert se trouvait dans les rangs de l’armée fédérale, comment se défendrait-il de l’accusation de s’être mis en rapport avec les ennemis du Sud?

«Voulez-vous répondre aux faits qui sont articulés contre votre fils? demanda le magistrat.

– Non, monsieur, répliqua James Burbank d’une voix ferme, et je n’ai point à y répondre. Mon fils n’est point en cause, que je sache. Je suis seulement accusé d’avoir eu des intelligences avec l’armée fédérale. Or, cela, je le nie, et je défie cet homme, qui ne m’attaque que par haine personnelle, d’en donner une seule preuve!

– Il avoue donc que son fils se bat en ce moment contre les confédérés? s’écria Texar.

– Je n’ai rien à avouer… rien! répondit James Burbank. C’est à vous de prouver ce que vous avancez contre moi!

– Soit!… Je le prouverai! répliqua Texar. Dans quelques jours, je serai en possession de cette preuve que l’on me demande, et quand je l’aurai…

– Quand vous l’aurez, répondit le magistrat, nous pourrons nous prononcer sur ce fait. Jusque-là, je ne vois pas quelles sont les accusations dont James Burbank ait à répondre?»

En se prononçant ainsi, ce magistrat parlait comme un homme intègre. Il avait raison, sans doute. Malheureusement, il avait tort d’avoir raison devant un public si prévenu contre le colon de Camdless-Bay. De là, des murmures, des protestations même, proférés par les compagnons de Texar, qui accueillirent ses paroles. L’Espagnol le sentit bien, et, abandonnant les faits relatifs à Gilbert Burbank, il en revint aux accusations portées directement contre son père.

«Oui, répéta-t-il, je prouverai tout ce que j’ai avancé, à savoir que James Burbank est en rapport avec l’ennemi qui se prépare à envahir la Floride. En attendant, les opinions qu’il professe publiquement, opinions si dangereuses pour la cause de l’esclavage, constituent un péril public. Aussi, au nom de tous les propriétaires d’esclaves, qui ne se soumettront jamais au joug que le Nord veut leur imposer, je demande que l’on s’assure de sa personne…

– Oui!… Oui!» s’écrièrent les partisans de Texar, tandis qu’une partie de l’assemblée essayait vainement de protester contre cette injustifiable prétention.

Le magistrat parvint à rétablir le calme dans l’auditoire, et James Burbank put reprendre la parole:

«Je m’élève de toute ma force, de tout mon droit, dit-il, contre l’arbitraire auquel on veut pousser la justice! Que je sois abolitionniste, oui! et je l’ai déjà avoué. Mais les opinions sont libres, je suppose, avec un système de gouvernement qui est fondé sur la liberté. Ce n’est pas un crime, jusqu’ici, d’être anti-esclavagiste, et où il n’y a pas culpabilité, la loi est impuissante à punir!»

Des approbations plus nombreuses semblèrent donner raison à James Burbank. Sans doute, Texar crut que l’occasion était venue de changer ses batteries, puisqu’elles ne portaient pas. Aussi, qu’on ne s’étonne pas s’il lança à James cette apostrophe inattendue:

«Eh bien, affranchissez donc vos esclaves, puisque vous êtes contre l’esclavage!

– Je le ferai! répondit James Burbank. Je le ferai, dès que le moment sera venu!

– Vraiment! Vous le ferez quand l’armée fédérale sera maîtresse de la Floride! répliqua Texar. Il vous fautles soldats de Sherman et les marins de Dupont pour que vous ayez le courage d’accorder vos actes avec vos idées! C’est prudent, mais c’est lâche!

– Lâche?… s’écria James Burbank, indigné, qui ne comprit pas que son adversaire lui tendait un piège.

– Oui! lâche! répéta Texar. Voyons! Osez donc enfin mettre vos opinions en pratique! C’est à croire, en vérité, que vous ne cherchez qu’une popularité facile pour plaire aux gens du Nord! Oui! Anti-esclavagiste en apparence, vous n’êtes, au fond et par intérêt, qu’un partisan du maintien de l’esclavage!»

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James Burbank s’était redressé sous cette injure. Il couvrait son accusateur d’un regard de mépris. C’était là plus qu’il n’en pouvait supporter. Un tel reproche d’hypocrisie se trouvait manifestement en désaccord avec toute son existence franche et loyale.

«Habitants de Jacksonville, s’écria-t-il, de façon à être entendu de toute la foule, à partir de ce jour, je n’ai plus un seul esclave; à partir de ce jour, je proclame l’abolition de l’esclavage sur tout le domaine de Camdless-Bay!»

Tout d’abord, des hurrahs seulement accueillirent cette déclaration hardie. Oui! Il y avait un véritable courage à la faire, – courage plus que prudence peut-être! James Burbank venait de se laisser entraîner par son indignation.

Or, cela n’était que trop évident, cette mesure allait compromettre les intérêts des autres planteurs de la Floride. Aussi la réaction se fit-elle presque aussitôt dans le public de Court-Justice. Les premiers applaudissements accordés au colon de Camdless-Bay furent bientôt étouffés par les vociférations, non seulement de ceux quiétaient esclavagistes de principe, mais aussi de tous ceux qui avaient été indifférents jusqu’alors à cette question de l’esclavage. Et les amis de Texar auraient profité de ce revirement pour se livrer à quelque acte de violence contre James Burbank, si l’Espagnol lui-même ne les eût contenus.

«Laissez faire! dit-il. James Burbank s’est désarmé lui-même!… Maintenant, il est à nous!»

Ces paroles, dont on comprendra bientôt la signification, suffirent à retenir tous ces partisans de la violence. Aussi James Burbank ne fut-il point inquiété, lorsque les magistrats lui eurent dit qu’il pouvait se retirer. Devant l’absence de toute preuve, il n’y avait pas lieu d’accorder l’incarcération demandée par Texar. Plus tard, si l’Espagnol, qui maintenait ses dires, produisait des témoignages de nature à mettre au grand jour les connivences de James Burbank avec l’ennemi, les magistrats reprendraient les poursuites. Jusque-là, James Burbank devait être libre.

Il est vrai, cette déclaration d’affranchissement relative au personnel de Camdless-Bay, publiquement faite, allait être ultérieurement exploitée contre les autorités de la ville et au profit du parti de l’émeute.

Quoi qu’il en soit, à sa sortie de Court-Justice, bien que James Burbank fût suivi par une foule très mal disposée à son égard, les agents surent empêcher qu’on lui fît violence. Il y eut des huées, des menaces, non des actes de brutalité. Évidemment, l’influence de Texar le protégeait. James Burbank put donc atteindre les quais du port où l’attendait son embarcation. Là, il prit congé de son correspondant, M. Harvey, qui ne l’avait point quitté. Puis, poussant au large, il fut rapidement horsde la portée des vociférations, dont les braillards de Jacksonville avaient accompagné son départ.

