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Jules Verne

 

Robur-le-Conquérant

 

(Chapitre I-III)

 

 

45 dessins par Benett

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

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Chapitre I

Où le monde savant et le monde ignorant 
sont aussi embarrassés l’un ou l’autre.

 

an!… Pan!…»

Les deux coups de pistolet partirent presque en même temps. Une vache, qui paissait à cinquante pas de là, reçut une des balles dans l’échine. Elle n’était pour rien dans l’affaire, cependant.

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Ni l’un ni l’autre des deux adversaires n’avait été touché.

Quels étaient ces deux gentlemen? On ne sait, et, cependant, c’eût été là, sans doute, l’occasion de faire parvenir leurs noms à la postérité. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le plus âgé était Anglais, le plus jeune Américain. Quant à indiquer en quel endroit l’inoffensif ruminant venait de paître sa dernière touffe d’herbe, rien de plus facile. C’était sur la rive droite du Niagara, non loin de ce pont suspendu qui réunit la rive américaine à la rive canadienne, trois milles au-dessous des chutes.

L’Anglais s’avança alors vers l’Américain:

«Je n’en soutiens pas moins que c’était le Rule Britannia! dit-il.

– Non! le Yankee Doodle!» répliqua l’autre.

La querelle allait recommencer, lorsque l’un des témoins – sans doute dans l’intérêt du bétail – s’interposa, disant:

«Mettons que c’était le Rule Doodle et le Yankee Britannia, et allons déjeuner!»

Ce compromis entre les deux chants nationaux de l’Amérique et de la Grande-Bretagne fut adopté à la satisfaction générale. Américains et Anglais, remontant la rive gauche du Niagara, vinrent s’attabler dans l’hôtel de Goat-Island – un terrain neutre entre les deux chutes. Comme ils sont en présence des œufs bouillis et du jambon traditionnels, du roastbeef froid, relevé de pickles incendiaires, et de flots de thé à rendre jalouses les célèbres cataractes, on ne les dérangera plus. Il est peu probable, d’ailleurs, qu’il soit encore question d’eux dans cette histoire.

Qui avait raison de l’Anglais ou de l’Américain? Il eût été difficile de se prononcer. En tout cas, ce duel montre combien les esprits s’étaient passionnés, non seulement dans le nouveau, mais aussi dans l’ancien continent, à propos d’un phénomène inexplicable, qui, depuis un mois environ, mettait toutes les cervelles à l’envers.

Os sublime dedit cœlumque tueri,

a dit Ovide pour le plus grand honneur de la créature humaine. En vérité, jamais on n’avait tant regardé le ciel depuis l’apparition de l’homme sur le globe terrestre.

Or, précisément, pendant la nuit précédente, une trompette aérienne avait lancé ses notes cuivrées à travers l’espace, au-dessus de cette portion du Canada située entre le lac Ontario et le lac Erié. Les uns avaient entendu le Yankee Doodle, les autres le Rule Britannia. De là cette querelle d’Anglo-saxons qui se terminait par un déjeuner à Goat-Island. Peut-être, en somme, n’était-ce ni l’un ni l’autre de ces chants patriotiques. Mais ce qui n’était douteux pour personne c’est que ce son étrange avait ceci de particulier qu’il semblait descendre du ciel sur la terre.

Fallait-il croire à quelque trompette céleste, embouchée par un ange ou un archange?… N’était-ce pas plutôt de joyeux aéronautes qui jouaient de ce sonore instrument, dont la Renommée fait un si bruyant usage?

Non! Il n’y avait là ni ballon, ni aéronautes. Un phénomène extraordinaire se produisait dans les hautes zones du ciel – phénomène dont on ne pouvait reconnaître la nature ni l’origine. Aujourd’hui, il apparaissait au-dessus de l’Amérique, quarante-huit heures après au-dessus de l’Europe, huit jours plus tard, en Asie, au-dessus du Céleste-Empire. Décidément, si la trompette qui signalait son passage n’était pas celle du jugement dernier, qu’était donc cette trompette?

De là, en tous pays de la terre, royaumes ou républiques, une certaine inquiétude qu’il importait de calmer. Si vous entendiez dans votre maison quelques bruits bizarres et inexplicables ne chercheriez-vous pas au plus vite à reconnaître la cause de ces bruits, et, 51 l’enquête n’aboutissait à rien, n’abandonneriez-vous pas votre maison pour en habiter une autre? Oui, sans doute! Mais ici, la maison, c’était le globe terrestre. Nul moyen de le quitter pour la Lune, Mars, Vénus, Jupiter, ou toute autre planète du système solaire. Il fallait donc découvrir ce qui se passait, non dans le vide infini, mais dans les zones atmosphériques. En effet, pas d’air, pas de bruit, et, comme il y avait bruit – toujours la fameuse trompette – c’est que le phénomène s’accomplissait au milieu de la couche d’air, dont la densité va toujours en diminuant et qui ne s’étend pas à plus de deux lieues autour de notre sphéroïde.

Naturellement, des milliers de feuilles publiques s’emparèrent de la question, la traitèrent sous toutes ses formes, l’éclaircirent ou l’obscurcirent, rapportèrent des faits vrais ou faux, alarmèrent ou rassurèrent leurs lecteurs, – dans l’intérêt du tirage, – passionnèrent enfin les masses quelque peu affolées. Du coup, la politique fut par terre, et les affaires n’en allèrent pas plus mal. Mais qu’y avait-il?

On consulta les observatoires du monde entier. S’ils ne répondaient pas, à quoi bon des observatoires? Si les astronomes, qui dédoublent ou détriplent des étoiles à cent mille milliards de lieues, n’étaient pas capables de reconnaître l’origine d’un phénomène cosmique, dans le rayon de quelques kilomètres seulement, à quoi bon des astronomes?

Aussi, ce qu’il y eut de télescopes, de lunettes, de longues-vues, de lorgnettes, de binocles, de monocles, braqués vers le ciel, pendant ces belles nuits de l’été, ce qu’il y eut d’yeux à l’oculaire des instruments de toutes portées et de toutes grosseurs, on ne saurait l’évaluer. Peut-être des centaines de mille, à tout le moins. Dix fois, vingt fois plus qu’on ne compte d’étoiles à l’œil nu sur la sphère céleste. Non! Jamais éclipse, observée simultanément sur tous les points du globe, n’avait été à pareille fête.

Les observatoires répondirent, mais insuffisamment. Chacun donna une opinion, mais différente. De là, guerre intestine dans le monde savant pendant les dernières semaines d’avril et les premières de mai.

L’observatoire de Paris se montra très réservé. Aucune des sections ne se prononça. Dans le service d’astronomie mathématique, on avait dédaigné de regarder; dans celui des opérations méridiennes, on n’avait rien découvert; dans celui des observations physiques, on n’avait rien aperçu; dans celui de la géodésie, on n’avait rien remarqué; dans celui de la météorologie, on n’avait rien entrevu; enfin, dans celui des calculateurs, on n’avait rien vu. Du moins l’aveu était franc. Même franchise à l’observatoire de Montsouris, à la station magnétique du parc Saint-Maur. Même respect de la vérité au Bureau des Longitudes. Décidément, Français veut dire «franc».

