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Jules Verne

 

SECONDE PATRIE

 

(Chapitre XIII-XV)

 

 

illustrations par George Roux

Collection Hetzel

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XIII

Au sortir de la vallée de Grünthal. – La région des plaines. – La région 
des forêts. – Encore les singes. – Au pied de la chaîne. – La nuit à l’intérieur d’une grotte. – La première et la deuxième zone de la montagne. – A la base 
du cône.

 

e voyage à pied est par excellence le voyage du touriste. Il permet de tout voir, il autorise les détours, il justifie les haltes, il permet les retards. Le piéton se contente de sentiers, lorsqu’il n’y a plus de route. Il peut cheminer à sa fantaisie, passer là où ne passeraient ni le plus léger véhicule ni la monture la mieux dressée, franchir les talus et s’élever jusqu’à la cime des montagnes.

Aussi M. Wolston et les deux jeunes gens n’avaient-ils pas hésité, au risque d’avoir à supporter d’extrêmes fatigues, à se lancer pédestrement au milieu de ces contrées inconnues de l’intérieur, surtout en prévision de l’ascension projetée au sommet de la chaîne.

Le projet, on le sait, ne devait comprendre qu’un parcours de sept à huit lieues, à la condition d’atteindre en ligne droite la base des montagnes. Il ne s’agissait donc pas d’un long voyage; mais il allait s’effectuer à travers une contrée nouvelle, qui réservait peut-être d’importantes et utiles découvertes aux trois excursionnistes.

Le plus surexcité, on ne s’étonnera pas que ce fût Jack. Avec son tempérament aventureux, s’il ne s’était pas embarqué sur la Licorne pour ces pays d’Europe qu’il avait quittés tout enfant, c’est qu’il comptait bien se dédommager un jour, lorsque la situation de sa famille serait définitivement assurée. En attendant, quelle satisfaction pour lui de dépasser les limites de la Terre-Promise, de parcourir ces vastes plaines dont il ne connaissait rien au delà du défilé de Cluse et de la vallée de Grünthal! Par bonheur, il n’avait entre les jambes ni l’onagre Leichtfus, ni le taureau Brummer, ni son autruche Brausewind et n’avait emmené que son chien Falb. Aussi M. Wolston serait-il plus à même de contenir sa fougue habituelle.

Et d’abord, au sortir du défilé, tous trois se dirigèrent vers la petite hauteur qui portait le nom de Tour Arabe en souvenir de cette bande d’autruches dans laquelle M. Zermatt et ses enfants avaient cru voir une bande de Bédouins à cheval, lors de leur première visite à la vallée de Grünthal. A partir de cette tour, ils se rabattirent vers la grotte des Ours, où il s’en était fallu de peu, quelques années auparavant, qu’Ernest ne fût étouffé dans l’embrassement de l’un de ces trop étreignants plantigrades!

D’ailleurs il n’y eut pas à remonter le cours de la rivière Orientale, qui descendait du sud à l’ouest. Prendre cette direction c’eût été allonger l’itinéraire, puisque les pentes de la chaîne se dessinaient vers le sud.

Et à ce propos Ernest de dire:

«Ce qui n’est pas à faire avec la rivière Orientale l’aurait été avec la rivière Montrose… Certainement, nous aurions eu plus court à suivre l’une ou l’autre de ses rives…

– Et je me demande, ajouta Jack, pourquoi la pinasse ne nous a pas conduits à son embouchure?… De là, le canot eût navigué jusqu’au barrage, c’est-à-dire à cinq ou six lieues au plus de la chaîne…

– Rien n’aurait été plus aisé, mon cher Jack, répondit M. Wolston. Mais cette aride contrée que traverse la Montrose ne présente aucun intérêt. Mieux vaut donc parcourir la région comprise entre la baie du Salut et les montagnes.»

Le cheminement continua en descendant la vallée de Grünthal qui s’étendait sur une longueur de deux lieues environ, parallèlement à la barrière limitative de la Terre-Promise. Large de mille toises, cette vallée renfermait des massifs de bois, des bouquets isolés, des prairies étagées sur ses talus. Elle livrait aussi passage à un cours d’eau qui murmurait sous les roseaux, et devait se jeter soit dans la rivière Orientale, soit dans la baie des Nautiles.

Il tardait à M. Wolston et aux deux frères d’avoir atteint l’extrémité de la vallée de Grünthal, afin de prendre un premier aperçu de la contrée qui se développait au sud. Autant qu’il le pouvait, Ernest relevait l’orientation au moyen de sa boussole de poche et la notait en même temps que les distances parcourues.

Vers midi, on fit halte à l’ombre d’un groupe de goyaviers, non loin de champs où les euphorbes poussaient en abondance. Plusieurs couples de perdrix, que Jack avait abattues chemin faisant, furent plumées, vidées, rôties à la flamme, et composèrent le menu de ce déjeuner avec des gâteaux de cassave. Le rio fournit une eau limpide, à laquelle on mêla quelques gouttes de l’eau-de-vie des gourdes, et les goyaves, en pleine maturité, figurèrent avantageusement au dessert.

Repus et reposés, les trois excursionnistes se remirent aussitôt en route. L’extrémité de la vallée s’engageait entre deux hauts parements rocheux. A travers cette gorge plus resserrée, le ruisseau se transformait en torrent, et le débouché apparut.

Un pays presque plat, qui offrait toute la luxuriante fertilité des zones tropicales, se développait jusqu’aux premières assises de la chaîne, – pays verdoyant. Quelle différence avec les territoires arrosés par le cours supérieur de la Montrose! A une lieue en direction du sud-est roulait un ruban liquide, qui resplendissait sous le soleil, et, vraisemblablement, affluait au lit de la Montrose.

Vers le sud, en gagnant la base des montagnes, sur un espace de six à sept lieues, se succédaient les plaines et les futaies. La marche fut souvent embarrassée. Le sol était hérissé d’herbes hautes de cinq à six pieds, de grands roseaux à panaches épineux, et aussi de cannes à sucre que la brise balançait à perte de vue. Nul doute qu’il n’y eût possibilité d’exploiter fructueusement ces productions naturelles qui, à cette époque, formaient la principale richesse des colonies d’outre-mer.

Lorsque M. Wolston et les deux jeunes gens eurent quatre heures de marche dans les jambes:

«Je propose de faire halte, dit Ernest.

– Déjà?… s’écria Jack, qui pas plus que son chien Falb ne demandait à se reposer.

– Je suis de l’avis d’Ernest, déclara M. Wolston. Cet endroit me paraît convenable, et nous pourrons passer la nuit sur la lisière de ce petit bois de micocouliers.

– Va pour le campement, répondit Jack, et aussi pour le dîner, car j’ai l’estomac creux…

– Faudra-t-il allumer un feu et l’entretenir jusqu’au jour?… demanda Ernest.

– Ce sera prudent, déclara Jack, et c’est encore le meilleur moyen d’écarter les fauves.

– Sans doute, répondit M. Wolston, mais il serait nécessaire de veiller à tour de rôle, et je crois qu’il vaut mieux dormir… Nous n’avons rien à craindre, il me semble…

– Non, déclara Ernest, je n’ai relevé aucune trace suspecte, et pas un hurlement ne s’est fait entendre depuis que nous avons quitté la vallée de Grünthal. Autant vaut s’épargner la fatigue de veiller l’un après l’autre…»

Jack n’insista pas, et les excursionnistes se mirent en mesure d’apaiser leur faim.

La nuit promettait d’être magnifique, – une de ces nuits où la nature s’endort paisible, et dont aucun souffle ne trouble la tranquillité. Pas une feuille ne remuait aux arbres, pas un craquement n’interrompait le silence de la plaine. Le chien ne donnait point signe d’inquiétude. Du lointain il ne venait pas même un seul de ces rauques aboiements de chacals, bien que ces carnassiers fussent si nombreux sur l’île. Au total, ce ne serait point faire acte d’imprudence que de s’endormir à la belle étoile. M. Wolston et les deux frères dînèrent du reste du déjeuner, de quelques œufs de petites tortues découverts par Ernest et durcis sous la cendre, auxquels ils ajoutèrent les noix fraîches de ces pins pignons qui abondaient dans le voisinage, et dont l’amande a le goût de la noisette.

Le premier à fermer les yeux fut Jack, par cette raison qu’il était le plus fatigué de tous. En effet, il n’avait cessé de battre les halliers et les buissons, souvent même à de telles distances, que M. Wolston s’était vu maintes fois contraint de le rappeler à l’ordre. Mais, ayant été le premier à s’endormir, il fut aussi le premier à s’éveiller dès le lever du jour.

Aussitôt, M. Wolston et les deux frères se remirent en route. Une heure après, ils durent traverser à gué un petit cours d’eau, qui se jetait peut-être deux ou trois lieues plus loin dans le lit de la rivière Montrose. Du moins, étant donnée sa direction vers le sud-est, Ernest le pensait-il.

Toujours de spacieuses prairies, de vastes plantations de cannes à sucre, puis dans les parties humides du sol, maint bouquet de ces arbres à cire, dont une tige porte les fleurs et l’autre les fruits. Enfin apparurent des futaies épaisses au lieu de ces arbres qui poussaient isolément sur les flancs de la vallée de Grünthal, cannelliers, palmiers de diverses sortes, figuiers, manguiers, et aussi nombre de ceux qui ne produisent pas de fruits comestibles, sapins, chênes verts, chênes maritimes, tous de venue superbe. Sauf aux quelques places où se montraient les arbres à cire, cette région n’offrait aucun terrain marécageux. Du reste, le sol ne cessait de remonter, – ce qui enlevait à Jack tout espoir de rencontrer des bandes d’oiseaux aquatiques. Il devrait se contenter du gibier de plaine et de bois.

