Jules Verne
sans dessus dessous
(Chapitre IX-XII)
56 dessinsde George Roux
Bibliothèque d’Éducation et de Récréation
J. Hetzel et Cie
© Andrzej Zydorczak
Dans lequel on sent apparaître un deus ex machina d’origine française.
els devaient donc être les profits dus à la modification apportée par le président Barbicane à l’axe de rotation. On le sait, d’ailleurs, cette modification ne devait affecter que dans une mesure insensible le mouvement de translation de notre sphéroïde autour du Soleil. La Terre continuerait à décrire son orbite immuable à travers l’espace, et les conditions de l’année solaire ne seraient point altérées.
Lorsque les conséquences du changement de l’axe furent portées à la connaissance du monde entier, elles eurent un retentissement extraordinaire. Et, à la première heure, on fit un accueil enthousiaste à ce problème de haute mécanique. La perspective d’avoir des saisons d’une égalité constante et, suivant la latitude, „au gré des consommateurs” était extrêmement séduisante. On „s’emballait” sur cette pensée que tous les mortels pourraient jouir de ce printemps perpétuel que le chantre de Télémaque accordait à l’île de Calypso, et qu’ils auraient même le choix entre un printemps frais et un printemps tiède. Quant à la position du nouvel axe sur lequel s’accomplirait la rotation diurne, c’était un secret que ni le président Barbicane, ni le capitaine Nicholl, ni J.-T. Maston ne semblaient vouloir livrer au public. Le dévoileraient-ils avant, ou ne le connaîtrait-on qu’après l’expérience? Il n’en fallait pas davantage pour que l’opinion commençât à s’inquiéter quelque peu.
Une observation vint naturellement à l’esprit, et fut vivement commentée dans les journaux. Par quel effort mécanique se produirait ce changement, qui exigerait évidemment l’emploi d’une force énorme?
Le Forum, importante revue de New-York, fit Justement remarquer ceci:
„Si la Terre n’eût pas tourné sur un axe, peut-être aurait-il suffi d’un choc relativement faible pour lui donner un mouvement de rotation autour d’un axe arbitrairement choisi; mais elle peut être assimilée à un énorme gyroscope, se mouvant avec une assez grande rapidité, et une loi de la nature veut qu’un semblable appareil ait une propension à tourner constamment autour du même axe. Léon Foucault l’a démontré matériellement par des expériences célèbres. Il sera donc très difficile, pour ne pas dire impossible, de l’en faire dévier!”
Rien de plus juste. Aussi, après s’être demandé quel serait l’effort produit par les ingénieurs de la North Polar Practical Association, il était non moins intéressant de savoir si cet effort serait insensiblement ou brusquement produit. Et, dans ce dernier cas, ne surviendrait-il pas des catastrophes effrayantes à la surface du globe, au moment où le changement d’axe s’effectuerait, grâce aux procédés de Barbicane and Co?
Il y avait là de quoi préoccuper aussi bien les savants que les ignorants des deux Mondes. En somme, un choc est un choc, et il n’est jamais agréable d’en ressentir le coup ou même le contrecoup. Il semblait, vraiment, que les promoteurs de l’affaire ne s’étaient point préoccupés des bouleversements que leur œuvre pouvait provoquer sur notre infortuné globe pour n’en voir que les avantages. Aussi, très adroitement, les délégués européens, plus que jamais irrités de leur défaite et résolus à tirer parti de cette circonstance, commencèrent-ils à soulever l’opinion publique contre le président du Gun-Club.
On ne l’a pas oublié, la France, n’ayant fait valoir aucune prétention sur les contrées circumpolaires, ne figurait point parmi les Puissances qui avaient pris part à l’adjudication. Cependant, si elle s’était officiellement détachée de la question, un Français, on l’a dit, avait eu la pensée de se rendre à Baltimore, afin de suivre, pour son compte personnel et son agrément particulier, les diverses phases de cette gigantesque entreprise.
C’était un ingénieur au corps des Mines, ayant trente-cinq ans au plus. Entré le premier à l’École polytechnique et sorti le premier, il convient de le présenter comme un mathématicien de premier ordre, très probablement supérieur à J.-T. Maston, qui, lui, s’il était un calculateur hors ligne, n’était que calculateur – ce qu’eût été un Le Verrier auprès d’un Laplace ou d’un Newton.
Cet ingénieur, – ce qui ne gâtait rien – était un homme d’esprit, un fantaisiste, un original comme il s’en rencontre quelquefois dans les Ponts et rarement dans les Mines. Il avait une manière à lui de dire les choses, et particulièrement amusante. Lorsqu’il causait avec ses intimes, même lorsqu’il parlait science, il le faisait avec le laisser-aller d’un gamin de Paris. Il aimait les mots de cette langue populaire, et les expressions auxquelles la mode a si rapidement donné droit de cité. On eût dit que, dans ses moments d’abandon, son langage se serait très mal accommodé des formules académiques, et il ne s’y résignait que lorsqu’il avait la plume à la main. C’était, en même temps, un travailleur acharné, pouvant rester dix heures devant sa table, écrivant couramment des pages d’algèbre comme on écrit une lettre. Son meilleur délassement, après les travaux de hautes mathématiques de toute une journée, c’était le whist, qu’il jouait médiocrement, bien qu’il en eût calculé toutes les chances. Et, quand „la main était au mort”, il fallait l’entendre s’écrier dans ce latin de cuisine, cher aux pipots: „Cadaveri poussandum est!”
Ce singulier personnage s’appelait Pierdeux (Alcide) et, dans sa manie d’abréger – commune d’ailleurs à tous ses camarades – il signait généralement APierd et même APi, sans jamais mettre de point sur l’i. Il était si ardent dans ses discussions, qu’on l’avait surnommé Alcide sulfurique. Non seulement il était grand, mais il paraissait „haut”. Ses camarades affirmaient que sa taille mesurait la cinq-millionième partie du quart du méridien, soit environ deux mètres, et ils ne se trompaient pas de beaucoup. S’il avait la tête un peu petite pour son buste puissant et ses larges épaules, comme il la remuait avec entrain, et quel vif regard s’échappait de ses yeux bleus à travers son pince-nez! Ce qui le caractérisait, c’était une de ces physionomies qui sont gaies, tout en étant graves, en dépit d’un crâne dépouillé prématurément par l’abus des signes algébriques sous la lumière des „verres de rosto”, autrement dit les becs de gaz des salles d’études. Avec cela le meilleur garçon dont on ait jamais conservé le souvenir à l’École, et sans l’ombre de pose. Bien que son caractère fût assez indépendant, il s’était toujours soumis aux prescriptions du code X, qui fait loi parmi les Polytechniciens pour tout ce qui concerne la camaraderie et le respect de l’uniforme. On l’appréciait aussi bien sous les arbres de la cour des „Acas”, ainsi nommée parce qu’elle n’a pas d’acacias, que dans les „casers” – dortoirs où les rangements de son bahut, l’ordre qui régnait dans son „coffin”, dénotaient un esprit absolument méthodique.