La province fut un peu plus affirmative. Peut-être dans la nuit du 6 au 7 mai avait-il paru une lueur d’origine électrique, dont la durée n’avait pas dépassé vingt secondes. Au pic du Midi, cette lueur s’était montrée entre neuf et dix heures du soir. À l’observatoire météorologique du Puy-de-Dôme, on l’avait saisie entre une heure et deux heures du matin; au mont Ventoux, en Provence, entre deux et trois heures; à Nice, entre trois et quatre heures; enfin, au Semnoz-Alpes, entre Annecy, le Bourget et le Léman, au moment où l’aube blanchissait le zénith.

Évidemment, il n’y avait pas à rejeter ces observations en bloc. Nul doute que la lueur eût été observée en divers postes – successivement – dans le laps de quelques heures. Donc, ou elle était produite par plusieurs foyers, courant à travers l’atmosphère terrestre, ou, si elle n’était due qu’à un foyer unique, c’est que ce foyer pouvait se mouvoir avec une vitesse qui devait atteindre bien près de deux cents kilomètres à l’heure.

Mais, pendant le jour, avait-on jamais vu quelque chose d’anormal dans l’air?

Jamais.

La trompette, du moins, s’était-elle fait entendre à travers les couches aériennes?

Pas le moindre appel de trompette n’avait retenti entre le lever et le coucher du soleil.

Dans le Royaume-Uni, on fut très perplexe. Les observatoires ne purent se mettre d’accord. Greenwich ne parvint pas à s’entendre avec Oxford, bien que tous deux soutinssent «qu’il n’y avait rien».

«Illusion d’optique! disait l’un.

– Illusion d’acoustique!» répondait l’autre.

Et là-dessus, ils disputèrent. En tout cas, illusion.

A l’observatoire de Berlin, à celui de Vienne, la discussion menaça d’amener des complications internationales. Mais la Russie, en la personne du directeur de son observatoire de Poulkowa, leur prouva qu’ils avaient raison tous deux; cela dépendait du point de vue auquel ils se mettaient pour déterminer la nature du phénomène, en théorie impossible, possible en pratique.

En Suisse, à l’observatoire de Saütis, dans le canton d’Appenzel, au Righi, au Gäbris, dans les postes du Saint-Gothard, du Saint-Bernard, du Julier, du Simplon, de Zurich, du Somblick dans les Alpes tyroliennes, on fit preuve d’une extrême réserve à propos d’un fait que personne n’avait jamais pu constater – ce qui est fort raisonnable.

Mais, en Italie, aux stations météorologiques du Vésuve, au poste de l’Etna, installé dans l’ancienne Casa Inglese, au Monte-Cavo, les observateurs n’hésitèrent pas à admettre la matérialité du phénomène, attendu qu’ils l’avaient pu voir, un jour, sous l’aspect d’une petite volute de vapeur, une nuit, sous l’apparence d’une étoile filante. Ce que c’était, d’ailleurs, ils n’en savaient absolument rien.

En vérité, ce mystère commençait à fatiguer les gens de science, tandis qu’il continuait à passionner, à effrayer même les humbles et les ignorants, qui ont formé, forment et formeront l’immense majorité en ce monde, grâce à l’une des plus sages lois de la nature. Les astronomes et les météorologistes auraient donc renoncé à s’en occuper, si, dans la nuit du 26 au 27, à l’observatoire de Kantokeino, au Finmark, en Norvège, et dans la nuit du 28 au 29, à celui de l’Isfjord, au Spitzberg, les Norvégiens d’une part, les Suédois de l’autre, ne se fussent trouvés d’accord sur ceci: au milieu d’une aurore boréale avait apparu une sorte de gros oiseau, de monstre aérien. S’il n’avait pas été possible d’en déterminer la structure, du moins n’était-il pas douteux qu’il eût projeté hors de lui des corpuscules qui détonaient comme des bombes.

En Europe, on voulut bien ne pas mettre en doute cette observation des stations du Finmark et du Spitzberg. Mais, ce qui parut le plus phénoménal en tout cela, c’était que des Suédois et des Norvégiens eussent pu se mettre d’accord sur un point quelconque.

On rit de la prétendue découverte dans tous les observatoires de l’Amérique du Sud, au Brésil, au Pérou comme à La Plata, dans ceux de l’Australie, à Sidney, à Adélaïde comme à Melbourne. Et le rire australien est des plus communicatifs.

Bref, un seul chef de station météorologique se montra affirmatif sur cette question, malgré tous les sarcasmes que sa solution pouvait faire naître. Ce fut un Chinois, le directeur de l’observatoire de Zi-Ka-Wey, élevé au milieu d’une vaste plaine, à moins de dix lieues de la mer, avec un horizon immense, baigné d’air pur.

«Il se pourrait, dit-il, que l’objet dont il s’agit fût tout simplement un appareil aviateur, une machine volante!»

Quelle plaisanterie!

Cependant, si les controverses furent vives dans l’Ancien Monde, on imagine ce qu’elles durent être en cette portion du Nouveau, dont les États-Unis occupent le plus vaste territoire.

Un Yankee, on le sait, n’y va pas par quatre chemins. Il n’en prend qu’un, et généralement celui qui conduit droit au but. Aussi les observatoires de la Fédération américaine n’hésitèrent-ils pas à se dire leur fait. S’ils ne se jetèrent pas leurs objectifs à la tête, c’est qu’il aurait fallu les remplacer au moment où l’on avait le plus besoin de s’en servir.

En cette question si controversée, les observatoires de Washington dans le district de Colombia, et celui de Cambridge dans l’État de Duna, tinrent tête à celui de Darmouth-College dans le Connecticut, et à celui d’Aun-Arbor dans le Michigan. Le sujet de leur dispute ne porta pas sur la nature du corps observé, mais sur l’instant précis de l’observation; car tous prétendirent l’avoir aperçu dans la même nuit, à la même heure, à la même minute, à la même seconde, bien que la trajectoire du mystérieux mobile n’occupât qu’une médiocre hauteur au-dessus de l’horizon. Or, du Connecticut au Michigan, du Duna au Colombia, la distance est assez grande pour que cette double observation, faite au même moment, pût être considérée comme impossible.

Dudley, à Albany, dans l’État de New York, et West-Point, de l’Académie militaire, donnèrent tort à leurs collègues par une note qui chiffrait l’ascension droite et la déclinaison dudit corps.

Mais il fut reconnu plus tard que ces observateurs s’étaient trompés de corps, que celui-ci était un bolide qui n’avait fait que traverser la moyenne couche de l’atmosphère. Donc, ce bolide ne pouvait être l’objet en question. D’ailleurs, comment le susdit bolide aurait-il joué de la trompette?

Quant à cette trompette, on essaya vainement de mettre son éclatante fanfare au rang des illusions d’acoustique. Les oreilles, en cette occurrence, ne se trompaient pas plus que les yeux. On avait certainement vu, on avait certainement entendu. Dans la nuit du 12 au 13 mai – nuit très sombre – les observateurs de Yale-College, à l’École scientifique de Sheffield, avaient pu transcrire quelques mesures d’une phrase musicale, en ré majeur, à quatre temps, qui donnait note pour note, rythme pour rythme, le refrain du Chant du Départ.