Comme la marée descendait, l’embarcation, retardée par le jusant, ne mit pas moins de deux heures à gagner le pier de Camdless-Bay, où James Burbank était attendu par sa famille. Quelle joie ce fut dans tout ce petit monde, en le revoyant. Il y avait tant de motifs de craindre qu’il ne fût retenu loin des siens!

«Non! dit-il à la petite Dy, qui l’embrassait. Je t’avais promis de revenir pour dîner, ma chérie, et, tu le sais bien, je ne manque jamais à mes promesses!»

 

 

Chapitre VIII

La dernière esclave

 

e soir même, James Burbank mit les siens au courant de ce qui s’était passé à Court-Justice. L’odieuse conduite de Texar leur fut dévoilée. C’était sous la pression de cet homme et de la populace de Jacksonville que l’ordre de comparution avait été adressé à Camdless-Bay. L’attitude des magistrats, en cette affaire, ne méritait que des éloges. A cette accusation d’intelligence avec les fédéraux, ils avaient répondu en exigeant la preuve qu’elle fût fondée. Texar n’ayant pu fournir cette preuve, James Burbank avait été laissé libre.

Toutefois, au milieu de ces vagues incriminations, le nom de Gilbert avait été prononcé. On ne semblait pasmettre en doute que le jeune homme ne fût à l’armée du Nord. Le refus de répondre à cet égard, n’était-ce pas un demi-aveu de la part de James Burbank?

Ce que furent alors les craintes, les angoisses de Mme Burbank, de miss Alice, de toute cette famille si menacée, cela n’est que trop aisé à comprendre. A défaut du fils qui leur échappait, les forcenés de Jacksonville ne s’en prendraient-ils pas à son père? Texar s’était vanté, sans doute, lorsqu’il avait promis de produire, sous quelques jours, une preuve de ce fait. En somme, il n’était pas impossible qu’il parvînt à se la procurer, et la situation serait inquiétante au plus haut point.

«Mon pauvre Gilbert! s’écria Mme Burbank. Le savoir si près de Texar, décidé à tout pour arriver à son but!

– Ne pourrait-on le prévenir de ce qui vient de se passer à Jacksonville? dit miss Alice.

– Oui! ajouta M. Stannard. Ne conviendrait-il pas surtout de lui faire savoir que toute imprudence de sa part aurait les conséquences les plus funestes pour les siens et pour lui?

– Et comment le prévenir? répliqua James Burbank. Des espions rôdent sans cesse autour de Camdless-Bay, cela n’est que trop certain. Déjà le messager que Gilbert nous a envoyé avait été suivi à son retour. Toute lettre que nous écririons pourrait tomber entre les mains de Texar. Tout homme que nous enverrions, chargé d’un message verbal, risquerait d’être arrêté en route. Non, mes amis, ne tentons rien qui soit susceptible d’aggraver cette situation, et fasse le ciel que l’armée fédérale ne tarde pas à occuper la Floride! Il n’est que temps pour cette minorité de gens honnêtes, menacés par la majorité des coquins du pays!»

James Burbank avait raison. Par suite de la surveillance qui devait évidemment s’exercer autour de la plantation, il eût été très imprudent de correspondre avec Gilbert. D’ailleurs, le moment approchait où James Burbank et les nordistes, établis en Floride, seraient en sûreté sous la protection de l’armée fédérale.

C’était, en effet, le lendemain même que le commodore Dupont devait appareiller au mouillage d’Edisto. Avant trois jours, bien certainement, on apprendrait que la flottille, après avoir descendu le littoral de la Géorgie, serait dans la baie de Saint-Andrews.

James Burbank raconta alors le grave incident survenu devant les magistrats de Jacksonville. Il dit comment il avait été poussé à répondre au défi jeté par Texar à propos des esclaves de Camdless-Bay. Fort de son droit, fort de sa conscience, il avait publiquement déclaré l’abolition de l’esclavage sur tout son domaine. Ce que nul État du Sud ne s’était encore permis de proclamer, sans y avoir été obligé par le sort des armes, il l’avait fait librement et de son plein gré.

Déclaration aussi hardie que généreuse! Quelles en seraient les conséquences, on ne pouvait le prévoir. Évidemment, elle n’était pas de nature à rendre la position de James Burbank moins menacée au milieu de ce pays esclavagiste. Peut-être, même, provoquerait-elle certaines velléités de révolte parmi les esclaves des autres plantations. N’importe! La famille Burbank, émue par la grandeur de l’acte, approuva sans réserve ce que son chef venait de faire.

«James, dit Mme Burbank, quoi qu’il puisse arriver, tu as eu raison, de répondre ainsi aux odieuses insinuations que ce Texar avait l’infamie de lancer contre toi!

– Nous sommes fiers de vous, mon père! ajouta miss Alice, en donnant pour la première fois ce nom à M. Burbank.

– Et ainsi, ma chère fille, répondit James Burbank, lorsque Gilbert et les fédéraux entreront en Floride, ils ne trouveront plus un seul esclave à Camdless-Bay!

– Je vous remercie, monsieur Burbank, dit alors Zermah, je vous remercie pour mes compagnons et pour moi. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais sentie esclave près de vous. Vos bontés, votre générosité, m’avaient déjà faite aussi libre que je le suis aujourd’hui!

– Tu as raison, Zermah, répondit Mme Burbank. Esclave ou libre, nous ne t’en aimerons pas moins!»

Zermah eût en vain essayé de cacher son émotion. Elle prit Dy dans ses bras et la pressa sur sa poitrine.

MM. Carrol et Stannard avaient serré la main de James Burbank avec effusion. C’était lui dire qu’ils l’approuvaient et qu’ils applaudissaient à cet acte d’audace – de justice aussi.

Il est bien évident que la famille Burbank, sous cette généreuse impression, oubliait alors ce que la conduite de James Burbank pouvait provoquer de complications dans l’avenir.

Aussi, personne à Camdless-Bay ne songerait-il à blâmer James Burbank, si ce n’est, sans doute, le régisseur Perry, lorsqu’il serait au courant de ce qui venait de se passer. Mais il était en tournée pour le service de la plantation et ne devait rentrer que dans la nuit.

Il était déjà tard. On se sépara, non sans que James Burbank eût annoncé que, dès le lendemain, il remettrait à ses esclaves leur acte d’affranchissement.

«Nous serons avec toi, James, répondit Mme Burbank, quand tu leur apprendras qu’ils sont libres!

– Oui, tous! ajouta Edward Carrol.

– Et moi aussi, père? demanda la petite Dy.

– Oui, ma chérie, toi aussi!

– Bonne Zermah, ajouta la fillette, est-ce que tu vas nous quitter après cela?

– Non, mon enfant! répondit Zermah. Non! Je ne t’abandonnerai jamais!»

