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Jules Verne

 

L'île à hélice

 

 

Première partie

(VII-IX)

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© Andrzej Zydorczak

 

 

Premièrepartie

 

 

 VII

Cap à l’ouest

 

tandard-Island file doucement sur les eaux de cet océan Pacifique, qui justifie son nom à pareille époque de l’année. Habitués à cette translation tranquille depuis vingt-quatre heures, Sébastien Zorn et ses camarades ne s’aperçoivent même plus qu’ils sont en cours de navigation. Si puissantes que soient ses centaines d’hélices, attelées de dix millions de chevaux, à peine un léger frémissement se propage-t-il à travers la coque métallique de l’île. Milliard-City ne tremble pas sur sa base. Rien, d’ailleurs, des oscillations de la houle à laquelle obéissent pourtant les plus forts cuirassés des marines de guerre. Il n’y a dans les habitations ni tables ni lampes de roulis. A quoi bon? Les maisons de Paris, de Londres, de New-York ne sont pas plus inébranlablement fixées sur leurs fondations.

Après quelques semaines de relâche à Madeleine-bay, le conseil des notables de Standard-Island, réunis par le soin du président de la Compagnie, avait arrêté le programme du déplacement annuel. L’île à hélice allait rallier les principaux archipels de l’Est-Pacifique, au milieu de cette atmosphère hygiénique, si riche en ozone, en oxygène condensé, électrisé, doué de particularités actives que ne possède pas l’oxygène à l’état ordinaire. Puisque cet appareil a la liberté de ses mouvements, il en profite, et il lui est loisible d’aller à sa fantaisie, vers l’ouest comme vers l’est, de se rapprocher du littoral américain, s’il lui plaît, de rallier les côtes orientales de l’Asie, si c’est son bon plaisir. Standard-Island va où elle veut, de manière à goûter les distractions d’une navigation variée. Et même, s’il lui convenait d’abandonner l’océan Pacifique pour l’océan Indien ou l’océan Atlantique, de doubler le cap Horn ou le cap de Bonne-Espérance, il lui suffirait de prendre cette direction, et soyez convaincus que ni les courants ni les tempêtes ne l’empêcheraient d’atteindre son but.

Mais il n’est point question de se lancer à travers ces mers lointaines, où le Joyau du Pacifique ne trouverait pas ce que cet Océan lui offre au milieu de l’interminable chapelet de ses groupes insulaires. C’est un théâtre assez vaste pour suffire à des itinéraires multiples. L’île à hélice peut le parcourir d’un archipel à l’autre. Si elle n’est pas douée de cet instinct spécial aux animaux, ce sixième sens de l’orientation qui les dirige là où leurs besoins les appellent, elle est conduite par une main sûre, suivant un programme longuement discuté et unanimement approuvé. Jusqu’ici, il n’y a jamais eu désaccord sur ce point entre les Tribordais et les Bâbordais. Et, en ce moment, c’est en vertu d’une décision prise que l’on marche à l’ouest, vers le groupe des Sandwich. Cette distance de douze cents lieues environ qui sépare ce groupe de l’endroit où s’est embarqué le quatuor, elle emploiera un mois à la franchir avec une vitesse modérée, et elle fera relâche dans cet archipel jusqu’au jour où il lui conviendra d’en rallier un autre de l’hémisphère méridional.

Le lendemain de ce jour mémorable, le quatuor quitte Excelsior-Hotel, et vient s’installer dans un appartement du casino qui est mis à sa disposition, – appartement confortable, richement aménagé, s’il en fut. La Unième Avenue se développe devant ses fenêtres. Sébastien Zorn, Frascolin, Pinchinat, Yvernès, ont chacun sa chambre autour d’un salon commun. La cour centrale de l’établissement leur réserve l’ombrage de ses arbres en pleine frondaison, la fraîcheur de ses fontaines jaillissantes. D’un côté de cette cour se trouve le musée de Milliard-City, de l’autre, la salle de concert, où les artistes parisiens vont si heureusement remplacer les échos des phonographes et les transmissions des théâtrophones. Deux fois, trois fois, autant de fois par jour qu’ils le désireront, leur couvert sera mis dans la restauration, où le maître d’hôtel ne leur présentera plus ses additions invraisemblables.

Ce matin-là, lorsqu’ils sont réunis dans le salon, quelques instants avant de descendre pour le déjeuner:

«Eh bien, les violoneux, demande Pinchinat, que dites-vous de ce qui nous arrive?

– Un rêve, répond Yvernès, un rêve dans lequel nous sommes engagés à un million par an…

– C’est bel et bien une réalité, répond Frascolin. Cherche dans ta poche, et tu pourras en tirer le premier quart du dit million…

– Reste à savoir comment cela finira?… Très mal, j’imagine!» s’écrie Sébastien Zorn, qui veut absolument trouver un pli de rosé à la couche sur laquelle on l’a étendu malgré lui.

«D’ailleurs, et nos bagages?…»

En effet, les bagages devaient être rendus à San-Diégo, d’où ils ne peuvent revenir, et où leurs propriétaires ne peuvent aller les chercher. Oh! bagages très rudimentaires: quelques valises, du linge, des ustensiles de toilette, des vêtements de rechange, et aussi la tenue officielle des exécutants, lorsqu’ils comparaissent devant le public.

Il n’y eut pas lieu de s’inquiéter à ce sujet. En quarante-huit heures, cette garde-robe un peu défraîchie serait remplacée par une autre mise à la disposition des quatre artistes, et sans qu’ils eussent eu à payer quinze cents francs leur habit et cinq cents francs leurs bottines.

Du reste, Calistus Munbar, enchanté d’avoir si habilement conduit cette délicate affaire, entend que le quatuor n’ait pas même un désir à former. Impossible d’imaginer un surintendant d’une plus inépuisable obligeance. Il occupe un des appartements de ce casino, dont les divers services sont sous sa haute direction, et la Compagnie lui sert des appointements dignes de sa magnificence et de sa munificence… Nous préférons ne point en indiquer le chiffre.

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Le casino renferme des salles de lecture et des salles de jeux; mais le baccara, le trente et quarante, la roulette, le poker et autres jeux de hasard sont rigoureusement interdits. On y voit aussi un fumoir où fonctionne le transport direct à domicile de la fumée de tabac préparée par une société fondée récemment. La fumée du tabac brûlé dans les brûleurs d’un établissement central, purifiée et dégagée de nicotine, est distribuée par des tuyaux à bouts d’ambre spéciaux à chaque amateur. On n’a plus qu’à y appliquer ses lèvres, et un compteur enregistre la dépense quotidienne.

Dans ce casino, où les dilettanti peuvent venir s’enivrer de cette musique lointaine, à laquelle vont maintenant se joindre les concerts du quatuor, se trouvent aussi les collections de Milliard-City. Aux amateurs de peinture, le musée, riche de tableaux anciens et modernes, offre de nombreux chefs-d’œuvre, acquis à prix d’or, des toiles des Écoles italienne, hollandaise, allemande, française, que pourraient envier les collections de Paris, de Londres, de Munich, de Rome et de Florence, des Raphaël, des Vinci, des Giorgione, des Corrège, des Dominiquin, des Ribeira, des Murillo, des Ruysdael, des Rembrandt, des Rubens, des Cuyp, des Frans Hals, des Hobbema, des Van Dyck, des Holbein, etc., et aussi, parmi les modernes, des Fragonard, des Ingres, des Delacroix, des Scheffer, des Cabat, des Delaroche, des Régnant, des Couture, des Meissonier, des Millet, des Rousseaux, des Jules Dupré, des Brascassat, des Mackart, des Turner, des Troyon, des Corot, des Daubigny, des Baudry, des Bonnat, des Carolus Duran, des Jules Lefebvre, des Vollon, des Breton, des Binet, des Yon, des Cabanel, etc. Afin de leur assurer une éternelle durée, ces tableaux sont placés à l’intérieur de vitrines, où le vide a été préalablement fait. Ce qu’il convient d’observer, c’est que les impressionnistes, les angoissés, les futuristes, n’ont pas encore encombré ce musée; mais, sans doute, cela ne tarderait guère, et Standard-Island n’échappera pas à cette invasion de la peste décadente. Le musée possède également des statues de réelle valeur, des marbres des grands sculpteurs anciens et modernes, placés dans les cours du casino. Grâce à ce climat sans pluies ni brouillards, groupes, statues, bustes peuvent impunément résister aux outrages du temps.

Que ces merveilles soient souvent visitées, que les nababs de Milliard-City aient un goût très prononcé pour ces productions de l’art, que le sens artiste soit éminemment développé chez eux, ce serait risqué que de le prétendre. Ce qu’il faut remarquer, toutefois, c’est que la section tribordaise compte plus d’amateurs que la section bâbordaise. Tous, d’ailleurs, sont d’accord quand il s’agit d’acquérir quelque chef-d’œuvre, et alors leurs invraisemblables enchères savent l’enlever à tous les duc d’Aumale, à tous les Chauchard de l’ancien et du nouveau continent.

Les salles les plus fréquentées du casino sont les salles de lecture, consacrées aux revues, aux journaux européens ou américains, apportés par les steamers de Standard-Island, en service régulier avec Madeleine-bay. Après avoir été feuilletées, lues et relues, les revues prennent place sur les rayons de la bibliothèque, où s’alignent plusieurs milliers d’ouvrages dont le classement nécessite la présence d’un bibliothécaire aux appointements de vingt-cinq mille dollars, et il est peut-être le moins occupé des fonctionnaires de l’île. Cette bibliothèque contient aussi un certain nombre de livres phonographes: on n’a pas la peine de lire, on presse un bouton, et on entend la voix d’un excellent diseur qui fait la lecture – ce que serait Phèdre de Racine lue par M. Legouvé.