Mais que la tête d’Alcide Pierdeux parût un peu petite au sommet de son grand corps, soit! En tous cas, elle était remplie jusqu’aux méninges, on peut le croire. Avant tout, il était mathématicien comme tous ses camarades le sont ou l’ont été; mais il ne faisait des mathématiques que pour les appliquer aux sciences expérimentales, qui elles-mêmes n’avaient de charme pour lui que parce qu’elles trouvaient leur emploi dans l’industrie. C’était là, il le reconnaissait bien, un côté inférieur de sa nature. On n’est pas parfait. En somme, sa spécialité, c’était l’étude de ces sciences qui, malgré leurs progrès immenses, ont et auront toujours des secrets pour leurs adeptes.
Mentionnons, au passage, qu’Alcide Pierdeux était célibataire. Comme il le disait volontiers, il était encore „égal à un”, bien que son plus vif désir eût été de se doubler. Aussi, ses amis avaient-ils déjà pensé à le marier avec une jeune fille charmante, gaie, spirituelle, une provençale de Martigues. Malheureusement, il y avait un père qui répondit aux premières ouvertures par la „martigalade” suivante:
„Non, votre Alcide est trop savant! Il tiendrait à ma pauvrette des conversations inintelligibles pour elle!…”
Comme si tout vrai savant n’était pas modeste et simple!
C’est pourquoi, très dépité, notre ingénieur résolut de mettre une certaine étendue de mer entre la Provence et lui. Il demanda un congé d’un an, il l’obtint, et ne crut pas pouvoir le mieux employer qu’en allant suivre l’affaire de la North Polar Practical Association. Et voilà pourquoi, à cette époque, il se trouvait aux États-Unis.
Donc, depuis qu’Alcide Pierdeux était à Baltimore, cette grosse opération de Barbicane and Co ne laissait pas de le préoccuper. Que la Terre devînt jovienne par un changement d’axe, peu lui importait! Mais par quel moyen elle le pourrait devenir, c’était là ce qui excitait sa curiosité de savant – non sans raison.
Et, dans langage pittoresque, il se disait:
„Évidemment le président Barbicane s’apprête à flanquer à notre boule un gnon de première catégorie!… Comment et dans quel sens?… Tout est là!… Pardieu! j’imagine bien qu’il va la prendre „fin” comme une bille de billard, quand on veut faire un effet de côté!… S’il la prenait „plein”, elle irait se balader hors de son orbite, et au diable les années actuelles, qui seraient changées de la belle façon. Non! ces braves gens ne songent évidemment qu’à substituer un nouvel axe à l’ancien!… Pas de doute là-dessus!… Mais je ne vois pas trop où ils iront prendre leur point d’appui ni quelle secousse ils feront arriver de l’extérieur!… Ah! si le mouvement diurne n’existait pas, une chiquenaude suffirait!… Or, il existe, le mouvement diurne!… On ne peut pas le supprimer, le mouvement diurne! Et c’est bien là le canisdentum!”
Il voulait dire le „chiendent”, cet étonnant Pierdeux!
„En tout cas, ajouta-t-il, de quelque manière qu’ils s’y prennent, ce sera un chambardement général!”
En fin de compte, notre savant avait beau „se décarcasser la boîte au sel”, il n’entrevoyait même pas quel serait le procédé imaginé par Barbicane et Maston. Chose d’autant plus regrettable que, si ce procédé lui eût été connu, il aurait vite fait d’en déduire les formules mécaniques.
Et c’est ce qui fait qu’à la date du 29 décembre, Alcide Pierdeux, ingénieur au corps national des Mines de France, arpentait, du compas largement ouvert de ses longues jambes, les rues mouvementées de Baltimore.
Dans lequel diverses inquiétudes commencent peu à peu à se faire jour.
ependant un mois venait de s’écouler depuis que l’assemblée générale s’était tenue dans les salons du Gun-Club. Durant ce laps de temps, l’opinion publique s’était très sensiblement modifiée. Les avantages du changement de l’axe de rotation, oubliés! Les désavantages, on commençait à les voir fort distinctement! Il n’était pas possible qu’une catastrophe ne s’ensuivît point, car le changement serait vraisemblablement produit par une violente secousse! Que serait au juste cette catastrophe, voilà ce qu’on ne pouvait dire! Quant à l’amélioration des climats, était-elle si désirable? En vérité, il n’y aurait que les Esquimaux, les Lapons, les Samoyèdes, les Tchouktchis, qui pourraient y gagner, puisqu’ils n’avaient rien à y perdre.
Il fallait, maintenant, entendre les délégués européens déblatérer contre l’œuvre du président Barbicane! Et, pour commencer, ils avaient fait des rapports à leurs gouvernements, ils avaient usé les fils sous-marins par l’incessante circulation de leurs dépêches, ils avaient demandé, ils avaient reçu des instructions!… Or, ces instructions, on les connaît! Toujours clichées selon les formules de l’art diplomatique avec ses amusantes réserves: „Montrez beaucoup d’énergie, mais ne compromettez pas votre gouvernement! – Agissez résolument, mais ne touchez pas au statu quo!”
Entre-temps, le major Donellan et ses collègues ne cessaient de protester au nom de leurs pays menacés – au nom de l’Ancien Continent surtout.
„En effet, il est bien évident, disait le colonel Boris Karkof, que les ingénieurs américains ont dû prendre leurs mesures pour épargner autant que possible aux territoires des États-Unis les conséquences du choc!
– Mais le pouvaient-ils? répondait Jan Harald. Quand on secoue un olivier pendant la récolte des olives, est-ce que toutes les branches n’en pâtissent pas?
– Et lorsque vous recevez un coup de poing dans la poitrine, répétait Jacques Jansen, est-ce que tout votre corps n’en est pas ébranlé?
– Voilà donc ce que signifiait la fameuse clause du document! s’écriait Dean Toodrink. Voilà donc pourquoi elle visait certaines modifications géographiques ou météorologiques à la surface du globe!
– Oui! disait Eric Baldenak, et ce que l’on peut d’abord craindre, c’est que le changement de l’axe ne rejette les mers hors de leurs bassins naturels…
– Et si le niveau océanique s’abaisse en différents points, faisait observer Jacques Jansen, n’arrivera-t-il pas que certains habitants se trouveront à de telles hauteurs que toute communication sera impossible avec leurs semblables?…
– Si même ils ne sont reportés dans des couches d’une densité si faible, ajoutait Jan Harald, que l’air ne suffira plus à la respiration!
– Voyez-vous Londres à la hauteur du Mont-Blanc!” s’écriait le major Donellan.
Et, les jambes écartées, la tête rejetée en arrière, ce gentleman regardait vers le zénith, comme si la capitale du Royaume-Uni eût été perdue dans les nuages.
En somme, cela constituait un danger public, d’autant plus inquiétant qu’on pressentait déjà quelles seraient les conséquences de la modification de l’axe terrestre.