«Bon! répondirent les loustics, c’est un orchestre français qui joue au milieu des couches aériennes!»

Mais plaisanter n’est pas répondre. C’est ce que fit remarquer l’observatoire de Boston, fondé par l’Atlantic Iron Works Society, dont les opinions sur les questions d’astronomie et de météorologie commençaient à faire loi dans le monde savant.

Intervint alors l’observatoire de Cincinnati, créé en 1870 sur le mont Lookout, grâce à la générosité de M. Kilgoor, et si connu pour ses mesures micrométriques des étoiles doubles. Son directeur déclara, avec la plus entière bonne foi, qu’il y avait certainement quelque chose, qu’un mobile quelconque se montrait, dans des temps assez rapprochés, en divers points de l’atmosphère, mais que sur la nature de ce mobile, ses dimensions, sa vitesse, sa trajectoire, il était impossible de se prononcer.

Ce fut alors qu’un journal dont la publicité est immense, le New York Herald, reçut d’un abonné la communication anonyme qui suit:

«On n’a pas oublié la rivalité qui mit aux prises, il y a quelques années, les deux héritiers de la Begum de Ragginahra, ce docteur français Sarrasin dans sa cité de Franceville, l’ingénieur allemand Herr Schultze, dans sa cité de Stahlstadt, cités situées toutes deux en la partie sud de l’Oregon, aux États-Unis.

«On ne peut avoir oublié davantage que, dans le but de détruire Franceville, Herr Schultze lança un formidable engin qui devait s’abattre sur la ville française et l’anéantir d’un seul coup.

«Encore moins ne peut-on avoir oublié que cet engin, dont la vitesse initiale au sortir de la bouche du canon-monstre avait été mal calculée, fut emporté avec une rapidité supérieure à seize fois celle des projectiles ordinaires – soit cent cinquante lieues à l’heure, – qu’il n’est plus retombé sur la terre, et que, passé à l’état de bolide, il circule et doit éternellement circuler autour de notre globe.

«Pourquoi ne serait-ce pas le corps en question dont l’existence ne peut être niée?»

Fort ingénieux, l’abonné du New York Herald. Et la trompette?… Il n’y avait pas de trompette dans le projectile de Herr Schultze!

Donc, toutes ces explications n’expliquaient rien, tous ces observateurs observaient mal.

Restait toujours l’hypothèse proposée par le directeur de Zi-Ka-Wey. Mais l’opinion d’un Chinois!…

Il ne faudrait pas croire que la satiété finît par s’emparer du public de l’Ancien et du Nouveau Monde. Non! les discussions continuèrent de plus belle, sans qu’on parvînt à se mettre d’accord. Et, cependant, il y eut un temps d’arrêt. Quelques jours s’écoulèrent sans que l’objet, bolide ou autre, fût signalé, sans que nul bruit de trompette se fit entendre dans les airs. Le corps était-il donc tombé sur un point du globe où il eût été difficile de retrouver sa trace – en mer, par exemple? Gisait-il dans les profondeurs de l’Atlantique, du Pacifique, de l’océan Indien? Comment se prononcer à cet égard?

Mais alors, entre le 2 et le 9 juin, une série de faits nouveaux se produisirent, dont l’explication eût été impossible par la seule existence d’un phénomène cosmique.

En huit jours, les Hambourgeois, à la pointe de la tour Saint-Michel, les Turcs, au plus haut minaret de Sainte-Sophie, les Rouennais, au bout de la flèche métallique de leur cathédrale, les Strasbourgeois, à l’extrémité du Munster, les Américains, sur la tête de leur statue de la Liberté, à l’entrée de l’Hudson, et, au faîte du monument de Washington, à Boston, les Chinois, au Sommet du temple des Cinq-Cents-Génies, à Canton, les Indous, au seizième étage de la pyramide du temple de Tanjour, les San-Pietrini, à la croix de Saint-Pierre de Rome, les Anglais, à la croix de Saint-Paul de Londres, les Egyptiens, à l’angle aigu de la Grande Pyramide de Gizèh, les Parisiens, au paratonnerre de la Tour en fer de l’Exposition de 1889, haute de trois cents mètres, purent apercevoir un pavillon qui flottait sur chacun de ces points difficilement accessibles.

Et ce pavillon, c’était une étamine noire, semée d’étoiles, avec un soleil d’or à son centre.

 

 

Chapitre II

Dans lequel les membres du Weldon-Institute se disputent 
sans parvenir à se mettre d’accord.

 

t le premier qui dira le contraire…

– Vraiment!… Mais on le dira, s’il y a lieu de le dire!

– Et en dépit de vos menaces!…

– Prenez garde à vos paroles, Bat Fyn!

– Et aux vôtres, Uncle Prudent!

– Je soutiens que l’hélice ne doit pas être à l’arrière!

– Nous aussi!… Nous aussi!… répondirent cinquante voix, confondues dans un commun accord.

– Non!… Elle doit être à l’avant! s’écria Phil Evans.

– A l’avant! répondirent cinquante autres voix avec une vigueur non moins remarquable.

– Jamais nous ne serons du même avis!

– Jamais!… Jamais!

– Alors à quoi bon disputer?

– Ce n’est pas de la dispute!… C’est de la discussion!

On ne l’aurait pas cru, à entendre les reparties, les objurgations, les vociférations, qui emplissaient la salle des séances depuis un bon quart d’heure.

Cette salle, il est vrai, était la plus grande du Weldon-Institut – club célèbre entre tous, établi Walnut-Street, à Philadelphie, État de Pennsylvanie, Etats-Unis d’Amérique.

Or, la veille, dans la cité, à propos de l’élection d’un allumeur de gaz, il y avait eu manifestations publiques, meetings bruyants, coups échangés de part et d’autre. De là, une effervescence qui n’était pas encore calmée, et d’où provenait peut-être cette surexcitation dont les membres du Weldon-Institut venaient de faire preuve. Et, cependant, ce n’était là qu’une simple réunion de «Ballonistes», discutant la question encore palpitante – même à cette époque – de la direction des ballons.

Cela se passait dans une ville des Etats-Unis, dont le développement rapide fut supérieur même à celui de New York, de Chicago, de Cincinnati, de San Francisco, – une ville, qui n’est pourtant ni un port, ni un centre minier de houille ou de pétrole, ni une agglomération manufacturière, ni le terminus d’un rayonnement de voies ferrées, – une ville plus grande que Berlin, Manchester, Édimbourg, Liverpool, Vienne, Pétersbourg, Dublin, – une ville qui possède un parc dans lequel tiendraient ensemble les sept parcs de la capitale de l’Angleterre, – une ville, enfin, qui compte actuellement près de douze cent mille âmes et se dit la quatrième ville du monde, après Londres, Paris et New York.