Quant aux journaux de «la localité», ils sont rédigés, composés, imprimés dans les ateliers du casino sous la direction de deux rédacteurs en chef. L’un est le Starboard-Chronicle pour la section des Tribordais; l’autre, le New-Herald pour la section des Bâbordais. La chronique est alimentée par les faits divers, les arrivages des paquebots, les nouvelles de mer, les rencontres maritimes, les mercuriales qui intéressent le quartier commerçant, le relèvement quotidien en longitude et en latitude, les décisions du conseil des notables, les arrêtés du gouverneur, les actes de l’état civil: naissances, mariages, décès, – ceux-ci très rares. D’ailleurs, jamais ni vols ni assassinats, les tribunaux ne fonctionnant que pour les affaires civiles, les contestations entre particuliers. Jamais d’articles sur les centenaires, puisque la longévité de la vie humaine n’est plus ici le privilège de quelques-uns.

Pour ce qui est de la partie politique étrangère, elle se tient à jour par les communications téléphoniques avec Madeleine-bay, où se raccordent les câbles immergés dans les profondeurs du Pacifique. Les Milliardais sont ainsi informés de tout ce qui se passe dans le monde entier, lorsque les faits présentent un intérêt quelconque. Ajoutons que le Starboard-Chronicle et le New-Herald ne se traitent pas d’une main trop rude. Jusqu’ici, ils ont vécu en assez bonne intelligence, mais on ne saurait jurer que cet échange de discussions courtoises puisse durer toujours. Très tolérants, très conciliants sur le terrain de la religion, le protestantisme et le catholicisme font bon ménage à Standard-Island. Il est vrai, dans l’avenir, si l’odieuse politique s’en mêle, si la nostalgie des affaires reprend les uns, si les questions d’intérêt personnel et d’amour-propre sont en jeu…

En outre de ces deux journaux il y a les journaux hebdomadaires ou mensuels, reproduisant les articles des feuilles étrangères, ceux des successeurs des Sarcey, des Lemaître, des Charmes, des Fournel, des Deschamps, des Fouquier, des France, et autres critiques de grande marque; puis les magasins illustrés, sans compter une douzaine de feuilles cercleuses, soiristes et boulevardières, consacrées aux mondanités courantes. Elles n’ont d’autre but que de distraire un instant, en s’adressant à l’esprit… et même à l’estomac. Oui! quelques-unes sont imprimées sur pâte comestible à l’encre de chocolat. Lorsqu’on les a lues, on les mange au premier déjeuner. Les unes sont astringentes, les autres légèrement purgatives, et le corps s’en accommode fort bien. Le quatuor trouve cette invention aussi agréable que pratique.

«Voilà des lectures d’une digestion facile! observe judicieusement Yvernès.

– Et d’une littérature nourrissante! répond Pinchinat. Pâtisserie et littérature mêlées, cela s’accorde parfaitement avec la musique hygiénique!»

Maintenant, il est naturel de se demander de quelles ressources dispose l’île à hélice pour entretenir sa population dans de telles conditions de bien-être, dont n’approche aucune autre cité des deux mondes. Il faut que ses revenus s’élèvent à une somme invraisemblable, étant donnés les crédits affectés aux divers services et les traitements attribués aux plus modestes employés.

Et, lorsqu’ils interrogent le surintendant à ce sujet:

«Ici, répond-il, on ne traite pas d’affaires. Nous n’avons ni Board of Trade, ni Bourse, ni industrie. En fait de commerce, il n’y a que ce qu’il faut pour les besoins de l’île, et nous n’offrirons jamais aux étrangers l’équivalent du World’s Fair de Chicago en 1893 et de l’Exposition de Paris de 1900. Non! La puissante religion des business n’existe pas, et nous ne poussons point le cri de go ahead, si ce n’est pour que le Joyau du Pacifique aille de l’avant. Ce n’est donc pas aux affaires que nous demandons les ressources nécessaires à l’entretien de Standard-Island, c’est à la douane. Oui! les droits de douane nous permettent de suffire à toutes les exigences du budget…

– Et ce budget?… interroge Frascolin.

– Il se chiffre par vingt millions de dollars, mes excellente bons!

– Cent millions de francs, s’écria le second violon, et pour une ville de dix mille âmes!…

– Comme vous dites, mon cher Frascolin, somme qui provient uniquement des taxes de douane. Nous n’avons pas d’octroi, les productions locales étant à peu près insignifiantes. Non! rien que les droits perçus à Tribord-Harbour et à Bâbord-Harbour. Cela vous explique la cherté des objets de consommation, – cherté relative, s’entend. car ces prix, si élevés qu’ils vous paraissent, sont en rapport avec les moyens dont chacun dispose.»

Et voici Calistus Munbar qui s’emballe à nouveau, vantant sa ville, vantant son île – un morceau de planète supérieure tombé en plein Pacifique, un Eden flottant, où se sont réfugiés les sages, et si le vrai bonheur n’est pas là, c’est qu’il n’est nulle part! C’est comme un boniment! Il semble qu’il dise:

«Entrez, messieurs, entrez, mesdames!… Passez au contrôle!… Il n’y a que très peu de places!… On va commencer… Qui prend son billet… etc.»

Il est vrai, les places sont rares, et les billets sont chers! Bah! le surintendant jongle avec ces millions qui ne sont plus que des unités dans cette cité milliardaise!

C’est au cours de cette tirade, où les phrases se déversent en cascades, où les gestes se multiplient avec une frénésie sémaphorique, que le quatuor se met au courant des diverses branches de l’administration. Et d’abord, les écoles, où se donne l’instruction gratuite et obligatoire, qui sont dirigées par des professeurs payés comme des ministres. On y apprend les langues mortes et les langues vivantes. l’histoire et la géographie, les sciences physiques et mathématiques, les arts d’agrément, mieux qu’en n’importe quelle Université ou Académie du vieux monde, – à en croire Calistus Munbar. La vérité est que les élèves ne s’écrasent point aux cours publics, et, si la génération actuelle possède encore quelque teinture des études faites dans les collèges des États-Unis, la génération qui lui succédera aura moins d’instruction que de rentes. C’est là le point défectueux, et peut-être des humains ne peuvent-ils que perdre à s’isoler ainsi de l’humanité.

Ah ça! ils ne voyagent donc pas à l’étranger, les habitants de cette île factice? Ils ne vont donc jamais visiter les pays d’outremer, les grandes capitales de l’Europe? Ils ne parcourent donc pas les contrées auxquelles le passé a légué tant de chefs-d’œuvre de toutes sortes? Si! Il en est quelques-uns qu’un certain sentiment de curiosité pousse en des régions lointaines. Mais ils s’y fatiguent; ils s’y ennuient pour la plupart; ils n’y retrouvent rien de l’existence uniforme de Standard-Island; ils y souffrent du chaud; ils y souffrent du froid; enfin, ils s’y enrhument, et on ne s’enrhume pas à Milliard-City. Aussi n’ont-ils que hâte et impatience de réintégrer leur île, ces imprudents qui ont eu la malencontreuse idée de la quitter. Quel profit ont-ils retiré de ces voyages? Aucun. «Valises ils sont partis, valises ils sont revenus», ainsi que le dit une ancienne formule des Grecs, et nous ajoutons: ils resteront valises.

Quant aux étrangers que devra attirer la célébrité de Standard-Island, cette neuvième merveille du monde, depuis que la tour Eiffel, – on le dit du moins, – occupe le huitième rang, Calistus Munbar pense qu’ils ne seront jamais très nombreux. On n’y tient pas autrement, d’ailleurs, bien que ses tourniquets des deux ports eussent été une nouvelle source de revenus. De ceux qui sont venus l’année dernière, la plupart étaient d’origine américaine. Des autres nations, peu ou point. Cependant, il y a eu quelques Anglais, reconnaissables à leur pantalon invariablement relevé, sous prétexte qu’il pleut à Londres. Au surplus, la Grande-Bretagne a très mal envisagé la création de cette Standard-Island, qui, à son avis, gêne la circulation maritime, et elle se réjouirait de sa disparition. Quant aux Allemands, ils n’obtiennent qu’un médiocre accueil comme des gens qui auraient vite fait de Milliard-City une nouvelle Chicago, si on les y laissait prendre pied. Les Français sont de tous les étrangers ceux la Compagnie accepte avec le plus de sympathies et de prévenances, étant donné qu’ils n’appartiennent pas aux races envahissantes de l’Europe. Mais, jusqu’alors un Français avait-il jamais paru à Standard-Island?…

«Ce n’est pas probable, fait observer Pinchinat.

– Nous ne sommes pas assez riches… ajoute Frascolin.

– Pour être rentier, c’est possible, répond le surintendant, non pour être fonctionnaire…

– Y a-t-il donc un de nos compatriotes à Milliard-City?… demande Yvernès.

– Il y en a un.

– Et quel est ce privilégié?…

– M. Athanase Dorémus.

– Et qu’est-ce qu’il fait ici, cet Athanase Dorémus? s’écrie Pinchinat.

– Il est professeur de danse, de grâces et de maintien, magnifiquement appointé par l’administration, sans parler des leçons particulières au cachet…

– Et qu’un Français est seul capable de donner!…» réplique Son Altesse.