En effet, il ne s’agissait rien moins que d’un changement de vingt-trois degrés vingt-huit minutes, changement qui devait produire un déplacement considérable des mers par suite de l’aplatissement de la Terre aux anciens Pôles. La Terre était-elle donc menacée de bouleversements pareils à ceux que l’on croit avoir récemment constatés à la surface de la planète Mars? Là, des continents entiers, entre autres la Libye de Schiaparelli, ont été submergés, – ce qu’indique la teinte bleu foncé, substituée à la teinte rougeâtre! Là, le lac Mœris a disparu! Là, six cent mille kilomètres carrés ont été modifiés au nord, tandis qu’au sud, les océans ont abandonné les larges régions qu’ils occupaient autrefois! Et, si quelques âmes charitables s’étaient inquiétées des „inondés de Mars” et avaient proposé d’ouvrir des souscriptions en leur faveur, que serait-ce lorsqu’il faudrait s’inquiéter des inondés de la Terre?
Les protestations commencèrent donc à se faire entendre de toutes parts, et le gouvernement des États-Unis fut mis en demeure d’aviser. À tout prendre, mieux valait ne point tenter l’expérience que de s’exposer aux catastrophes qu’elle réservait à coup sûr. Le Créateur avait bien fait les choses. Nulle nécessité de porter une main téméraire sur son œuvre.
Eh bien, le croirait-on? Il se trouvait des esprits assez légers pour plaisanter sur des choses si graves!
„Voyez-vous ces Yankees! répétaient-ils. Embrocher la Terre sur un autre axe! Si encore, à force de tourner sur celui-ci depuis des millions de siècles, elle l’avait usé au frottement de ses tourillons, peut-être eût-il été opportun de le changer comme on change l’essieu d’une poulie ou d’une roue! Mais n’est-il donc pas en aussi bon état qu’aux premiers jours de la création?”
À cela, que répondre?
Et, au milieu de toutes ces récriminations, l’ingénieur Alcide Pierdeux cherchait à deviner quelles seraient la nature et la direction du choc imaginé par J.-T. Maston, ainsi que le point précis du globe où il se produirait. Une fois maître de ce secret, il saurait bien reconnaître quelles seraient les parties menacées du sphéroïde terrestre.
Il a été mentionné ci-dessus que les terreurs de l’Ancien Continent ne pouvaient être partagées par le Nouveau – du moins, dans cette portion comprise sous le nom d’Amérique septentrionale, qui appartient plus spécialement à la confédération américaine. En effet, était-il admissible que le président Barbicane, le capitaine Nicholl et J.-T. Maston, en leur qualité d’Américains, n’eussent point songé à préserver les États-Unis des émersions ou immersions que devait produire le changement de l’axe en divers points de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Océanie? On est Yankee ou on ne l’est pas, et ils l’étaient tous trois, et à un rare degré – des Yankees „coulés d’un bloc” comme on avait dit de Barbicane, quand il avait développé son projet de voyage à la Lune.
Évidemment, toute la partie du Nouveau Continent, entre les terres arctiques et le golfe du Mexique, ne devait rien avoir à redouter du choc en perspective. Il est probable même que l’Amérique profiterait d’un considérable accroissement de territoire. En effet, sur les bassins abandonnés par les deux océans qui la baignent actuellement, qui sait si elle ne trouverait pas à s’annexer autant de provinces que son pavillon déployait déjà d’étoiles sous les plis de son étamine?
„Oui, sans doute! Mais, répétaient les esprits timorés, – ceux qui ne voient jamais que le côté périlleux des choses, – est-on jamais sûr de rien ici-bas? Et si J.-T. Maston s’était trompé dans ses calculs? Et si le président Barbicane commettait une erreur, quand il les mettrait en pratique? Cela peut arriver aux plus habiles artilleurs! Ils n’envoient pas toujours le boulet dans la cible ni la bombe dans le tonneau!”
On le conçoit, ces inquiétudes étaient soigneusement entretenues par les délégués des Puissances européennes. Le secrétaire Dean Toodrink publia nombre d’articles en ce sens et des plus violents dans le Standard, Jan Harald dans le journal suédois Aftenbladet, et le colonel Boris Karkof dans le journal russe très répandu le Novoié-Vrémia. En Amérique même, les opinions se divisèrent. Si les républicains, qui sont libéraux, restèrent partisans du président Barbicane, les démocrates, qui sont conservateurs, se déclarèrent contre lui. Une partie de la presse américaine, principalement le Journal de Boston, la Tribune de New-York, etc., firent chorus avec la presse européenne. Or, aux États-Unis, depuis l’organisation de l’Associated Press et l’United Press, le journal est devenu un agent formidable d’informations, puisque le prix des nouvelles locales ou étrangères dépasse annuellement et de beaucoup le chiffre de vingt millions de dollars.
En vain d’autres feuilles – et non des moins répandues – voulurent-elles riposter en faveur de la North Polar Practical Association. En vain Mrs. Evangelina Scorbitt paya-t-elle à dix dollars la ligne des articles de fond, des articles de fantaisie, de spirituelles boutades, où il était fait justice de ces périls que l’on traitait de chimériques! En vain cette ardente veuve chercha-t-elle à démontrer que, si jamais hypothèse était injustifiable, c’était bien que J.-T. Maston eût pu commettre une erreur de calcul! Finalement, l’Amérique, prise de peur, inclina peu à peu à se mettre presque tout entière à l’unisson de l’Europe.
Du reste, ni le président Barbicane, ni le secrétaire du Gun-Club, ni même les membres du Conseil d’administration ne prenaient la peine de répondre. Ils laissaient dire et n’avaient rien changé à leurs habitudes. Il ne semblait même pas qu’ils fussent absorbés par les immenses préparatifs que devait nécessiter une telle opération. Se préoccupaient-ils seulement du revirement de l’opinion publique, de la désapprobation générale qui s’accentuait maintenant contre un projet accueilli tout d’abord avec tant d’enthousiasme? Il n’y paraissait guère.
Bientôt, malgré le dévouement de Mrs. Evangelina Scorbitt, quelles que fussent les sommes qu’elle consacra à leur défense, le président Barbicane, le capitaine Nicholl et J.-T. Maston passèrent à l’état d’êtres dangereux pour la sécurité des deux Mondes. Officiellement, le gouvernement fédéral fut sommé par les Puissances européennes d’intervenir dans l’affaire et d’interroger ses promoteurs. Ceux-ci devaient faire connaître ouvertement leurs moyens d’action, déclarer par quel procédé ils comptaient substituer un nouvel axe à l’ancien, – ce qui permettrait de déduire quelles en devaient être les conséquences au point de vue de la sécurité générale, – de désigner enfin quelles seraient les parties du globe qui seraient directement menacées, en un mot, apprendre tout ce que l’inquiétude publique ne savait pas, et tout ce que la prudence voulait savoir.
Le gouvernement de Washington n’eut point à se faire prier. L’émotion, qui avait gagné les États du nord, du centre et du sud de la république, ne lui permettait pas une hésitation. Une Commission d’enquête, composée de mécaniciens, d’ingénieurs, de mathématiciens, d’hydrographes et de géographes, au nombre de cinquante, présidée par le célèbre John Prestice, fut instituée par décret en date du 19 février, avec plein pouvoir pour se faire rendre compte de l’opération et au besoin pour l’interdire.
Tout d’abord, le président Barbicane reçut avis de comparaître devant cette Commission.
Le président Barbicane ne vint pas.
Des agents allèrent le chercher dans son habitation particulière, 95, Cleveland-street, à Baltimore.