Philadelphie est presque une cité de marbre avec ses maisons de grand caractère et ses établissements publics qui ne connaissent point de rivaux. Le plus important de tous les collèges du Nouveau Monde est le collège Girard, et il est à Philadelphie. Le plus large pont de fer du globe est le pont jeté sur la rivière Schuylkill, et il est à Philadelphie. Le plus beau temple de la Franc-Maçonnerie est le Temple Maçonnique, et il est à Philadelphie. Enfin, le plus grand club des adeptes de la navigation aérienne est à Philadelphie. Et si l’on veut bien le visiter dans cette soirée du 12 juin, peut-être y trouvera-t-on quelque plaisir.

En cette grande salle s’agitaient, se démenaient, gesticulaient, parlaient, discutaient, disputaient – tous le chapeau sur la tête – une centaine de ballonistes, sous la haute autorité d’un président assisté d’un secrétaire et d’un trésorier. Ce n’étaient point des ingénieurs de profession. Non, de simples amateurs de tout ce qui se rapportait à l’aérostatique, mais amateurs enragés et particulièrement ennemis de ceux qui veulent opposer aux aérostats les appareils «plus lourds que l’air», machines volantes, navires aériens ou autres. Que ces braves gens dussent jamais trouver la direction des ballons, c’est possible. En tout cas, leur président avait quelque peine à les diriger eux-mêmes.

Ce président, bien connu à Philadelphie, était le fameux Uncle Prudent, – Prudent, de son nom de famille. Quant au qualificatif Uncle, cela ne saurait surprendre en Amérique, où l’on peut être oncle sans avoir ni neveu ni nièce. On dit Uncle, là-bas, comme, ailleurs, on dit père, de gens qui n’ont jamais fait œuvre de paternité.

Uncle Prudent était un personnage considérable, et, en dépit de son nom, cité pour son audace. Très riche, ce qui ne gâte rien, même aux Etats-Unis. Et comment ne l’eût-il pas été, puisqu’il possédait une grande partie des actions du Niagara-Falls? A cette époque, une société d’ingénieurs s’était fondée à Buffalo pour l’exploitation des chutes. Affaire excellente. Les sept mille cinq cents mètres cubes que le Niagara débite par seconde, produisent sept millions de chevaux-vapeur. Cette force énorme, distribuée à toutes les usines établies dans un rayon de cinq cents kilomètres, donnait annuellement une économie de quinze cents millions de francs, dont une part rentrait dans les caisses de la Société et en particulier dans les poches de Uncle Prudent. D’ailleurs, il était garçon, il vivait simplement, n’ayant pour tout personnel domestique que son valet Frycollin, qui ne méritait guère d’être au service d’un maître si audacieux. Il y a de ces anomalies.

Que Uncle Prudent eût des amis, puisqu’il était riche, cela va de soi; mais il avait aussi des ennemis, puisqu’il était président du club, – entre autres, tous ceux qui enviaient cette situation. Parmi les plus acharnés, il convient de citer le secrétaire du Weldon-Institute.

C’était Phil Evans, très riche aussi, puisqu’il dirigeait la Walton Watch Company, importante usine à montres, qui fabrique par jour cinq cents mouvements à la mécanique et livre des produits comparables aux meilleurs de la Suisse. Phil Evans aurait donc pu passer pour un des hommes les plus heureux du monde et même des Etats-Unis, n’eût été la situation de Uncle Prudent. Comme lui, il était âgé de quarante-cinq ans, comme lui d’une santé à toute épreuve, comme lui d’une audace indiscutable, comme lui peu soucieux de troquer les avantages certains du célibat contre les avantages douteux du mariage. C’étaient deux hommes bien faits pour se comprendre, mais qui ne se comprenaient pas, et tous deux, il faut bien le dire, d’une extrême violence de caractère, l’un à chaud, Uncle Prudent, l’autre à froid, Phil Evans.

Et à quoi tenait que Phil Evans n’eût été nommé président du club? Les voix s’étaient exactement partagées entre Uncle Prudent et lui. Vingt fois on avait été au scrutin, et vingt fois la majorité n’avait pu se faire ni pour l’un ni pour l’autre. Situation embarrassante, qui aurait pu durer plus que la vie des deux candidats.

Un des membres du club proposa alors un moyen de départager les voix. Ce fut Jem Cip, le trésorier du Weldon-Institute. Jem Cip était un végétarien convaincu, autrement dit, un de ces légumistes, de ces proscripteurs de toute nourriture animale, de toutes liqueurs fermentées, moitié brahmanes, moitié musulmans, un rival des Niewman, des Pitman, des Ward, des Davie, qui ont illustré la secte de ces toqués inoffensifs.

En cette occurrence, Jem Cip fut soutenu par un autre membre du club, William T. Forbes, directeur d’une grande usine, où l’on fabrique de la glucose en traitant les chiffons par l’acide sulfurique – ce qui permet de faire du sucre avec de vieux linges. C’était un homme bien posé, ce William T. Forbes, père de deux charmantes vieilles filles, miss Dorothée, dite Doll, et miss Martha, dite Mat, qui donnaient le ton à la meilleure société de Philadelphie.

Il résulta donc de la proposition de Jem Cip, appuyée par William T. Forbes et quelques autres, que l’on décida de nommer le président du club au «point milieu.»

En vérité, ce mode d’élection pourrait être appliqué en tous les cas où il s’agit d’élire le plus digne, et nombre d’Américains de grand sens songeaient déjà à l’employer pour la nomination du président de la République des Etats-Unis.

Sur deux tableaux d’une entière blancheur, une ligne noire avait été tracée. La longueur de chacune de ces ligues était mathématiquement la même, car on l’avait déterminée avec autant d’exactitude que s’il se fût agi de la base du premier triangle dans un travail de triangulation. Cela fait, les deux tableaux étant exposés dans le même jour au milieu de la salle des séances, les deux concurrents s’armèrent chacun d’une fine aiguille et marchèrent simultanément vers le tableau qui lui était dévolu. Celui des deux rivaux qui planterait son aiguille le plus près du milieu de la ligue, serait proclamé président du Weldon-Institute.

Cela va sans dire, l’opération devait se faire d’un coup, sans repères, sans tâtonnements, rien que par la sûreté du regard. Avoir le compas dans l’œil, suivant l’expression populaire, tout était là.

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Uncle Prudent planta son aiguille, en même temps que Phil Evans plantait la sienne. Puis, on mesura afin de décider lequel des deux concurrents s’était le plus approché du point milieu.

O prodige! Telle avait été la précision des opérateurs que les mesures ne donnèrent pas de différence appréciable. Si ce n’était pas exactement le milieu mathématique de la ligne, il n’y avait qu’un écart insensible entre les deux aiguilles et qui semblait être le même pour toutes deux.

De là, grand embarras de l’assemblée.

Heureusement, un des membres, Truk Milnor, insista pour que les mesures fussent refaites au moyen d’une règle graduée par les procédés de la machine micrométrique de M. Perreaux, qui permet de diviser le millimètre en quinze cents parties. Cette règle, donnant des quinze-centièmes de millimètre tracés avec un éclat de diamant, servit à reprendre les mesures, et, après avoir lu les divisions au moyen d’un microscope, on obtint les résultats suivants:

Uncle Prudent s’était approché du point milieu à moins de six quinze-centièmes de millimètre, Phil Evans, à moins de neuf quinze-centièmes.