A présent, le quatuor sait à quoi s’en tenir sur l’organisation de la vie administrative de Standard-Island. Il n’a plus qu’à s’abandonner au charme de cette navigation, qui l’entraîne vers l’ouest du Pacifique. Si ce n’est que le soleil se lève tantôt sur un point de l’île, tantôt sur un autre, selon l’orientation donnée par le commodore Simcoë, Sébastien Zorn et ses camarades pourraient croire qu’ils sont en terre ferme. A deux reprises, pendant la quinzaine qui suivit, des orages éclatèrent avec violentes bourrasques et terribles rafales, car il s’en forme bien quelques-unes sur le Pacifique, malgré son nom. La houle du large vint se briser contre la coque métallique, elle la couvrit de ses embruns comme l’accore d’un littoral. Mais Standard-Island ne frémit même pas sous les assauts de cette mer démontée. Les fureurs de l’Océan sont impuissantes contre elle. Le génie de l’homme a vaincu la nature.

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Quinze jours après, le 11 juin, premier concert de musique de chambre, dont l’affiche, à lettres électriques, est promenée le long des grandes avenues. Il va sans dire que les instrumentistes ont été préalablement présentés au gouverneur et à la municipalité. Cyrus Bikerstaff leur a fait le plus chaleureux accueil. Les journaux ont rappelé les succès des tournées du Quatuor Concertant dans les États-Unis d’Amérique, et félicité chaudement le surintendant de s’être assuré son concours, – de manière un peu arbitraire, on le sait. Quelle jouissance de voir en même temps que d’entendre ces artistes exécutant les œuvres des maîtres! Quel régal pour les connaisseurs!

De ce que les quatre Parisiens sont engagés au casino de Milliard-City à des appointements fabuleux, il ne faut pas s’imaginer que leurs concerts doivent être offerts gratuitement au public. Loin de là. L’administration entend en retirer un large bénéfice, ainsi que font ces imprésarios américains auxquels leurs chanteuses coûtent un dollar la mesure et même la note. D’habitude, on paye pour les concerts théâtrophoniques et phonographiques du casino, on paiera donc, ce jour-là, infiniment plus cher. Les places sont toutes à prix égal, deux cents dollars le fauteuil, soit mille francs en monnaie française, et Calistus Munbar se flatte de faire salle comble.

Il ne s’est pas trompé. La location a enlevé toutes les places disponibles. La confortable et élégante salle du casino n’en contient qu’une centaine, il est vrai, et si on les eût mises aux enchères, on ne sait trop à quel taux fût montée la recette. Mais cela eut été contraire aux usages de Standard-Island. Tout ce qui a une valeur marchande est coté d’avance par les mercuriales, le superflu comme le nécessaire. Sans cette précaution, étant données les fortunes invraisemblables de certains, des accaparements pourraient se produire, et c’est ce qu’il convenait d’éviter. Il est vrai, si les riches Tribordais vont au concert par amour de l’art, il est possible que les riches Bâbordais n’y aillent que par convenance.

Lorsque Sébastien Zorn, Pinchinat, Yvernès et Frascolin paraissaient devant les spectateurs de New-York, de Chicago, de Philadelphie, de Baltimore, ce n’était pas exagération de leur part que de dire: voilà un public qui vaut des millions. Eh bien, ce soir-là, ils seraient restés au-dessous de la vérité s’ils n’avaient pas compté par milliards. Qu’on y songe! Jem Tankerdon, Nat Coverley et leurs familles brillent au premier rang des fauteuils. Aux autres places, passim, nombre d’amateurs qui pour n’être que des sous-milliardaires, n’en ont pas moins un «fort sac», comme le fait justement remarquer Pinchinat.

«Allons-y!» dit le chef du quatuor, lorsque l’heure est arrivée de se présenter sur l’estrade.

Et ils y vont, pas plus émus d’ailleurs, ni même autant qu’ils l’eussent été devant un public parisien, lequel a peut-être moins d’argent dans la poche, mais plus de sens artiste dans l’âme.

Il faut dire que bien qu’ils n’aient point encore pris des leçons de leur compatriote Dorémus, Sébastien Zorn, Yvernès, Frascolin, Pinchinat ont une tenue très correcte, cravate blanche de vingt-cinq francs, gants gris-perle de cinquante francs, chemise de soixante-dix francs, bottines de cent quatre-vingts francs, gilet de deux cents francs, pantalon noir de cinq cents francs, habit noir de quinze cents francs – au compte de l’administration, bien entendu. Ils sont acclamés, ils sont applaudis très chaudement par les mains tribordaises, plus discrètement par les mains bâbordaises, – question de tempérament.

Le programme du concert comprend quatre numéros que leur a fournis la bibliothèque du casino, richement approvisionnée par les soins du surintendant:

Premier quatuor en mi bémol: Op. 12 de Mendelsohn,

Deuxième quatuor en fa majeur: Op. 16 d’Haydn,

Dixième quatuor en mi bémol: Op. 74 de Beethoven,

Cinquième quatuor en la majeur: Op. 10 de Mozart.

Les exécutants font merveille dans cette salle emmilliardée, abord de cette île flottante, à la surface d’un abîme dont la profondeur dépasse cinq mille mètres en cette portion du Pacifique. Ils obtiennent un succès considérable et justifié, surtout devant les dilettanti de la section tribordaise. Il faut voir le surintendant pendant cette soirée mémorable: il exulte. On dirait que c’est lui qui vient de jouer à la fois sur deux violons, un alto et un violoncelle. Quel heureux début pour des champions de la musique concertante – et pour leur imprésario!

Il y a lieu d’observer que si la salle est pleine, les abords du casino regorgent de monde. Et, en effet, combien n’ont pu se procurer ni un strapontin ni un fauteuil, sans parler de ceux que le haut prix des places a écartés. Ces auditeurs du dehors en sont réduits à la portion congrue. Ils n’entendent que de loin, comme si cette musique fût sortie de la boîte d’un phonographe ou du pavillon d’un téléphone. Mais leurs applaudissements n’en sont pas moins vifs.

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Et ils éclatent à tout rompre, lorsque, le concert achevé, Sébastien Zorn, Yvernès, Frascolin et Pinchinat se présentent sur la terrasse du pavillon de gauche. La Unième Avenue est inondée de rayons lumineux. Des hauteurs de l’espace, les lunes électriques versent des rayons dont la pâle Séléné doit être jalouse.

En face du casino, sur le trottoir, un peu à l’écart, un couple attire l’attention d’Yvernès. Un homme se tient là, une femme à son bras. L’homme, d’une taille au-dessus de la moyenne, de physionomie distinguée, sévère, triste même, peut avoir une cinquantaine d’années. La femme, quelques ans de moins, grande, l’air fier, laisse voir sous son chapeau des cheveux blanchis par l’âge.

Yvernès, frappé de leur attitude réservée, les montre à Calistus Munbar:

«Quelles sont ces personnes? lui demande-t-il.

– Ces personnes?… répond le surintendant, dont les lèvres ébauchent une moue assez dédaigneuse. Oh!… ce sont des mélomanes enragés.

– Et pourquoi n’ont-ils pas loué une place dans la salle du casino?

– Sans doute, parce que c’était trop cher pour eux.

– Alors leur fortune?…

– A peine deux centaines de mille francs de rente.

– Peuh! fait Pinchinat. Et quels sont ces pauvres diables?…

– Le roi et la reine de Malécarlie.»

 

 

 

 VIII

Navigation

 

près avoir créé cet extraordinaire appareil de navigation, la Standard-Island Company dut pourvoir aux exigences d’une double organisation, maritime d’une part, administrative de l’autre.

La première, on le sait, a pour directeur, ou plutôt pour capitaine, le commodore Ethel Simcoë, de la marine des États-Unis. C’est un homme de cinquante ans, navigateur expérimenté, connaissant à fond les parages du Pacifique, ses courants, ses tempêtes, ses écueils, ses substructions coralligènes. De là, parfaite aptitude pour conduire d’une main sûre l’île à hélice confiée à ses soins et les riches existences dont il est responsable devant Dieu et les actionnaires de la Société.

La seconde organisation, celle qui comprend les divers services administratifs, est entre les mains du gouverneur de l’île. M. Cyrus Bikerstaff est un Yankee du Maine, l’un des États fédéraux qui prirent la moindre part aux luttes fratricides de la Confédération américaine pendant la guerre de sécession. Cyrus Bikerstaff a donc été heureusement choisi pour garder un juste milieu entre les deux sections de l’île.

Le gouverneur, qui touche aux limites de la soixantaine, est célibataire. C’est un homme froid, possédant le self control, très énergique sous sa flegmatique apparence, très anglais par son attitude réservée, ses manières gentlemanesques, la discrétion diplomatique qui préside à ses paroles comme à ses actes. En tout autre pays qu’en Standard-Island, ce serait un homme très considérable et, par suite, très considéré. Mais ici, il n’est, en somme, que l’agent supérieur de la Compagnie. En outre, bien que son traitement vaille la liste civile d’un petit souverain de l’Europe, il n’est pas riche, et quelle figure peut-il faire en présence des nababs de Milliard-City?