Chacun se retira dans sa chambre, quand les précautions ordinaires eurent été prises pour la sécurité de Castle-House.

Le lendemain, la première personne que rencontra James Burbank dans le parc réservé, ce fut précisément M. Perry. Comme le secret avait été parfaitement gardé, le régisseur n’en savait rien encore. Il l’apprit bientôt de la bouche même de James Burbank, qui s’attendait du reste à l’ébahissement de M. Perry.

«Oh! monsieur James!… Oh! monsieur James!»

Le digne homme, vraiment abasourdi, ne pouvait trouver autre chose à répondre.

«Cependant, cela ne peut vous surprendre, Perry, reprit James Burbank. Je n’ai fait que devancer les événements. Vous savez bien que l’affranchissement des noirs est un acte qui s’impose à tout État soucieux de sa dignité…

– Sa dignité, monsieur James! Qu’est-ce que la dignité vient faire à ce propos?

– Vous ne comprenez pas le mot dignité, Perry. Soit! disons: soucieux de ses intérêts.

– Ses intérêts… ses intérêts, monsieur James! Vous osez dire: soucieux de ses intérêts?

– Incontestablement, et l’avenir ne tardera pas à vous le prouver, mon cher Perry!

– Mais où recrutera-t-on désormais le personnel de] plantations, monsieur Burbank?

– Toujours parmi les noirs, Perry.

– Mais si les noirs sont libres de ne plus travailler, ils ne travailleront plus!

– Ils travailleront, au contraire, et même avec plus de zèle, puisque ce sera librement, et avec plus de plaisir aussi, puisque leur condition sera meilleure.

– Mais les vôtres, monsieur James?… Les vôtres vont commencer par nous quitter!

– Je serai bien étonné, mon cher Perry, s’il en est un seul qui ait la pensée de le faire.

– Mais voilà que je ne suis plus régisseur des esclaves de Camdless-Bay?

– Non, mais vous êtes toujours régisseur de Camdless-Bay, et je ne pense pas que votre situation soit amoindrie parce que vous commanderez à des hommes libres au lieu de commander à des esclaves.

– Mais…

– Mon cher Perry, je vous préviens qu’à tous vos «mais», j’ai des réponses toutes prêtes. Prenez donc votre parti d’une mesure qui ne pouvait tarder à s’accomplir, et à laquelle ma famille, sachez-le bien, vient de faire le meilleur accueil.

– Et nos noirs n’en savent rien?…

– Rien encore, répondit James Burbank. Je vous prie, Perry, de ne point leur en parler. Ils l’apprendront aujourd’hui même. Vous les convoquerez donc tous dans le parc de Castle-House, pour trois heures après midi, en vous contentant de dire que j’ai une communication à leur faire.»

Là-dessus, le régisseur se retira, avec de grands gestes de stupéfaction, répétant:

«Des noirs qui ne sont plus esclaves! Des noirs qui vont travailler à leur compte! Des noirs qui seront obligés de pourvoir à leurs besoins! C’est le bouleversement de l’ordre social! C’est le renversement des lois humaines! C’est contre nature! Oui! contre nature!»

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Pendant la matinée, James Burbank, Walter Stannard et Edward Carrol allèrent, en break, visiter une partie de la plantation sur sa frontière septentrionale. Les esclaves vaquaient à leurs travaux habituels au milieu des rizières, des champs de caféiers et de cannes. Même empressement au travail dans les chantiers et les scieries. Le secret avait été bien gardé. Aucune communication n’avait pu s’établir encore entre Jacksonville et Camdless-Bay. Ceux qu’il intéressait d’une façon si directe, ne savaient rien du projet de James Burbank.

En parcourant cette partie du domaine sur sa limite la plus exposée, James Burbank et ses amis voulaient s’assurer que les abords de la plantation ne présentaient rien de suspect. Après la déclaration de la veille, on pouvait craindre qu’une partie de la populace de Jacksonville ou de la campagne environnante fût poussée à se porter sur Camdless-Bay. Il n’en était rien jusqu’alors. On ne signala même pas de rôdeurs de ce côté du fleuve, ni sur le cours du Saint-John. Le Shannon, qui le remonta vers dix heures du matin, ne fit point escale au pier du petit port et continua sa route vers Picolata. Ni en amont ni en aval, il n’y avait rien à craindre pour les hôtes de Castle-House.

Un peu avant midi, James Burbank, Walter Stannard et Edward Carrol repassèrentle pont de l’enceinte du parc et rentrèrent à l’habitation. Toute la famille les attendait pour déjeuner. On était plus rassuré. On causa plus à l’aise. Il semblait qu’il se fût produit une détente dans la situation. Sans doute, l’énergie des magistrats de Jacksonville avait imposé aux violents du parti de Texar. Or, si cet état de choses se prolongeait pendant quelques jours encore, la Floride serait occupée par l’armée fédérale. Les anti-esclavagistes, qu’ils fussent du Nord ou du Sud, y seraient en sûreté.

James Burbank pouvait donc procéder à la cérémonie d’émancipation, – premier acte de ce genre qui serait volontairement accompli dans un État à esclaves.

Celui de tous les noirs de la plantation, qui éprouverait le plus de satisfaction, serait évidemment un garçon de vingt ans, nommé Pygmalion – plus communément appelé Pyg. Attaché au service des communs de Castle-House, c’était là que demeurait ledit Pyg. Il ne travaillait ni dans les champs ni dans les ateliers ou chantiers de Camdless-Bay. Il faut bien l’avouer, Pygmalion n’était qu’un garçon ridicule, vaniteux, paresseux, auquel, par bonté, ses maîtres passaient bien des choses. Depuis que la question de l’esclavage était en jeu, il fallait l’entendre déclamer de grandes phrases sur la liberté humaine. A tout propos, il faisait des discours prétentieux à ses congénères, qui ne se gênaient pas d’en rire. Il montait sur ses grands chevaux, comme on dit, lui qu’un âne eût jeté à terre. Mais, au fond, comme il n’était point méchant, on le laissait parler. On voit déjà quelles discussions il devait avoir avec le régisseur Perry, lorsque celui-ci était d’humeur à l’écouter, et l’on sent quel accueil il allait faire à cet acte d’affranchissement qui lui rendrait sa dignité d’homme.

Ce jour-là, les noirs furent prévenus qu’ils auraient à se réunir dans le parc réservé devant Castle-House.C’était là qu’une importante communication leur serait adressée par le propriétaire de Camdless-Bay.