Et voilà comment Phil Evans ne fut que le secrétaire du Weldon-Institute, tandis que Uncle Prudent était proclamé président du club.

Un écart de trois quinze-centièmes de millimètre, il n’en fallut pas davantage pour que Phil Evans vouât à Uncle Prudent une de ces haines qui, pour être latentes, n’en sont pas moins féroces.

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A cette époque, depuis les expériences entreprises dans le dernier quart de ce dix-neuvième siècle, la question des ballons dirigeables n’était pas sans avoir fait quelques progrès. Les nacelles munies d’hélices propulsives, accrochées en 1852 aux aérostats de forme allongée d’Henry Giffard, en 1872, de Dupuy de Lôme, en 1883, de MM. Tissandier frères, en 1884, des capitaines Krebs et Renard, avaient donné certains résultats dont il convient de tenir compte. Mais si ces machines, plongées dans un milieu plus lourd qu’elles, manœuvrant sous la poussée d’une hélice, biaisant avec la ligue du vent, remontant même une brise contraire pour revenir à leur point de départ, s’étaient ainsi réellement «dirigées» elles n’avaient pu y réussir que grâce à des circonstances extrêmement favorables. En de vastes halls clos et couverts, parfait! Dans une atmosphère calme, très bien! Par un léger vent de cinq à six mètres à la seconde, passe encore! Mais, en somme, rien de pratique n’avait été obtenu. Contre un vent de moulin, – huit mètres à la seconde, – ces machines seraient restées à peu près stationnaires; contre une brise fraîche – dix mètres à la seconde, – elles auraient marché en arrière; contre une tempête, – vingt-cinq à trente mètres à la seconde, – elles auraient été emportées comme une plume; au milieu d’un ouragan – quarante-cinq mètres à la seconde, – elles eussent peut-être couru le risque d’être mises en pièces; enfin, avec un de ces cyclones qui dépassent cent mètres à la seconde, on n’en aurait pas retrouvé un morceau.

Il était donc constant que, même après les expériences retentissantes des capitaines Krebs et Renard, si les aérostats dirigeables avaient gagné un peu de vitesse, c’était juste ce qu’il fallait pour se maintenir contre une simple brise. D’où l’impossibilité d’user pratiquement jusqu’alors de ce mode de locomotion aérienne.

Quoi qu’il en soit, à côté de ce problème de la direction des aérostats, c’est-à-dire, des moyens employés pour leur donner une vitesse propre, la question des moteurs avait fait des progrès incomparablement plus rapides. Aux machines à vapeur d’Henri Giffard, à l’emploi de la force musculaire de Dupuy de Lôme, s’étaient peu à peu substitués les moteurs électriques. Les batteries au bichromate de potasse, formant des éléments montés en tension, de MM. Tissandier frères, donnèrent une vitesse de quatre mètres à la seconde. Les machines dynamo-électriques des capitaines Krebs et Renard, développant une force de douze chevaux, imprimèrent une vitesse de six mètres cinquante, en moyenne.

Et alors, dans cette voie du moteur, ingénieurs et électriciens avaient cherché à s’approcher de plus en plus de ce desideratum qu’on a pu appeler «un cheval-vapeur dans un boîtier de montre». Aussi, peu à peu, les effets de la pile, dont les capitaines Krebs et Renard avaient gardé le secret, étaient-ils dépassés, et, après eux, les aéronautes avaient pu utiliser des moteurs, dont la légèreté s’accroissait en même temps que la puissance.

Il y avait donc là de quoi encourager les adeptes qui croyaient à l’utilisation des ballons dirigeables. Et cependant, combien de bons esprits se refusaient à admettre cette utilisation! En effet, si l’aérostat rencontre un point d’appui sur l’air, il appartient à ce milieu dans lequel il plonge tout entier. En de telles conditions, comment sa masse, qui donne tant de prise aux courants de l’atmosphère, pourrait-elle tenir tête à des vents moyens, si puissant que fût son propulseur?

C’était toujours la question; mais on espérait la résoudre en employant des appareils de grande dimension.

Or, il se trouvait que, dans cette lutte des inventeurs à la recherche d’un moteur puissant et léger, les Américains s’étaient le plus rapprochés du fameux desideratum. Un appareil dynamo-électrique, basé sur l’emploi d’une pile nouvelle, dont la composition était encore un mystère, avait été acheté à son inventeur, un chimiste de Boston jusqu’alors inconnu. Des calculs faits avec le plus grand soin, des diagrammes relevés avec la dernière exactitude, démontraient qu’avec cet appareil, actionnant une hélice de dimension convenable, on pourrait obtenir des déplacements de dix-huit à vingt mètres à la seconde.

En vérité, c’eût été magnifique!

«Et ce n’est pas cher!» avait ajouté Uncle Prudent, en remettant à l’inventeur, contre son reçu en bonne et due forme, le dernier paquet des cent mille dollars-papier, dont on lui payait son invention.

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Immédiatement, le Weldon-Institute s’était mis à l’œuvre. Quand il s’agit d’une expérience qui peut avoir quelque utilité pratique, l’argent sort volontiers des poches américaines. Les fonds affluèrent, sans qu’il fût même nécessaire de constituer une société par actions. Trois cent mille dollars – ce qui fait la somme de quinze cent mille francs, – vinrent au premier appel s’entasser dans les caisses du club. Les travaux commencèrent sous la direction du plus célèbre aéronaute des Etats-Unis, Harry W. Tinder, immortalisé par trois de ses ascensions entre mille: l’une, pendant laquelle il s’était élevé à douze mille mètres, plus haut que Gay-Lussac, Coxwell, Sivel, Crocé-Spinelli, Tissandier, Glaisher; l’autre, pendant laquelle il avait traversé toute l’Amérique de New York à San Francisco, dépassant de plusieurs centaines de lieues les itinéraires des Nadar, des Godard et de tant d’autres, sans compter ce John Wise qui avait fait onze cent cinquante milles de Saint-Louis au comté de Jefferson; la troisième, enfin, qui s’était terminée par une chute effroyable de quinze cents pieds, au prix d’une simple foulure du poignet droit, tandis que Pilâtre de Rozier, moins heureux, pour n’être tombé que de sept cents pieds, s’était tué sur le coup.

Au moment où commence cette histoire, on pouvait déjà juger que le Weldon-Institute avait mené rondement les choses. Dans les chantiers Turner, à Philadelphie, s’allongeait un énorme aérostat, dont la solidité allait être éprouvée en y comprimant de l’air sous une forte pression. Celui-là entre tous méritait bien le nom de ballon-monstre.

En effet, que jaugeait le Géant de Nadar? Six mille mètres cubes. Que jaugeait le ballon de John Wise? Vingt mille mètres cubes. Que jaugeait le ballon Giffard, de l’Exposition de 1878? Vingt-cinq mille mètres cubes, avec dix-huit mètres de rayon. Comparez ces trois aérostats à la machine aérienne du Weldon-Institute, dont le volume se chiffrait par quarante mille mètres cubes, et vous comprendrez que Uncle Prudent et ses collègues eussent quelque droit à se gonfler d’orgueil.