Cyrus Bikerstaff, en même temps que gouverneur de l’île, est le maire de la capitale. Comme tel, il occupe l’hôtel de ville élevé à l’extrémité de la Unième Avenue, à l’opposé de l’observatoire, où réside le commodore Ethel Simcoë. Là sont établis ses bureaux, là sont reçus tous les actes de l’état civil, naissances, avec une moyenne de natalité suffisante pour assurer l’avenir, décès, – les morts sont transportés au cimetière delà baie Madeleine, – mariages qui doivent être célébrés civilement avant de l’être religieusement, suivant le code de Standard-Island. Là fonctionnent les divers services de l’administration, et ils ne donnent jamais lieu à aucune plainte des administrés. Cela fait honneur au maire et à ses agents. Lorsque Sébastien Zorn, Pinchinat, Yvernès, Frascolin lui furent présentés par le surintendant, ils éprouvèrent en sa présence une très favorable impression, celle que produit l’individualité d’un homme bon et juste, d’un esprit pratique, qui ne s’abandonne ni aux préjugés ni aux chimères.

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«Messieurs, leur a-t-il dit, c’est une heureuse chance pour nous que de vous avoir. Peut-être le procédé employé par notre surintendant n’a-t-il pas été d’une correction absolue. Mais vous l’excuserez, je n’en doute pas? D’ailleurs, vous n’aurez point à vous plaindre de notre municipalité. Elle ne vous demandera que deux concerts mensuels, vous laissant libres d’accepter les invitations particulières qui pourraient vous être adressées. Elle salue en vous des musiciens de grande valeur, et n’oubliera jamais que vous aurez été les premiers artistes qu’elle aura eu l’honneur de recevoir!»

Le quatuor fut enchanté de cet accueil et ne cacha point sa satisfaction à Calistus Munbar.

«Oui! c’est un homme aimable, M. Cyrus Bikerstaff, répond le surintendant avec un léger mouvement d’épaule. Il est regrettable qu’il ne possède point un ou deux milliards…

– On n’est pas parfait!» réplique Pinchinat.

Le gouverneur-maire de Milliard-City est doublé de deux adjoints qui l’aident dans l’administration très simple de l’île à hélice. Sous leurs ordres, un petit nombre d’employés, rétribués comme il convient, sont affectés aux divers services. De conseil municipal, point. A quoi bon? Il est remplacé par le conseil des notables, – une trentaine de personnages des plus qualifiés par leur intelligence et fortune. Il se réunit lorsqu’il s’agit de quelque importante mesure à prendre – entre autres, le tracé de l’itinéraire qui doit être suivi dans l’intérêt de l’hygiène générale. Ainsi que nos Parisiens pouvaient le voir, il y a là, quelquefois, matière à discussion, et difficultés pour se mettre n’accord. Mais jusqu’ici, grâce à son intervention habile et sage, Cyrus Bikerstaff a toujours pu concilier les intérêts opposés, ménager les amours-propres de ses administrés.

Il est entendu que l’un des adjoints est protestant, Barthélémy Ruge, l’autre catholique, Hubley Harcourt, tous deux choisis parmi les hauts fonctionnaires de la Standard-Island Company, et ils secondent avec zèle Cyrus Bikerstaff.

Ainsi se comporte, depuis dix-huit mois déjà, dans la plénitude de son indépendance, en dehors même de toutes relations diplomatiques, libre sur cette vaste mer du Pacifique, à l’abri des intempéries désobligeantes, sous le ciel de son choix, l’île sur laquelle le quatuor va résider une année entière. Qu’il y soit exposé à certaines aventures, que l’avenir lui réserve quelque imprévu, il ne saurait ni l’imaginer ni le craindre, quoi qu’en dise le violoncelliste, tout étant réglé, tout se faisant avec ordre et régularité. Et pourtant, en créant ce domaine artificiel, lancé à la surface d’un vaste océan, le génie humain n’a-t-il pas dépassé les limites assignées à l’homme par le Créateur?…

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La navigation continue vers l’ouest. Chaque jour, au moment où le soleil franchit le méridien, le point est établi par les officiers de l’observatoire placés sous les ordres du commodore Ethel Simcoë. Un quadruple cadran, disposé aux faces latérales du beffroi de l’hôtel de ville, donne la position exacte en longitude et en latitude, et ces indications sont reproduites télégraphiquement au coin des divers carrefours, dans les hôtels, dans les édifices publics, à l’intérieur des habitations particulières, en même temps que l’heure qui varie suivant le déplacement vers l’ouest ou vers l’est. Les Milliardais peuvent donc à chaque instant savoir quel endroit Standard-Island occupe sur l’itinéraire.

A part ce déplacement insensible à la surface de cet Océan, Milliard-City n’offre aucune différence avec les grandes capitales de l’ancien et du nouveau continent. L’existence y est identique. Même fonctionnement de la vie publique et privée. Peu occupés, en somme, nos instrumentistes emploient leurs premiers loisirs à visiter tout ce que renferme de curieux le Joyau du Pacifique. Les trams les transportent vers tous les points de l’île. Les deux fabriques d’énergie électrique excitent chez eux une réelle admiration par l’ordonnance si simple de leur outillage, la puissance de leurs engins actionnant un double chapelet d’hélices, l’admirable discipline de leur personnel, l’une dirigée par l’ingénieur Watson, l’autre par l’ingénieur Somwah. A des intervalles réguliers, Bâbord-Harbour et Tribord-Harbour reçoivent dans leurs bassins les steamers affectés au service de Standard-Island, suivant que sa position présente plus de facilité pour l’atterrissage.

Si l’obstiné Sébastien Zorn se refuse à admirer ces merveilles, si Frascolin est plus modéré dans ses sentiments, en quel état de ravissement vit sans cesse l’enthousiaste Yvernès! A son opinion, le vingtième siècle ne s’écoulera pas sans que les mers soient sillonnées de villes flottantes. Ce doit être le dernier mot du progrès et du confort dans l’avenir. Quel spectacle superbe que celui de cette île mouvante, allant visiter ses sœurs de l’Océanie! Quant à Pinchinat, en ce milieu opulent, il se sent particulièrement grisé à n’entendre parler que de millions, comme on parle ailleurs de vingt-cinq louis. Les banknotes sont de circulation courante. On a d’habitude deux ou trois mille dollars dans sa poche. Et, plus d’une fois, Son Altesse de dire à Frascolin:

«Mon vieux, tu n’aurais pas la monnaie de cinquante mille francs sur toi?…»

Entre temps, le Quatuor Concertant a fait quelques connaissances, étant assuré de recevoir partout un excellent accueil. D’ailleurs, sur la recommandation de l’étourdissant Munbar, qui ne se fût empressé de les bien traiter?

En premier lieu, ils sont allés rendre visite à leur compatriote, Athanase Dorémus, professeur de danse, de grâces et de maintien.

Ce brave homme occupe, dans la section tribordaise, une modeste maison de la Vingt-cinquième Avenue, à trois mille dollars de loyer. Il est servi par une vieille négresse à cent dollars mensuels. Enchanté est-il d’entrer en relation avec des Français… des Français qui font honneur à la France.

C’est un vieillard de soixante-dix ans, maigriot, efflanqué, de petite taille, le regard encore vif, toutes ses dents bien à lui ainsi que son abondante chevelure frisottante, blanche comme sa barbe. Il marche posément, avec une certaine cadence rythmique, le buste en avant, les reins cambrés, les bras arrondis, les pieds un peu en dehors et irréprochablement chaussés. Nos artistes ont grand plaisir aie faire causer, et volontiers il s’y prête, car sa grâce n’a d’égale que sa loquacité.

«Que je suis heureux, mes chers compatriotes, que je suis heureux, répète-t-il vingt fois à la première visite, que je suis heureux de vous voir! Quelle excellente idée vous avez eue de venir vous fixer dans cette ville! Vous ne le regretterez pas, car je ne saurais comprendre, maintenant que j’y suis habitué, qu’il soit possible de vivre d’une autre façon!

– Et depuis combien de temps êtes-vous ici, monsieur Dorémus? demande Yvernès.

– Depuis dix-huit mois, répond le professeur, en ramenant ses pieds à la seconde position. Je suis de la fondation de Standard-Island. Grâce aux excellentes références dont je disposais à la Nouvelle-Orléans où j’étais établi, j’ai pu faire accepter mes services à M. Cyrus Bikerstaff, notre adoré gouverneur. A partir de ce jour béni, les appointements qui me furent attribués pour diriger un conservatoire de danse, de grâces et de maintien, m’ont permis d’y vivre…

– En millionnaire! s’écrie Pinchinat.

– Oh! les millionnaires ici…

– Je sais… je sais… mon cher compatriote. Mais, d’après ce que nous a laissé entendre le surintendant, les cours de votre conservatoire ne seraient pas très suivis…

– Je n’ai d’élèves qu’en ville, c’est la vérité, et uniquement des jeunes gens. Les jeunes Américaines se croient pourvues en naissant de toutes les grâces nécessaires. Aussi les jeunes gens préfèrent-ils prendre des leçons en secret, et c’est en secret que je leur inculque les belles manières françaises!»

Et il sourit en parlant, il minaude comme une vieille coquette, il se dépense en gracieuses attitudes.