Entre-temps, M. Wolston crut bon de faire cette observation à son jeune compagnon:

«Il est évident, mon cher Jack, que nous ne serons pas très à plaindre pour en être réduits aux poules sultanes, aux perdrix, aux cailles, aux outardes, aux coqs de bruyère, sans compter les antilopes, les cabiais et les agoutis. Mais il me paraît sage de ne s’approvisionner qu’au moment de faire halte afin de ne point trop alourdir nos gibecières.

– Vous avez raison, monsieur Wolston, répondit l’enragé chasseur. Pourtant, il est bien difficile de résister, et quand une pièce de gibier passe à bonne portée de fusil…»

En fin de compte, Jack suivit le conseil de M. Wolston. Ce fut seulement à onze heures que plusieurs détonations donnèrent l’assurance que le menu du premier repas venait de se compléter. Sans doute, ceux qui aiment la viande un peu faisandée ne se fussent point accommodés de ces deux coqs et de ces trois bécasses que Falb venait de ramasser au milieu des broussailles. Il est vrai, à la Nouvelle-Suisse on n’en était pas arrivé à cette dégénérescence du goût, et on ne laisserait rien de ces pièces qui furent rôties devant un feu de bois sec. Quant au chien, il se régala des carcasses qui lui furent généreusement abandonnées.

Toutefois, l’après-midi, quelques décharges ne parurent pas inutiles, lorsqu’il fallut tenir à l’écart certains animaux redoutables tout au moins par leur supériorité numérique. Il y eut lieu de faire parler les trois fusils afin de mettre en fuite une bande de chats sauvages, de cette espèce déjà signalée sur les limites de la Terre-Promise, lors de la première excursion à la vallée de Grünthal. La bande décampa avec nombre de blessés, poussant des cris atroces qui tenaient à la fois du miaulement et du hurlement. Peut-être conviendrait-il de se garder soigneusement contre leurs attaques à la prochaine halte de nuit.

Au surplus, sans parler du gibier de plume, si ces territoires abondaient en oiseaux, perroquets, perruches, aras d’un rouge éclatant, toucas minuscules aux ailes vertes rehaussées d’or, grands geais bleus de Virginie, flamants de haute taille, ils étaient en outre fréquentés par les antilopes, les élans, les couguars, les onagres, les buffles. Du plus loin qu’elles sentaient la présence de l’homme, ces bêtes détalaient avec une incroyable rapidité et il eût été impossible de les rejoindre.

Jusqu’alors, à monter toujours du côté de la chaîne, le pays n’avait rien perdu de sa fertilité, comparable à celle du district de la partie septentrionale de l’île. M. Wolston, Ernest et Jack ne devaient pas tarder à rencontrer une zone très boisée. En approchant de la base des montagnes, on distinguait une successions de hautes futaies qui paraissaient fort épaisses. Donc, le lendemain, il fallait s’attendre aux fatigues d’un chemin plus difficile.

Ce soir-là, les affamés se régalèrent de gelinottes, dont chacun avait tiré sa part au milieu d’une compagnie que Falb fit lever entre le fouillis des hautes herbes. Le campement fut établi sur la lisière d’une superbe forêt de sagoutiers, arrosée par un petit cours d’eau dont la déclivité du sol faisait un torrent, en l’envoyant vers le sud-ouest.

M. Wolston, cette fois, voulut organiser une active surveillance aux abords du campement. Il y avait lieu de les protéger par un feu qui serait entretenu jusqu’à l’aube. De là, nécessité de se relayer auprès de ce foyer pendant la nuit qui fut troublée par des hurlements à courte distance.

Le lendemain, le départ se fit dès la première heure. Encore trois lieues et le pied des montagnes serait atteint – peut-être même dans la seconde étape de cette journée, si aucun obstacle ne venait retarder la marche. En supposant que les flancs de la chaîne fussent praticables sur son revers septentrional, l’ascension n’exigerait que les premières heures de la matinée suivante.

Quelle différence présentait maintenant cette région avec celle qui apparaissait au sortir de la vallée de Grünthal! Des bois s’étageaient à droite et à gauche. Presque uniquement formés de ces essences résineuses qui se plaisent à la surface des zones élevées, ils étaient arrosés par des rios tapageurs qui coulaient vers l’est. Tributaires ou sous-tributaires de la Montrose, ces rios ne tarderaient pas à s’assécher avec les chaleurs estivales, et on pouvait déjà les franchir en ne se mouillant qu’à mi-jambe.

Au cours de la matinée, M. Wolston crut plus pratique de contourner quelques-uns de ces bois entre lesquels s’étendaient de petites plaines. Si le parcours s’allongeait un peu, du moins le cheminement n’était pas retardé comme il l’eût été à travers ces futaies hérissées de broussailles et de lianes.

L’excursion se poursuivit de la sorte jusqu’à onze heures. Halte fut faite alors autant pour le repos que pour le repas, après cette étape assez fatigante.

Le gibier n’avait pas manqué depuis le départ. Jack venait même d’abattre une jeune antilope, dont il rapporta les meilleurs morceaux, et les gibecières reçurent ce qui en restait pour le dîner du soir.

On eut à se féliciter d’avoir pris cette précaution, car, pendant l’après-midi, le poil et la plume firent entièrement défaut. Or, si adroit chasseur que l’on soit, encore est-il nécessaire que l’occasion s’offre de tirer quelques coups de fusil à bonne portée.

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Cette halte de la méridienne se passa au pied d’un énorme pin maritime près duquel Ernest alluma un feu de bois mort. Et, tandis que rôtissait un quartier d’antilope sous l’œil vigilant de Jack, son frère et M. Wolston s’éloignèrent de plusieurs centaines de pas, afin d’examiner la contrée.

«Si cette région forestière s’étend jusqu’à la chaîne, dit Ernest, il est probable qu’elle en couvre les premières pentes. C’est, du moins, ce que j’ai cru reconnaître ce matin, lorsque nous avons quitté notre campement.

– Dans ce cas, répondit M. Wolston, il faudra se résigner à traverser ces futaies… On ne pourrait les contourner sans allonger considérablement la route et peut-être même faudrait-il s’avancer jusqu’au littoral de l’est…

– Et ce littoral, monsieur Wolston, en admettant que mon estime soit exacte, dit Ernest, doit se trouver à une dizaine de lieues… Je parle de cette partie de la côte où nous a conduits la Pinasse à l’embouchure de la Montrose… Oui! une dizaine de lieues…

– S’il en est ainsi, mon cher Ernest, nous ne pouvons songer à gagner les montagnes par l’est. Quant à l’ouest…

– C’est l’inconnu, monsieur Wolston, et, d’ailleurs, lorsque des hauteurs de Grünthal on observe la chaîne, elle paraît s’étendre à perte de vue du côté du couchant…

– Donc, puisque nous n’avons pas le choix, déclara M. Wolston, risquons-nous à travers cette forêt, et frayons-nous un passage jusqu’à son extrême lisière. S’il est impossible de l’atteindre en un jour, nous en mettrons deux… nous en mettrons trois… mais arrivons au but.»

Les deux frères partageaient l’avis de M. Wolston, étant aussi résolus que lui à pousser l’exploration jusqu’aux montagnes; il n’y eut aucune discussion à ce sujet.

La chair d’antilope, grillée à point sur des braises, quelques gâteaux de manioc, une demi-douzaine des fruits cueillis aux arbres voisins, bananes, goyaves, pommes de cannellier, tel fut le menu de ce repas, lequel ne nécessita qu’une heure de halte. Puis, armes et gibecières replacées sur l’épaule et sur le dos, en se dirigeant au moyen de la boussole, M. Wolston, Ernest et Jack s’engagèrent sous le couvert de la forêt.

En réalité, entre ces sapins aux troncs droits et espacés, le sol assez uni, tapissé d’une herbe ou plutôt d’une sorte de mousse rare, peu fourni de ronces ou de broussailles, se prêtait mieux à la marche. Il n’en eût pas été de même dans les autres forêts aux essences enchevêtrées de parasites et rattachées les unes aux autres par des lianes. En cette vaste sapinière comme en toutes ses pareilles, la circulation ne rencontrait pas de sérieux obstacles. Sans doute, on n’y pouvait suivre aucun sentier frayé, même par le pied des animaux; mais, tout en obligeant à faire quelques crochets, les arbres laissaient un libre passage.

En somme, si aucun cours d’eau infranchissable – un torrent, par exemple – ne venait barrer la route, il n’y aurait pas lieu de se plaindre. M. Wolston, Ernest et Jack cheminaient sous l’abri d’un impénétrable plafond de verdure, bien qu’il fût verticalement frappé des rayons du soleil. Grand avantage, on en conviendra, pour de simples piétons, que revivifiaient d’autre part les pénétrantes senteurs de la forêt.

Si le gibier était devenu rare, Jack, M. Wolston et même Ernest n’en furent pas moins contraints à faire le coup de feu pendant cette étape. Il ne s’agissait pas de ces carnassiers, lions, tigres, panthères, couguars, déjà rencontrés à proximité de la Terre-Promise ou dans les territoires limitrophes de la baie des Perles. Mais quelle engeance aussi nombreuse que malfaisante!

«Ah! les gueux!… s’écria Jack. On dirait qu’ils se sont tous réfugiés dans cette forêt depuis qu’on les a chassés des bois de Waldegg et de Zuckertop!…»

Et, après avoir reçu en pleine poitrine plusieurs pommes de pin lancées d’un bras vigoureux, il s’empressa de tirer les deux coups de son fusil.