Ce ballon, n’étant pas destiné à explorer les plus hautes couches de l’atmosphère, ne se nommait pas Excelsior, qualificatif qui est un peu trop en honneur chez les citoyens d’Amérique. Non! Il se nommait simplement le Go ahead – qui veut dire: «En avant», – et il ne lui restait plus qu’à justifier son nom en obéissant à toutes les manœuvres de son capitaine.

A cette époque, la machine dynamo-électrique était presque entièrement terminée d’après le système du brevet acquis par le Weldon-Institute. On pouvait compter qu’avant six semaines, le Go ahead aurait pris son vol à travers l’espace.

On l’a vu, cependant, toutes les difficultés de mécanique n’étaient pas encore tranchées. Bien des séances avaient été consacrées à discuter, non la forme de l’hélice ni ses dimensions, mais la question de savoir si elle serait placée à l’arrière de l’appareil, comme l’avaient fait les frères Tissandier, ou à l’avant, comme l’avaient fait les capitaines Krebs et Renard. Inutile d’ajouter que, dans cette discussion, les partisans des deux systèmes en étaient même venus aux mains. Le groupe des «Avantistes» égala en nombre le groupe des «Arriéristes». Uncle Prudent, dont la voix aurait dû être prépondérante en cas de partage, Uncle Prudent, élevé sans doute à l’école du professeur Buridan, n’était pas parvenu à se prononcer.

Donc, impossibilité de s’entendre, impossibilité de mettre l’hélice en place. Cela pouvait durer longtemps, à moins que le gouvernement n’intervînt. Mais, aux Etats-Unis, on le sait, le gouvernement n’aime point à s’immiscer dans les affaires privées, ni à se mêler de ce qui ne le regarde pas. En quoi il a raison.

Les choses en étaient là, et cette séance du 13 juin menaçait de ne pas finir ou plutôt de finir au milieu du plus épouvantable tumulte, – injures échangées, coups de poing succédant aux injures, coups de canne succédant aux coups de poing, coups de revolver succédant aux coups de canne, – quand, à huit heures trente-sept, il se fit une diversion.

L’huissier du Weldon-Institute, froidement et tranquillement, comme un policeman au milieu des orages d’un meeting, s’était approché du bureau du président. Il lui avait remis une carte. Il attendait les ordres qu’il conviendrait à Uncle Prudent de lui donner.

Uncle Prudent fit résonner la trompe à vapeur qui lui servait de sonnette présidentielle, car même la cloche du Kremlin ne lui aurait pas suffi!… Mais le tumulte ne cessa de s’accroître. Alors le président «se découvrit», et un demi-silence fut obtenu, grâce à ce moyen extrême.

«Une communication! dit Uncle Prudent, après avoir puisé une énorme prise dans la tabatière qui ne le quittait jamais.

– Parlez! parlez! répondirent quatre-vingt-dix-neuf voix, – par hasard, d’accord sur ce point.

– Un étranger, mes chers collègues, demande à être introduit dans la salle de nos séances.

– Jamais! répliquèrent toutes les voix.

– Il désire nous prouver, paraît-il, reprit Uncle Prudent, que de croire à la direction des ballons, c’est croire à la plus absurde des utopies.»

Un grognement accueillit cette déclaration.

«Qu’il entre qu’il entre!

– Comment se nomme ce singulier personnage? demanda le secrétaire Phil Evans.

– Robur, répondit Uncle Prudent.

– Robur!… Robur!… Robur! hurla toute l’assemblée.

Et, si l’accord s’était si rapidement fait sur ce nom singulier, c’est que le Weldon-Institute espérait bien décharger sur celui qui le portait le trop-plein de son exaspération.

La tempête s’était donc un instant apaisée, – en apparence du moins. D’ailleurs comment une tempête pourrait-elle se calmer chez un peuple qui en expédie deux ou trois par mois à destination de l’Europe, sous forme de bourrasques?

 

 

Chapitre III

Dans lequel un nouveau personnage n’a pas besoin d’être présenté, 
car il se présente lui-même.

 

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itoyens des Etats-Unis d’Amérique, je me nomme Robur. Je suis digne de ce nom. J’ai quarante ans, bien que je paraisse n’en pas avoir trente, une constitution de fer, une santé à toute épreuve, une remarquable force musculaire, un estomac qui passerait pour excellent même dans le monde des autruches. Voilà pour le physique.»

On l’écoutait. Oui! Les bruyants furent tout d’abord interloqués par l’inattendu de ce discours pro facie suâ. Était-ce un fou ou un mystificateur, ce personnage? Quoi qu’il en soit, il imposait et s’imposait. Plus un souffle au milieu de cette assemblée, dans laquelle se déchaînait naguère l’ouragan. Le calme après la houle.

Au surplus, Robur paraissait bien être l’homme qu’il disait être. Une taille moyenne, avec une carrure géométrique, – ce que serait un trapèze régulier, dont le plus grand des côtés parallèles était formé par la ligue des épaules. Sur cette ligne, rattachée par un cou robuste, une énorme tête sphéroïdale. À quelle tête d’animal eût-elle ressemblé pour donner raison aux théories de l’Analogie passionnelle? A celle d’un taureau, mais un taureau à face intelligente. Des yeux que la moindre contrariété devait porter à l’incandescence, et, au-dessus, une contraction permanente du muscle sourcilier, signe d’extrême énergie. Des cheveux courts, un peu crépus, à reflet métallique, comme eût été un toupet en paille de fer. Large poitrine qui s’élevait ou s’abaissait avec des mouvements de soufflet de forge. Des bras, des mains, des jambes, des pieds dignes du tronc.

Pas de moustaches, pas de favoris, une large barbiche de marin, à l’américaine, – ce qui laissait voir les attaches de la mâchoire, dont les muscles masséters devaient posséder une puissance formidable. On a calculé – que ne calcule-t-on pas? – que la pression d’une mâchoire de crocodile ordinaire peut atteindre quatre cents atmosphères, quand celle du chien de chasse de grande taille n’en développe que cent. On a même déduit cette curieuse formule: si un kilogramme de chien produit huit kilogrammes de force massétérienne, un kilogramme de crocodile en produit douze. Eh bien, un kilogramme dudit Robur devait en produire au moins dix. Il était donc entre le chien et le crocodile.

De quel pays venait ce remarquable type? C’eût été difficile à dire. En tout cas, il s’exprimait couramment en anglais, sans cet accent un peu traînard qui distingue les Yankees de la Nouvelle-Angleterre.

Il continua de la sorte:

«Voici présentement pour le moral, honorables citoyens. Vous voyez devant vous un ingénieur, dont le moral n’est point inférieur au physique. Je n’ai peur de rien ni de personne. J’ai une force de volonté qui n’a jamais cédé devant une autre. Quand je me suis fixé un but, l’Amérique tout entière, le monde tout entier, se coaliseraient en vain pour m’empêcher de l’atteindre. Quand j’ai une idée, j’entends qu’on la partage et ne supporte pas la contradiction. J’insiste sur ces détails, honorables citoyens, parce qu’il faut que vous me connaissiez à fond. Peut-être trouverez-vous que je parle trop de moi? Peu importe! Et maintenant, réfléchissez avant de m’interrompre, car je suis venu pour vous dire des choses qui n’auront peut-être pas le don de vous plaire.»