Le président Barbicane n’y était plus.
Oú était-il?…
On l’ignorait.
Quand était-il parti?…
Depuis cinq semaines, depuis le 11 janvier, il avait quitté la grande cité du Maryland et le Maryland lui-même en compagnie du capitaine Nicholl.
Oú étaient-ils allés tous les deux?… Personne ne put le dire.
Évidemment, les deux membres du Gun-Club faisaient route pour cette région mystérieuse, où les préparatifs commenceraient sous leur direction.
Mais quel pouvait être ce lieu?
On le comprend, il y avait un puissant intérêt à le savoir, si l’on voulait briser dans l’œuf le plan de ces dangereux ingénieurs, alors qu’il en était temps encore.
La déception, produite par le départ du président Barbicane et du capitaine Nicholl, fut énorme. Il se produisit bientôt un flux de colère qui monta comme une marée d’équinoxe contre les administrateurs de la North Polar Practical Association.
Mais un homme devait savoir où étaient allés le président Barbicane et son collègue. Un homme pouvait péremptoirement répondre au gigantesque point d’interrogation, qui se dressait à la surface du globe.
Cet homme, c’était J.-T. Maston.
J.-T. Maston fut mandé devant la Commission d’enquête par les soins de John Prestice.
J.-T. Maston ne parut point.
Est-ce que lui aussi avait quitté Baltimore? Est-ce qu’il était allé rejoindre ses collègues pour les aider dans cette œuvre, dont le monde entier attendait les résultats avec une si compréhensible épouvante?
Non! J.-T. Maston habitait toujours Balistic-Cottage, au numéro 109 de Franklin-street, travaillant sans cesse, se délassant déjà dans d’autres calculs, ne s’interrompant que pour quelques soirées passées dans les salons de Mrs. Evangelina Scorbitt, au somptueux hôtel de New-Park.
Un agent lui fut donc dépêché par le président de la Commission d’enquête avec ordre de l’amener.
L’agent arriva au cottage, frappa à la porte, s’introduisit dans le vestibule, fut assez mal reçu par le nègre Fire-Fire, plus mal encore par le maître de maison.
Cependant J.-T. Maston crut devoir se rendre à l’invitation, et, quand il fut en présence des commissaires-enquêteurs, il ne dissimula pas qu’on l’ennuyait fort en interrompant ses occupations habituelles.
Une première question lui fut adressée:
Le secrétaire du Gun-Club savait-il où se trouvaient actuellement le président Barbicane et le capitaine Nicholl?
„Je le sais, répondit J.-T. Maston d’une voix ferme, mais je ne me crois point autorisé à le dire.”
Seconde question:
Ses deux collègues s’occupaient-ils des préparatifs nécessaires à cette opération du changement de l’axe terrestre?
„Cela, répondit J.-T. Maston, fait partie du secret que je suis tenu d’observer, et je refuse de répondre.”
Voudrait-il donc communiquer son travail à la Commission d’enquête, qui jugerait s’il était possible de laisser s’accomplir les projets de la Société?
„Non, certes, je ne le communiquerai pas!… Je l’anéantirais plutôt!… C’est mon droit de citoyen libre de la libre Amérique de ne communiquer à personne le résultat de mes travaux!
– Mais, si c’est votre droit, monsieur Maston, dit le président Prestice d’une voix grave, comme s’il eût répondu au nom du monde entier, peut-être est-ce votre devoir de parler en présence de l’émotion générale, afin de mettre un terme á l’affolement des populations terrestres?”
J.-T. Maston ne croyait pas que ce fût son devoir. Il n’en avait qu’un, celui de se taire; il se tairait.
Malgré leur insistance, leurs supplications, malgré leurs menaces, les membres de la Commission d’enquête ne purent rien obtenir de l’homme au crochet de fer. Jamais, non! jamais on n’aurait pu croire qu’un entêtement aussi tenace se fût logé sous ce crâne en gutta-percha!
J.-T. Maston s’en alla donc comme il était venu, et, s’il fut félicité de sa vaillante attitude par Mrs. Evangelina Scorbitt, il est inutile d’y insister.
Lorsque l’on connut le résultat de la comparution de J.-T. Maston devant les commissaires-enquêteurs, l’indignation publique prit des formes véritablement alarmantes pour la sécurité de cet artilleur à la retraite. La pression ne tarda pas à devenir telle sur les hauts représentants du gouvernement fédéral, si violente fut l’intervention des délégués européens et de l’opinion publique, que le ministre d’État, John S. Wright, dut demander à ses collègues l’autorisation d’agir manu militari.
Un soir, le 13 mars, J.-T. Maston était dans le cabinet de Balistic-Cottage, absorbé dans ses chiffres, quand le timbre du téléphone résonna fébrilement.
„Allô!… Allô!… murmura la plaque, agitée d’un tremblotement qui dénonçait une extrême inquiétude.
– Qui me parle? demanda J.-T. Maston.
– Mistress Scorbitt.
– Que veut mistress Scorbitt?
– Vous mettre sur vos gardes!… Je viens d’être informée que, ce soir même…”
La phrase n’était pas encore entrée dans les oreilles de J.-T. Maston, que la porte de Balistic-Cottage était rudement enfoncée à coups d’épaules.
Dans l’escalier qui conduisait au cabinet, extraordinaire tumulte. Une voix objurguait. D’autres voix prétendaient la réduire au silence. Puis, bruit de la chute d’un corps.
C’était le nègre Fire-Fire, qui roulait de marche en marche, après avoir en vain tenté de défendre contre les assaillants le „home” de son maître.
Un instant après, la porte du cabinet volait en éclats, et un constable apparaissait suivi d’une escouade d’agents.
Ce constable avait ordre de pratiquer une visite domiciliaire dans le cottage, de s’emparer des papiers de J.-T. Maston, et de s’assurer de sa personne.
Le bouillant secrétaire du Gun-Club saisit un revolver, et menaça l’escouade d’une sextuple décharge.
En un instant, grâce au nombre, il était désarmé, et main basse fut faite sur les papiers, couverts de formules et de chiffres, qui encombraient sa table.
Soudain, s’échappant par un écart brusque, J.-T. Maston parvint à s’emparer d’un carnet, qui, vraisemblablement, renfermait l’ensemble de ses calculs.
Les agents s’élancèrent pour le lui arracher – avec la vie, s’il le fallait…
Mais, prestement, J.-T. Maston put l’ouvrir, en déchirer la dernière page, et, plus prestement encore, avaler cette page comme une simple pilule.
„Maintenant, venez la prendre!” s’écria-t-il du ton de Léonidas aux Thermopyles.
Une heure après, J.-T. Maston était incarcéré dans la prison de Baltimore.
Et c’était sans doute ce qui pouvait lui arriver de plus heureux, car la population se fût portée sur sa personne à des excès – regrettables pour lui – que la police eût été impuissante á prévenir.