Il fallut continuer cette fusillade durant une heure, au risque d’épuiser les munitions du voyage. Une vingtaine de quadrumanes, grièvement ou mortellement blessés, gisaient sur le sol. Lorsqu’ils dégringolaient de branche en branche, Falb se jetait sur ceux qui n’avaient plus la force de s’enfuir, et il les achevait en les étranglant.

«Encore, fit observer Jack, si c’étaient des noix de cocos que ces coquins nous envoyaient en guise de projectiles, il n’y aurait que demi-mal…

– Diable! répondit M. Wolston, je préfère les pommes de pin aux noix de cocos… C’est moins dur…

– Oui… mais ça ne nourrit pas, répliqua Jack, tandis que le coco, ça donne à boire et à manger!

– En tout cas, conclut Ernest, mieux vaut savoir ces singes à l’intérieur de l’île qu’aux abords de nos métairies… Nous avons eu assez de peine à nous préserver de leurs dévastations, à les détruire avec des pièges et des gluaux!… Que ceux-ci restent dans leur sapinière et ne reviennent jamais à la Terre-Promise, c’est tout ce qu’on leur demande…

– Et même poliment!» ajouta Jack, en appuyant sa politesse d’une dernière décharge.

Bref, lorsque cette agression eut pris fin, on se remit en route, et la seule difficulté consistait à se maintenir en bonne direction vers la chaîne.

En effet, le dôme des sapinières se prolongeait, épais et imperméable, sans aucune déchirure, sans laisser voir quel point occupait le soleil dans sa courbe déclinante. Pas une seule clairière, pas un arbre abattu. M. Wolston dut s’applaudir de n’avoir amené ni chariot ni monture. L’attelage des buffles, l’onagre de Jack, n’auraient pu franchir certaines passes où les sapins se pressaient presque à s’enchevêtrer les uns les autres, et il eût été nécessaire de rebrousser chemin.

Vers sept heures du soir, M. Wolston, Ernest et Jack atteignirent la limite méridionale de la sapinière. Telle était la montée du sol que la forêt s’étageait sur les premières ramifications orographiques et les sommets apparurent au moment où le soleil s’abaissait derrière les contreforts qui coupaient l’horizon de l’ouest.

Là s’accumulaient les roches, les débris tombés du haut de la montagne. Là aussi se dégorgeaient de multiples ruisseaux, qui formaient peut-être la source de la rivière Montrose, et que la déclivité du sol envoyait vers le levant.

Commencer l’ascension le jour même et peut-être y consacrer la nuit, c’eût été dangereux. Aussi, malgré leur désir d’atteindre le but, ni M. Wolston ni les deux frères n’en eurent la pensée. Ils cherchèrent et trouvèrent une excavation rocheuse, où ils pourraient se mettre à l’abri jusqu’au jour. Puis, tandis qu’Ernest s’occupait du repas, M. Wolston et Jack allèrent ramasser au pied des derniers arbres des brassées d’herbes sèches, qui furent étalées sur le sable de la grotte. On mangea une couple de tétras, sorte de coqs de bruyère, qui venaient d’être tués, et, la fatigue l’emportant, il n’y eut plus qu’à songer au repos.

Toutefois quelques mesures de prudence durent être prises. Avec la tombée du jour, des hurlements assez rapprochés se faisaient entendre, et il sembla bien qu’il s’y mêlait des rugissements sur la nature desquels il eût été difficile de se méprendre.

Un feu, allumé à l’entrée de la grotte, dut être entretenu toute la nuit avec le bois sec dont M. Wolston et Jack firent un gros tas.

Enfin Ernest le premier, Jack le second, M. Wolston le dernier, se relayant de trois en trois heures, veillèrent jusqu’au lever du soleil.

Le lendemain, dès l’aube, tous trois furent sur pied, et Jack de s’écrier de sa voix sonore:

«Eh bien, monsieur Wolston, voilà le grand jour arrivé!… Dans quelques heures, votre vœu le plus cher va être accompli!… Vous aurez définitivement planté notre pavillon au point culminant de la Nouvelle-Suisse…

– Quelques heures… oui… si l’excursion n’offre pas trop de difficultés… fit observer Ernest.

– Dans tous les cas, répondit M. Wolston, que ce soit aujourd’hui ou demain, nous saurons probablement à quoi nous en tenir sur les dimensions de l’île…

– A moins, dit Jack, qu’elle ne s’étende au sud et à l’ouest hors de la portée du regard!…

– Ce qui n’est point impossible… ajouta Ernest.

– Je ne le pense pas, répondit M. Wolston, car elle n’eût pas échappé jusqu’ici aux navigateurs qui fréquentent cette partie de l’océan Indien…

– On verra, répliqua Jack, on verra!»

Après un déjeuner de venaison froide, le reste fut réservé, car le gibier ferait assurément défaut sur ces arides talus que Falb ne semblait pas pressé de gravir. En dehors de la grotte, une attaque des fauves n’étant plus à redouter, les fusils furent mis en bandoulière. Alors, Jack en tête, Ernest le suivant, M. Wolston fermant la marche, tous trois commencèrent à s’élever sur les premières rampes.

Suivant l’estime d’Ernest, la hauteur de la chaîne pouvait être e onze à douze cents pieds. Un cône, qui se dressait presque en face de la sapinière, dominait d’une centaine de toises la ligne de faîte. C’était à la cime de ce cône que M. Wolston voulait planter un pavillon.

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A cent pas de la grotte finissait brusquement la zone forestière de cette région. Au-dessus se dessinaient encore quelques champs de verdure, des prairies semées de bouquets d’arbrisseaux, aloès, lentisques, myrtes, bruyères, jusqu’à six a sept cents pieds d’élévation, – ce qui constituait la deuxième zone. Mais telle était la raideur des talus qu’en de certains endroits, elle dépassait cinquante degrés. De là, nécessité d’allonger le parcours, en obliquant à droite et à gauche.

Ce qui, il est vrai, favorisait l’ascension, c’est que le flanc offrait un solide point d’appui. Il n’y avait pas encore lieu de s’accrocher avec les mains ni de recourir à des mouvements de reptation. Le pied tenait ferme sur cette verdure, bossuée de racines et de pointes rocheuses. Des chutes n’étaient pas à craindre, et l’on en eût été quitte, en somme, pour une dégringolade de quelques pas sur un épais tapis de mousse.

L’ascension put donc s’effectuer sans aucun arrêt, en zigzags, de manière à diminuer l’angle d’inclinaison, bien qu’il en résultât une certaine fatigue. Le sommet ne serait pas atteint, sans que les ascensionnistes n’eussent été astreints à une ou deux haltes pour reprendre haleine. Si Ernest et Jack, jeunes, vigoureux, entraînés journellement, rompus aux exercices corporels, n’éprouvaient pas trop de lassitude, M. Wolston, vu son âge, ne pouvait fournir une telle dépense de souplesse et de force. Cependant, il se déclarerait satisfait, si, avant l’heure du déjeuner, ses compagnons et lui étaient campés à la base du cône. Une heure ou deux suffiraient alors pour en atteindre l’extrême pointe.

A maintes reprises, Jack fut invité à ne point se risquer comme un chamois, puisque la nature ne l’avait pas classé parmi cette espèce des grimpeurs. On continuait à s’élever, et, en ce qui le concernait. M. Wolston était bien décidé à ne pas demander grâce, tant qu’il ne serait pas à la base du cône, où finissait la deuxième zone de la chaîne. Mais que le plus difficile fût fait alors, cela ne semblait pas absolument démontré. Or, à cette hauteur, si le regard s’étendait vers le nord, l’ouest et l’est, on ne pourrait du moins rien voir de la contrée qui se développait vers le sud. Il serait nécessaire de monter à l’extrême sommet. Quant à la campagne, en direction de la vallée de Grünthal, elle était connue dans la partie comprise entre l’embouchure de la Montrose et le promontoire de la baie des Perles. La très naturelle et très légitime curiosité ne devrait donc être satisfaite que si les ascensionnistes parvenaient à la cime du cône, ou, en cas que l’ascension fût impraticable, s’ils parvenaient à le tourner.

Enfin, la seconde zone franchie, il y eut lieu de stationner sur la limite. Un repos s’imposait après une si grande dépense d’efforts. Il était midi, et, le déjeuner achevé, on commencerait à remonter la pente la plus allongée du cône. D’ailleurs, ‘es estomacs exigeaient impérieusement quelque nourriture. Ce n’est pas, pourtant, que ces éreintements physiques leur soient très favorables, et ils nuisent dans une certaine mesure à l’accomplissement des fonctions digestives. Mais, sans s’inquiéter de savoir s’ils digéraient bien ou mal un repas réduit aux derniers morceaux de l’antilope, comme plat de résistance, le plus pressé était de les remplir.

Une heure plus tard, Jack se releva, sauta d’un bond sur les premières roches du talus en dépit des recommandations de M. Wolston, et cria:

«Qui m’aime me suive!

– Tâchons de lui donner cette preuve d’affection, mon cher Ernest, répondit M. Wolston, et surtout d’empêcher ses imprudences!»

 

 

Chapitre XIV

L’arrivée à la cime du cône. – Regards portés en toutes directions. 
– Ce que l’on voit au nord, à l’est et à l’ouest. – La région du sud. 
– Un navire à l’horizon. – Le pavillon britannique.