Un bruit de ressac commença à se propager le long des premiers bancs du hall, – signe que la mer ne tarderait pas à devenir houleuse.

«Parlez, honorable étranger», se contenta de répondre Uncle Prudent, qui ne se contenait pas sans peine.

Et Robur parla comme devant, sans plus de souci de ses auditeurs.

«Oui! Je sais! Après un siècle d’expériences qui n’ont point abouti, de tentatives qui n’ont donné aucun résultat, il y a encore des esprits mal équilibrés qui s’entêtent à croire à la direction des ballons. Ils s’imaginent qu’un moteur quelconque, électrique ou autre, peut être appliqué à leurs prétentieuses baudruches, qui offrent tant de prise aux courants atmosphériques. Ils se figurent qu’ils seront maîtres d’un aérostat comme on est maître d’un navire à la surface des mers. Parce que quelques inventeurs, par des temps calmes, ou à peu près, ont réussi, soit à biaiser avec le vent, soit à remonter une légère brise, la direction des appareils aériens plus légers que l’air deviendrait pratique? Allons donc! Vous êtes ici une centaine qui croyez à la réalisation de vos rêves, qui jetez, non dans l’eau, mais dans l’espace, des milliers de dollars. Eh bien, c’est vouloir lutter contre l’impossible!»

Chose assez singulière, devant cette affirmation, les membres du Weldon-Institute ne bougèrent pas. Étaient-ils devenus aussi sourds que patients? Se réservaient-ils, désireux de voir jusqu’où cet audacieux contradicteur oserait aller?

Robur continua:

«Quoi, un ballon!… Quand pour obtenir un allégement d’un kilogramme, il faut un mètre cube de gaz! Un ballon, qui a cette prétention de résister au vent à l’aide de son mécanisme, quand la poussée d’une grande brise sur la voile d’un vaisseau n’est pas inférieure à la force de quatre cents chevaux, quand on a vu dans l’accident du pont de la Tay l’ouragan exercer une pression de quatre cent quarante kilogrammes par mètre carré! Un ballon, quand jamais la nature n’a construit sur ce système aucun être volant, qu’il soit muni d’ailes comme les oiseaux, ou de membranes comme certains poissons et certains mammifères…

– Des mammifères?… s’écria un des membres du club.

– Oui! la chauve-souris, qui vole, si je ne me trompe! Est-ce que l’interrupteur ignore que ce volatile est un mammifère, et a-t-il jamais vu faire une omelette avec des œufs de chauve-souris?»

Là-dessus, l’interrupteur rengaina ses interruptions futures, et Robur continua avec le même entrain:

«Mais est-ce à dire que l’homme doive renoncer à la conquête de l’air, à transformer les mœurs civiles et politiques du vieux monde, en utilisant cet admirable milieu de locomotion? Non pas! Et, de même qu’il est devenu maître des mers, avec le bâtiment, par l’aviron, par la voile, par la roue ou par l’hélice, de même il deviendra maître de l’espace atmosphérique par les appareils plus lourds que l’air, car il faut être plus lourd que lui pour être plus fort que lui.»

Cette fois, l’assemblée partit. Quelle bordée de cris s’échappa de toutes ces bouches, braquées sur Robur, comme autant de bouts de fusils ou de gueules de canons! N’était-ce pas répondre à une véritable déclaration de guerre jetée au camp des ballonistes? N’était-ce pas la lutte qui allait reprendre entre le «Plus léger» et le «Plus lourd que l’air»?

Robur ne sourcilla pas. Les bras croisés sur la poitrine, il attendait bravement que le silence se fit.

Uncle Prudent, d’un geste, ordonna de cesser le feu.

«Oui, reprit Robur. L’avenir est aux machines volantes. L’air est un point d’appui solide. Qu’on imprime à une colonne de ce fluide un mouvement ascensionnel de quarante-cinq mètres à la seconde, et un homme pourra se maintenir à sa partie supérieure, si les semelles de ses souliers mesurent en superficie un huitième de mètre carré seulement. Et, si la vitesse de la colonne est portée à quatre-vingt-dix mètres, il pourra y marcher à pieds nus. Or, en faisant fuir, sous les branches d’une hélice, une masse d’air avec cette rapidité, on obtient le même résultat.»

Ce que Robur disait là, c’était ce qu’avaient dit avant lui tous les partisans de l’aviation, dont les travaux devaient, lentement mais sûrement, conduire à la solution du problème. À MM. de Ponton d’Amécourt, de La Landelle, Nadar, de Luzy, de Louvrié, Liais, Béléguic, Moreau, aux frères Richard, à Babinet, Jobert, du Temple, Salives, Penaud, de Villeneuve, Gauchot et Tatin, Michel Loup, Edison, Planavergne, à tant d’autres enfin, l’honneur d’avoir répandu ces idées si simples! Abandonnées et reprises plusieurs fois, elles ne pouvaient manquer de triompher un jour. Aux ennemis de l’aviation, qui prétendaient que l’oiseau ne se soutient que parce qu’il échauffe l’air dont il se gonfle, leur réponse s’était-elle donc fait attendre? N’avaient-ils pas prouvé qu’un aigle, pesant cinq kilogrammes, aurait dû s’emplir de cinquante mètres cubes de ce fluide chaud, rien que pour se soutenir dans l’espace?

C’est ce que Robur démontra avec une indéniable logique, au milieu du brouhaha qui s’élevait de toutes parts. Et, comme conclusion, voici les phrases qu’il jeta à la face de ces ballonistes:

«Avec vos aérostats, vous ne pouvez rien, vous n’arriverez à rien, vous n’oserez rien! Le plus intrépide de vos aéronautes, John Wise, bien qu’il ait déjà fait une traversée aérienne de douze cents milles au-dessus du continent américain, a dû renoncer à son projet de traverser l’Atlantique! Et, depuis, vous n’avez pas avancé d’un pas, d’un seul, dans cette voie!

– Monsieur, dit alors le président, qui s’efforçait vainement d’être calme, vous oubliez ce qu’a dit notre immortel Franklin, lors de l’apparition de la première montgolfière, au moment où le ballon allait naître:

«Ce n’est qu’un enfant, mais il grandira!» Et il a grandi…

– Non, président, non! Il n’a pas grandi!… Il a grossi seulement… ce qui n’est pas la même chose!»

C’était une attaque directe aux projets du Weldon-Institute, qui avait décrété, soutenu, subventionné, la confection d’un aérostat-monstre. Aussi des propositions de ce genre, et peu rassurantes, se croisèrent-elles bientôt dans la salle:

«A bas l’intrus!

– Jetez-le hors de la tribune!…

– Pour lui prouver qu’il est plus lourd que l’air!»

Et bien d’autres.

Mais on n’en était qu’aux paroles, non aux voies de fait. Robur, impassible, put donc encore s’écrier:

«Le progrès n’est point aux aérostats, citoyens ballonistes, il est aux appareils volants. L’oiseau vole, et ce n’est point un ballon, c’est une mécanique!…

– Oui! il vole, s’écria le bouillant Bat T. Fyn, mais il vole contre toutes les règles de la mécanique!