Ce qui se trouve dans le carnet de J.-T. Maston, et ce qui ne s’y trouve plus.
e carnet, saisi par les soins de la police de Baltimore, se composait d’une trentaine de pages, zébrées de formules, d’équations, et finalement de nombres constituant l’ensemble des calculs de J.-T. Maston. C’était là un travail de haute mécanique, qui ne pouvait être apprécié que par des mathématiciens. Là figurait même l’équation des forces vives
V2 – V02 = 2gr02 (1/ r – 1/r0)
qui se trouvait précisément dans le problème de la Terre à la Lune, où elle contenait, en outre, les expressions relatives à l’attraction lunaire.
En somme, le vulgaire n’eut absolument rien compris à ce travail. Aussi parut-il convenable de lui en faire connaître les données et les résultats, dont le monde entier s’inquiétait si vivement depuis quelques semaines.
Et c’est ce qui fut livré à la publicité des journaux, dès que les savants de la Commission d’enquête eurent pris connaissance des formules du célèbre calculateur… C’est ce que toutes les feuilles publiques, sans distinction de parti, portèrent à la connaissance des populations.
Et d’abord, pas de discussion possible sur le travail de J.-T. Maston. Problème correctement énoncé, problème à demi résolu, dit-on, et celui-ci l’était remarquablement. D’ailleurs, les calculs avaient été faits avec trop de précision pour que la Commission d’enquête eût songé à mettre en doute leur exactitude et leurs conséquences. Si l’opération était menée jusqu’au bout, l’axe terrestre serait immanquablement modifié, et les catastrophes prévues s’accompliraient dans toute leur plénitude.
Note rédigée, par les soins de la Commission d’enquête de Baltimore, pour être communiquée aux journaux, revues et magazines des deux Mondes.
„L’effet, poursuivi par le Conseil d’administration de la North Polar Practical Association, et qui a pour but de substituer un nouvel axe de rotation à l’ancien axe, est obtenu au moyen du recul d’un engin fixé en un point déterminé de la Terre. Si l’âme de cet engin est irrésistiblement soudée au sol, il n’est pas douteux qu’il communiquera son recul à la masse de toute notre planète.
„L’engin, adopté par les ingénieurs de la Société, n’est autre qu’un canon monstre, dont l’effet serait nul si l’on tirait verticalement. Pour produire l’effet maximum, il faut le braquer horizontalement vers le nord ou vers le sud, et c’est cette dernière direction qui a été choisie par Barbicane and Co. En ces conditions, le recul produit un choc à la Terre vers le nord – choc assimilable à celui d’une bille prise très fin.”
En vérité, c’est bien ce qu’avait pressenti ce perspicace Alcide Pierdeux!
„Dès que le coup est tiré, le centre de la Terre se déplace suivant une direction parallèle à celle du choc, ce qui pourra changer le plan de l’orbite et par conséquent la durée de l’année, mais dans une mesure si faible qu’elle doit être considérée comme absolument négligeable. En même temps, la Terre prend un mouvement de rotation autour d’un axe situé dans le plan de l’Équateur, et sa rotation s’accomplirait indéfiniment sur ce nouvel axe, si le mouvement diurne n’eût pas existé antérieurement au choc.
„Or, ce mouvement, il existe autour de la ligne des Pôles, et, en se combinant avec la rotation accessoire produite par le recul, il donne naissance à un nouvel axe, dont le Pôle s’écarte de l’ancien d’une quantité x. En outre, si le coup est tiré au moment où le point vernal – l’une des deux intersections de l’Équateur et de l’écliptique – est au nadir du point de tir, et si le recul est assez fort pour déplacer l’ancien Pôle de 23° 28’, le nouvel axe terrestre devient perpendiculaire au plan de son orbite – ainsi que cela a lieu à peu près pour la planète Jupiter.
„On sait quelles seraient les conséquences de cette perpendicularité, que le président Barbicane a cru devoir indiquer dans la séance du 22 décembre.
„Mais, étant donné la masse de la Terre et la quantité de mouvement qu’elle possède, peut-on concevoir une bouche à feu telle que son recul soit capable de produire une modification dans l’emplacement du Pôle actuel, et surtout d’une valeur de 23° 28’?
„Oui, si un canon ou une série de canons sont construits avec les dimensions exigées par les lois de la mécanique, ou, à défaut de ces dimensions, si les inventeurs sont en possession d’un explosif d’une puissance assez considérable pour qu’il imprime au projectile la vitesse nécessitée pour un tel déplacement.
„Or, en prenant pour type le canon de vingt-sept centimètres de la marine française (modèle 1875), qui lance un projectile de cent quatre-vingts kilogrammes avec une vitesse de cinq cents mètres par seconde, en donnant à cette bouche à feu des dimensions cent fois plus grandes, c’est-à-dire un million de fois en volume, elle lancerait un projectile de cent quatre-vingt mille tonnes. Si, en outre, la poudre avait une vitesse suffisante pour donner au projectile une vitesse cinq mille six cents fois plus forte qu’avec la vieille poudre à canon, le résultat cherché serait obtenu. En effet, avec une vitesse de deux mille huit cents kilomètres par seconde1, il n’y a pas à craindre que le choc du projectile, rencontrant de nouveau la Terre, remette les choses dans l’état initial.
„Eh bien, par malheur pour la sécurité terrestre, si extraordinaire que cela paraisse, J.-T. Maston et ses collègues ont précisément en leur possession cet explosif d’une puissance presque infinie, et dont la poudre, employée pour lancer le boulet de la Columbiad vers la Lune, ne saurait donner une idée. C’est le capitaine Nicholl qui l’a découvert. Quelles sont les substances qui entrent dans sa composition, on n’en trouve qu’imparfaitement trace dans le carnet de J.-T. Maston, et il se borne à signaler cet explosif sous le nom de „méli-mélonite”.
„Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle est formée par la réaction d’un méli-mélo de substances organiques et d’acide azotique. Un certain nombre de radicaux monoatomiques – Az = O=O se substituent au même nombre d’atomes d’hydrogène, et on obtient une poudre qui, comme le fulmi-coton, est formée par la combinaison et non par le simple mélange des principes comburants et combustibles.
„En somme, quel que soit cet explosif, avec la puissance qu’il possède, plus que suffisante pour rejeter un projectile pesant cent quatre-vingt mille tonnes hors de l’attraction terrestre, il est évident que le recul qu’il imprimera au canon produira les effets suivants: changement de l’axe, déplacement du Pôle de 23° 28’, perpendicularité du nouvel axe sur le plan de l’écliptique. De là, toutes les catastrophes si justement redoutées par les habitants de la Terre.
„Cependant, une chance reste à l’humanité d’échapper aux conséquences d’une opération qui doit provoquer de telles modifications dans les conditions géographiques et climatologiques du globe terrestre.
„Est-il possible de fabriquer un canon de dimensions telles qu’il soit un million de fois en volume ce qu’est le canon de vingt-sept centimètres? Quels que soient les progrès de l’industrie métallurgique, qui construit des ponts de la Tay et du Forth, des viaducs de Garabit et des tours Eiffel, est-il admissible que des ingénieurs puissent produire cet engin gigantesque, sans parler du projectile de cent quatre-vingt mille tonnes qui devra être lancé dans l’espace?
„Il est permis d’en douter. C’est là, évidemment, une des raisons pour lesquelles la tentative de Barbicane and Co a bien des raisons de ne point réussir. Mais elle laisse encore le champ ouvert à nombre d’éventualités particulièrement inquiétantes, puisqu’il semble que la nouvelle Société s’est déjà mise à l’œuvre.