 

ette hauteur de six cents pieds dépasse d’un tiers environ celle de la grande pyramide d’Égypte. Cette pyramide, il est vrai, est garnie sur ses flancs de marches gigantesques qui facilitent l’ascension, et sans lesquelles il serait pour ainsi dire impossible d’atteindre l’extrême pointe du monument pharaonique de Gizeh. Or l’angle que formaient les lignes obliques du cône avec la perpendiculaire était encore plus ouvert que celui de la grande pyramide.

En réalité, ce n’était qu’un monstrueux entassement de roches à peine en équilibre, ou, si l’on veut, un énorme tas de pierres accumulées sans ordre. Il présentait cependant des rebords, des arêtes, des ressauts, des bourrelets, sur lesquels le pied pouvait trouver un point d’appui. Toujours en avant, Jack s’assurait de leur solidité, tâtonnait à gauche, à droite, et c’est en le suivant, sans trop de hâte, que M. Wolston et Ernest se hissèrent graduellement de bloc en bloc.

Quelle aridité désolante à la surface de cette troisième zone! On n’apercevait aucune trace du règne végétal, si ce n’étaient, ça et là, certaines touffes de ces maigres pariétaires auxquelles suffisent quelques pincées d’humus, et aussi de larges plaques de lichen sec qui coloraient les roches d’un vert grisâtre.

Le difficile était de ne point glisser le long de ce flanc, parfois aussi lisse qu’un miroir. Les chutes eussent été mortelles, car on aurait dévalé à la base du cône. Il fallait se garder aussi de provoquer avec le déplacement des agrégats jetés là pêle-mêle des avalanches qui auraient roulé jusqu’au pied de la chaîne.

Du reste, granit et calcaire entraient seuls dans la composition de cette puissante ossature de la montagne. Rien n’y trahissait une origine volcanique, de nature à menacer la Nouvelle-Suisse d’éruptions ou de tremblements de terre.

M. Wolston, Jack et Ernest parvinrent à mi-hauteur du cône sans accidents. En gravissant les endroits praticables, ils n’avaient pas toujours pu éviter des éboulements.

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Trois ou quatre gros blocs, après avoir furieusement rebondi sur les pentes, allèrent se perdre dans les profondeurs de la forêt, avec un bruit de tonnerre, que répercutèrent les nombreux échos de la montagne.

A cette altitude planaient encore quelques volatiles, uniques représentants de la vie animale de cette troisième zone, sur laquelle ils ne cherchaient pas à se reposer. Ce n’était point de ces oiseaux de petite taille, qui ne quittaient pas les massifs de la sapinière. Quelques couples de puissants volateurs à large envergure, battant l’air à lents coups d’aile, dépassaient parfois la cime du cône. Quelle tentation éprouva Jack de les tirer, et avec quelle joie il eût frappé d’une balle ces vautours de l’espèce «umbu» et ces gigantesques condors que la présence de l’homme surprenait au milieu de ces mornes solitudes.

Aussi plus d’une fois le jeune chasseur fit-il le mouvement d’épauler son fusil.

«A quoi bon?… lui criait M. Wolston.

– Comment… à quoi bon?… répondait Jack, mais à…»

Et, sans achever sa phrase, après avoir remis son arme en bandoulière, il s’élançait sur les roches.

Ainsi fut épargnée la vie d’un superbe aigle de Malabar. D’ailleurs, au lieu de l’abattre, mieux eût valu s’en emparer. Il aurait pu remplacer le fidèle compagnon de Fritz, qui avait succombé dans le combat avec le tigre lors du voyage à la découverte de la Roche-Fumante.

A mesure que le talus montait vers la crête supérieure, il se faisait de plus en plus roide, – un véritable pain de sucre. M. Wolston se demandait même s’il y aurait place pour trois personnes sur sa pointe. Il fallait maintenant s’entr’aider les uns les autres, ou plutôt l’un l’autre. Jack commençait par attirer Ernest, qui attirait ensuite M. Wolston. En vain avaient-ils cherché à contourner la base du cône. C’était par le côté nord, en somme, que l’ascension présentait les moindres difficultés.

Enfin, vers deux heures de l’après-midi, une voix vibrante se fit entendre, – la voix de Jack, – la première sans doute qui eût jamais résonné à cette cime:

«Une île… c’est bien une île!»

Un dernier effort de M. Wolston et d’Ernest les éleva jusqu’à Jack. Là, sur un étroit espace de deux toises carrées, harassés, époumonés, presque incapables de parler, ils s’étendirent pour reprendre haleine.

Que la Nouvelle-Suisse fût une île, la question était résolue depuis l’arrivée de la Licorne. Mais si la mer l’entourait de toutes parts, c’était à des distances inégales de la montagne. Très développée vers le sud, plus restreinte vers l’est et l’ouest, réduite à une simple bordure bleuâtre vers le nord, elle resplendissait sous les rayons du soleil, qui se trouvait à quelques degrés au-dessous de son point de culmination.

Tout d’abord, Ernest dut constater que la chaîne n’occupait pas la partie centrale de l’île. En s’élevant au contraire sur sa portion méridionale, elle suivait une courbe assez régulière, tracée du levant au couchant.

De ce point haut de quinze cents pieds au-dessus du niveau de l’Océan, le rayon de vue mesurait environ dix-sept à dix-huit lieues jusqu’à l’horizon. Mais il s’en fallait que la Nouvelle-Suisse comprît une telle superficie.

Aussi, lorsque M. Wolston lui posa une question à ce sujet, Ernest répondit:

«A mon estime, notre île doit avoir de soixante à soixante-dix lieues de circonférence… Ce qui serait une aire déjà considérable et supérieure à celle du canton de Lucerne.

– Et quelle serait approximativement son étendue?… demanda M. Wolston.

– Autant que je puis l’évaluer, en tenant compte de sa configuration, sorte d’ovale qui se dessine de l’est à l’ouest, répondit Ernest, elle pourrait mesurer quatre cents lieues carrées, soit moitié moins que la Sicile…

– Eh!… fit Jack, il y a nombre d’îles des plus qualifiées qui ne la valent pas…

– Très juste, reprit Ernest, et entre autres, si mes souvenirs sont exacts, l’une des principales de la Méditerranée… qui, d’une importance capitale pour l’Angleterre, n’a que neuf lieues de longueur sur quatre de large.

– Laquelle?…

– Malte.

– Malte!… s’écria M. Wolston, dont tout le «britannisme» fut surexcité à ce nom. Eh bien, pourquoi la Nouvelle-Suisse ne deviendrait-elle pas la Malte de l’océan Indien?…»

Et Jack de faire à part lui cette trop naturelle réflexion, c’est que la vieille Suisse aurait bien pu la garder pour elle et fonder là une belle colonie helvétique.

Le ciel était très clair, l’atmosphère absolument dégagée de brumes jusqu’aux extrêmes limites. On ne sentait pas trace d’humidité dans l’air ambiant, et le relief du sol s’accusait avec une netteté parfaite.

Comme la descente devait exiger trois fois moins de temps que la montée, M. Wolston et les deux frères pouvaient disposer de quelques heures avant que le moment fût venu de regagner la sapinière. Aussi, en se passant tour à tour la longue-vue, observèrent-ils avec soin la vaste campagne qui se déployait à leurs pieds.

Ernest, son carnet et son crayon à la main, traçait les lignes de cet ovale que traversaient le dix-neuvième parallèle de l’hémisphère méridional sur une longueur de vingt-quatre lieues environ, et le cent quatorzième méridien est sur une longueur de dix-neuf.

Voici ce qu’il était aisé de reconnaître dans la direction du nord, à une distance qui pouvait se mesurer par dix ou onze lieues à vol d’oiseau.

D’abord, au delà du littoral, une étroite marge de mer baignait la partie comprise entre le cap de l’Espoir-Trompé et le promontoire qui fermait la baie des Perles à l’ouest.

«Non, aucune erreur n’est possible, répétait Jack, et je n’ai pas besoin de lunette pour reconnaître la Terre-Promise puis la côte jusqu’à la baie du Salut!…

– En effet, ajouta M. Wolston, et à l’extrémité de cet angle opposé, voici le cap de l’Est qui couvre la baie de la Licorne.

– Par malheur, reprit Jack, même avec l’excellente longue-vue d’Ernest, on ne peut rien voir de la partie qui avoisine le ruisseau des Chacals…

– Cela tient, répondit Ernest, à ce qu’elle est cachée par la lisière de roches qui la limite au sud. Puisque de Felsenheim et de Falkenhorst on n’aperçoit pas le sommet de la chaîne, du haut de la chaîne on ne peut apercevoir ni Felsenheim ni Falkenhorst… C’est logique… je suppose…

– Tout à fait, triple logicien que tu es!… répondit Jack. Mais cela devrait être également vrai du cap de l’Espoir-Trompé, et cependant, c’est bien lui, ce promontoire qui s’avance au nord, et puisque nous l’apercevons…

– Bien qu’il soit certain, répondit Ernest, que de ce cap, et même de Prospect-Hill, on voie le cône, la première condition pour voir, c’est de regarder. Or, il est probable que nous ne l’avons jamais fait avec assez d’attention…

– De tout cela, ajouta M. Wolston, il faut conclure que la chaîne proprement dite ne peut être aperçue que des hauteurs de la vallée de Grünthal…

– C’est cela même, monsieur Wolston, déclara Ernest, et ces hauteurs cachent Felsenheim à nos regards.

– Je le regrette, ajouta Jack, car je suis sûr qu’on aurait distingué mon père, ma mère, Mme Wolston et Annah… Et s’ils avaient eu l’idée de se rendre à Prospect-Hill, je gage que nous aurions pu les reconnaître… avec la longue-vue, s’entend… Car, enfin, ils sont là-bas, parlant de nous, comptant les heures, se disant: nos absents devaient être hier au pied de la montagne, et aujourd’hui, ils doivent être à sa cime… Et ils se demandent quelle est l’étendue de la Nouvelle-Suisse… et si elle fait bonne figure dans la mer des Indes…

– Bien parlé, mon cher enfant, c’est comme si nous les entendions… dit M. Wolston.