Un peu avant trois heures – heure fixée pour la réunion – tout le personnel, après avoir quitté ses baraccons, commença à s’assembler devant Castle-House. Ces braves gens n’étaient rentrés ni aux ateliers, ni dans les champs ni dans les chantiers d’abattage, après le dîner de midi. Ils avaient voulu faire un peu de toilette, changer les habits de travail pour des vêtements plus propres, selon l’habitude, lorsqu’on leur ouvrait la poterne de l’enceinte. Donc, grande animation, va-et-vient de case à case, tandis que le régisseur Perry, se promenant de l’un à l’autre des baraccons, grommelait:

«Quand je pense qu’en ce moment, on pourrait encore trafiquer de ces noirs, puisqu’ils sont toujours à l’état de marchandise! Et, avant une heure, voilà qu’il ne sera plus permis ni de les acheter ni de les vendre! Oui, je le répéterai jusqu’à mon dernier souffle! Monsieur Burbank a beau faire et beau dire, et après lui le président Lincoln, et après le président Lincoln, tous les fédéraux du Nord et tous les libéraux des deux mondes, c’est contre nature!»

En cet instant, Pygmalion, qui ne savait rien encore, se trouva face à face avec le régisseur.

«Pourquoi nous convoque-t-on, monsieur Perry? demanda Pyg. Auriez-vous la bonté de me le dire?

– Oui, imbécile! C’est pour te…»

Le régisseur s’arrêta, ne voulant point trahir le secret. Une idée lui vint alors.

«Approche ici, Pyg!» dit-il.

Pygmalion s’approcha.

«Je te tire quelquefois l’oreille, mon garçon?

– Oui, monsieur Perry, puisque, contrairement à toute justice humaine ou divine, c’est votre droit.

– Eh bien, puisque c’est mon droit, je vais me permettre d’en user encore!»

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Et, sans se soucier des cris de Pyg, sans lui faire grand mal, non plus, il lui secoua les oreilles qui étaient déjà d’une belle longueur. Vraiment, cela soulagea le régisseur d’avoir, une dernière fois, exercé son droit sur un des esclaves de la plantation.

A trois heures, James Burbank et les siens parurent sur le perron de Castle-House. Dans l’enceinte étaient groupés sept cents esclaves, hommes, femmes, enfants, – même une vingtaine de ces vieux noirs, qui, lorsqu’ils avaient été reconnus impropres à tout travail, trouvaient une retraite assurée pour leur vieillesse dans les baraccons de Camdless-Bay.

Un profond silence s’établit aussitôt. Sur un geste de James Burbank, M. Perry et les sous-régisseurs firent approcher le personnel, de manière que tous pussent entendre distinctement la communication qui allait leur être faite.

James Burbank prit la parole.

«Mes amis, dit-il, vous le savez, une guerre civile, déjà longue et malheureusement trop sanglante, met aux prises la population des États-Unis. Le vrai mobile de cette guerre a été la question de l’esclavage. Le Sud, ne s’inspirant que de ce qu’il croit être ses intérêts, en a voulu le maintien. Le Nord, au nom de l’humanité, a voulu qu’il fût détruit en Amérique. Dieu a favorisé les défenseurs d’une cause juste, et la victoire s’est déjà prononcée plus d’une fois en faveur de ceux qui se battent pour l’affranchissement de toute une race humaine. Depuislongtemps, personne ne l’ignore, fidèle à mon origine, j’ai toujours partagé les idées du Nord, sans avoir été à même de les appliquer. Or, des circonstances ont fait que je puis hâter le moment où il m’est possible de conformer mes actes à mes opinions. Écoutez-donc ce que j’ai à vous apprendre au nom de toute ma famille.»

Il y eut un sourd murmure d’émotion dans l’assistance, mais il s’apaisa presque aussitôt. Et alors, James Burbank, d’une voix qui s’entendit de partout, fit la déclaration suivante:

«A partir de ce jour, 28 février 1862, les esclaves de la plantation sont affranchis de toute servitude. Ils peuvent disposer de leur personne. Il n’y a plus que des hommes libres à Camdless-Bay!»

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Les premières manifestations de ces nouveaux affranchis furent des hurrahs quiéclatèrent de toutes parts. Les bras s’agitèrent en signe de remerciements. Le nom de Burbank fut acclamé. Tous se rapprochèrent du perron. Hommes, femmes, enfants, voulaient baiser les mains de leur libérateur. Ce fut un indescriptible enthousiasme, qui se produisit avec d’autant plus d’énergie qu’il n’était point préparé. On juge si Pygmalion gesticulait, pérorait, prenait des attitudes.

Alors, un vieux noir, le doyen du personnel, s’avança jusque sur les premières marches du perron. Là, il redressa la tête, et d’une voix profondément émue:

«Au nom des anciens esclaves de Camdless-Bay, libres désormais, dit-il, soyez remercié, monsieur Burbank, pour nous avoir fait entendre les premières paroles d’affranchissement qui aient été prononcées dans l’État de Floride!»

Tout en parlant, le vieux nègre venait de monter lentement les degrés du perron. Arrivé auprès de James Burbank, il lui avait baisé les mains, et, comme la petite Dy lui tendait les bras, il la présenta à ses camarades.

«Hurrah!… Hurrah pour monsieur Burbank!»

Ces cris retentirent joyeusement dans l’air et durent porter jusqu’à Jacksonville, sur l’autre rive du Saint-John, la nouvelle du grand acte qui venait d’être accompli.

La famille de James Burbank était profondément émue. Vainement, essaya-t-elle de calmer ces marques d’enthousiasme. Ce fut Zermah qui parvint à les apaiser, lorsqu’on la vit s’avancer vers le perron pour prendre la parole à son tour.

«Mes amis, dit-elle, nous voilà tous libres maintenant, grâce à la générosité, à l’humanité de celui qui fut notre maître, et le meilleur des maîtres!

– Oui!… oui!… crièrent des centaines de voix, confondues dans le même élan de reconnaissance.

– Chacun de nous peut donc dorénavant disposer de sa personne, reprit Zermah. Chacun peut quitter la plantation, faire acte de liberté suivant que son intérêt le commande. Quant à moi, je ne suivrai que l’instinct de mon cœur, et je suis certaine que la plupart d’entre vous feront ce que je vais faire moi-même. Depuis six ans, je suis entrée à Camdless-Bay. Mon mari et moi, nous y avons vécu, et nous désirons y finir notre vie. Je supplie donc monsieur Burbank de nous garder libres, comme il nous a gardés esclaves… Que ceux dont c’est aussi le désir…

– Tous!… Tous!»

Et ces mots, répétés mille fois, dirent combien était apprécié le maître de Camdless-Bay, quel lien d’amitié et de reconnaissance l’unissait à tous les affranchis de son domaine.

James Burbank prit alors la parole. Il dit que tous ceux qui voudraient rester sur la plantation, le pourraient dans ces conditions nouvelles. Il ne s’agirait plus que de régler d’un commun accord la rémunération du travail libre et des droits des nouveaux affranchis. Il ajouta que, tout d’abord, il convenait que la situation fût régularisée. C’est pourquoi, dans ce but, chacun des noirs allait recevoir pour sa famille et pour lui un acte de libération, qui lui permettrait de reprendre dans l’humanité le rang auquel il avait droit.