„Qu’on le sache bien, lesdits Barbicane et Nicholl ont quitté Baltimore et l’Amérique. Ils sont partis depuis plus de deux mois. Où sont-ils allés?… Très certainement, en cet endroit inconnu du globe, où tout doit être disposé pour tenter leur opération.
„Or, quel est cet endroit? On l’ignore, et, par conséquent, il est impossible de se mettre à la poursuite des audacieux „malfaiteurs”(sic), qui prétendent bouleverser le monde sous prétexte d’exploiter à leur profit des houillères nouvelles.
„Évidemment, que ce lieu fût indiqué sur le carnet de J.-T. Maston, à la dernière page qui résumait ses travaux, ce n’est que trop certain. Mais cette dernière page a été déchirée sous la dent du complice d’Impey Barbicane, et ce complice, incarcéré maintenant dans la prison de Baltimore, se refuse absolument à parler.
„Telle est donc la situation. Si le président Barbicane parvient à fabriquer son canon monstre et son projectile; en un mot, si son opération est faite dans les conditions sus-énoncées, il modifiera l’ancien axe, et c’est dans six mois que la Terre sera soumise aux conséquences de cette „impardonnable tentative” (sic).
„En effet, une date a été choisie pour que le tir donne son plein et entier effort, date à laquelle le choc, imprimé à l’ellipsoïde terrestre, produira son maximum d’intensité.
„C’est le 22 septembre, douze heures après le passage du Soleil au méridien du lieu x.
„Ces circonstances étant connues: 1°que le tir s’opérera avec un canon un million de fois gros comme le canon de vingt-sept; 2° que ce canon sera chargé d’un projectile de cent quatre-vingt mille tonnes; 3° que ce projectile sera animé d’une vitesse initiale de deux mille huit cents kilomètres; 4°que le coup sera tiré le 22 septembre, douze heures après le passage du Soleil au méridien du lieu, – peut-on déduire de ces circonstances quel est le lieu x où se fera l’opération?
„Évidemment non!… ont répondu les commissaires-enquêteurs.
„Effectivement, rien ne peut permettre de calculer quel sera le point x, puisque, dans le travail de J.-T. Maston, rien n’indique en quel endroit du globe passera le nouvel axe, en d’autres termes, en quel endroit seront situés les nouveaux Pôles de la Terre. À 23° 28’ de l’ancien, soit! Mais sur quel méridien, c’est ce qu’il est absolument impossible d’établir.
„Donc, impossible de reconnaître quels seront les territoires abaissés ou surélevés, par suite de la dénivellation des océans, quels seront les continents transformés en mers et les mers transformées en continents.
„Et cependant, cette dénivellation sera très considérable, à s’en rapporter aux calculs de J.-T. Maston. Après le choc, la surface de la mer prendra la forme d’un ellipsoïde de révolution autour du nouvel axe polaire, et le niveau de la couche liquide changera sur presque tous les points du globe.
„En effet, l’intersection du niveau de la mer ancien et du niveau de la mer nouveau – deux surfaces de révolution égales dont les axes se rencontrent – se composera de deux courbes planes, dont les deux plans passeront par une perpendiculaire au plan des deux axes polaires, et respectivement par les deux bissectrices de l’angle des deux axes polaires. (Texte relevé sur le carnet du calculateur.)
„Il suit de là que les maximums de dénivellation peuvent atteindre une surélévation ou un abaissement de 8415 mètres par rapport au niveau ancien, et qu’en certains points du globe, divers territoires seront abaissés ou surélevés de cette quantité par rapport au nouveau. Cette quantité diminuera graduellement jusqu’aux lignes de démarcation, partageant le globe en quatre segments, sur la limite desquels la dénivellation deviendra nulle.
„Il est même à remarquer que l’ancien Pôle sera lui-même immergé sous plus de 3 000 mètres d’eau, puisqu’il se trouve à une moindre distance du centre de la Terre par suite de l’aplatissement du sphéroïde. Donc, le domaine acquis par la North Polar Practical Association devrait être noyé et par conséquent inexploitable. Mais le cas a été prévu par Barbicane and Co, et des considérations géographiques, déduites des dernières découvertes, permettent de conclure à l’existence, au Pôle arctique, d’un plateau dont l’altitude est supérieure à 3 000 mètres.
„Quant aux points du globe où la dénivellation atteindra 8415 mètres, et par conséquent, aux territoires qui en subiront les désastreuses conséquences, il ne faut pas prétendre à les déterminer. Les calculateurs les plus ingénieux n’y parviendraient pas. Il y a, dans cette équation, une inconnue que nulle formule ne peut dégager. C’est la situation précise du point x où se produira le tir, et, par suite le choc… Or, cet x est le secret des promoteurs de cette déplorable affaire.
„Donc, pour résumer, les habitants de la Terre, sous n’importe quelle latitude qu’ils vivent, sont directement intéressés à connaître ce secret, puisqu’ils sont directement menacés par les agissements de Barbicane and Co.
„Aussi, avis est-il donné aux habitants de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de l’Australasie et de l’Océanie, de veiller à tous travaux de balistique, tels que fonte de canons, fabrication de poudres ou de projectiles, qui pourraient être entrepris sur leur territoire, d’observer également la présence de tout étranger dont l’arrivée paraîtrait suspecte et d’en avertir aussitôt les membres de la Commission d’enquête, à Baltimore, Maryland, U.S.A.
„Fasse le ciel que cette révélation nous arrive avant le 22 septembre de la présente année, qui menace de troubler l’ordre établi dans le système terrestre.”
Dans lequel J.-T. Maston continue héroïquement à se taire.
insi, après le canon employé pour lancer un projectile de la Terre à la Lune, le canon employé pour modifier l’axe terrestre! Le canon! Toujours le canon! Mais ils n’ont donc pas autre chose en tête, ces artilleurs du Gun-Club! Ils sont donc pris de la folie du „canonnisme intensif”! Ils font donc du canon l’ultima ratio en ce monde? Ce brutal engin est-il donc le souverain de l’univers? De même que le droit canon règle la théologie, le roi canon est-il le suprême régulateur des lois industrielles et cosmologiques?
Oui! il faut bien l’avouer, le canon, c’était l’engin qui devait s’imposer à l’esprit du président Barbicane et de ses collègues. Ce n’est pas impunément qu’on a consacré toute sa vie à la balistique. Après la Columbiad de la Floride, ils devaient en arriver au canon-monstre de… du lieu x! Et ne les entend-on pas déjà crier d’une voix retentissante:
„Pointez sur la Lune! Première pièce… Feu!
– Changez l’axe de la Terre… Deuxième pièce… Feu!”
En attendant ce commandement que l’univers avait si bonne envie de leur lancer:
„À Charenton!… Troisième pièce… Feu!”
En vérité, leur opération justifiait bien le titre de cet ouvrage! N’est-il pas plus exactement intitulé Sans dessus dessous que Sens dessus dessous, puisque il n’y aurait plus ni „dessous” ni „dessus” et que, suivant l’expression d’Alcide Pierdeux, il s’ensuivrait „un chambardement général”!