– Et comme si nous les voyions… affirma Jack. N’importe! je persiste à regretter que ces rochers nous cachent le ruisseau des Chacals et notre habitation de Felsenheim…

– Regrets superflus, dit Ernest, auxquels il faut bien se résigner!

– Aussi c’est la faute de ce cône! dit Jack. Pourquoi n’est-il pas plus élevé?… S’il montait encore de quelques centaines de pieds dans les airs, nos familles nous verraient de là-bas… elles nous feraient des signaux…, elles hisseraient un pavillon au pigeonnier de Felsenheim!… Nous leur dirions bonjour avec le nôtre…

– Voilà Jack parti!… répliqua M. Wolston.

– Et je suis sûr qu’Ernest verrait Annah…

– Mais je la vois toujours…

– C’est entendu… même sans lorgnette, s’écria Jack. Hein! comme ça porte loin, les yeux du cœur!»

En somme, on ne pouvait apercevoir aucun détail de la Terre-Promise. Dans ces conditions, il ne restait donc aux observateurs qu’à prendre une vue exacte de l’île en relevant ses contours et sa configuration géologique.

La côte vers le levant, au revers de la baie de la Licorne, présentait une bordure rocheuse qui encadrait toute cette partie aride, précédemment reconnue lors du premier voyage de la pinasse. Puis les falaises se rabaissaient, le littoral s’exhaussait vers l’embouchure de la rivière Montrose pour finir en un promontoire aigu, et il se recourbait à l’endroit où la chaîne prenait naissance au sud-est.

On entrevoyait, comme un filet lumineux, les sinuosités de la Montrose. Dans son cours d’aval, la rivière arrosait une région boisée et verdoyante, – région dénudée dans son cours d’amont. Alimentée par de nombreux rios descendus des derniers étages de la sapinière, elle faisait de nombreux détours. Au-delà des futaies épaisses entre les massifs et les bouquets d’arbres, se succédaient des plaines, des prairies, jusqu’aux extrêmes limites occidentales de l’île, là où se dressait un morne très élevé auquel s’appuyait l’autre extrémité de la chaîne à la distance de cinq ou six lieues.

En plan géométral, l’île représentait assez exactement le dessin d’une feuille d’arbre, plus large que longue, dont le pétiole aurait été allongé vers le sud, ses nervures ligneuses dessinées par des arêtes de roches, son tissu cellulaire représenté par cette verte campagne qui occupait la plus grande partie de sa surface.

Dans l’ouest scintillaient sous les rayons solaires d’autres cours d’eau, qui constituaient un important système hydrographique, plus complet que celui du nord et de l’est, réduit à la Montrose et à la rivière Orientale.

Donc, pour résumer, la Nouvelle-Suisse, sur les cinq sixièmes à tout le moins de sa surface au nord de la chaîne montrait une admirable fertilité et elle suffirait à nourrir plusieurs milliers d’habitants.

Quant à sa situation au milieu de ces parages de l’océan Indien, il était évident qu’elle ne se rattachait à aucun groupe insulaire, à aucun archipel. La longue-vue ne relevait aucune apparence de terre jusqu’à l’extrême horizon au large. C’était à trois cents lieues qu’il fallait chercher la côte la plus rapprochée et, on le sait, celle de la Nouvelle-Hollande.

Toutefois, si l’île ne possédait pas un cortège d’îlots détachés de son littoral, un point rocheux émergeait à quatre lieues environ dans l’ouest de la baie des Perles. Jack braqua son instrument dans cette direction:

«La Roche-Fumante… qui ne fume pas… s’écria-t-il, et je vous certifie que Fritz n’aurait pas eu besoin de lunette pour la reconnaître!…»

Ainsi la Nouvelle-Suisse, en sa plus grande étendue, pouvait convenir à l’établissement d’une importante colonie. Toutefois, ce qu’offraient le nord, l’est et l’ouest, il n’aurait pas fallu le demander au midi.

En s’arrondissant comme un arc, les deux extrémités de la chaîne venaient s’appuyer sur le littoral, à une distance presque égale de la base du cône qui en occupait le centre. La partie encadrée de cet arc était limitée par une succession de falaises dont on ne pouvait apercevoir la base, et qui semblaient taillées à pic.

Quel contraste entre cette sixième partie de l’île et les cinq autres, si largement favorisées de la nature! Là s’étalait la profonde désolation d’un désert, toute l’horreur du chaos. La zone supérieure de la chaîne se continuait jusqu’à l’extrémité méridionale de l’île, – zone qui semblait être infranchissable. Il était possible, cependant, qu’elle se raccordât de ce côté à la marge littorale par des défilés, des ravins, des gorges, des escarènes, – ainsi appelle-t-on les pentes très raides fortement ravinées. Quant au rivage, grèves sablonneuses ou rocheuses qui eussent permis de débarquer, ne se réduisait-il pas à quelque estran, – étroite bande qui découvre à mer basse?…

M. Wolston, Ernest, Jack, subissant la navrante impression qui se dégageait de cette contrée, restèrent silencieux tandis qu’ils la parcouraient du regard. Et l’on ne s’étonnera pas qu’Ernest fût amené à faire cette réflexion:

«Si, après le naufrage du Landlord, nous avions été jetés sur cette côte, notre bateau de cuves s’y serait brisé, et quelle mort nous attendait… la mort par la faim!

– Vous avez raison, mon cher Ernest, répondit M. Wolston, et, sur ce littoral, il n’y aurait guère eu de salut à espérer… Il est vrai, si vous étiez parvenus à débarquer quelques lieues plus au nord, la terre productive, la campagne giboyeuse se fût offerte à vos yeux… Il est à craindre, pourtant, que cette affreuse région n’ait aucune communication avec l’intérieur, et je ne sais s’il aurait été possible d’y descendre par le revers méridional de la chaîne…

– Ce n’est pas probable, ajouta Jack, mais, en contournant la côte, nous aurions certainement rencontré l’embouchure de la rivière Montrose et la partie fertile de l’île…

– Oui… répondit Ernest, à la condition que notre bateau eût pu remonter vers l’est ou vers l’ouest… Or la côte sud ne lui aurait pas offert une baie comme la baie du Salut, où il est venu atterrir sans trop de peine!»

Il était heureux, assurément, que les naufragés du Landlord eussent été poussés vers le rivage septentrional de la Nouvelle-Suisse. Sans cette circonstance, comment auraient-ils pu échapper à la plus horrible des morts, au pied de ce monstrueux entassement de roches?…

M. Wolston, Ernest et Jack voulurent demeurer à la pointe du cône jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Ils prirent tous les relèvements nécessaires pour établir la carte de la Nouvelle-Suisse, – carte qui resterait incomplète dans la partie du sud, puisque cette partie échappait à leurs regards. Mais le travail s’achèverait à l’arrivée de la Licorne, lorsque le lieutenant Littlestone aurait terminé la reconnaissance hydrographique de l’île.

A ce moment, après avoir détaché une feuille de son carnet, Ernest y traça les lignes suivantes:

«Aujourd’hui, 30 septembre 1817, quatre heures du soir, à la cime du cône de…»

S’interrompant alors:

«Comment l’appellerons-nous, ce cône?… demanda-t-il. Il me semble d’ailleurs que pic vaudrait mieux que cône…

– Soit… le pic des Regrets, répondit Jack, puisque nous n’avons pu apercevoir Felsenheim…

– Non… le pic Jean-Zermatt en l’honneur de votre père, mes enfants…» proposa M. Wolston.

Cette proposition fut acceptée avec joie. Jack tira une tasse de sa gibecière. M. Wolston et Ernest en firent autant. Quelques gouttes de l’eau-de-vie des gourdes y furent versées, puis bues après un triple hurrah.

Ernest put continuer d’écrire:

«… à la cime du pic Jean-Zermatt, c’est à vous, mes chers parents, à vous, madame Wolston, à vous, ma chère Annah, que nous adressons ce billet, confié à notre fidèle messager, lequel, plus favorisé que nous, sera bientôt de retour à Felsenheim.

«Notre Nouvelle-Suisse, isolée dans ces parages de l’océan Indien, peut mesurer de soixante à soixante-dix lieues de circonférence. Très fertile sur la plus grande partie de sa surface, elle est stérile et paraît être inhabitable au revers méridional de la chaîne.

«Dans deux fois vingt-quatre heures, comme le retour se fera plus vite, il est possible que nous soyons près de tous ceux que nous aimons, et avant trois semaines, avec la permission de la Providence, il y a lieu d’espérer que nous aurons revu nos absents si impatiemment attendus.

«De la part de M. Wolston, de mon frère Jack et de votre respectueux fils, compliments pour vous, chers parents, pour Mme Wolston et pour ma chère Annah,

«ERNEST.»

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Le pigeon fut tiré de sa petite cage, et, après que le billet eut été attaché à sa patte gauche, Ernest le laissa prendre son vol.

Tout d’abord, l’oiseau s’éleva de trente à quarante pieds au-dessus du cône, comme s’il eût voulu porter son regard à une plus grande distance. Puis, servi par ce merveilleux instinct de l’orientation, – ce sixième sens dont chaque animal semble être pourvu, – il partit à rapides coups d’aile dans la direction nord et ne tarda pas à disparaître.