C’est ce qui fut immédiatement fait par le soin des sous-régisseurs.

Depuis longtemps décidé à affranchir ses esclaves, James Burbank avait préparé ces actes, et chaque noir reçut le sien avec les plus touchantes démonstrations de reconnaissance.

La fin de cette journée fut consacrée à la joie. Si, dès le lendemain, tout le personnel devait retourner à ses travaux ordinaires, ce jour-là, la plantation fut en fête. La famille Burbank, mêlée à ces braves gens, recueillit les témoignages d’amitié les plus sincères, aussi bien que les assurances d’un dévouement sans bornes.

Cependant, au milieu de son ancien troupeau d’êtres humains, le régisseur Perry se promenait comme une âme en peine, et, à James Burbank, qui lui demanda:

«Eh bien, Perry, qu’en dites-vous?

– Je dis, monsieur James, répliqua-t-il, que pour être libres, ces Africains n’en sont pas moins nés en Afrique et n’ont pas changé de couleur! Or, puisqu’ils sont nés noirs, ils mourront noirs…

– Mais ils vivront blancs, répondit en souriant James Burbank, et tout est là!»

Ce soir-là, le dîner réunit à la table de Castle-House la famille Burbank vraiment heureuse, et, il faut le dire, aussi plus confiante dans l’avenir. Quelques jours encore, la sécurité de la Floride serait complètement assurée. Aucune mauvaise nouvelle, d’ailleurs, n’était venue de Jacksonville. Il était possible que l’attitude de James Burbank devant les magistrats de Court-Justice eût produit une impression favorable sur le plus grand nombre des habitants.

A ce dîner assistait le régisseur Perry, qui était bien obligé de prendre son parti de ce qu’il n’avait pu empêcher. Il se trouvait même en face du doyen des noirs, invité par James Burbank, comme pour mieux marquer en sa personne que l’affranchissement, accordé à lui et à ses compagnons d’esclavage, n’était pas une vaine déclaration dans la pensée du maître de Camdless-Bay. Au-dehors éclataient des cris de fête, et le parc s’illuminait du reflet des feux de joie, allumés en divers points de la plantation. Vers le milieu du repas se présenta une députation qui apportait à la petite fille un magnifique bouquet, le plus beau, à coup sûr, qui eût jamais été offert à «mademoiselle Dy Burbank, de Castle-House». Compliments et remerciements furent donnés et rendus de part et d’autre avec une profonde émotion.

Puis, tous se retirèrent, et la famille rentra dans le hall, en attendant l’heure du coucher. Il semblait qu’une journée si bien commencée ne pouvait que bien finir.

Vers huit heures, le calme régnait sur toute la plantation. On avait lieu de croire que rien ne le troublerait, lorsqu’un bruit de voix se fit entendre au-dehors.

James Burbank se leva et alla aussitôt ouvrir la grande porte du hall.

Devant le perron, quelques personnes attendaient et parlaient à haute voix.

«Qu’y a-t-il? demanda James Burbank.

– Monsieur Burbank, répondit un des régisseurs, une embarcation vient d’accoster le pier.

– Et d’où vient-elle?

– De la rive gauche.

– Qui est à bord?

– Un messager qui vous est envoyé de la part des magistrats de Jacksonville.

– Et que veut-il?

– Il demande à vous faire une communication. Permettez-vous qu’il débarque?

– Certainement!»

Mme Burbank s’était rapprochée de son mari. Miss Alice s’avança vivement vers une des fenêtres du hall, pendant que M. Stannard et Edward Carrol se dirigeaient vers la porte. Zermah, prenant la petite Dy par la main, s’était levée. Tous eurent alors le pressentiment que quelque grave complication allait surgir.

Le régisseur était retourné à l’appontement du pier. Dix minutes après, il revenait avec le messager que l’embarcation avait amené de Jacksonville à Camdless-Bay.

C’était un homme qui portait l’uniforme de la milice du comté. Il fut introduit dans le hall, et demanda M. Burbank.

«C’est moi! Que me voulez-vous?…

– Vous remettre ce pli.»

Le messager tendit une grande enveloppe, qui portait à l’un de ses angles le cachet de Court-Justice. James Burbank brisa le cachet et lut ce qui suit:

«Par ordre des autorités nouvellement constituées de Jacksonville, tout esclave qui aura été affranchi contre la volonté des sudistes, sera immédiatement expulsé du territoire.

Cette mesure sera exécutée dans les quarante-huit heures, et, en cas de refus, il y sera procédé par la force.

Fait à Jacksonville, 28 février 1862.

TEXAR.»

Les magistrats en qui l’on pouvait avoir confiance avaient été renversés. Texar, soutenu par ses partisans, était depuis peu de temps à la tête de la ville.

«Que répondrai-je? demanda le messager.

– Rien!» répliqua James Burbank.

Le messager se retira et fut reconduit à son embarcation, qui se dirigea vers la rive gauche du fleuve.

Ainsi, sur ordre de l’Espagnol, les anciens esclaves de la plantation allaient être dispersés! Par cela seul qu’on les avait fait libres, ils n’auraient plus le droit de vivre sur le territoire de la Floride! Camdless-Bay serait privée de tout ce personnel sur lequel James Burbank pouvait compter pour défendre la plantation!

«Libre à ces conditions? dit Zermah. Non, jamais! Je refuse la liberté, et, puisqu’il le faut pour rester près de vous, mon maître, j’aime mieux redevenir esclave!»

Et, prenant son acte d’affranchissement, Zermah le déchira et tomba aux genoux de James Burbank.

 

 

Chapitre IX

Attente

 

elles étaient les premières conséquences du mouvement généreux auquel avait obéi James Burbank en affranchissant ses esclaves, avant que l’armée fédérale fût maîtresse du territoire.

A présent, Texar et ses partisans dominaient la ville et le comté. Ils allaient se livrer à tous les actes de violence auxquels leur nature brutale et grossière devait les pousser, c’est-à-dire aux plus épouvantables excès. Si, par ses dénonciations vagues, l’Espagnol n’avait pu, en fin de compte, faire emprisonner James Burbank, il n’en était pas moins arrivé à son but, en profitant des dispositions de Jacksonville, dont la population était en grande partie surexcitée par la conduite de ses magistrats dans l’affaire du propriétaire de Camdless-Bay. Après l’acquittement du colon anti-esclavagiste, qui venait de proclamer l’émancipation sur tout son domaine, du nordiste dont les vœux étaient manifestement pour le Nord, Texar avait soulevé la foule des malhonnêtes gens, il avait révolutionné la ville. Ayant amené par là le renversement des autorités si compromises, il avait mis à leur place les plus avancés de son parti, il en avait formé un comité où les petits blancs se partageaient le pouvoir avec les Floridiens d’origine espagnole, il s’était assuré le concours de la milice, travaillée depuis longtemps déjà, et qui fraternisait avec la populace. Maintenant, le sort des habitants de tout le comté était entre ses mains.