Athanase Dorémus, un Picard du Santerre, a quitté la France dès sa prime jeunesse pour venir s’installer aux États-Unis, à la Nouvelle-Orléans. Là, parmi la population d’origine française de notre regrettée Louisiane, les occasions ne lui ont pas manqué d’exercer ses talents. Admis dans les principales familles, il obtint des succès et put faire quelques économies, qu’un crack des plus américains lui enleva un beau jour. C’était au moment où la Standard-Island Company lançait son affaire, multipliant ses prospectus, prodiguant ses annonces, jetant ses appels à tous ces ultra-riches auxquels les chemins de fer, les mines de pétrole, le commerce des porcs, salés ou non, avaient constitué des fortunes incalculables. Athanase Dorémus eut alors l’idée de demander un emploi au gouverneur de la nouvelle cité, où les professeurs de son espèce ne se feraient guère concurrence. Avantageusement connu de la famille Coverley, qui était originaire de la Nouvelle-Orléans, et grâce à la recommandation de son chef, lequel allait devenir l’un des notables les plus en vue des Tribordais de Milliard-City, il fut agréé, et voilà comment un Français, et même un Picard, comptait parmi les fonctionnaires de Standard-Island. Il est vrai, ses leçons ne se donnent que chez lui, et la salle de cours au casino ne voit jamais que la propre personne du professeur se réfléchir dans ses glaces. Mais qu’importé, puisque ses appointements n’en subissent aucune diminution.

En somme, un brave homme, quelque peu ridicule et maniaque, assez infatué de lui-même, persuadé qu’il possède, avec l’héritage des Vestris et des Saint-Léon, les traditions des Brummel et des lord Seymour. De plus, aux yeux du quatuor, c’est un compatriote, – qualité qui vaut toujours d’être appréciée à quelques milliers de lieues de la France.

Il faut lui narrer les dernières aventures des quatre Parisiens, lui raconter dans quelles conditions ils sont arrivés sur l’île à hélice, comme quoi Calistus Munbar les a attirés à son bord – c’est le mot, – et comme quoi le navire a levé l’ancre quelques heures après l’embarquement.

«Voilà qui ne m’étonne pas de notre surintendant, répond le vieux professeur. C’est encore un tour de sa façon… Il en a fait et en fera bien d’autres!… Un vrai fils de Barnum, qui finira par compromettre la Compagnie… un monsieur sans-gène, qui aurait bien besoin de quelques leçons de maintien… un de ces Yankees qui se carrent dans un fauteuil, les pieds sur l’appui de la fenêtre!… Pas méchant, au fond, mais se croyant tout permis!… D’ailleurs, mes chers compatriotes, ne songez point à lui en vouloir, et, sauf le désagrément d’avoir manqué le concert de San-Diégo, vous n’aurez qu’à vous féliciter de votre séjour à Milliard-City. On aura pour vous des égards… auxquels vous serez sensibles…

– Surtout à la fin de chaque trimestre!» réplique Frascolin, dont les fonctions de caissier de la troupe commencent à prendre une importance exceptionnelle.

Sur la question qui lui est posée au sujet de la rivalité entre les deux sections de l’île, Athanase Dorémus confirme le dire de Calistus Munbar. À son avis, il y aurait là un point noir à l’horizon, et même menace de prochaine bourrasque. Entre les Tribordais et les Bâbordais, on doit craindre quelque conflit d’intérêts et d’amour-propre. Les familles Tankerdon et Coverley, les plus riches de l’endroit, témoignent d’une jalousie croissante l’une envers l’autre, et peut-être se produira-t-il un éclat, si quelque combinaison ne parvient pas à les rapprocher. Oui… un éclat!…

«Pourvu que cela ne fasse pas éclater l’île, nous n’avons point à nous en inquiéter… observe Pinchinat.

– Du moins, tant que nous y serons embarqués! ajoute le violoncelliste.

– Oh!… elle est solide, mes chers compatriotes! répondit Athanase Dorémus. Depuis dix-huit mois elle se promène sur mer, et il ne lui est jamais arrivé un accident de quelque importance. Rien que 3 réparations insignifiantes, et qui ne l’obligeaient même pas d’aller relâcher à la baie Madeleine! Songez donc, c’est en tôle d’acier!»

Voilà qui répond à tout, et si la tôle d’acier ne donne pas une absolue garantie en ce monde, à quel métal se fier? L’acier, c’est du fer, et notre globe lui-même est-il autre chose en presque totalité qu’un énorme carbure? Eh bien, Standard-Island, c’est la terre en petit.

Pinchinat est alors conduit à demander ce que le professeur pense du gouverneur Cyrus Bikerstaff.

«Est-il en acier, lui aussi?

– Oui, monsieur Pinchinat, répond Athanase Dorémus. Doué d’une grande énergie, c’est un administrateur fort habile. Malheureusement, à Milliard-City, il ne suffit pas d’être en acier…

– Il faut être en or, riposte Yvernès.

– Comme vous dites, ou bien l’on ne compte pas!»

C’est le mot juste. Cyrus Bikerstaff, en dépit de sa haute situation, n’est qu’un agent de la Compagnie. Il préside aux divers actes de l’état civil, il est chargé de percevoir le produit des douanes, de veiller à l’hygiène publique, au balayage des rues, à l’entretien des plantations, de recevoir les réclamations des contribuables, – en un mot, de se faire des ennemis de la plupart de ses administrés, – mais rien de plus. A Standard-Island, il faut compter, et le professeur l’a dit: Cyrus Bikerstaff ne compte pas.

Du reste, sa fonction l’oblige à se maintenir entre les deux partis, à garder une attitude conciliante, à ne rien risquer qui puisse être agréable à l’un si cela n’est agréable à l’autre. Politique peu facile.

En effet, on commence déjà à voir poindre des idées qui pourraient bien amener un conflit entre les deux sections. Si les Tribordais ne se sont établis sur Standard-Island que dans la pensée de jouir paisiblement de leurs richesses, voilà que les Bâbordais commencent à regretter les affaires. Ils se demandent pourquoi on n’utiliserait pas l’île à hélice comme un immense bâtiment de commerce, pourquoi elle ne transporterait pas des cargaisons sur les divers comptoirs de l’Océanie, pourquoi toute industrie est bannie de Standard-Island… Bref, bien qu’ils n’y soient que depuis moins de deux ans, ces Yankees, Tankerdon en tête, se sentent repris de la nostalgie du négoce. Seulement, si, jusqu’alors, ils s’en sont tenus aux paroles, cela ne laisse pas d’inquiéter le gouverneur Cyrus Bikerstaff. Il espère, toutefois, que l’avenir ne s’envenimera pas, et que les dissensions intestines ne viendront point troubler un appareil fabriqué tout exprès pour la tranquillité de ses habitants.

En prenant congé d’Athanase Dorémus, le quatuor promet de revenir le voir. D’ordinaire, le professeur se rend dans l’après-midi au casino, où il ne se présente personne. Et là, ne voulant pas qu’on puisse l’accuser d’inexactitude, il attend, en préparant sa leçon devant les glaces inutilisées de la salle.

Cependant l’île à hélice gagne quotidiennement vers l’ouest, et un peu vers le sud-ouest, de manière à rallier l’archipel des Sandwich. Sous ces parallèles, qui confinent à la zone torride, la température est déjà élevée. Les Milliardais la supporteraient mal sans les adoucissements de la brise de mer. Heureusement, les nuits sont fraîches, et, même en pleine canicule, les arbres et les pelouses, arrosés d’une pluie artificielle, conservent leur verdeur attrayante. Chaque jour, à midi, le point, indiqué sur le cadran de l’hôtel de ville, est télégraphié aux divers quartiers. Le 17 juin, Standard-Island s’est trouvée par 155° de longitude ouest et 27° de latitude nord et s’approche du tropique.

«On dirait que c’est l’astre du jour qui la remorque, déclame Yvernès, ou, si vous voulez, plus élégamment, qu’elle a pour attelage les chevaux du divin Apollon!»

Observation aussi juste que poétique, mais que Sébastien Zorn accueille par un haussement d’épaules. Ça ne lui convenait pas de jouer ce rôle de remorqué… malgré lui.

Et puis, ne cesse-t-il de répéter, nous verrons comment finira cette aventure!»

Il est rare que le quatuor n’aille pas chaque jour faire son tour de parc, à l’heure où les promeneurs abondent. A cheval, à pied, en voiture, tout ce que Milliard-City compte de notables se rencontre autour des pelouses. Les mondaines y montrent leur troisième toilette quotidienne, celle-là d’une teinte unie, depuis le chapeau jusqu’aux bottines, et le plus généralement en soie des Indes, très à la mode cette année. Souvent aussi elles t’ont usage de cette soie artificielle en cellulose, qui est si chatoyante, ou même du coton factice en bois de sapin ou de larix, défibré et désagrégé.

Ce qui amène Pinchinat à dire:

«Vous verrez qu’un jour on fabriquera des tissus en bois de lierre pour les amis fidèles et en saule pleureur pour les veuves inconsolables!»

Dans tous les cas, les riches Milliardaises n’accepteraient pas ces étoffes, si elles ne venaient de Paris, ni ces toilettes, si elles n’étaient signées du roi des couturiers de la capitale, – de celui qui a proclamé hautement cet axiome: «La femme n’est qu’une question de formes».

Quelquefois, le roi et la reine de Malécarlie passent au milieu de cette gentry fringante. Le couple royal, déchu de sa souveraineté, inspire une réelle sympathie à nos artistes. Quelles réflexions leur viennent à voir ces augustes personnages, au bras l’un de l’autre!… Ils sont relativement pauvres parmi ces opulents, mais on les sent fiers et dignes, comme des philosophes dégagés des préoccupations de ce monde. Il est vrai que, au fond, les Américains de Standard-Island sont très flattés d’avoir un roi pour concitoyen, et lui continuent les égards dus à son ancienne situation. Quant au quatuor, il salue respectueusement Leurs Majestés, lorsqu’il les rencontre dans les avenues de la ville ou sur les allées du parc. Le roi et la reine se montrent sensibles à ces marques de déférence si françaises. Mais, en somme, Leurs Majestés ne comptent pas plus que Cyrus Bikerstaff, – moins peut-être.