Il ne restait plus maintenant qu’à arborer sur la cime du pic Jean-Zermatt le pavillon, qui aurait pour mât le long bâton de M. Wolston planté entre les dernières roches.

Cette opération achevée, il ne resterait plus qu’à dévaler au pied de la chaîne, à gagner la grotte, à s’y réconforter d’un bon repas dont la chasse fournirait les éléments, et enfin à jouir d’un repos bien dû après une journée si fatigante.

Le départ s’effectuerait le lendemain, dès l’aube. A suivre la route déjà connue, il n’était pas impossible d’atteindre Felsenheim en moins de quarante-huit heures.

M. Wolston et Jack s’occupèrent donc d’enfoncer le bâton assez solidement pour qu’il résistât aux rafales extrêmement violentes à cette hauteur.

«L’essentiel, fit observer Jack, c’est que notre pavillon se maintienne à cette place jusqu’à l’arrivée de la Licorne, afin que le lieutenant Littlestone puisse l’apercevoir dès que la corvette sera en vue de l’île… Voilà qui fera battre le cœur de Fritz et de Jenny, de François, de vos enfants, monsieur Wolston, et aussi le nôtre, quand nous entendrons les vingt et un coups de canon qui salueront le pavillon de la Nouvelle-Suisse!»

Entre les interstices des roches il fut aisé d’assujettir le bâton en l’y coinçant avec de petites pierres.

Au moment où il allait fixer le pavillon à son extrémité, M. Wolston, tourné vers l’est, regarda dans cette direction. Il Parut le faire assez obstinément pour que Jack lui demandât:

«Qu’y a-t-il donc, monsieur Wolston?…

– J’ai cru encore voir… répondit celui-ci, en appliquant l’oculaire de la longue-vue à son œil.

– Voir?… répéta Ernest.

– Une fumée au-dessus du rivage, répondit M. Wolston, à moins que ce ne soit une vapeur comme celle que j’avais aperçue, lorsque la pinasse se trouvait par le travers de la rivière Montrose.

– Eh bien, dit Ernest, se dissipe-t-elle?…

– Non… affirma M. Wolston… et ce doit être à la même place… à l’extrémité de la chaîne… Est-ce que, depuis plusieurs semaines, des naufragés ou des sauvages seraient campés sur cette partie de la côte?…»

Ernest observa à son tour l’endroit indiqué, mais n’aperçut plus rien en cette direction.

«Eh, monsieur Wolston, ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut regarder… c’est par ici… vers le sud…»

Et Jack tendit la main vers la mer au delà des énormes falaises qui dominaient le littoral.

«Mais c’est une voile… dit Ernest.

– Oui… une voile!… répéta Jack.

– Un bâtiment passe en vue de l’île, reprit Ernest et il paraît avoir le cap sur elle…»

M. Wolston, prenant la longue-vue, reconnut très distinctement un trois-mâts qui, toute toile dehors, faisait route à deux ou trois lieues au large.

Et alors Jack de s’écrier en gesticulant:

«C’est la Licorne!… ce ne peut être que la Licorne!… Elle ne devait arriver que vers la moitié du mois d’octobre, et elle arrive à la fin de septembre, en avance de quinze jours…

– Il n’y a rien d’impossible à cela, répondit M. Wolston. Néanmoins, avant de se prononcer, faudrait-il savoir exactement de quel côté ce bâtiment se dirige…

– Il se dirige vers la Nouvelle-Suisse, affirma Jack. Demain matin, il paraîtra à l’ouest de la baie du Salut, et nous ne serons pas là pour le recevoir!… Partons… monsieur Wolston… marchons toute la nuit…»

Une dernière observation d’Ernest arrêta Jack, qui se préparait à se laisser glisser sur le flanc du cône.

«Non, dit-il, regardez bien, monsieur Wolston… Ce bâtiment n’a pas le cap sur l’île…

– En effet, déclara celui-ci, après avoir suivi quelques instants le déplacement du navire.

– Alors… ce ne serait pas la Licorne?… s’écria Jack.

– Non, affirma Ernest.

– D’ailleurs, ajouta M. Wolston, la Licorne accosterait par le nord-ouest, tandis que ce bâtiment marche vers le sud-est et s’éloigne de l’île.»

Il n’y avait point à s’y tromper… le trois-mâts signalé faisait route à l’est et ne cherchait même point à prendre connaissance de la Nouvelle-Suisse.

«Soit, répondit Jack, mais la Licorne ne tardera plus à venir, et du moins nous serons là pour faire les saluts réglementaires à la corvette de Sa Majesté George III!»

Le pavillon, hissé à la pointe du pic Jean-Zermatt, se déploya sous la brise, tandis que Jack, déchargeant deux fois son fusil, lui rendait les honneurs.

 

 

Chapitre XV

L’attente à Felsenheim. – Retard inquiétant. – Départ pour l’ermitage d’Eberfurt. – M. Wolston et Ernest. – Ce qui est arrivé. – A la poursuite
des éléphants. – Proposition de M. Wolston. – Vents contraires. – Jack!

 

e soir de ce même jour, M. Zermatt et sa femme, Mme Wolston et sa fille, étaient réunis dans la salle de la bibliothèque, après une bonne journée de travail.

Ces quatre personnes causaient près de la fenêtre qui s’ouvrait sur la rive droite du ruisseau des Chacals, et de quoi auraient-elles parlé, si ce n’est des absents partis depuis trois jours? Ce qui les rassurait sur l’issue de cette exploration à l’intérieur de l’île, c’était que le temps l’eût favorisée, la chaleur n’étant pas insoutenable au début de la belle saison.

«Où M. Wolston et nos deux fils doivent-ils être en ce moment?… demanda Mme Zermatt.

– A mon avis, ils doivent avoir atteint le sommet de la chaîne, répondit M. Zermatt. S’ils n’ont pas eu de retards, trois jours leur auront suffi pour en gagner la base, et le quatrième a dû être employé à faire l’ascension…

– Au prix de bien des fatigues… de bien des dangers… qui sait?… dit Annah.

– Des dangers, non, ma chère enfant, répliqua M. Zermatt. Quant aux fatigues, votre père est encore dans la force de l’âge, et mes enfants en ont supporté d’autres!

– Ernest n’a pas l’endurance de son frère… ne put s’empêcher de répondre la jeune fille.

– Pas tout à fait, répliqua Mme Zermatt, et il a toujours préféré l’étude aux exercices corporels…

– Voyons, Betsie, dit M. Zermatt, ne fais pas de ton fils une femmelette ni même une hommelette!… S’il a travaillé de la tête, il a non moins travaillé des bras et des jambes!… Je pense donc que cette excursion n’aura été qu’une promenade de touristes… Si ce n’avait été la crainte de vous laisser seules à Felsenheim. Mme Wolston, Annah, et toi, ma chère amie, je serais parti d’un bon pied, malgré mes quarante-sept ans, et j’aurais pris part à ce voyage de découverte.

– Attendons à demain, dit Mme Wolston. Peut-être le pigeon qu’Ernest a emporté reviendra-t-il dans la matinée avec une lettre à notre adresse…

– Pourquoi pas ce soir?… interrompit Annah. Le pigeon saurait bien retrouver son pigeonnier même la nuit… n’est-il pas vrai, monsieur Zermatt?…

– Cela n’est pas douteux, Annah. La vitesse de cet oiseau est si considérable, – une vingtaine de lieues à l’heure, dit-on, – que la distance qui nous sépare des montagnes pourrait être franchie par lui en quarante ou cinquante minutes!

– Si je guettais son retour jusqu’au matin?… proposa la jeune fille.

– Eh! fit Mme Zermatt, notre chère enfant est bien pressée d’avoir des nouvelles de son père…

– Et aussi de Jack et d’Ernest, madame Zermatt, ajouta Annah en l’embrassant.

– Ce qui est regrettable, fit observer Mme Wolston, c’est que cette chaîne ne soit pas visible du haut de Felsenheim. Peut-être, avec une longue-vue, aurions-nous déjà pu nous assurer si le pavillon flotte au sommet du pic…

– Regrettable, en effet, madame Wolston, répondit M. Zermatt. C’est pourquoi, si le pigeon n’est pas revenu dans la matinée de demain, j’ai l’intention de seller Leichtfus, et d’aller jusqu’à l’ermitage d’Eberfurt d’où l’on aperçoit la chaîne…

– C’est convenu, mon ami, dit Mme Zermatt, mais ne formons pas de projets prématurés, et puisqu’il est l’heure de dîner, allons nous mettre à table… Qui sait si, dès ce soir, avant que nous n’ayons regagné nos lits, ce pigeon ne sera pas revenu avec un petit mot d’Ernest…

– Eh! répliqua M. Zermatt, ce n’est pas la première fois que nous aurons correspondu de la sorte!… Tu t’en souviens, Betsie, il y a longtemps déjà, lorsque nos fils nous ont envoyé des nouvelles de Waldegg, de Prospect-Hill et de Zuckertop, – de mauvaises nouvelles, par exemple, les dévastations de ces maudits singes et autres bêtes malfaisantes, – c’est par pigeon que nous les avons reçues… J’espère que, cette fois, le messager nous en apportera de meilleures…

– Le voici!… dit Annah, qui se leva d’un bond et courut à la fenêtre.

– Tu viens de le voir?… demanda sa mère.

– Non… mais je l’ai entendu rentrer au pigeonnier…» répondit la jeune fille.

En effet, un bruit sec venait d’attirer son attention. C’était celui de la petite trappe qui se refermait à la base du pigeonnier, au-dessus de la bibliothèque.