Il faut le dire, la conduite de James Burbank n’avait trouvé aucune approbation chez la plupart des colons dont les établissements bordent les deux rives du Saint-John. Ceux-ci pouvaient craindre que leurs esclaves voulussent les obliger à suivre son exemple. Le plus grand nombre des planteurs, partisans de l’esclavage, résolus à lutter contre les prétentions des Unionistes, voyaient avec une extrême irritation la marche des armées fédérales. Aussi prétendaient-ils que la Floride résistât comme résistaient encore les États du Sud. Si, dans le début de la guerre, cette question d’affranchissement n’avait peut-être excité que leur indifférence, ils s’empressaient à présent de se ranger sous le drapeau de Jefferson Davis. Ils étaient prêts à seconder les efforts des rebelles contre le gouvernement d’Abraham Lincoln.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que Texar, s’appuyant sur les opinions et les intérêts unis pour défendre la même cause, n’eût réussi à s’imposer, si peu d’estime qu’inspirât sa personne. Désormais, il allait pouvoir agir en maître, moins à l’effet d’organiser la résistance avec le concours des sudistes, et repousser la flottille du commodore Dupont, qu’afin de satisfaire ses instincts pervers.

C’est à cause de cela, ou de la haine qu’il portait à la famille Burbank, que le premier soin de Texar avait été de répondre à l’acte d’affranchissement de Camdless-Bay par cette mesure obligeant tous les affranchis à vider le territoire dans les quarante-huit heures.

«En agissant ainsi, disait-il, je sauvegarde les intérêts des colons, directement menacés. Oui! ils ne peuvent qu’approuver cet arrêté, dont le premier effet sera d’empêcher le soulèvement des esclaves dans tout l’État de la Floride.»

La majorité avait donc applaudi sans réserve à cette ordonnance de Texar, si arbitraire qu’elle fût. Oui! arbitraire, inique, insoutenable! James Burbank était dans son droit, quand il émancipait ses esclaves. Ce droit, il le possédait de tout temps. Il pouvait l’exercer même avant que la guerre eût divisé les États-Unis sur la question de l’esclavage. Rien ne devait prévaloir contre ce droit. Jamais la mesure, prise par Texar, n’aurait pour elle la justice, ni même la légalité.

Et tout d’abord, Camdless-Bay allait être privée de ses défenseurs naturels. A cet égard, le but de l’Espagnol était pleinement atteint.

On le comprit bien à Castle-House, et, peut-être, aurait-il été à désirer que James Burbank eût attendu le jour où il pouvait agir sans danger. Mais, on le sait, accusé devant les magistrats de Jacksonville d’être en désaccord avec ses principes, mis en demeure de s’y conformer et incapable de contenir son indignation, il s’était prononcé publiquement, et publiquement aussi, devant le personnel de la plantation, il avait procédé à l’affranchissement des noirs de Camdless-Bay.

Or, la situation de la famille Burbank et de ses hôtes s’étant aggravée de ce fait, il fallait décider en toute hâte ce qu’il convenait de faire dans ces conjonctures.

Et d’abord, – ce fut là-dessus que porta la discussion, le soir même, – y avait-il lieu de revenir sur l’acte d’émancipation? Non! Cela n’aurait rien changé à l’état de choses. Texar n’eût point tenu compte de ce tardif retour. D’ailleurs, l’unanimité des noirs du domaine, en apprenant la décision prise contre eux par les nouvelles autorités de Jacksonville, se fut empressée d’imiter Zermah. Tous les actes d’affranchissement auraient été déchirés. Pour ne point quitter Camdless-Bay, pour ne pas être chassés du territoire, tous eussent repris leur condition d’esclaves, jusqu’au jour où, de par une loi d’État, ils auraient le droit d’être libres et de vivre librement où il leur plairait.

Mais à quoi bon? Décidés à défendre, avec leur ancien maître, la plantation devenue leur patrie véritable, ne le feraient-ils pas avec autant d’ardeur, maintenant qu’ils étaient affranchis? Oui, certes, et Zermah s’en portait garante. James Burbank jugea donc qu’il n’avait point à revenir sur ce qui était fait. Tous furent de son avis. Et ils ne se trompaient pas, car, le lendemain, lorsque la nouvelle mesure décrétée par le comité de Jacksonville fut connue, les marques de dévouement, les témoignages de fidélité, éclatèrent de toutes parts à Camdless-Bay. Si Texar voulait mettre son arrêté à exécution, on résisterait. S’il voulait employer la force, c’est par la force qu’on saurait lui répondre.

«Et puis, dit Edward Carrol, les événements nous pressent. Dans deux jours, dans vingt-quatre heures peut-être, ils auront résolu la question de l’esclavage en Floride. Après-demain, la flottille fédérale peut avoir forcé les bouches du Saint-John, et alors…

– Et si les milices, aidées des troupes confédérées, veulent résister?… fit observer M. Stannard.

– Si elles résistent, leur résistance ne pourra être de longue durée! répondit Edward Carrol. Sans vaisseaux, sans canonnières, comment pourraient-ils s’opposer au passage du commodore Dupont, au débarquement des troupes de Sherman, à l’occupation des ports de Fernandina, de Jacksonville ou de Saint-Augustine? Ces points occupés, les fédéraux seront maîtres de la Floride. Alors Texar et les siens n’auront d’autre ressource que de s’enfuir…

– Ah! puisse-t-on, au contraire, s’emparer de cet homme! s’écria James Burbank. Quand il sera entre les mains de la justice fédérale, nous verrons s’il arguera encore de quelque alibi pour échapper au châtiment que méritent ses crimes!»

La nuit se passa, sans que la sécurité de Castle-House eût été un seul instant troublée. Mais quelles devaient être les inquiétudes de Mme Burbank et de miss Alice!

Le lendemain, 1er mars, on se mit à l’affût de tous les bruits qui pourraient venir du dehors. Ce n’est pas que la plantation fût menacée ce jour-là. L’arrêté de Texar n’avait ordonné l’expulsion des affranchis que dans les quarante-huit heures. James Burbank, décidé a résister à cet ordre, avait le temps nécessaire pour organiser ses moyens de défense dans la mesure du possible. L’important était de recueillir les bruits venus du théâtre de la guerre. Ils pouvaient à chaque instant modifier l’état de choses. James Burbank et son beau-frère montèrent donc à cheval. Descendant la rive droite du Saint-John, ils se dirigèrent vers l’embouchure du fleuve, afin d’explorer, à une dizaine de milles, cet évasement de l’estuaire qui se termine par la pointe de San-Pablo, à l’endroit où s’élève le phare. Lorsqu’ils passeraient devant Jacksonville, située sur l’autre rive, il leur serait facile de reconnaître si un rassemblement d’embarcations n’indiquait pas quelque prochaine tentative de la populace contre Camdless-Bay. En une demi-heure, tous deux avaient dépassé la limite de la plantation, et ils continuèrent à se porter vers le nord.