En vérité, les voyageurs que la navigation effraie devraient adopter ce genre de traversée à bord d’une île mouvante. En ces conditions, il n’y a point à se préoccuper des éventualités de mer. Rien à redouter de ses bourrasques. Avec dix millions de chevaux-vapeur dans ses flancs, une Standard-Island ne peut jamais être retenue par les calmes, et elle est assez puissante pour lutter contre les vents contraires. Si les collisions constituent un danger, ce n’est pas pour elle. Tant pis pour les bâtiments qui se jetteraient à pleine vapeur ou à toutes voiles sur ses côtes de fer. Et encore ces rencontres sont-elles peu à craindre, grâce aux feux qui éclairent ses ports, sa proue et sa poupe, grâce aux lueurs électriques de ses lunes d’aluminium dont l’atmosphère est saturée pendant la nuit. Quant aux tempêtes, autant vaut n’en point parler. Elle est de taille à mettre un frein à la fureur des flots.

Mais, lorsque leur promenade amène Pinchinat et Frascolin jusqu’à l’avant ou à l’arrière de l’île, soit à la batterie de l’Éperon, soit à la batterie de Poupe, ils sont tous deux de cet avis que cela manque de caps, de promontoires, de pointes, d’anses, de grèves. Ce littoral n’est qu’un épaulement d’acier, maintenu par des millions de boulons et de rivets. Et combien un peintre aurait lieu de regretter ces vieux rochers, rugueux comme une peau d’éléphant, dont le ressac caresse les goémons et les varechs à la marée montante! Décidément, on rie remplace pas les beautés de la nature par les merveilles de l’industrie. Malgré son admiration permanente, Yvernès est forcé d’en convenir. L’empreinte du Créateur, c’est bien ce qui manque à cette île artificielle.

Dans la soirée du 25 juin, Standard-Island franchit le tropique du Cancer sur la limite de la zone torride du Pacifique. A cette heure-là, le quatuor se fait entendre pour la seconde fois dans la salle du casino. Observons que, le premier succès aidant, le prix des fauteuils a été augmenté d’un tiers.

Peu importe, la salle est encore trop petite. Les dilettanti s’en disputent les places. Évidemment, cette musique de chambre doit être excellente pour la santé, et personne ne se permettrait de mettre doute ses qualités thérapeutiques. Toujours des solutions de Mozart, de Beethoven, d’Haydn, suivant la formule.

Immense succès pour les exécutants, auxquels des bravos parisiens eussent certainement fait plus de plaisir. Mais, à leur défaut, Yvernès, Frascolin et Pinchinat savent se contenter des hurrahs milliardais, pour lesquels Sébastien Zorn continue à professer un dédain absolu.

«Que pourrions-nous exiger de plus, lui dit Yvernès, quand on passe le tropique…

– Le tropique du «concert»! réplique Pinchinat, qui s’enfuit sur cet abominable jeu de mot.

Et, lorsqu’ils sortent du casino, qu’aperçoivent-ils au milieu des pauvres diables qui n’ont pu mettre trois cent soixante dollars à un fauteuil?… Le roi et la reine de Malécarlie se tenant modestement à la porte.

 

 

 

 IX

L'archipel des Sandwich

 

l existe, en cette portion du Pacifique, une chaîne sous-marine dont on verrait le développement de l’ouest-nord-ouest à l’est-sud-est sur neuf cents lieues, si les abîmes de quatre mille mètres, qui la séparent des autres terres océaniennes, venaient à se vider. De cette chaîne, il n’apparaît que huit sommets: Nühau, Kaouaï, Oahu, Molokaï, Lanaï, Mauï, Kaluhani, Havaï. Ces huit îles, d’inégales grandeurs, constituent l’archipel havaïen, autrement dit le groupe des Sandwich. Ce groupe ne dépasse la zone tropicale que par le semis de roches et de récifs qui se prolonge vers l’ouest.

Laissant Sébastien Zorn bougonner dans son coin, s’enfermer dans une complète indifférence pour toutes les curiosités naturelles, comme un violoncelle dans sa boîte, Pinchinat, Yvernès, Frascolin raisonnent ainsi et n’ont pas tort.

«Ma foi, dit l’un, je ne suis pas fâché de visiter ces îles havaïennes! Puisque nous faisons tant que de courir l’océan Pacifique, le mieux est d’en rapporter au moins des souvenirs!

– J’ajoute, répond l’autre, que les naturels des Sandwich nous reposeront un peu des Pawnies, des Sioux ou autres Indiens trop civilisés du Far-West, et il ne me déplaît pas de rencontrer de véritables sauvages… des cannibales…

– Ces Havaïens le sont-ils encore?… demande le troisième.

– Espérons-le, répond sérieusement Pinchinat. Ce sont leurs grands-pères qui ont mangé le capitaine Cook, et, quand les grands-pères ont goûté à cet illustre navigateur, il n’est pas admissible que les petits-fils aient perdu le goût de la chair humaine!»

Il faut l’avouer, Son Altesse parlait trop irrévérencieusement du célèbre marin anglais qui a découvert cet archipel en 1778.

Ce qui ressort de cette conversation, c’est que nos artistes espèrent que les hasards de leur navigation vont les mettre en présence d’indigènes plus authentiques que les spécimens exhibés dans les Jardins d’Acclimatation, et, en tout cas, dans leur pays d’origine, au lieu même de production. Ils éprouvent donc une certaine impatience d’y arriver, attendant chaque jour que les vigies de l’observatoire signalent les premières hauteurs du groupe havaïen.

Cela s’est produit dans la matinée du 6 juillet. La nouvelle s’en répand aussitôt, et la pancarte du casino porte cette mention télautographiquement inscrite:

«Standard-Island en vue des îles Sandwich.»

Il est vrai, on en est encore à cinquante lieues; mais les plus hautes cimes du groupe, celles de l’île Havaï, dépassant quatre mille deux cents mètres, sont, par beau temps, visibles à cette distance.

Venant du nord-est, le commodore Ethel Simcoë s’est dirigé vers Oahu ayant pour capitale Honolulu, qui est en même temps la capitale de l’archipel. Cette île est la troisième du groupe en latitude. Nühau, qui est un vaste parc à bétail, et Kaouaï lui restent dans le nord-ouest. Oahu n’est pas la plus grande des Sandwich, puisqu’elle ne mesure que seize cent quatre-vingts kilomètres carrés, tandis que Havaï s’étend sur près de dix-sept mille. Quant aux autres îles, elles n’en comptent que trois mille huit cent-douze dans leur ensemble.

Il va de soi que les artistes parisiens, depuis le départ, ont noué des relations agréables avec les principaux fonctionnaires de Standard-Island. Tous, aussi bien le gouverneur, le commodore et le colonel Stewart que les ingénieurs en chef Watson et Somwah, se sont empressés de leur faire le plus sympathique accueil. Rendant souvent visite à l’observatoire, ils se plaisent à rester des heures sur la plate-forme de la tour. On ne s’étonnera donc pas que ce jour-là, Yvernès et Pinchinat, les ardents de la troupe, soient venus de ce côté, et, vers dix heures du matin, l’ascenseur les a hissés «en été de mât», comme dit Son Altesse.

Le commodore Ethel Simcoë s’y trouvait déjà, et, prêtant sa longue-vue aux deux amis, il leur conseille d’observer un point à l’horizon du sud-ouest entre les basses brumes du ciel.

«C’est le Mauna Loa d’Havaï, dit-il, ou c’est le Mauna Kea, deux superbes volcans, qui, en 1852 et en 1855, précipitèrent sur l’île un fleuve de lave couvrant sept cents mètres carrés, et dont les cratères, en 1880, projetèrent sept cents millions de mètres cubes de matières éruptives!

– Fameux! répond Yvernès. Pensez-vous, commodore, que nous aurons la bonne chance de voir un pareil spectacle?…

– Je l’ignore, monsieur Yvernès, répond Ethel Simcoë. Les volcans ne fonctionnent pas par ordre…

– Oh! pour cette fois seulement, et avec des protections?… ajoute Pinchinat. Si j’étais riche comme MM. Tankerdon et Coverley, je me paierais des éruptions à ma fantaisie…

– Eh bien, nous leur en parlerons, réplique le commodore en souriant, et je ne doute pas qu’ils fassent même l’impossible pour vous être agréables,»

Là-dessus, Pinchinat demande quelle est la population de l’archipel des Sandwich. Le commodore lui apprend que, si elle a pu être de deux cent mille habitants au commencement du siècle, elle se trouve actuellement réduite de moitié.

«Bon! monsieur Simcoë, cent mille sauvages, c’est encore assez, et, pour peu qu’ils soient restés de braves cannibales et qu’ils n’aient rien perdu de leur appétit, ils ne feraient qu’une bouchée de tous les Milliardais de Standard-Island!»

Ce n’est pas la première fois que l’île rallie cet archipel havaïen. L’année précédente, elle a traversé ces parages, attirée par la salubrité du climat. Et, en effet, des malades y viennent d’Amérique, en attendant que les médecins d’Europe y envoient leur clientèle humer l’air du Pacifique. Pourquoi pas? Honolulu n’est plus maintenant qu’à vingt-cinq jours de Paris, et quand il s’agit de s’imprégner les poumons d’un oxygène comme on n’en respire nulle part…

Standard-Island arrive en vue du groupe dans la matinée du 9 juillet. L’île d’Oahu se dessine à cinq milles dans le sud-ouest. Au-dessus, pointent, à l’est, le Diamond-Head, ancien volcan qui domine la rade sur l’arrière, et un autre cône nommé le Bol de Punch par les Anglais. Ainsi que l’observe le commodore, cette énorme cuvette fût-elle remplie de brandy ou de gin, John Bull ne serait pas gêné de la vider tout entière.