M. Zermatt sortit aussitôt, suivi d’ Annah, de Mme Zermatt et Mme Wolston. Arrivé au pied du pigeonnier, il appliqua une échelle contre la roche, y monta vivement, puis, après avoir regardé à l’intérieur:

«Il est revenu… dit-il.

– Prenez-le… prenez-le… monsieur Zermatt!» répéta Annah tout impatiente.

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Dès que le pigeon fut entre ses mains, elle mit un baiser sur sa petite tête bleuâtre, et, après avoir détaché le billet fixé à sa patte, elle l’embrassa une seconde fois. L’oiseau fut alors relâché et rentra dans sa logette, où l’attendait une poignée de graines.

Annah lut le billet d’Ernest à haute voix. Les quelques lignes qu’il contenait devaient rassurer sur le compte des absents et annonçaient la réussite de leur excursion. Chacun y trouvait quelque chose d’affectueux pour soi, et, on le sait, Annah en avait sa bonne part.

Avec l’heureuse pensée que le retour s’effectuerait en quarante-huit heures, M. et Mme Zermatt, Mme Wolston et sa fille se retirèrent dans leurs chambres. On avait reçu le message, les nouvelles étaient excellentes, on remercia Dieu, et chacun dormit d’un tranquille sommeil jusqu’au lever du soleil.

Cette journée-là fut employée à des travaux de ménage. Il va de soi que, grâce à l’arrivée du pigeon, M. Zermatt avait renoncé à son projet de se rendre sur les hauteurs du défilé de Cluse. En admettant qu’une forte lunette eût permis d’apercevoir le pavillon qui flottait à la pointe du pic, cela n’eût rien appris de nouveau. Il n’y avait pas à douter que M. Wolston, Ernest et Jack ne fussent déjà en route pour Felsenheim.

Le jour suivant, il y eut, d’ailleurs, grosse besogne qui n’aurait pu être remise. Une bande de saumons vint s’engager dans l’embouchure du ruisseau des Chacals, dont ces poissons remontaient d’habitude le cours à cette époque de l’année. Certes ce fut bien le cas de regretter les absents, et leurs bras firent grand défaut. Il en résulta que la pêche ne produisit pas tout ce qu’elle aurait pu produire.

Pendant l’après-midi, M. et Mme Zermatt, Mme Wolston et Annah abandonnèrent leur travail, traversèrent le pont de Famille, et se portèrent sur la route dans la direction de l’ermitage d’Eberfurt. M. Wolston, Ernest et Jack devaient avoir atteint le défilé de Cluse, et, en deux heures au plus, ils pouvaient franchir la distance qui séparait la métairie de Felsenheim.

Toutefois la journée s’avançait, et rien ne signalait leur approche, ni les aboiements des chiens qui eussent senti leurs maîtres, ni les coups de fusil que Jack ne manquerait pas de tirer pour annoncer son retour.

A six heures, le dîner était préparé – un dîner copieux et substantiel, de nature à satisfaire les plus formidables appétits. On attendit les excursionnistes et, comme ils n’arrivaient pas, personne n’eut la pensée de se mettre à table.

Une dernière fois, M. et Mme Zermatt, Mme Wolston et Annah s’avancèrent d’un quart de lieue sur la route en amont du ruisseau des Chacals. Turc et Braun, qui les accompagnaient, restèrent tranquilles et muets, Dieu sait pourtant qu’ils se fussent dépensés en aboiements et gambades, si les deux frères n’eussent été qu’à quelques centaines de pas!

Il y eut lieu de rentrer à Felsenheim, non sans inquiétude, tout en se disant que le retard ne pouvait se prolonger. On se mit à table, tristement, l’oreille tendue vers le dehors, et c’est à peine si les uns ou les autres touchèrent à ces plats, dont les absents n’eussent certainement rien laissé.

«Voyons… un peu de calme… finit par dire M. Zermatt. Tâchons de ne point exagérer… Puisqu’il a fallu trois jours pour gagner la base de la montagne, pourquoi n’en faudrait-il pas autant pour revenir?…

– Vous avez raison, monsieur Zermatt, répondit Annah, cependant le billet d’Ernest n’indique-t-il pas qu’il suffira de quarante-huit heures…

– J’en conviens, ma chère enfant, ajouta Mme Zermatt. Mais ce brave garçon a tant d’envie de nous revoir qu’il aura promis plus qu’il ne pouvait tenir…»

En somme, il n’y avait pas encore à se tourmenter sérieusement. M. Zermatt l’affirmait non sans justesse. Et cependant, cette nuit-là, aucun des hôtes de Felsenheim ne retrouva le tranquille sommeil de la nuit précédente.

Enfin, ce qui ne devait être, après tout, qu’appréhension, devint trouble et même angoisse le lendemain, 3 octobre, lorsque le soir fut arrivé. Ni M. Wolston, ni Ernest, ni Jack n’avaient paru. Un tel retard, n’était-ce pas inexplicable de la part de ces robustes et infatigables marcheurs?… Conclure à quelque accident, cela s’imposait presque à l’esprit… D’obstacles, il n’avait pas dû s’en rencontrer plus au retour qu’à l’aller, et la route était connue… Est-ce donc qu’ils avaient décidé d’en suivre une autre plus difficile… plus longue?…

«Non… non!… répétait Annah. S’ils avaient dû prendre un autre chemin, Ernest n’aurait pas annoncé qu’ils seraient ici dans les quarante-huit heures!»

A cela que répondre?… Betsie et Mme Wolston commençaient à perdre espoir. Annah ne retenait plus ses larmes, et qu’aurait pu dire M. Zermatt pour les consoler?…

Il fut alors convenu que, si les absents n’étaient pas rentrés à Felsenheim le lendemain, on se rendrait à l’ermitage d’Eberfurt, leur retour devant nécessairement s’effectuer par le défilé de Cluse. En allant au-devant d’eux, on pourrait les embrasser deux heures plus tôt.

Le soir vint, la nuit s’écoula. De M. Wolston, d’Ernest et de Jack, aucune nouvelle! Alors rien n’aurait pu retenir à Felsenheim ceux qui les y attendaient au milieu de mortelles angoisses et comment, à présent, pouvaient-elles être taxées d’exagération?…

Les préparatifs furent rapidement faits dans la matinée. On attela le chariot, on y mit quelques provisions, tous y prirent place. L’attelage partit, précédé de Braun. Après avoir traversé le ruisseau des Chacals, il longea les bois et les champs qui bordaient la route d’Eberfurt, en marchant avec toute la vitesse possible.

Le chariot était arrivé à une lieue de là, près du ponceau jeté sur le canal de dérivation qui aboutissait au lac des Cygnes, lorsque M. Zermatt donna le signal d’arrêt.

Braun, dont les rapides aboiements redoublaient, s’était lancé en avant.

«Les voilà… les voilà!» s’écria Mme Wolston.

En effet, à trois cents pas, au détour d’un bouquet d’arbres, deux hommes apparurent…

C’étaient M. Wolston et Ernest.

Où donc était Jack?… Il ne pouvait être loin… à quelques portées de fusil en arrière sans doute…

Des cris de joie accueillirent M. Wolston et Ernest. Mais comme ils n’avaient pas fait un pas de plus, on courut vers eux.

«Et Jack?…» demanda Mme Zermatt.

Ni Jack ni son chien Falb n’étaient là.

«Ce qu’est devenu notre pauvre Jack, nous ne le savons», dit M. Wolston.

Et voici ce que raconta M. Wolston, – un récit souvent interrompu par les sanglots de ses auditeurs.

La descente, depuis la pointe du pic jusqu’au pied de la chaîne, s’était effectuée en deux heures… Le premier arrivé, Jack abattit quelque gibier aux abords de la sapinière… On soupa devant la grotte, on laissa le feu allumé au dehors, on se retira au dedans… L’un veillait à l’ouverture, tandis que les deux autres dormaient à poings fermés…

La nuit ne fut troublée que par les hurlements lointains des bêtes fauves.

Le lendemain, M. Wolston et les deux frères se mirent en marche dès l’aube.

Du haut du pic, Ernest avait remarqué que la forêt semblait s’éclaircir vers l’est, et, sur sa proposition, tous trois se dirigèrent de ce côté. Le cheminement s’opérerait plus vite, et la route ne serait allongée que d’une lieue à peine entre la chaîne et la vallée de Grünthal.

A onze heures, on fit halte… Le déjeuner achevé, tous trois se dirigèrent au milieu de ces futaies moins serrées, où la circulation était plus facile.

Vers deux heures, un tumulte de lourds piétinements se fit entendre, et, en même temps, passèrent entre les arbres de souffles d’une sonorité claironnante…

Il n’y avait pas à s’y méprendre… Une troupe d’éléphants traversait la sapinière.

Une troupe?… non… Seulement trois de ces pachydermes se montrèrent, dont deux énormes, le père et la mère, l’autre, un éléphanteau qui les suivait…

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On ne l’a pas oublié, le plus vif désir de Jack avait toujours été de capturer un de ces animaux et de le domestiquer. Le hardi garçon voulut profiter de l’occasion qui s’offrait, et ce fut ce qui causa sa perte.

En prévision d’une attaque, M. Wolston, Ernest et Jack s’étaient mis sur la défensive, leurs armes en état, très peu rassurés, en somme, sur l’issue d’une lutte avec ces formidables bêtes.

Lorsque les trois éléphants furent arrivés au débouché de la clairière, ils s’arrêtèrent. De là, apercevant trois hommes, ils s’engagèrent vers la gauche, sans presser le pas, et s’enfoncèrent dans les profondeurs de la futaie.