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Pendant ce temps, Mme Burbank et Alice, allant et venant dans le parc de Castle-House, échangeaient leurs pensées. M. Stannard essayait vainement de leur rendre un peu de calme. Elles avaient le pressentiment d’une prochaine catastrophe.

Cependant Zermah avait voulu parcourir les divers baraccons. Bien que la menace d’expulsion fût maintenant connue, les noirs ne songeaient point à en tenir compte. Ils avaient repris leurs travaux habituels. Comme leur ancien maître décidés à la résistance, de quel droit puisqu’ils étaient libres, les chasserait-on de leur pays d’adoption? Sur ce point, Zermah fit à sa maîtresse le rapport le plus rassurant. On pouvait compter sur le personnel de Camdless-Bay.

«Oui, dit-elle, tous mes compagnons reviendraient à la condition d’esclaves, comme je l’ai fait moi-même, plutôt que d’abandonner la plantation et les maîtres deCastle-House! Et si l’on veut les y obliger, ils sauront défendre leurs droits!»

Il n’y avait plus qu’à attendre le retour de James Burbank et d’Edward Carrol. A cette date du 1er mars, il n’était pas impossible que la flottille fédérale fût arrivée en vue du phare de Pablo, prête à occuper l’embouchure du Saint-John. Les confédérés n’auraient pas trop de toutes les milices pour s’opposer à leur passage, et les autorités de Jacksonville, directement menacées, ne seraient plus à même de mettre à exécution leurs menaces contre les affranchis de Camdless-Bay.

Cependant, le régisseur Perry faisait sa visite quotidienne aux divers chantiers et ateliers du domaine. Il put constater, lui aussi, les bonnes dispositions des noirs. Quoi qu’il n’en voulût pas convenir, il voyait que, s’ils avaient changé de condition, leur assiduité au travail, leur dévouement à la famille Burbank, étaient restés les mêmes. Quant à résister à tout ce que pourrait tenter contre eux la populace de Jacksonville, ils y étaient fermement résolus. Mais, suivant l’opinion de M. Perry, plus obstiné que jamais dans ses idées d’esclavagiste, ces beaux sentiments ne pouvaient durer. La nature finirait pas reprendre ses droits. Après avoir goûté à l’indépendance, ces nouveaux affranchis reviendraient d’eux-mêmes à la servitude. Ils redescendraient au rang qui leur était dévolu par la nature dans l’échelle des êtres, entre l’homme et l’animal.

Ce fut, sur ces entrefaites, qu’il rencontra le vaniteux Pygmalion. Cet imbécile avait encore accentué son attitude de la veille. A le voir se pavaner, les mains derrière le dos, la tête haute, on sentait maintenant que c’était un homme libre. Ce qui est certain, c’est qu’il n’en travaillait pas davantage.

«Eh, bonjour, monsieur Perry? dit-il d’un ton superbe.

– Que fais-tu là, paresseux?

– Je me promène! N’ai-je pas le droit de ne rien faire, puisque je ne suis plus un vil esclave et que je porte mon acte d’affranchissement dans ma poche!

– Et qui est-ce qui te nourrira, désormais, Pyg?

– Moi, monsieur Perry.

– Et comment?

– En mangeant.

– Et qui te donnera à manger?

– Mon maître.

– Ton maître!… As-tu donc oublié que maintenant tu n’as pas de maître, nigaud?

– Non! Je n’en ai pas, je n’en aurai plus, et monsieur Burbank ne me renverra pas de la plantation, où, sans trop me vanter, je rends quelques services!

– Il te renverra, au contraire!

– Il me renverra?

– Sans doute. Quand tu lui appartenais, il pouvait te garder, même à rien faire. Mais, du moment que tu ne lui appartiens plus, si tu continues à ne pas vouloir travailler, il te mettra bel et bien à la porte, et nous verrons ce que tu feras de ta liberté, pauvre sot!»

Évidemment, Pyg n’avait point envisagé la question à ce point de vue.

«Comment, monsieur Perry, reprit-il, vous croyez que monsieur Burbank serait assez cruel pour…

– Ce n’est pas la cruauté, répliqua le régisseur, c’est la logique des choses qui conduit à cela. D’ailleurs, que monsieur James le veuille ou non, il y a un arrêté du comité de Jacksonville qui ordonne l’expulsion de tous les affranchis du territoire de la Floride.

– C’est donc vrai?

– Très vrai, et nous verrons comment tes compagnons et toi, vous vous tirerez d’affaire, maintenant que vous n’avez plus de maître.

– Je ne veux pas quitter Camdless-Bay? s’écria Pygmalion… Puisque je suis libre…

– Oui!… tu es libre de partir, mais tu n’es pas libre de rester! Je t’engage donc à faire tes paquets!

– Et que vais-je devenir?

– Cela te regarde!

– Enfin, puisque je suis libre… reprit Pygmalion, qui en revenait toujours là.

– Ça ne suffit point, paraît-il!

– Dites-moi alors ce qu’il faut faire, monsieur Perry!

– Ce qu’il faut faire? Tiens, écoute… et suis mon raisonnement, si tu en es capable.

– Je le suis.

– Tu es affranchi, n’est-ce pas?

– Oui, certes, monsieur Perry, et, je vous le répète, j’ai mon acte d’affranchissement dans ma poche.

– Eh bien, déchire-le!

– Jamais.

– Alors, puisque tu refuses, je ne vois plus qu’un moyen, si tu veux rester dans le pays.

– Lequel?

– C’est de changer de couleur, imbécile! Change, Pyg, change! Quand tu seras devenu blanc, tu auras le droit de demeurer à Camdless-Bay! Jusque-là, non!»

Le régisseur, enchanté d’avoir donné cette petite leçon à la vanité de Pyg, lui tourna les talons.

Pyg resta d’abord tout pensif. Il le voyait bien, ne plus être esclave, cela ne suffisait pas pour conserver sa place. Il fallait encore être blanc. Et comment diable s’yprendre pour devenir blanc, quand la nature vous a fait d’un noir d’ébène!

Aussi, Pygmalion, en retournant aux communs de Castle-House, se grattait-il la peau à s’arracher l’épiderme.

Un peu avant midi, James Burbank et Edward Carrol étaient de retour à Castle-House. Ils n’avaient rien vu d’inquiétant du côté de Jacksonville. Les embarcations occupaient leur place habituelle, les unes amarrées aux quais du port, les autres mouillées au milieu du chenal. Cependant, il se faisait quelques mouvements de troupe de l’autre côté du fleuve. Plusieurs détachements de confédérés s’étaient montrés sur la rive gauche du Saint-John et se dirigeaient au nord vers le comté de Nassau. Rien encore ne semblait menacer Camdless-Bay.