On passe entre Oahu et Molokaï. Standard-Island, ainsi qu’un bâtiment sous l’action de son gouvernail, évolue en combinant le jeu de ses hélices de tribord et de bâbord. Après avoir doublé le cap sud-est d’Oahu, l’appareil flottant s’arrête, vu son tirant d’eau très considérable, à dix encablures du littoral. Comme il fallait, pour conserver à l’île son évitage, la tenir à suffisante distance de terre, elle ne «mouillait» pas, dans le sens rigoureux du mot, c’est-à-dire qu’on n’employait pas les ancres, ce qui eût été impossible par des fonds de mètres et au delà. Aussi, au moyen des machines, qui manœuvrent en avant ou en arrière pendant toute la durée de son séjour, la maintient-on en place, aussi immobile que les huit principales îles de l’archipel havaïen.

Le quatuor contemple les hauteurs qui se développent devant ses yeux. Du large, on n’aperçoit que des massifs d’arbres, des bosquets d’orangers et autres magnifiques spécimens de la flore tempérée. A l’ouest, par une étroite brèche du récif, apparaît un petit lac intérieur, le lac des Perles, sorte de plaine lacustre, trouée d’anciens cratères.

L’aspect d’Oahu est assez riant, et, en vérité, ces anthropophages, si désirés de Pinchinat, n’ont point à se plaindre du théâtre de leurs exploits. Pourvu qu’ils se livrent encore à leurs instincts de cannibales, Son Altesse n’aura plus rien à désirer…

Mais voici qu’elle s’écrie tout à coup:

«Grand Dieu, qu’est-ce que je vois?…

– Que vois-tu?… demande Frascolin.»

– Là-bas… des clochers…

– Oui… et des tours… et des façades de palais!… répond Yvernès.

– Pas possible qu’on ait mangé là le capitaine Cook!…

– Nous ne sommes pas aux Sandwich! dit Sébastien Zorn, en haussant les épaules. Le commodore s’est trompé de route…

– Assurément!» réplique Pinchinat.

Non! le commodore Simcoë ne s’est point égaré. C’est bien là Oahu, et la ville, qui s’étend sur plusieurs kilomètres carrés, c’est bien Honolulu.

Allons! il faut en rabattre. Que de changements depuis l’époque où le grand navigateur anglais a découvert ce groupe! Les missionnaires ont rivalisé de dévouement et de zèle. Méthodistes, anglicans, catholiques, luttant d’influence, ont fait œuvre civilisatrice et triomphé du paganisme des anciens Kanaques. Non seulement la langue originelle tend à disparaître devant la langue anglo-saxonne, mais l’archipel renferme des Américains, des Chinois, – pour la plupart engagés au compte des propriétaires du sol, d’où est sortie une race de demi-Chinois, les Hapa-Paké, – et enfin des Portugais, grâce aux services maritimes établis entre les Sandwich et l’Europe. Des indigènes, il s’en trouve encore, cependant, et assez pour satisfaire nos quatre artistes, bien que ces naturels aient été fort décimés par la lèpre, maladie d’importation chinoise. Par exemple, ils ne présentent guère le type des mangeurs de chair humaine.

«O couleur locale, s’écrie le premier violon, quelle main t’a grattée sur la palette moderne!»

Oui! Le temps, la civilisation, le progrès, qui est une loi de nature, l’ont à peu près effacée, cette couleur. Et il faut bien le reconnaître, non sans quelque regret, lorsqu’une des chaloupes électriques de Standard-Island, dépassant la longue ligne de récifs, débarque Sébastien Zorn et ses camarades.

Entre deux estacades, se rejoignant en angle aigu, s’ouvre un port abrité des mauvais vents par un amphithéâtre de montagnes. Depuis 1794, les écueils qui le défendent contre la houle du large, se sont exhaussés d’un mètre. Néanmoins il reste encore assez d’eau pour que les bâtiments, tirant de dix-huit à vingt pieds, puissent venir s’amarrer aux quais.

«Déception!… déception!… murmure Pinchinat. Il est vraiment déplorable qu’on soit exposé à perdre tant d’illusions en voyage…

– Et l’on ferait mieux de demeurer chez soi! riposte le violoncelliste en haussant les épaules.

– Non! s’écrie Yvernès toujours enthousiaste, et quel spectacle serait comparable à celui de cette île factice venant rendre visite aux archipels océaniens?…»

Néanmoins, si l’état moral des Sandwich s’est regrettablement modifié au vif déplaisir de nos artistes, il n’en est pas de même du climat. C’est l’un des plus salubres de ces parages de l’océan Pacifique, malgré que le groupe occupe une région désignée sous le nom de Mer des Chaleurs. Si le thermomètre s’y tient à un degré élevé, lorsque les alizés du nord-est ne dominent pas, si les contre-alizés du sud engendrent de violents orages nommés kouas dans le pays, la température moyenne d’Honolulu ne dépasse pas vingt et un degrés centigrades. On aurait donc mauvaise grâce à s’en plaindre sur la limite de la zone torride. Aussi les habitants ne se plaignent-ils pas, et, ainsi que nous l’avons indiqué, les malades américains affluent-ils dans l’archipel.

Quoi qu’il en soit, à mesure que le quatuor pénètre plus avant les secrets de cet archipel, ses illusions tombent… tombent comme les feuilles millevoyennes à la fin de l’automne. Il prétend avoir été mystifié, quand il ne devrait accuser que lui-même de s’être attiré cette mystification.

«C’est ce Calistus Munbar qui nous a une fois de plus mis dedans!» affirme Pinchinat, en rappelant que le surintendant leur a dit des Sandwich qu’elles étaient le dernier rempart de la sauvagerie indigène dans le Pacifique.

Et, lorsqu’ils lui en font des reproches amers:

«Que voulez-vous, mes chers amis? répond-il en clignant de l’œil droit. C’est tellement changé depuis mon dernier voyage que je ne m’y reconnais plus!

– Farceur!» riposte Pinchinat, en gratifiant d’une bonne tape le gaster du surintendant.

Ce qu’on peut tenir pour certain, c’est que si des changements se sont produits, cela s’est fait dans des conditions de rapidité extraordinaires. Naguère, les Sandwich jouissaient d’une monarchie constitutionnelle, fondée en 1837, avec deux chambres, celle des nobles et celle des députés. La première était nommée par les seuls propriétaires du sol, la seconde par tous les citoyens sachant lire et écrire, les nobles pour six ans, les députés pour deux ans. Chaque chambre se composait de vingt-quatre membres, qui délibéraient en commun devant le ministère royal, formé de quatre conseillers du roi.

«Ainsi, dit Yvernès, il y avait un roi, un roi constitutionnel, au lieu d’un singe à plumes, et auquel les étrangers venaient présenter leurs humbles hommages!…

– Je suis sûr, affirme Pinchinat, que cette Majesté-là n’avait même pas d’anneaux dans le nez… et qu’elle se fournissait de fausses dents chez les meilleurs dentistes du nouveau monde!

– Ah! civilisation… civilisation! répète le premier violon. Ils n’avaient pas besoin de râtelier, ces Kanaques, lorsqu’ils mordaient à même leurs prisonniers de guerre!»

Que l’on pardonne à ces fantaisistes cette façon d’envisager les choses! Oui! il y a eu un roi à Honolulu, ou, du moins, il y avait une reine, Liliuokalani, aujourd’hui détrônée, qui a lutté pour les droits de son fils, le prince Adey, contre les prétentions d’une certaine princesse Kaiulani au trône d’Havaï. Bref, pendant longtemps, l’archipel a été dans une période révolutionnaire, tout comme ces bons États de l’Amérique ou de l’Europe, auxquels il ressemble même sous ce rapport. Cela pouvait-il amener l’intervention efficace de l’armée havaïenne, et ouvrir l’ère funeste des pronunciamientos? Non, sans doute, puisque ladite armée ne se compose que de deux cent cinquante conscrits et de deux cent cinquante volontaires. On ne renverse pas un régime avec cinq cents hommes, – du moins, au milieu des parages du Pacifique.

Mais les Anglais étaient là, qui veillaient. La princesse Kaiulani possédait les sympathies de l’Angleterre, paraît-il. D’autre part, le gouvernement japonais était prêt à prendre le protectorat des îles, et comptait des partisans parmi les coolies qui sont employés en grand nombre sur les plantations…

Eh bien, et les Américains, dira-t-on? C’est même la question que Frascolin pose à Calistus Munbar au sujet d’une intervention tout indiquée.

«Les Américains? répond le surintendant, ils ne tiennent guère à ce protectorat. Pourvu qu’ils aient aux Sandwich une station maritime réservée à leurs paquebots des lignes du Pacifique, ils se déclareront satisfaits.»

Et pourtant, en 1875, le roi Kaméhaméha, qui était allé rendre visite au président Grant à Washington, avait placé l’archipel sous l’égide des États-Unis. Mais, dix-sept ans plus tard, lorsque M. Cleveland prit la résolution de restaurer la reine Liliuokalani, alors que le régime républicain était établi aux Sandwich, sous la présidence de M. Sanford Dole, il y eut des protestations violentes dans les deux pays.