– Vraiment!» répondit Robur en haussant les épaules.

Puis il reprit:

«Depuis qu’on a étudié le vol des grands et des petits volateurs, cette idée si simple a prévalu: c’est qu’il n’y a qu’à imiter la nature, car elle ne se trompe jamais. Entre l’albatros qui donne à peine dix coups d’aile par minute, entre le pélican qui en donne soixante-dix…

– Soixante et onze! dit une voix narquoise.

– Et l’abeille qui en donne cent quatre-vingt-douze par seconde…

– Cent quatre-vingt-treize!… s’écria-t-on par moquerie.

– Et la mouche commune qui en donne trois cent trente…

– Trois cent trente et demi!

– Et le moustique qui en donne des millions…

– Non!… des milliards!»

Mais Robur, n’interrompu, n’interrompit pas sa démonstration.

«Entre ces divers écarts…, reprit-il.

– Il y a le grand! répliqua une voix.

–… il y a la possibilité de trouver une solution pratique. Le jour où M. de Lucy a pu constater que le cerf-volant, cet insecte qui ne pèse que deux grammes, pouvait enlever un poids de quatre cents grammes, soit deux cents fois ce qu’il pèse, le problème de l’aviation était résolu. En outre, il était démontré que la surface de l’aile décroît relativement à mesure qu’augmentent la dimension et le poids de l’animal. Dès lors, on est arrivé à imaginer ou construire plus de soixante appareils…

– Qui n’ont jamais pu voler! s’écria le secrétaire Phil Evans.

– Qui ont volé ou qui voleront, répondit Robur, sans se déconcerter. Et, soit qu’on les appelle des stréophores, des hélicoptères, des orthopthères, ou, à l’imitation du mot nef qui vient de navis, qu’on les fasse venir de avis pour les nommer des «efs…» on arrive à l’appareil dont la création doit rendre l’homme maître de l’espace.

– Ah! l’hélice! repartit Phil Evans. Mais l’oiseau n’a pas d’hélice… Que nous sachions!

– Si, répondit Robur. Comme l’a démontré M. Penaud, en réalité l’oiseau se fait hélice, et son vol est hélicoptère. Aussi, le moteur de l’avenir est-il l’hélice…

– «D’un pareil maléfice,

Sainte-Hélice,préservez-nous!…»

chantonna un des assistants qui, par hasard, avait retenu ce motif du Zampa d’Hérold.

Et tous de reprendre ce refrain en chœur, avec des intonations à faire frémir le compositeur français dans sa tombe.

Puis, lorsque les dernières notes se furent noyées dans un épouvantable charivari, Uncle Prudent, profitant d’une accalmie momentanée, crut devoir dire:

«Citoyen étranger, jusqu’ici on vous a laissé parler sans vous interrompre…»

Il paraît que, pour le président du Weldon-Institute, ces reparties, ces cris, ces coq-à-l’âne, n’étaient même pas des interruptions, mais un simple échange d’arguments.

Toutefois, continua-t-il, je vous rappellerai que la théorie de l’aviation est condamnée d’avance et repoussée par la plupart des ingénieurs américains ou étrangers. Un système qui a dans son passif la mort du Sarrasin Volant, à Constantinople, celle du moine Voador, à Lisbonne, celle de Letur en 1852, celle de Groof en 1864, sans compter les victimes que j’oublie, ne fût-ce que le mythologique Icare…

– Ce système, riposta Robur, n’est pas plus condamnable que celui dont le martyrologe contient les noms de Pilâtre de Rozier, à Calais, de Mme Blanchard, à Paris, de Donaldson et Grinwood, tombés dans le lac Michigan, de Sivel et de Crocé-Spinelli, d’Eloy et de tant d’autres que l’on se gardera bien d’oublier!»

C’était une riposte «du tac au tac», comme on dit en escrime.

«D’ailleurs, reprit Robur, avec vos ballons, si perfectionnés qu’ils soient, vous ne pourriez jamais obtenir une vitesse véritablement pratique. Vous mettriez dix ans à faire le tour du monde – ce qu’une machine volante pourra faire en huit jours!»

Nouveaux cris de protestation et de dénégation qui durèrent trois grandes minutes, jusqu’au moment où Phil Evans put prendre la parole.

«Monsieur l’aviateur, dit-il, vous qui venez nous vanter les bienfaits de l’aviation, avez-vous jamais «avié»?

– Parfaitement!

– Et fait la conquête de l’air?

– Peut-être, monsieur!

– Hurrah pour Robur-le-Conquérant! s’écria une voix ironique.

– Eh bien, oui! Robur-le-Conquérant, et ce nom, je l’accepte, et je le porterai, car j’y ai droit!

– Nous nous permettons d’en douter! s’écria Jem Cip.

– Messieurs, reprit Robur, dont les sourcils se froncèrent, quand je viens sérieusement discuter une chose sérieuse, je n’admets pas qu’on me réponde par des démentis, et je serais heureux de connaître le nom de l’interlocuteur…

– Je me nomme Jem Cip… et suis légumiste…

– Citoyen Jem Cip, répondit Robur, je savais que les légumistes ont généralement les intestins plus longs que ceux des autres hommes – d’un bon pied au moins. C’est déjà beaucoup… et ne m’obligez pas à vous les allonger encore en commençant par vos oreilles…

– A la porte!

– A la rue!

– Qu’on le démembre!

– La loi de Lynch!

– Qu’on le torde en hélice!…

La fureur des ballonistes était arrivée à son comble. Ils venaient de se lever. Ils entouraient la tribune. Robur disparaissait au milieu d’une gerbe de bras qui s’agitaient comme au souffle de la tempête. En vain la trompe à vapeur lançait-elle des volées de fanfares sur l’assemblée! Ce soir-là, Philadelphie dut croire que le feu dévorait un de ses quartiers et que toute l’eau de la Schuylkill-river ne suffirait pas à l’éteindre.

Soudain, un mouvement de recul se produisit dans le tumulte, Robur, après avoir retiré ses mains de ses poches, les tendait vers les premiers rangs de ces acharnés.

A ces deux mains étaient passés deux de ces coups-de-poing à l’américaine, qui forment en même temps revolvers, et que la pression des doigts suffit à faire partir, – de petites mitrailleuses de poche.

Et alors, profitant non seulement du recul des assaillants, mais aussi du silence qui avait accompagné ce recul:

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«Décidément, dit-il, ce n’est pas Améric Vespucci qui a découvert le Nouveau Monde, c’est Sébastien Cabot! Vous n’êtes pas des Américains, citoyens ballonistes! Vous n’êtes que des cabo…»

A ce moment, quatre ou cinq coups de feu éclatèrent, tirés dans le vide. Ils ne blessèrent personne. Au milieu de la fumée, l’ingénieur disparut, et, quand elle se fut dissipée, on ne trouva plus sa trace. Robur-le-Conquérant s’était envolé, comme si quelque appareil d’aviation l’eût emporté dans les airs.

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