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Arrivés sur la limite de l’estuaire, James Burbank et son compagnon avaient porté leurs regards vers la haute mer. Pas une voile n’apparaissait au large, pas une fumée de bateau à vapeur ne s’élevait à l’horizon, qui indiquât la présence ou l’approche d’une escadre. Quant aux préparatifs de défense sur cette partie de la côte floridienne, ils étaient nuls. Ni batteries de terre, ni épaulements. Aucune disposition pour défendre l’estuaire. Si les navires fédéraux se présentaient, soit devant la crique Nassau, soit devant l’embouchure du Saint-John, ils pourraient y pénétrer sans obstacles. Seulement, le phare de Pablo se trouvait hors d’usage. Sa lanterne démontée ne permettait plus d’éclairer les passes. Toutefois, cela ne pouvait gêner l’entrée de la flottille que pendant la nuit.

Voilà ce que rapportèrent MM. Burbank et Carrol, quand ils furent de retour pour le déjeuner.

En somme, circonstance assez rassurante, il ne se faisait à Jacksonville aucun mouvement de nature à donner la crainte d’une agression immédiate contre Camdless-Bay.

«Soit! répondit M. Stannard. Ce qui est inquiétant, c’est que les navires du commodore Dupont ne soient pas encore en vue! Il y a là un retard qui me paraît inexplicable!

– Oui! répondit Edward Carrol. Si cette flottille a pris la mer avant-hier, en quittant la baie de Saint-Andrews, elle devrait maintenant être au large de Fernandina!

– Le temps a été très mauvais depuis quelques jours, répliqua James Burbank. Il est possible, avec ces vents d’ouest qui battent en côté, que Dupont ait dû s’éloigner du large. Or, le vent a calmi ce matin, et je ne serais pas étonné que cette nuit même…

– Que le ciel t’entende, mon cher James, dit Mme Burbank, et qu’il nous vienne en aide!

– Monsieur James, fit observer Alice, puisque le phare de Pablo ne peut plus être allumé, comment la flottille pourrait-elle, cette nuit, pénétrer dans le Saint-John?

– Dans le Saint-John, ce serait impossible, en effet, ma chère Alice, répondit James Burbank. Mais, avant d’attaquer ces bouches du fleuve, il faut que les fédéraux s’emparent d’abord de l’île Amélia, puis du bourg de Fernandina, afin d’être maîtres du chemin de fer de Cedar-Keys. Je ne m’attends pas à voir les bâtiments du commodore Dupont remonter le Saint-John avant trois ou quatre jours.

– Tu as raison, James, répondit Edward Carrol, et j’espère que la prise de Fernandina suffira pour forcerles confédérés à battre en retraite. Peut-être même, les milices abandonneront-elles Jacksonville, sans attendre l’arrivée des canonnières. Dans ce cas, Camdless-Bay ne serait plus menacée par Texar et ses émeutiers…

– Cela est possible, mes amis! répondit James Burbank. Que les fédéraux mettent seulement le pied sur le territoire de la Floride, et il n’en faut pas davantage pour garantir notre sécurité! – Il n’y a rien de nouveau à la plantation?

– Rien, monsieur Burbank, répondit miss Alice. J’ai su par Zermah que les noirs avaient repris leurs occupations dans les chantiers, les usines et les forêts. Elle assure qu’ils sont toujours prêts à se dévouer jusqu’au dernier pour défendre Camdless-Bay.

– Espérons encore qu’il n’y aura pas lieu de mettre leur dévouement à cette épreuve! Ou je serai bien surpris, ou les coquins, qui se sont imposés aux honnêtes gens par la violence, s’enfuiront de Jacksonville, dès que les fédéraux seront signalés au large de la Floride. Cependant, tenons-nous sur nos gardes. Après déjeuner, Stannard, voulez-vous nous accompagner, Carrol et moi, pendant la visite que nous désirons faire sur la partie la plus exposée du domaine? Je ne voudrais pas, mon cher ami, qu’Alice et vous fussiez menacés de plus grands périls à Castle-House qu’à Jacksonville. En vérité, je ne me pardonnerais pas de vous avoir fait venir ici, au cas où les choses tourneraient mal!

– Mon cher James, répondit Stannard, si nous étions restés dans notre habitation de Jacksonville, il est vraisemblable que nous y serions maintenant en butte aux exactions des autorités, comme tous ceux dont les opinions sont anti-esclavagistes…

– En tout état de choses, monsieur Burbank, ajouta miss Alice, quand même les dangers devraient être plus grands ici, ne vaut-il pas mieux que nous les partagions?

– Oui, ma chère fille, répondit James Burbank. Allons! j’ai bon espoir, et je pense que Texar n’aura pas même le temps de mettre à exécution son arrêté contre notre personnel!»

Pendant l’après-midi jusqu’au dîner, James Burbank et ses deux amis visitèrent les différents baraccons. M. Perry les accompagnait. Ils purent constater que les dispositions des noirs étaient excellentes. James Burbank crut devoir appeler l’attention de son régisseur sur le zèle avec lequel les nouveaux affranchis s’étaient remis à la besogne. Pas un seul ne manquait à l’appel.

«Oui!… oui!… répondit Perry. Il reste a savoir comment la besogne sera faite maintenant!

– Ah ça, Perry, ces braves noirs n’ont pas changé de bras en changeant de condition, je suppose?

– Pas encore, monsieur James, répondit l’entêté. Mais bientôt, vous vous apercevrez qu’ils n’ont plus les mêmes mains au bout des bras…

– Allons donc, Perry! répliqua gaiement James Burbank. Leurs mains auront toujours cinq doigts, j’imagine, et, véritablement, on ne peut leur en demander davantage!»

Dès que la visite fut achevée, James Burbank et ses compagnons rentrèrent à Castle-House. La soirée se passa plus tranquillement que la veille. En l’absence de toute nouvelle venue de Jacksonville, on s’était repris à espérer que Texar renonçait à mettre ses menaces à exécution, ou même que le temps lui manquerait pour les réaliser.

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Cependant des précautions sévères furent prises pour la nuit. Perry et les sous-régisseurs organisèrent des rondes à la lisière du domaine, et plus spécialement sur les rives du Saint-John. Les noirs avaient été prévenus de se replier sur l’enceinte palissadée, en cas d’alerte, et un poste fut établi à la poterne extérieure.

Plusieurs fois, James Burbank et ses amis se relevèrent, afin de s’assurer que leurs ordres étaient ponctuellement exécutés. Lorsque le soleil reparut, aucun incident n’avait troublé le repos des hôtes de Camdless-Bay.

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