Rien, d’ailleurs, ne pouvait empêcher ce qui est écrit sans doute au livre de la destinée des peuples, qu’ils soient d’origine ancienne ou moderne, et l’archipel havaïen est en république depuis le 4 juillet 1894, sous la présidence de M. Dole.

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Standard-Island s’est mise en relâche pour une dizaine de jours. Aussi nombre d’habitants en profitent-ils pour explorer Honolulu et les environs. Les familles Coverley et Tankerdon, les principaux notables de Milliard-City, se font quotidiennement transporter au port. D’autre part, bien que ce soit la seconde apparition de l’île à hélice sur ces parages des Havaï, l’admiration des Havaïens est sans bornes, et c’est en foule qu’ils viennent visiter cette merveille. Il est vrai, la police de Cyrus Bikerstaff, difficile pour l’admission des étrangers, s’assure, le soir venu, que les visiteurs s’en retournent à l’heure réglementaire. Grâce à ces mesures de sécurité, il serait malaisé à un intrus de demeurer sur le Joyau du Pacifique sans une autorisation qui ne s’obtient pas aisément. Enfin, il n’y a que de bons rapports de part et d’autre, mais on ne se livre point à des réceptions officielles entre les deux îles.

Le quatuor s’offre quelques promenades très intéressantes. Les indigènes plaisent à nos Parisiens. Leur type est accentué, leur teint brun, leur physionomie à la fois douce et empreinte de fierté. Et quoique les Havaïens soient en république, peut-être regrettent-ils leur sauvage indépendance de jadis.

«L’air de notre pays est libre,» dit un de leurs proverbes, et eux ne le sont plus.

Et, en effet, après la conquête de l’archipel par Kaméhaméha, après la monarchie représentative établie en 1837, chaque île fut administrée par un gouverneur particulier. A l’heure actuelle, sous le régime républicain, elles sont encore divisées en arrondissements et sous-arrondissements.

«Allons, dit Pinchinat, il n’y manque plus que des préfets, des sous-préfets et des conseillers de préfecture, avec la constitution de l’an VIII!

– Je demande à m’en aller!» réplique Sébastien Zorn.

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Il aurait eu tort de le faire, sans avoir admiré les principaux sites d’Oahu. Ils sont superbes, si la flore n’y est pas riche. Sur la zone littorale abondent les cocotiers et autres palmiers, les arbres à pain, les aleurites trilobas, qui donnent de l’huile, les ricins, les daturas, les indigotiers. Dans les vallées, arrosées par les eaux des montagnes, tapissées de cette herbe envahissante nommée menervia, nombre d’arbustes deviennent arborescents, des chenopodium, des halapepe, sortes d’aspariginées gigantesques. La zone forestière, prolongée jusqu’à l’altitude de deux mille mètres, est couverte d’essences ligneuses, myrtacées de haute venue, rumex colossaux, tiges-lianes qui s’entremêlent comme un fouillis de serpents aux multiples ramures. Quant aux récoltes du sol, qui fournissent un élément de commerce et d’exportation, ce sont le riz, la noix de coco, la canne à sucre. Il se fait donc un cabotage important d’une île à l’autre, de manière à concentrer vers Honolulu les produits qui sont ensuite expédiés en Amérique.

En ce qui concerne la faune, peu de variété. Si les Kanaques tendent à s’absorber dans les races plus intelligentes, les espèces animales ne tendent point à se modifier. Uniquement des cochons, des poules, des chèvres, pour bêtes domestiques; point de fauves, si ce n’est quelques couples de sangliers sauvages; des moustiques dont on ne se débarrasse pas aisément; des scorpions nombreux, et divers échantillons de lézards inoffensifs; des oiseaux qui ne chantent jamais, entre autres l’oo, le drepanis pacifica au plumage noir, agrémenté de ces plumes jaunes dont était formé le fameux manteau de Kaméhaméha, et auquel avaient travaillé neuf générations d’indigènes.

En cet archipel, la part de l’homme, – et elle est considérable, – est de l’avoir civilisé, à l’imitation des États-Unis, avec ses sociétés savantes, ses écoles d’instruction obligatoire qui furent primées à l’Exposition de 1878, ses riches bibliothèques, ses journaux publiés en langue anglaise et kanaque. Nos Parisiens ne pouvaient en être surpris, puisque les notables de l’archipel sont Américains en majorité, et que leur langue est courante comme leur monnaie. Seulement, ces notables attirent volontiers à leur service des Chinois du Céleste Empire, contrairement à ce qui se fait dans l’Ouest-Amérique pour combattre ce fléau auquel on donne le nom significatif de «peste jaune».

Il va de soi qsue depuis l’arrivée de Standard-Island en vue de la capitale d’Oahu, les embarcations du port, chargées des amateurs, en font souvent le tour. Avec ce temps magnifique, cette mer si calme, rien d’agréable comme une excursion d’une vingtaine de kilomètres à une encablure de ce littoral d’acier, sur lequel les agents de la douane exercent une si sévère surveillance.

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Parmi ces excursionnistes, on aurait pu remarquer un léger bâtiment, qui, chaque jour, s’obstine à naviguer dans les eaux de l’île à hélice. C’est une sorte de ketch malais, à deux mâts, à poupe carrée, monté par une dizaine d’hommes, sous les ordres d’un capitaine de figure énergique. Le gouverneur, cependant, n’en prend point ombrage, bien que cette persistance eût pu paraître suspecte. Ces gens, en effet, ne cessent d’observer l’île sur tout son périmètre, rôdant d’un port à l’autre, examinant la disposition de son littoral. Après tout, en admettant qu’ils eussent des intentions malveillantes, que pourrait entreprendre cet équipage contre une population de dix mille habitants? Aussi ne s’inquiète-t-on point des allures de ce ketch, soit qu’il évolue pendant le jour, soit qu’il passe les nuits à la mer. L’administration maritime d’Honolulu n’est donc pas interpellée à son sujet.

Le quatuor fait ses adieux à l’île d’Oahu dans la matinée du 10 juillet. Standard-Island appareille dès l’aube, obéissant à l’impulsion de ses puissants propulseurs. Après avoir viré sur place, elle prend direction vers le sud-ouest, de manière à venir en vue des autres îles havaïennes. Il lui faut alors prendre de biais le courant équatorial qui porte de l’est à l’ouest, – inversement à celui dont l’archipel est longé vers le nord.

Pour l’agrément de ceux de ses habitants qui se sont rendus sur le littoral de bâbord, Standard-Island s’engage hardiment entre les îles Molokaï et Kaouaï. Au-dessus de cette dernière, l’une des plus petites du groupe, se dresse un volcan de dix-huit cents mètres, le Nirhau, qui projette quelques vapeurs fuligineuses. Au pied s’arrondissent des berges de formation coralligène, dominées par une rangée de dunes, dont les échos se répercutent avec une sonorité métallique, quand elles sont violemment battues du ressac. La nuit est venue, l’appareil se trouve encore en cet étroit canal, mais il n’a rien à craindre sous la main du commodore Simcoë. A l’heure où le soleil disparaît derrière les hauteurs de Lanaï, les vigies n’auraient pu apercevoir le ketch, qui, après avoir quitté le port à la suite de Standard-Island, cherchait à se maintenir dans ses eaux. D’ailleurs, on le répète, pourquoi se serait-on préoccupé de la présence de cette embarcation malaise?

Le lendemain, quand le jour reparut, le ketch n’était plus qu’un point blanc à l’horizon du nord.

Pendant cette journée, la navigation se poursuit entre Kaluhani et Mauï. Grâce à son étendue, cette dernière, avec Lahaina pour capitale, port réservé aux baleiniers, occupe le second rang dans l’archipel des Sandwich. Le Haleahala, la Maison du Soleil, y pointe à trois mille mètres vers l’astre radieux.

Les deux journées suivantes sont employées à longer les côtes de la grande Havaï, dont les montagnes, ainsi que nous l’avons dit, sont les plus hautes du groupe. C’est dans la baie Kealakeacua, que le capitaine Cook, d’abord reçu comme un dieu par les indigènes, fut massacré en 1779, un an après avoir découvert cet archipel auquel il avait donné le nom de Sandwich, en l’honneur du célèbre ministre de la Grande-Bretagne. Hilo, le chef-lieu de l’île, qui est sur la côte orientale, ne se montre pas; mais on entrevoit Kailu, située sur la côte occidentale. Cette grande Havaï possède cinquante-sept kilomètres de chemin de fer, qui servent principalement au transport des denrées, et le quatuor peut apercevoir le panache blanc de ses locomotives…

«Il ne manquait plus que cela!» s’écrie Yvernès.

Le lendemain, le Joyau du Pacifique a quitté ces parages, alors que le ketch double l’extrême pointe d’Havaï, dominée par le Mauna-Loa, la Grande Montagne, dont la cime se perd à quatre mille mètres entre les nuages.

«Volés, dit alors Pinchinat, nous sommes volés!

– Tu as raison, répond Yvernès, il aurait fallu venir cent ans plus tôt. Mais alors nous n’aurions pas navigué sur cette admirable île à hélice!

– N’importe! Avoir trouvé des indigènes à vestons et à cols rabattus au lieu des sauvages à plumes que nous avait annoncés ce roublard de Calistus, que Dieu confonde! Je regrette le temps du capitaine Cook!

– Et si ces cannibales avaient mangé Ton Altesse?… fait observer Frascolin.

– Eh bien… j’aurais eu cette consolation d’avoir été… une fois dans ma vie… aimé pour moi-même!»

 

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