Quoi qu’il en fût, la publication de la note rédigée par la Commission d’enquête produisit un effet dont rien ne saurait donner l’idée. Il faut en convenir, ce qu’elle disait n’était pas fait pour rassurer. Des calculs de J.-T. Maston, il résultait que le problème de mécanique avait été résolu dans toutes ses données. L’opération, tentée par le président Barbicane et par le capitaine Nicholl – cela n’était que trop clair – allait introduire une modification des plus regrettables dans le mouvement de rotation diurne. Un nouvel axe serait substitué à l’ancien… Et l’on sait quelles devaient être les conséquences de cette substitution.
L’œuvre de Barbicane and Co fut donc définitivement jugée, maudite, dénoncée à la réprobation générale. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Continent, les membres du Conseil d’administration de la North Polar Practical Association n’eurent plus que des adversaires. S’il leur restait quelques partisans parmi les cerveaux brûlés des États-Unis, ils étaient rares.
Vraiment, au point de vue de leur sécurité personnelle, le président Barbicane et le capitaine Nicholl avaient sagement fait de quitter Baltimore et l’Amérique. On est fondé à croire qu’il leur serait arrivé malheur. Ce n’est pas impunément que l’on peut menacer en masse quatorze cents millions d’habitants, bouleverser leurs habitudes par un changement apporté aux conditions d’habitabilité de la Terre, et les inquiéter dans leur existence même, en provoquant une catastrophe universelle.
Maintenant, comment les deux collègues du Gun-Club avaient-ils disparu sans laisser aucune trace? Comment le matériel et le personnel nécessités par une telle opération avaient-ils pu partir sans que l’on s’en fût aperçu? Des centaines de wagons, si c’était par railway, des centaines de navires, si c’était par mer, n’auraient pas suffi à transporter les chargements de métal, de charbon et de méli-mélonite. Il était tout à fait incompréhensible que ce départ eût pu avoir lieu incognito. Cela était néanmoins. En outre, après sérieuse enquête, on reconnut qu’aucune commande n’avait été envoyée ni aux usines métallurgiques, ni aux fabriques de produits chimiques des deux Mondes. Que ce fût inexplicable, soit! Sans doute, cela s’expliquerait un jour.
Toutefois, si le président Barbicane et le capitaine Nicholl, mystérieusement disparus, étaient à l’abri d’un danger immédiat, leur collègue J.-T. Maston, congrûment mis sous clef, pouvait tout craindre des représailles publiques. Bah! il ne s’en préoccupait guère! Quel admirable têtu que ce calculateur! Il était de fer, comme son avant-bras. Rien ne le ferait céder.
Du fond de la cellule qu’il occupait à la prison de Baltimore, le secrétaire du Gun-Club s’absorbait de plus en plus dans la contemplation lointaine des collègues qu’il n’avait pu suivre. Il évoquait la vision du président Barbicane et du capitaine Nicholl, préparant leur opération gigantesque en ce point inconnu du globe, où nul n’irait les troubler. Il les voyait fabriquant leur énorme engin, combinant leur méli-mélonite, fondant le projectile que le Soleil compterait bientôt au nombre de ses petites planètes! Ce nouvel astre porterait le nom charmant de Scorbetta, témoignage de galanterie et d’estime envers la riche capitaliste de New-Park. Et J.-T. Maston supputait les jours, trop courts à son gré, qui le rapprochaient de la date fixée pour le tir.
On était déjà au commencement d’avril. Dans deux mois et demi, l’astre du jour, après s’être arrêté au solstice sur le Tropique du Cancer, rétrograderait vers le Tropique du Capricorne. Trois mois plus tard, il traverserait la ligne équatoriale à l’équinoxe d’automne. Et alors, ce serait fini de ces saisons qui, depuis des millions de siècles, alternaient si régulièrement et si „bêtement” au cours de chaque année terrestre. Pour la dernière fois, en l’an 189., le sphéroïde aurait été soumis à cette inégalité des jours et des nuits. Il n’y aurait plus qu’un même nombre d’heures entre le lever et le coucher du Soleil sur n’importe quel horizon du globe.
En vérité, c’était là une œuvre magnifique, surhumaine, divine! J.-T. Maston en oubliait le domaine arctique et l’exploitation des houillères de l’ancien Pôle, pour ne voir que les conséquences cosmographiques de l’opération. Le but principal de la nouvelle Société s’effaçait au milieu des transformations qui allaient changer la face du monde.
Mais voilà, le monde ne voulait pas changer de face. N’était-elle pas toujours jeune, celle que Dieu lui avait donnée aux premières heures de la création!
Quant à J.-T. Maston, seul et sans défense au fond de sa cellule, il ne cessait de résister à toutes les pressions qu’on tentait d’exercer sur lui. Les membres de la Commission d’enquête venaient journellement le visiter; ils n’en pouvaient rien obtenir. C’est alors que John Prestice eut l’idée d’utiliser une influence qui réussirait peut-être mieux que la leur – celle de Mrs. Evangelina Scorbitt. Personne n’ignorait de quel dévouement cette respectable veuve était capable, quand il s’agissait des responsabilités de J.-T. Maston, et quel intérêt sans bornes elle portait au célèbre calculateur.
Donc, après délibération des commissaires, Mrs. Evangelina Scorbitt fut autorisée à venir voir le prisonnier autant qu’elle le voudrait. N’était-elle pas, elle-même, aussi menacée que les autres habitants du globe par le recul du canon-monstre? Est-ce que son hôtel de New-Park serait plus épargné dans la catastrophe finale que la hutte du plus humble coureur des bois ou le wigwam de l’Indien des Prairies? Est-ce qu’il n’y allait pas de son existence comme de celle du dernier des Samoyèdes ou du plus obscur insulaire du Pacifique? Voilà ce que le président de la Commission lui fit comprendre, voilà pourquoi elle fut priée d’user de son influence sur l’esprit de J.-T. Maston.
Si celui-ci se décidait enfin à parler, s’il voulait dire en quel endroit le président Barbicane et le capitaine Nicholl – et très certainement aussi le nombreux personnel qu’ils avaient dû s’adjoindre – étaient occupés à leurs préparatifs, il serait encore temps d’aller à leur recherche, de retrouver leurs traces, de mettre fin aux affres, transes et épouvantes de l’humanité.
Mrs. Evangelina Scorbitt eut donc accès dans la prison. Ce qu’elle désirait par-dessus tout, c’était revoir J.-T. Maston, arraché par des mains policières au bien-être de son cottage.
Mais c’était bien mal la connaître, l’énergique Evangelina, que de la croire esclave des faiblesses humaines! Et, le 9 avril, si quelque oreille indiscrète se fût collée à la porte de la cellule, la première fois que Mrs. Scorbitt y pénétra, voici ce que cette oreille aurait entendu – non sans quelque surprise:
„Enfin, cher Maston, je vous revois!
– Vous, mistress Scorbitt?
– Oui, mon ami, après quatre semaines, quatre longues semaines de séparation…
– Exactement vingt-huit jours, cinq heures et quarante-cinq minutes, répondit J.-T. Maston, après avoir consulté sa montre.