Tout danger avait donc cessé, lorsque Jack, emporté par son irrésistible passion, disparut à la suite des éléphants, suivi de son chien Falb.

«Jack… Jack!… cria M. Wolston.

– Reviens… Jack… reviens!…» cria Ernest.

Ou l’imprudent n’entendit pas, ou – ce qui est plus probable – il ne voulut pas entendre.

Une fois encore on l’entrevit à travers les halliers, puis on le perdit de vue.

Très inquiets, M. Wolston et Ernest se jetèrent sur ses traces, et, en quelques instants, ils eurent atteint la clairière…

Elle était déserte…

A ce moment, le bruit de piétinement se reproduisit en cette direction, mais aucune détonation ne se fit entendre…

Jack n’avait-il pas encore voulu se servir de son fusil, ou ne l’avait-il pu?

En tout cas, il serait difficile de le rejoindre, et il était impossible de retrouver l’empreinte de ses pas sur ce sol semé de branches mortes et de feuilles sèches…

Alors le tumulte se tut peu à peu dans l’éloignement, quelques branches qui s’étaient agitées redevinrent immobiles, et rien ne troubla plus le silence de la forêt.

M. Wolston et Ernest fouillèrent jusqu’au soir les alentours de la clairière, ils se glissèrent au plus épais des fourrés, ils appelèrent Jack de toutes leurs forces… Le malheureux avait-il été victime de son imprudence?… N’avait-il pu éviter l’attaque des éléphants?… Gisait-il, sans mouvement, sans vie, en quelque coin de l’obscure futaie?…

Aucun cri, aucun appel ne retentit aux oreilles de M. Wolston et d’Ernest… Des coups de fusil, qu’ils tirèrent à plusieurs reprises, demeurèrent sans réponse…

La nuit faite, tous deux, épuisés de fatigue, accablés d’inquiétude, tombèrent au pied d’un arbre, écoutant toujours, cherchant à surprendre le moindre bruit. Ils avaient allumé un grand feu, avec l’espoir que Jack, se guidant sur les lueurs du foyer, pourrait les rejoindre, et ils ne fermèrent pas l’œil jusqu’au jour.

Et, pendant ces longues heures, des hurlements ne cessèrent d’indiquer la présence de fauves à une distance assez rapprochée. La pensée vint alors que, si Jack n’avait pas eu à se défendre contre les éléphants, il avait pu succomber dans une attaque plus dangereuse, contre des tigres, des lions, des pumas…

On ne pouvait l’abandonner cependant. Toute la journée suivante fut employée à rechercher ses traces à travers la sapinière. Ce fut peine inutile. M. Wolston et Ernest reconnurent bien, en relevant quelques pesantes foulées sur le sol, le passage des éléphants, des herbes piétinées, des basses branches rompues, des broussailles écrasées. Mais, de Jack, rien, ni aucun des objets dont il était porteur, ni son fusil ni son carnier… rien non plus indiquant qu’il eût été blessé… pas une trace de sang, pas une empreinte qui eût permis de se mettre sur sa piste.

Alors, après ces vaines tentatives, quelque déchirante que fût la pensée de revenir sans lui, il fallut prendre un parti. M. Wolston essaya de faire comprendre à Ernest que, dans l’intérêt même de son frère, il était indispensable de retourner à Felsenheim, d’où l’on reviendrait afin de recommencer ces recherches dans des conditions plus favorables…

Ernest n’aurait pas eu la force de discuter… il sentait bien que M. Wolston avait raison, et il le suivit presque inconscient de ce qu’il faisait…

Tous deux parcoururent une dernière fois cette portion de la sapinière qu’ils eurent franchie le soir même… Ils cheminèrent toute la nuit et toute la journée… Au matin, ils étaient arrivés à l’entrée du défilé de Cluse…

«Mon fils… mon pauvre fils!…» avait maintes fois répété Mme Zermatt.

Puis ces mots s’échappèrent encore de ses lèvres, lorsqu’elle retomba entre les bras de Mme Wolston et de sa fille, agenouillées près d’elle.

M. Zermatt et Ernest, abîmés dans leur douleur, ne pouvaient plus prononcer une parole.

«Voici ce qu’il faut faire sans perdre une heure», dit enfin M. Wolston d’un ton résolu.

M. Zermatt alla vers lui.

«Quoi?… demanda-t-il.

– Nous allons regagner Felsenheim, et nous en repartirons aujourd’hui même pour retrouver les traces de Jack… J’ai bien réfléchi à tout cela, mon cher Zermatt, et je vous supplie d’adopter ma proposition…»

Oui! on s’en rapporterait à M. Wolston. Lui seul avait conservé assez de sang-froid pour donner un sage conseil, et il n’y aurait qu’à le suivre aveuglément.

«C’est dans la partie de la forêt voisine du littoral que Jack a disparu, reprit-il. Donc, c’est de ce côté que nous devrons nous diriger tout d’abord, et par le plus court… Reprendre la route au delà du défilé de Cluse, ce serait trop long!… Embarquons dans la pinasse… Le vent est favorable pour doubler le cap de l’Est, et, ensuite, la brise du large nous déhalera le long du littoral… En partant dès ce soir, nous atteindrons avant le jour l’embouchure de la rivière Montrose. nous la dépasserons, et nous irons relâcher sur la partie de la côte où s’appuie l’extrémité de la chaîne!… C’est dans cette direction, en traversant la sapinière, que Jack a disparu… A nous y rendre par mer, nous aurons gagné deux jours!…»

La proposition fut acceptée sans discussion. Puisqu’elle offrait l’avantage d’économiser le temps, il n’y avait pas à hésiter, si l’on voulait profiter du vent qui, en deux ou trois bordées, mettrait l’Elisabeth par le travers du cap de l’Est.

Les deux familles remontèrent donc dans le chariot, et l’attelage fut si vivement mené qu’il s’arrêta une heure et demie après à l’entrée de Felsenheim.

Le premier soin fut de mettre la pinasse en état de prendre immédiatement la mer en vue d’un voyage de plusieurs jours auquel se joindraient Mme Zermatt, Mme Wolston et Annah. Elles eussent refusé de rester à Felsenheim, et M. Zermatt n’eut même pas la pensée de le leur proposer.

Dans l’après-midi, la nourriture des animaux étant assurée pour une semaine, la pinasse allait partir, lorsqu’un malheureux contretemps l’en empêcha.

Vers trois heures, le vent, qui avait molli, après avoir haie l’est, souffla bientôt en grande brise. Cependant, bien que la mer dût être forte dehors, l’Elisabeth n’aurait pas hésité à se risquer au delà du cap de l’Est. Mais comment s’élever jusqu’à ce cap contre les violentes lames qui venaient du large?… Rien que pour quitter son mouillage, elle aurait d’extrêmes difficultés, et dépasser l’îlot du Requin lui eût été sans doute impossible.

Ce fut désespérant!… Attendre, attendre, quand du moindre retard résulterait peut-être l’insuccès des recherches!… Et si ces vents contraires persistaient, si, dans la soirée, si, dans la nuit, l’état atmosphérique ne se modifiait pas, s’il empirait même…

«Eh bien! dit M. Wolston en répondant à ces questions qui venaient à l’esprit de tous, ce que nous ne pourrons tenter par mer, nous le tenterons par terre… Le chariot au lieu de la pinasse!… Tenons-le prêt à reprendre la route d’Eberfurt.»

On fit les préparatifs en vue de cette éventualité. Si le voyage s’effectuait avec le chariot, il y aurait lieu de se diriger vers le sud-est, afin de contourner la sapinière. L’attelage n’aurait pu y pénétrer, du moins dans la partie que M. Wolston et Ernest avaient explorée en avant de la chaîne. Dès lors, on chercherait à gagner l’extrémité orientale de la futaie, c’est-à-dire le point où devrait accoster l’Elisabeth, si un changement de vent lui permettait d’appareiller. Par malheur, le retard serait d’au moins trente-six heures, mais comment l’éviter?…

L’espoir d’un changement de temps ne se réalisa pas. La brise ne cessa de souffler du nord-est en fraîchissant toujours. Le soir venu, de grosses lames battaient les grèves de Felsenheim. La nuit menaçait d’être mauvaise, et, devant cet état de choses, le projet de navigation dut être abandonné.

M. Wolston fit donc décharger les provisions qui avaient été mises à bord, et on les transporta sur le chariot. En même temps, les derniers soins furent donnés aux deux buffles et à l’onagre en vue d’un départ dès l’aube.

Mme Zermatt faisait pitié, et ses lèvres ne s’entr’ouvraient que pour laisser échapper quelques mots:

«Mon fils… mon pauvre fils!»

Tout à coup, vers huit heures, les chiens Turc et Braun commencèrent à montrer certains signes d’agitation. M. Wolston, qui les observait, fut très frappé en les voyant courir devant la galerie à travers l’enclos. Braun, surtout, ne pouvait tenir en place.

Deux minutes après, un aboiement lointain se fit assez distinctement entendre.

«C’est Falb!…» s’écria Ernest.

Falb… le chien de Jack!… Braun et Turc le reconnurent aussi, car ils lui répondirent à pleine voix.

M. et Mme Zermatt, Mme Wolston, Annah, tous s’élancèrent hors de la galerie…

Presque aussitôt, Jack apparaissait à la porte d’entrée et se précipitait dans les bras de sa mère.

«Oui… sauvé… s’écria-t-il, mais peut-être un grand danger nous menace-t-il!…

– Un danger?… lequel?… demanda M. Zermatt, en attirant son fils, en le serrant sur sa poitrine.

– Les sauvages… répondit Jack, des sauvages qui ont débarqué sur l’île!»

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