– Enfin, nous sommes réunis!…
– Mais comment vous ont-ils laissée pénétrer jusqu’à moi, chère mistress Scorbitt?
– A la condition d’user de l’influence due à une affection sans bornes sur celui qui en est l’objet!
– Quoi!… Evangelina! s’écria J.-T. Maston. Vous auriez consenti à me donner de tels conseils!… Vous avez eu la pensée que je pourrais trahir nos collègues!
– Moi? Cher Maston!… M’appréciez-vous donc si mal!… Moi!… vous prier de sacrifier votre sécurité à votre honneur!… Moi!… vous pousser à un acte, qui serait la honte d’une vie consacrée tout entière aux plus hautes spéculations de la mécanique transcendante!…
– A la bonne heure, mistress Scorbitt! Je retrouve bien en vous la généreuse actionnaire de notre Société! Non!… je n’ai jamais douté de votre grand cœur!
– Merci, cher Maston!
– Quant à moi, divulguer notre œuvre, révéler en quel point du globe va s’accomplir notre tir prodigieux, vendre pour ainsi dire ce secret que j’ai pu heureusement cacher au plus profond de moi-même, permettre à ces barbares de se lancer à la poursuite de nos amis, d’interrompre des travaux qui feront notre profit et notre gloire!… Plutôt mourir!
– Sublime Maston!” répondit Mrs. Evangelina Scorbitt.
En vérité, ces deux êtres, si étroitement unis par le même enthousiasme – et aussi insensés l’un que l’autre, d’ailleurs – étaient bien faits pour se comprendre.
„Non! jamais ils ne sauront le nom du pays que mes calculs ont désigné et dont la célébrité va devenir immortelle! ajouta J.-T. Maston. Qu’ils me tuent, s’ils le veulent, mais ils ne m’arracheront pas mon secret!
– Et qu’ils me tuent avec vous! s’écria Mrs. Evangelina Scorbitt. Moi aussi, je serai muette…
– Heureusement, chère Evangelina, ils ignorent que vous le possédez, ce secret!
– Croyez-vous donc, cher Maston, que je serais capable de le livrer, parce que je ne suis qu’une femme! Trahir nos collègues et vous!… Non, mon ami, non! Que ces Philistins soulèvent contre vous la population des villes et des campagnes, que le monde entier pénètre par la porte de cette cellule pour vous en arracher, eh bien! je serai là, et nous aurons au moins cette consolation de mourir ensemble!…”
Or, si ce peut jamais être une consolation, J.-T. Maston pouvait-il en rêver une plus douce que de mourir dans les bras de Mrs. Evangelina Scorbitt!
Ainsi finissait la conversation toutes les fois que l’excellente dame venait visiter le prisonnier.
Et, lorsque les commissaires-enquêteurs l’interrogeaient sur le résultat de ses entrevues:
„Rien encore! disait-elle. Peut-être avec du temps obtiendrai-je enfin…”
Ô astuce de femme!
Avec du temps! disait-elle. Mais, ce temps, il marchait à grands pas. Les semaines s’écoulaient comme des jours, les jours comme des heures, les heures comme des minutes!
On était en mai déjà. Mrs. Evangelina Scorbitt n’avait rien obtenu de J.-T. Maston, et là où cette femme si influente avait échoué, nul autre ne pouvait avoir l’espoir de réussir. Faudrait-il donc se résigner à attendre le coup terrible, sans qu’il se présentât une chance de l’empêcher?
Eh bien, non! En pareille occurrence, la résignation est inacceptable! Aussi les délégués des Puissances européennes devinrent-ils plus obsédants que jamais. Il y eut lutte de tous les instants entre eux et les membres de la Commission d’enquête, lesquels furent directement pris à partie. Jusqu’au flegmatique Jacques Jansen, qui, en dépit de sa placidité hollandaise, accablait les commissaires de ses récriminations quotidiennes.
Le colonel Boris Karkof eut même un duel avec le secrétaire de ladite Commission – duel dans lequel il ne blessa que légèrement son adversaire.
Quant au major Donellan, s’il ne se battit ni à l’arme à feu ni à l’arme blanche, – ce qui est contraire aux usages britanniques, – du moins, assisté de son secrétaire Dean Toodrink, échangea-t-il quelques douzaines de coups de poing dans une boxe en règle, avec William S. Forster, le flegmatique consignataire de morues, l’homme de paille de la North Polar Practical Association, lequel, d’ailleurs, ne savait rien de l’affaire.
En réalité, le monde entier se conjurait pour rendre les Américains des États-Unis responsables des actes de l’un de leurs plus glorieux enfants, Impey Barbicane. On ne parlait rien moins que de retirer les ambassadeurs et les ministres plénipotentiaires, accrédités près cet imprudent gouvernement de Washington et de lui déclarer la guerre.
Pauvres États-Unis! Ils n’eussent pas mieux demandé que de mettre la main sur Barbicane and Co. En vain répondaient-ils que les Puissances de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Océanie avaient carte blanche pour l’arrêter partout où il se trouverait, on ne les écoutait même pas. Et jusqu’alors, impossible de découvrir en quel lieu le président et son collègue s’occupaient à préparer leur abominable opération.
A quoi les Puissances étrangères répondaient:
„Vous avez J.-T. Maston, leur complice! Or, J.-T. Maston sait à quoi s’en tenir sur le compte de Barbicane! Donc, faites parler J.-T. Maston!”
Faire parler J.-T. Maston! Autant eût valu arracher une parole de la bouche d’Harpocrate, dieu du silence, ou au sourd-muet en chef de l’Institut de New-York.
Et alors, l’exaspération croissant avec l’inquiétude universelle, quelques esprits pratiques rappelèrent que la torture du Moyen Âge avait du bon, les brodequins du maître-tourmenteur juré, le tenaillement aux mamelles, le plomb fondu, si souverain pour délier les langues les plus rebelles, l’huile bouillante, le chevalet, la question par l’eau, l’estrapade, etc. Pourquoi ne pas se servir de ces moyens que la justice d’autrefois n’hésitait pas à employer dans des circonstances infiniment moins graves, et pour des cas particuliers qui n’intéressaient que fort indirectement les masses?
Mais il faut bien le reconnaître, ces moyens, que justifiaient les mœurs d’autrefois, ne pouvaient plus être employés à la fin d’un siècle de douceur et de tolérance, – d’un siècle aussi empreint d’humanité que ce XIXe, caractérisé par l’invention du fusil a répétition, des balles de sept millimètres et des trajectoires d’une tension invraisemblable, – d’un siècle qui admet dans les relations internationales l’emploi des obus à la mélinite, à la roburite, à la bellite, à la panclastite, à la méganite et autres substances en -ite, qui ne sont rien, il est vrai, auprès de la méli-mélonite.
J.-T. Maston n’avait donc point à redouter d’être soumis à la question ordinaire ou extraordinaire. Tout ce qu’on pouvait espérer, c’est que, comprenant enfin quelle était sa responsabilité, il se déciderait peut-être à parler, ou s’il s’y refusait, que le hasard parlerait pour lui.
1 Vitesse qui suffirait pour aller en une seconde de Paris à Pétersbourg.